Fruitier c. R., 2022 QCCA 1225
Le principe consacré à l’alinéa 11 i) de la Charte ne s’applique qu’à l’égard de la peine à strictement parler. La protection que confère cette disposition ne s’étend pas aux principes et objectifs de détermination de la peine. Un délinquant n’a donc pas droit aux principes et objectifs de détermination de la peine qui prévalaient au moment de la commission de l’infraction dont il a été déclaré coupable.
[39] Or, le principe consacré à l’alinéa 11 i) de la Charte ne s’applique qu’à l’égard de la peine à strictement parler. La protection que confère cette disposition ne s’étend pas aux principes et objectifs de détermination de la peine. Un délinquant n’a donc pas droit aux principes et objectifs de détermination de la peine qui prévalaient au moment de la commission de l’infraction dont il a été déclaré coupable. Ce sont ceux en vigueur à l’époque de la détermination de la peine que l’on considère, sous réserve de la règle de la non-application d’une peine plus sévère que la peine maximale prévue lors de la commission de l’infraction[30]. Dans un passage déjà cité avec approbation par notre cour[31], la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador expliquait en ces termes la raison d’être de cette approche :
[11] As has often been stated, the principal purpose of the criminal process is the protection of society and one of the fundamental purposes of any sentence is to achieve that end. In the imposition of sentence, a court must ensure that the sentence imposed is a fit one. Regard must be had to the offender, to the offence and to the interests of society, at the time of sentencing. It is only at the time of sentencing, or at the time of a later review by an appeal court, that the elements of general and individual deterrence, punishment, and rehabilitation, and the degree to which any or all should be applied, can be considered in arriving at a fit sentence.
[40] Plus récemment, dans l’arrêt R. v. Stuckless, la juge Pepall formulait les commentaires suivants sur la prise en compte de l’évolution législative et jurisprudentielle en matière infractions d’ordre sexuel ciblant des enfants[32] :
[112] As the foregoing review of Parliament’s legislative initiatives and appellate jurisprudence from across the country suggests, there has been significant recognition of the impact of sexual abuse on a child, particularly when that abuse is perpetrated by a person in a position of trust or authority. Parliament’s legislative reforms governing sexual offences signal that society’s denunciation of this conduct must be reflected in the sentences imposed by courts. These legislative amendments, while not applicable to the offences committed by the respondent, indicate a significant societal recognition of the gravity of sexual offences [page781] against children. This recognition is not an alteration of weight to be assigned to a factor, or justification for imposing a higher sentence than is fit in the circumstances. Understanding the gravity of the offences in a general sense is an important aspect of imposing a proportionate sentence. It serves to contextualize the seriousness of the offences and recognizes that sentencing should not be divorced from a contemporary understanding of the harm occasioned by the offences. The legislative amendments are not a standalone justification for imposing a higher sentence, nor do I rely on them for that purpose. As mentioned, they simply reflect society’s better understanding of harm caused by these offences to victims and the community, and the need to address this harm in the sentencing process as argued by the Crown.
En s’inspirant de l’arrêt Friesen et en se fondant sur la compréhension actuelle des violences sexuelles faites aux enfants, le juge de première instance a correctement abordé la question de la détermination de la peine dans le cas de l’appelant. Certes, il n’y a aucune commune mesure entre les agissements de l’appelant et les circonstances des infractions commises dans l’affaire Friesen, marquées comme elles l’étaient par un degré anormalement élevé de dépravation. Et il est concevable que, si l’appelant s’était vu imposer une peine en 1976, celle-ci aurait été plus clémente que celle infligée en août 2021. Mais sa victime a témoigné sur les conséquences durables et préjudiciables que les infractions ont eues sur elle et cet aspect des choses, l’impact émotionnel et psychologique sur le plaignant, s’inscrit dans le droit sillage de l’arrêt Friesen. Ce motif d’appel échoue.
L’incidence de l’article 726 du Code criminel
[50] Cette prétention peut être formulée comme suit : en omettant de lui donner la possibilité de présenter ses observations au moment où il allait prononcer la peine, le juge a empêché l’appelant d’exposer, selon son expression, « un facteur atténuant utile à la détermination d’une peine juste ». Or, dans ses motifs sur la peine, le juge mentionne au paragraphe 117 que l’appelant, comme c’était son droit, n’a pas témoigné au procès, tant au stade du verdict que de la peine. De cela découle cependant que l’appelant a renoncé de la sorte à témoigner sur de possibles circonstances atténuantes. Puis, citant une phrase qu’il emprunte à un jugement récent, le juge poursuit en ces termes : « … l’absence de ces facteurs [atténuants] ne peut devenir aggravante. Mais force est de constater que de nombreux facteurs retenus en jurisprudence comme atténuants et militants pour une peine au bas de la fourchette sont donc absents… »[43]. Selon l’appelant, cela suffit pour conclure à l’existence d’un préjudice potentiel puisque « un facteur atténuant utile à la détermination d’une peine juste » aura pu échapper au juge.
[51] L’intimé rétorque que cette omission du juge est le résultat d’une inadvertance. L’allégation par l’appelant d’un préjudice potentiel ne suffit pas, il lui faudrait démontrer qu’un préjudice réel provient l’omission en question.
[52] Je note tout d’abord que, comme l’a précisé la Cour dans l’arrêt Gavin c. R.[44], le libellé de l’article 726 (qui diffère du paragr. 723 (1) sur quelques aspects) ne prête pas à interprétation sur un point précis : dans sa version anglaise, l’emploi des mots « the court shall ask whether the offender, if present, has anything to say » implique que le juge doit poser cette question à l’accusé. Il a donc commis ici une erreur de droit en oubliant de le faire.
