Le trouble mental – La défense de trouble mentaux
L’appelant ne soulève qu’une question. Dans ses directives au jury, la juge a‑t‑elle omis de lui indiquer de prendre en compte la preuve touchant sa santé mentale, pertinente dans l’évaluation de la présence de la préméditation et du propos délibéré, même s’il la jugeait insuffisante pour la défense de troubles mentaux?
[5] Dans l’arrêt R. c. Wallen, 1990 CanLII 146 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 827, la Cour suprême a adopté la position du juge La Forest qui, à propos des directives sur le moyen de défense d’intoxication dans le contexte d’une accusation de meurtre au premier degré, avait conclu :
… while it is certainly the better course to follow, there is no hard and fast rule that the trial judge must always give explicit instructions clearly distinguishing between the degree of intoxication necessary to negative intent to kill and that necessary to negative planning and deliberation. (Soulignement ajouté.)
[6] C’est ainsi que dans l’arrêt R. c. Jacquard, 1997 CanLII 374 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 314, le juge Lamer reprend cette phrase du juge La Forest. Il conclut au paragraphe 30 de l’arrêt que, dans le contexte de l’examen du caractère prémédité et du propos délibéré du meurtre, la défense de troubles mentaux est similaire à celle de l’intoxication et, par conséquent :
It is sufficient if his instructions, when read as a whole, make the jury aware that the evidence of the appellant’s mental disorder needs to be considered on each issue, and do not mislead the jury into thinking that a finding of planning and deliberation necessarily follows from a finding of intention.
(Soulignement ajouté.)
[7] Dans cet arrêt, on reconnaît que le trouble mental insuffisant pour nier l’intention peut être suffisant pour nier la préméditation et le propos délibéré :
It is true that some factor, such as a mental disorder, that is insufficient to negative the charge that the accused intended to kill, may nevertheless be sufficient to negative the elements of planning and deliberation. This is because one can intend to kill and yet be impulsive rather than considered in doing so. It requires less mental capacity simply to intend than it does to plan and deliberate.
[8] Le juge Lamer note, au paragraphe 31 du même arrêt, que les directives dans leur ensemble étaient néanmoins claires :
There is no question that the trial judge treated the issue of planning and deliberation separately from all others and alerted the jury that the evidence of the appellant’s mental disorder was relevant to its determination. Moreover, he indicated to the jury that neither “planning” nor “deliberation” is equivalent to “intentional”. He told the jury that “a person can mean or intend to kill someone without having planned to kill the person”. The effect of instructing the jury that the appellant could intend to do something without planning and deliberating is to make the jury understand that the appellant’s mental disorder could conceivably have undermined his capacity to plan and deliberate without undermining his capacity to intend.
(Soulignement ajouté.)
[9] Ce n’est pas le cas en l’espèce. Ni la juge ni les avocats n’ont alerté le jury au fait que les troubles mentaux insuffisants pour la défense de l’article 16 C.cr. sont pertinents pour évaluer la préméditation et le propos délibéré. La juge et les avocats s’arrêtent à l’intention, un élément distinct de la préméditation et du propos délibéré.
[10] De plus, les directives dans leur ensemble ne permettent pas de conclure que le jury a compris l’impact possible des troubles mentaux sur les éléments de préméditation et du propos délibéré. Si elles s’inscrivent, comme le souligne l’intimée, dans un contexte similaire à celui de l’affaire Jacquard, elles s’en distinguent notamment en raison de la question posée par le jury, sujet abordé plus bas.
