R. c. Richer, 2017 QCCM 142

Le procureur du défendeur prétend que la procureure de la poursuite n’a pas prouvé, hors de tout doute raisonnable, que le défendeur aurait refusé de fournir un échantillon d’haleine et qu’il avait l’intention de ne pas fournir un échantillon d’haleine.

 

Le refus de fournir un échantillon d’haleine

[58]   L’article 254(5) du Code criminel stipule que commet une infraction quiconque, sans excuse raisonnable, fait défaut ou refuse d’obtempérer à un ordre que lui donne un agent de la paix.

[59]      Les éléments essentiels de cette infraction, lesquels font partie du fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable de la poursuite. Selon l’arrêt de principe  R. c. Lewko 2002) 2002 SKCA 121 (CanLII), 169 C.C.C. (3d) 359 (C.A. Sask,) de la Cour d’appel de la Saskatchewan, les éléments essentiel de l’infraction sont les suivants :

  • Une sommation valide et légale donnée par un agent de la paix  ordonnant au défendeur de fournir des échantillons d’haleine;
  • La preuve que le défendeur est le conducteur du véhicule et qu’il a fait défaut d’obtempérer à cette sommation;
  • Le défaut ou le refus était intentionnel, c’est-à-dire qu’il y a une volonté chez le défendeur de causer l’échec du test

[60]     Me Karl-Emmanuel Harrison, dans son volume, Capacités affaiblies, Principes et application, 2e éd. 2009, p.324, précise le fardeau de preuve que doit rencontrer le procureur de la Poursuivante en ces termes :

«Pour faire cette preuve, le ministère public doit donc établir hors de tout doute raisonnable que la personne sommée a fait défaut ou refusé de fournir les échantillons d’haleine ou de suivre l’agent de la paix à cette fin après qu’il lui ait donné l’ordre de s’y soumettre dans les meilleurs délais. De plus, il doit démontrer que l’agent de la paix avait des motifs raisonnables de croire à la commission d’une infraction de conduite avec les capacités affaiblies et que la personne conduisait ou avait la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur dans les trois heures précédant la demande».

[61]   Dans la cause de Bourque c. R EYB 2005-91476, l’Honorable Richard Grenier de la Cour supérieure définit l’infraction de refus en ces termes :

« 20           L’actus reus de cette infraction est le fait de ne pas se conformer à la demande, pour établir la mens rea, la poursuite doit, de plus, faire la preuve que le défaut de se conformer à la sommation est intentionnel. Conséquemment, celui qui échoue le test de dépistage, pour le motif qu’il ne souffle bas adéquatement, ne commettra pas l’infraction qu’on lui reproche, s’il n’a pas l’intention coupable, bien que cette intention puisse souvent découler de l’ensemble des faits mis en preuve.

21     Il faut, par ailleurs, éviter de confondre la preuve de l’intention coupable et l’excuse raisonnable dont la preuve incombe à l’accusé, R. c. Sheehan, [2003] N.J. no 57.

22     Lorsqu’il y a refus de se soumettre au test, l’intention coupable se présume et le juge doit se demander, à l’étape subséquente, si l’accusé a démontré, de façon prépondérante, une excuse raisonnable justifiant le refus. 

23   Quant à celui qui ne souffle pas de façon adéquate, le juge doit d’abord se demander  s’il subsiste un doute, eu égard à l’ensemble de la preuve, quant à la présence du troisième élément essentiel de l’infraction : l’intention. Si pareil doute existe, il doit acquitter, sinon, il passe à l’examen de l’explication raisonnable, dans l’hypothèse où pareille défense est soulevée. »

[62]     Le fait de ne pas souffler convenablement constitue un refus et démontre l’intention de l’accusé de refuser de fournir un échantillon d’haleine (R. c. Lewko précité)

[63]     Dans la présente cause, l’ordre de fournir un échantillon d’haleine a été donné au défendeur par la policière Ménard qui avait des motifs raisonnables de croire que le défendeur avait conduit un véhicule à moteur alors qu’il avait consommé de l’alcool.

[64]     La preuve démontre également que le défendeur a fait défaut de fournir un échantillon d’haleine.

[65]   Le seul fait en litige demeure à déterminer si le refus du défendeur est intentionnel ou si l’échec est dû au mal fonctionnement de l’appareil ou une mauvaise utilisation ou manipulation de l’appareil

[66]   Je ne suis pas confronté à un individu qui refusait catégoriquement de souffler dans l’appareil.

[67]   Il me faut apprécier la fiabilité de l’opératrice Ménard ainsi que la fonctionnalité de l’appareil utilisé.

[68]  Quels sont les vérifications faites par la policière Ménard ?

  •       Elle a vérifié l’embout; sans détailler les vérifications qu’elle aurait fait
  •       Elle ne se souvient pas d’avoir lu un message ni constaté si les témoins lumineux fonctionnaient;
  •       Après la troisième ou quatrième tentative, elle n’a pas vérifié si l’embout était obstrué.

 

[69]   Après la quatrième tentative, je suis d’avis, comme le souligne mon collègue, le juge Richard Laflamme, dans la cause de  R. c. Villeneuve 2012 QCCQ 14787 (CanLII), «que le policier aurait dû s’assurer qu’aucune obstruction [de l’embout] n’empêche le sujet de fournir un ou des échantillons».

Au même effet :  R. c. Tremblay 2014 QCCQ 369 (CanLII), 2014 QCCQ 369 (Juge Marco LaBrie R c. Huard 2015 QCCQ 820 (CanLII), 2015 QCCQ 820 (Juge Denis Paradis), R. c. Arias 2015 QCCM 109 (CanLII), 2015 QCCM 109 (Juge Schlesinger), D.P.C.P. c. Standish 2015 QCCQ 5394 (CanLII), 2015 QCCQ 5394 (Juge Desgens)

[70]  Je suis d’avis qu’il subsiste un doute quant à l’intention coupable du défendeur, compte tenu de l’ensemble de la preuve, particulièrement l’absence de vérification du fonctionnement de l’appareil de détection approuvé et de l’embout afin de s’assurer, après toutes ces tentatives, que l’échec n’était pas dû à une défaillance de l’appareil.

[71]   Cette défaillance est d’autant plus possible et plausible du fait que la policière aurait échappé l’appareil avant de l’utiliser. Cette preuve n’a pas été contredite et le Tribunal y accorde un force probante importante.

[72]   Au surplus, je retiens le témoignage crédible et fiable du défendeur à l’effet qu’il voulait souffler, qu’il a tenté de le faire au meilleur de ses capacités.

[73]   Enfin, je suis d’avis que la poursuite n’a pas satisfait son fardeau de preuve  tel que précisé et défini par le juge Marc Bisson dans la cause de R. c. Samper 505-01-047700-048 :

«Lorsque l’accusation portée contre un accusé en est une d’avoir fait défaut de se soumettre à l’ordre donné et non une d’avoir refusé, la poursuivante doit faire la preuve que l’appareil et ses accessoires étaient en bon état de fonctionnement».

[74]   La procureure de la poursuite reproche au procureur du défendeur de ne pas avoir interrogé les policières sur le fait que la policière Ménard aurait échappé l’appareil de détection avant de faire passer le test au défendeur.  La procureure aurait pu faire entendre, en contre-preuve, la policière Ménard pour traiter de cette question.

[75]   Je considère donc qu’il subsiste un doute raisonnable quant à l’intention du défendeur et il doit bénéficier de ce doute.

  1. DISPOSITIF

[76]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACQUITTE le défendeur des chefs  d’accusation tel que portés.