Le fondement du nouveau régime : Accorder une protection accrue à la confidentialité des sources journalistiques dans le cadre des rapports qu’entretiennent les journalistes avec ces sources.
[28] Seul l’art 39.1 LPC est en cause en l’espèce. Il importe de souligner que, pour réaliser son projet de modernisation du droit en insérant l’art. 39.1 dans la LPC, le Parlement s’est inspiré des diverses décisions rendues par la Cour sur la question au fil des ans. Le législateur a cependant modifié la structure de l’analyse et la prépondérance des critères identifiés. Ainsi, certains critères qui n’étaient que de simples considérations sont désormais des conditions essentielles, alors que d’autres ont vu leur importance diminuer. Par ce minutieux réagencement, le Parlement a créé un régime de droit nouveau, duquel se dégage une intention claire : accorder une protection accrue à la confidentialité des sources journalistiques dans le cadre des rapports qu’entretiennent les journalistes avec ces sources. Si l’illustration la plus manifeste de cette intention réside dans le renversement du fardeau de la preuve prévu au par. 39.1(9) LPC, comme je l’explique plus loin, plusieurs autres modifications en témoignent également. Afin de saisir pleinement la portée du changement, un bref survol des deux régimes — l’ancien et le nouveau — s’impose.
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[32] Bien qu’inspiré de l’ancien régime fondé sur la common law, le nouveau régime légal qui figure à l’art. 39.1 LPC présente des différences notables avec ce dernier, dont le renversement du fardeau de la preuve (par. 39.1(9)), l’adoption de nouvelles conditions préalables (soit les définitions légales de « journaliste » et de « source journalistique » (par. 39.1(1)) ainsi que l’état de nécessité raisonnable (al. 39.1(7)a)). Il convient également de dire quelques mots sur le nouvel exercice de pondération prévu à l’al. 39.1(7)b) LPC, qui s’écarte du test de mise en balance qui prévalait avant l’adoption de la nouvelle loi. Je vais d’abord faire un survol du nouveau régime légal et de ses différentes composantes, puis terminer en résumant la marche à suivre pour l’application de l’art. 39.1 LPC.
Le journaliste a pour seul fardeau d’établir qu’il est un « journaliste » et sa source confidentielle, une « source journalistique », au sens du par. 39.1(1), et, s’il y parvient, il incombe alors à l’autre partie — celle qui souhaite la divulgation du renseignement ou du document qui identifie ou est susceptible d’identifier une source journalistique — de faire la preuve des conditions requises pour que le tribunal autorise la divulgation.
[33] Le régime de common law prévoyait un privilège de non-divulgation exceptionnel, dont l’applicabilité devait être démontrée au cas par cas par le journaliste qui le revendique. Il s’agissait donc d’une présomption en faveur de la divulgation de l’identité d’une source, à moins que le journaliste ne parvienne à satisfaire aux quatre volets du test de Wigmore. Par contraste, suivant l’analyse prescrite par l’art. 39.1 LPC, le journaliste a pour seul fardeau d’établir qu’il est un « journaliste » et sa source confidentielle, une « source journalistique », au sens du par. 39.1(1), et, s’il y parvient, il incombe alors à l’autre partie — celle qui souhaite la divulgation du renseignement ou du document qui identifie ou est susceptible d’identifier une source journalistique — de faire la preuve des conditions requises pour que le tribunal autorise la divulgation.
[34] Ce renversement du fardeau de la preuve est sans contredit la différence la plus importante entre les deux régimes. Si un journaliste s’oppose à la divulgation d’une information au motif qu’elle est susceptible d’identifier une source confidentielle, la non-divulgation devrait marquer le point de départ de l’analyse. Le fardeau de renverser cette présomption revient à la partie cherchant à obtenir l’information. Alors que sous l’ancien régime, l’applicabilité du privilège journalistique constituait l’exception, elle est maintenant devenue la règle. Je note que cette répartition du fardeau de la preuve avait déjà été envisagée relativement au quatrième volet du test de Wigmore, mais avait ultimement été rejetée par notre Cour : voir Globe and Mail, par. 24. Je note également que le tribunal dispose maintenant du pouvoir de soulever d’office la question de la communication, ou de la non-divulgation, d’informations susceptibles d’identifier une source: par. 39.1(4) LPC. Il s’agit de deux différences appréciables qui illustrent le changement de paradigme qu’a entraîné l’édiction de l’art. 39.1 LPC.
[35] Il n’est pas déraisonnable de considérer qu’une protection inadéquate des sources pourrait contribuer à leur tarissement. La protection de leur confidentialité constitue un aspect nécessaire pour susciter leur contribution et ainsi favoriser l’existence d’un journalisme d’enquête fort et efficace.
Les conditions préalables : définitions légales et état de nécessité raisonnable.
[38] Les définitions de « journaliste » et de « source journalistique » prévues dans la LPC restreignent à première vue le continuum des personnes pouvant revendiquer le privilège de non-divulgation. Je souligne que rien dans les présents motifs ne doit être considéré comme ayant pour effet de trancher la question — dont la Cour n’est d’ailleurs pas saisie — de savoir si les participants au débat public qui n’entrent pas dans le champ d’application de ces définitions peuvent néanmoins invoquer, à titre résiduel, le régime de common law sur ce point. Cette question déborde du cadre du présent pourvoi, et je m’abstiendrai en conséquence d’y répondre.
[39] Une fois qu’il a été démontré que le journaliste et sa source journalistique sont visés par les définitions légales de ces termes énoncées aux par. 39.1(1) et (3) LPC, une autre condition préalable à l’exercice de pondération par le tribunal doit être respectée, soit l’existence d’un état de nécessité raisonnable : al. 39.1(7)a) LPC. Il s’agit pour le demandeur qui souhaite obtenir la divulgation d’un renseignement ou d’un document d’établir que ce renseignement ou document « ne peut être mis en preuve par un autre moyen raisonnable ».
L’exercice de mise à en balance : Aux termes de l’al. 39.1(7)b) LPC, qui constitue en effet le cœur du nouveau régime légal, le tribunal doit alors décider si « l’intérêt public dans l’administration de la justice l’emporte sur l’intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique » en cause.
[41] Le tribunal procède à cette mise en balance uniquement après que les conditions relatives aux définitions légales et à la nécessité de la participation du journaliste en vue de l’obtention du renseignement recherché sont respectées. Aux termes de l’al. 39.1(7)b) LPC, qui constitue en effet le cœur du nouveau régime légal, le tribunal doit alors décider si « l’intérêt public dans l’administration de la justice l’emporte sur l’intérêt public à préserver la confidentialité de la source journalistique » en cause. Le tribunal doit tenir compte, notamment, des critères suivants : (i) « l’importance du renseignement […] à l’égard d’une question essentielle dans le cadre de l’instance » en l’espèce; (ii) « la liberté de la presse »; et (iii) les « conséquences de la divulgation sur la source journalistique et le journaliste ». Dans le cadre de l’exercice de mise en balance, la divulgation doit être considérée dans le concret, en tenant compte notamment des conditions qui pourront être assorties à la divulgation : par. 39.1(8) LPC. Examinons maintenant ce que signifient ces divers critères.