[11] Ce constat s’impose aussi malgré l’absence de réactions ou remarques de la part des avocats de l’appelant au moment pertinent. L’intimée insiste d’ailleurs sur l’approbation des directives par les avocats de l’appelant, incluant la réponse de la juge à la question J—5. Sur ce point, nul doute qu’on attend des avocats qu’ils assistent le juge en lui indiquant les problèmes que soulèvent ses directives. Le défaut de le faire, notamment pour des raisons stratégiques, peut parfois être reproché aux avocats et permettre de conclure que l’erreur n’a pas eu d’effet : R. c. Jacquard, précité et R. c. Daley, 2007 CSC 53 (CanLII), [2007] 3 R.C.S. 523, par. 58; R. c. Bergeron, 2008 QCCA 1987 (CanLII), par. 38; R. c. Barboza-Pena, 2008 QCCA 1133 (CanLII), par. 103; R. c. Seck, 2007 QCCA 1089 (CanLII); R. v. Spence, 2017 ONCA 619 (CanLII), par. 59.
[12] Cela dit, la responsabilité des directives en droit incombe au juge du procès et, contrairement à ce que plaide l’intimée, les plaidoiries ne peuvent pas les compléter sur ces questions : R. c. Pickton, 2010 CSC 32 (CanLII), [2010] 2 R.C.S. 198, par. 27; R. c. Avetysan, 2000 CSC 56 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 745, par. 24.
[13] Il est vrai que l’erreur en cause n’est pas celle qu’on retrouve dans l’arrêt R. c. Allard (1990), 1990 CanLII 3027 (QC CA), 57 C.C.C. (3d) 397 (C.A.Q.). Là, le juge avait positivement dit au jury de ne pas tenir compte des troubles mentaux autrement que pour la défense de l’article 16 C.cr.
[14] En l’espèce toutefois, les directives en sont fonctionnellement l’équivalent. Elles limitent, à plusieurs reprises, l’évaluation spécifique des troubles mentaux uniquement en regard des deux éléments de l’intention du meurtre, soit l’intention de vouloir causer la mort de quelqu’un ou de vouloir lui causer des lésions corporelles qu’on sait de nature à causer la mort, sans se préoccuper que la mort survienne ou pas.
[15] Comme le souligne avec raison l’intimée, il est vrai aussi que la juge invite le jury à considérer l’ensemble de la preuve pour déterminer si la préméditation et le propos délibéré sont prouvés. Cependant, et malgré cette directive correcte, le jury pose une question révélant son incompréhension puisqu’il demande quels sont les éléments de preuve qu’il doit exclure de sa réflexion pour déterminer si la préméditation et le propos délibéré ont été prouvés. On conviendra que s’il avait bien compris de tenir compte de toute la preuve, la question ne se posait pas. Or, la réponse n’est ni claire ni complète.
Une question est toujours un indicateur de ce que le jury a oublié ou a mal compris des directives et la réponse doit alors être complète puisque les jurés « doivent compter exclusivement sur la réponse donnée par le juge du procès pour dissiper toute confusion ou régler tout débat sur ce point qui ont pu survenir jusque-là au cours de leurs délibérations
[38] En raison de la référence à « vous devez examiner tous les éléments de la preuve », le jury peut avoir compris que les troubles mentaux sont également pertinents pour évaluer le caractère prémédité et le propos délibéré. Cependant, la question « J‑5 » traduit indéniablement une confusion. On peut en inférer qu’il a compartimenté la preuve ou qu’il se demandait s’il devait le faire.
[39] Une question est toujours un indicateur de ce que le jury a oublié ou a mal compris des directives et la réponse doit alors être complète puisque les jurés « doivent compter exclusivement sur la réponse donnée par le juge du procès pour dissiper toute confusion ou régler tout débat sur ce point qui ont pu survenir jusque-là au cours de leurs délibérations » : R. c. Naglik, 1993 CanLII 64 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 122, p. 139; R. c. Griffin, 2009 CSC 28 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 42, par. 45; R. c. Layton, 2009 CSC 36 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 540, par. 32-33.
[40] La question J-5 n’est pas reproduite dans le dossier d’appel, mais la juge en fait la lecture :
« Nous en sommes à une impasse au sujet de la définition exacte et, entre parenthèses, on m’indique : exemples à l’appui des notions préméditées ou de propos délibéré, merci de nous éclairer.
