Par Me Félix-Antoine T. Doyon

R. c. Vuradin, 2013 CSC 38 traite de du principe selon lequel les motifs d’un jugement doivent être suffisants.

 

Voici les passages pertinents :

 

[10]                          Une cour d’appel chargée de décider si un juge de première instance a suffisamment motivé sa décision doit appliquer une approche fonctionnelle : R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, par. 55.  Un appel fondé sur l’insuffisance des motifs « ne sera accueilli que si les lacunes des motifs exprimés par le juge du procès font obstacle à un examen valable en appel » : R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, [2008] 1 R.C.S. 788, par. 25.

 

 

[11]                          En l’espèce, la crédibilité était la question clé au procès.  Les décisions d’un juge du procès relatives à la crédibilité commandent un degré élevé de déférence.  La juge Charron donne les précisions suivantes dans Dinardo :

 

 

                    Dans un litige dont l’issue est en grande partie liée à la crédibilité, on tiendra compte de la déférence due aux conclusions sur la crédibilité tirées par le juge de première instance pour déterminer s’il a suffisamment motivé sa décision.  Les lacunes dans l’analyse de la crédibilité effectuée par le juge du procès, telle qu’il l’expose dans ses motifs, ne justifieront que rarement l’intervention de la cour d’appel. Néanmoins, le défaut d’expliquer adéquatement comment il a résolu les questions de crédibilité peut constituer une erreur justifiant l’annulation de la décision (voir R. c. Braich, [2002] 1 R.C.S. 903, 2002 CSC 27, par. 23). Comme notre Cour l’a indiqué dans R. c. Gagnon, [2006] 1 R.C.S. 621, 2006 CSC 17, l’accusé est en droit de savoir « pourquoi le juge du procès écarte le doute raisonnable ».  [par. 26] 

 

[12]                          En dernière analyse, lorsqu’un tribunal d’appel examine les motifs pour déterminer s’ils sont suffisants, « il doit les considérer globalement, dans le contexte de la preuve présentée, des arguments invoqués et du procès, en tenant compte des buts ou des fonctions de l’expression des motifs » : R.E.M., par. 16.  Ces buts « seront atteints si les motifs, considérés dans leur contexte, indiquent pourquoi le juge a rendu sa décision » (par. 17).

 

 

[13]                          Notre Cour a également précisé dans R.E.M. que l’omission du juge du procès d’expliquer pourquoi il a écarté une dénégation plausible des accusations par l’accusé ne rend pas les motifs déficients, pourvu que ceux‑ci démontrent, de façon générale, que lorsque les témoignages de la plaignante et de l’accusé se contredisaient, il a retenu celui de la plaignante.  Aucun autre motif n’est nécessaire pour justifier le rejet du témoignage de l’accusé puisque les déclarations de culpabilité elles‑mêmes permettent d’inférer raisonnablement que l’accusé n’a pas réussi à soulever un doute raisonnable en niant les accusations (voir le par. 66).

 

 

[14]                          L’appelant plaide que les motifs n’indiquaient pas pourquoi le juge du procès avait rendu la décision qu’il a rendue.  Ce dernier n’a pas examiné les questions en litige concernant la crédibilité de la plaignante avant de retenir son témoignage.  Le juge du procès n’a pas abordé plusieurs des questions en litige énumérées en détail par le juge dissident de la Cour d’appel.  S’il l’a fait, il a ensuite tiré une conclusion sommaire à leur égard.  Selon l’appelant, bien qu’on ne doive pas modifier à la légère les conclusions d’un juge du procès relatives à la crédibilité des témoins, le juge du procès n’explique pas adéquatement dans ses motifs pourquoi il a retenu le témoignage de la plaignante, ni pourquoi le témoignage de l’appelant ne soulevait pas un doute raisonnable. 

 

 

[15]                          Pour décider si les motifs du juge du procès sont suffisants, la question principale à trancher est la suivante : considérés dans leur contexte, les motifs indiquent‑ils pourquoi le juge a rendu la décision qu’il a rendue relative aux chefs d’accusation concernant la plaignante?  En l’espèce, les motifs du juge du procès satisfont à ce critère.

 

 

[16]                          Premièrement, le juge du procès a estimé que le témoignage de la plaignante était convaincant, c’est‑à‑dire crédible et fiable.  Il a motivé cette opinion en signalant un échange entre la plaignante et le policier chargé de l’enquête à qui elle a exprimé sa crainte d’être considérée comme une mauvaise fille parce qu’elle avait peut‑être aimé ce que lui avait fait l’appelant.  Le juge du procès a dit que ces propos [traduction] « avaient un accent de vérité ».

 

 

[17]                          Deuxièmement, le juge du procès a reconnu les questions en litige relatives à la crédibilité de la plaignante.  Il n’était pas tenu de traiter de tous les éléments de preuve sur un point donné ou de répondre à chaque argument soulevé par les avocats : R.E.M., par. 32 et 64; Dinardo, par. 30.  En l’espèce, il a relevé les failles du témoignage de la plaignante — l’absence d’un hymen, les contradictions quant au nombre d’incidents, l’impossibilité physique de certaines allégations et les questions suggestives posées par le policier qui a enregistré sa déclaration.  Il a traité de chacune de ces failles, quoique brièvement, estimant en fin de compte qu’elles n’avaient aucune incidence sur sa conclusion globale.  Il a qualifié d’hypothétique la suggestion d’invention faite par l’appelant.

 

 

[18]                          Troisièmement, le juge du procès a tenu compte de la dénégation des allégations par l’appelant.  Il a reconnu que si l’appelant avait mieux maîtrisé l’anglais, il aurait peut‑être présenté un témoignage plus étoffé.  Considérés dans leur contexte, les motifs du juge du procès révèlent qu’il a rejeté la dénégation de l’appelant.  Plus loin dans ses motifs, le juge du procès a affirmé, à propos des autres chefs d’accusation, que la dénégation n’était pas sincère et ne soulevait pas de doute.

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