De plus, nous aimerions savoir quels sont les éléments dont il ne faut pas, avec un grand PAS, souligné, tenir compte, au moment de notre réflexion sur le sujet. »
[41] S’interrogeant sur la façon de répondre à cette question, la juge sollicite l’avis des avocats. Ceux-ci n’ont rien à redire sur les directives. La réponse de la juge est la suivante :
Et pour répondre, en premier lieu, à la deuxième portion de votre question, qui me demandait s’il y a des éléments dont il ne faut pas tenir compte au moment de notre réflexion sur le sujet de la préméditation et de propos délibéré :
Il n’y a pas d’éléments de la preuve dont vous ne devez pas tenir compte, hormis ceux où je vous ai dit, là, en cours de procès : « Évacuez cette réponse de votre esprit, elle n’est pas légalement admissible. »
Le reste, toute la preuve qui est légalement admissible, vous avez l’obligation de la considérer, naturellement dans la mesure où elle se rapporte, selon ce que vous considérez, à la question que vous avez à trancher.
Alors, mais toute la preuve qui a été faite devant vous, vous devez la considérer, si elle est pertinente à la question, selon vous, que vous avez à trancher.
Maintenant, vous m’informez que vous voudriez que je vous donne des informations sur le caractère prémédité, de propos délibéré, avec des exemples.
Alors je vais reprendre certains des exemples et les explications que je vous ai fourni. Alors l’expression « Meurtre commis avec préméditation et propos délibérés », préméditation et propos délibérés, c’est deux concepts, chaque mot a une signification qui est différente.
Si je débute par la préméditation. La préméditation, c’est le fait d’avoir un projet qui est réfléchi d’accomplir un acte. Le mot « Préméditation », vous l’interprétez dans le sens ordinaire des mots. Il réfère … d’accord.
(M.A. 2566-2267. Soulignement et italiques ajoutés.)
[42] Avec égards pour l’opinion contraire, cela ne répond pas à la préoccupation du jury. Le jury aura compris que tout doit être considéré, sauf ce qui n’est pas légalement admissible et ce qu’il ne croit pas pertinent à la question à trancher. Il incombe au juge de guider le jury et de faire le lien entre la preuve et la question à trancher, plus particulièrement lorsque le jury le demande ou s’interroge.
[43] Au surplus, cette réponse lui laisse l’entière responsabilité de déterminer la preuve pertinente, sans véritablement le guider et il s’agit d’une erreur : R. c. Korol, 2009 BCCA 118 (CanLII), par. 37.
[44] Il est pourtant manifeste que le jury hésite à considérer la preuve dans son ensemble malgré les directives déjà données, qu’il ne comprend pas ce qui peut et ce qui peut ne pas être pertinent à la question des éléments de préméditation et du propos délibéré.
[45] L’intimée suggère que, tout comme dans l’affaire Jacquard, la juge était justifiée de passer plus rapidement sur les éléments de preuve concernant l’impact des troubles mentaux sur la préméditation et le propos délibéré. Cette preuve, avance-t-elle, était inexistante puisque l’appelant n’en a présenté aucune sur cet aspect.
[46] L’argument doit être rejeté. D’abord, l’appelant n’a aucun fardeau à satisfaire autre que ce que la loi peut lui imposer. Il n’a ici aucun fardeau. Il appartient donc à la poursuite de prouver la préméditation et le propos délibéré. Ensuite, le grief soulevé par l’appelant n’est pas que la juge a omis d’énumérer les éléments de preuve pouvant soutenir un trouble mental à l’égard de la préméditation et le propos délibéré, mais le fait que les directives n’ont même pas permis au jury de comprendre qu’il pouvait tenir compte du trouble mental. Dans l’arrêt Jacquard, encore une fois, les directives expliquaient ce lien, sans toutefois reprendre l’énumération des éléments de preuve, puisque cela avait été fait lors des directives sur les troubles mentaux.