[53] Cela dit, l’arrêt Gavin fournit d’autres éclaircissements sur la portée de l’article 726. Avec l’accord des juges Nuss et Bich, le juge Doyon y écrivait ce qui suit, qui résume bien l’état de la jurisprudence en la matière[45] :
[18] S’il est vrai que le juge de première instance, en l’espèce, n’a pas fait une telle demande à l’appelant, il n’en reste pas moins que son avocat a présenté ses observations en temps utile.
[19] L’appelant prétend qu’il ne s’agit pas d’une erreur commise par inadvertance par le juge de première instance puisque l’appelant a demandé à être entendu après le prononcé de la peine, ce qui lui a été refusé. Il ajoute que cela constitue une violation de son droit à un procès équitable qui justifie l’intervention de la Cour. Je ne partage pas ce point de vue.
[20] D’abord, comme je crois l’avoir démontré, il ne s’agit aucunement d’un refus injustifié de la part du juge de première instance d’entendre les observations de l’accusé avant de prononcer le jugement sur la peine, comme ce fut le cas dans l’arrêt R v. Dennisson (1990),1990 CanLII 2345 (NB CA), 60 C.C.C. (3d) 342 (N.-B.C.A.), cité par l’appelant. Il s’agit plutôt d’une situation où le juge a, par pure inadvertance, et non de propos délibéré, omis de procéder selon les prescriptions de l’article 726 du Code criminel. Par ailleurs, cet article prévoit que la demande du tribunal est faite avant la détermination de la peine. En l’espèce, l’appelant a voulu être entendu après le prononcé de la peine, ce qui n’avait aucun fondement juridique.
[21] Ensuite, l’oubli n’a causé aucun préjudice à l’appelant. Comme je le soulignais précédemment, ses préoccupations semblaient se limiter à reprendre possession de ses chaussures.
[…]
[22] Une telle absence de préjudice, conjuguée à une omission survenue par pure inadvertance, milite clairement en faveur du rejet de cet argument. Comme l’écrit le juge Lyon dans R. v. Senek (1999), 1998 CanLII 17680 (MB CA), 130 C.C.C. (3d) 473 (Man.C.A.) :
[19] In summary, on the hearing of the appeal, no affidavit evidence was submitted on behalf of the accused, nor was there any indication by the accused or his counsel that he had anything to say either to the trial court or to the appellate court beyond what his counsel had said in extenso at trial and on appeal. Practice indicates that an accused sometimes wishes to correct the record given by the Crown or to supplement or correct his counsel’s submissions. There was no indication of such a desire by the appellant either at trial or on appeal. […]
[20] This pure, inadvertent oversight by the trial judge resulted in no disadvantage or unfairness to the accused, nor did the trial judge’s error constitute a substantial wrong or miscarriage of justice. In my opinion, it was simply a procedural oversight which had no bearing either on the trial judge’s sentence or on our determination of the fitness of that sentence on appeal.
[23] Ces propos s’appliquent ici et ce moyen d’appel doit être rejeté.
Le fait qu’il soit d’un âge avancé ne constitue pas en soi un facteur d’allégement de la peine dans l’établissement d’une peine d’incarcération, « à moins qu’il ne ressorte de la preuve que ce dernier n’a que peu de perspectives de compléter sa peine avant son décès ».
[61] L’appelant est né le […] 1930. Il avait donc 90 ans au moment de l’audience sur la peine, il en avait 91 au moment du jugement sur la peine et il en a 92 aujourd’hui.
[62] Les tribunaux reconnaissent que l’âge avancé d’un contrevenant peut être pris en considération dans l’application des principes et objectifs de la détermination de la peine, « mais uniquement dans des circonstances […] limitées »[46]. Il s’agit d’un facteur d’individualisation et d’harmonisation de la peine, mais non pas d’un facteur atténuant à proprement parler[47]. Comme l’explique la Cour d’appel, sous la plume du juge Levesque[48] :
Lorsque l’expectative de vie du délinquant est limitée, les objectifs de détermination de la peine perdent leur valeur fonctionnelle. Dans une telle situation, la discrétion du juge appelé à prononcer la peine doit être utilisée avec circonspection afin « de se garder d’imposer des peines d’une durée déterminée qui dépassent tellement le nombre d’années qu’il reste de façon prévisible au contrevenant à vivre […] .
L’âge du contrevenant est donc un facteur dont le juge chargé de prononcer la peine peut tenir compte afin de s’assurer que celle-ci ne dépasse pas « toute estimation raisonnable du temps qu’il reste normalement à vivre au délinquant »[49].
[63] En règle générale, cependant, ce facteur doit être évalué à la lumière de l’état de santé du contrevenant en regard de son expectative de vie[50]. Ainsi, le fait qu’il soit d’un âge avancé ne constitue pas en soi un facteur d’allégement de la peine dans l’établissement d’une peine d’incarcération, « à moins qu’il ne ressorte de la preuve que ce dernier n’a que peu de perspectives de compléter sa peine avant son décès »[51]. En l’absence d’une telle preuve, les principes usuels de la détermination de la peine s’appliquent[52]. Le juge chargé de la peine ne doit pas spéculer sur la possibilité que l’état de santé du délinquant se détériore à la suite du prononcé de la peine.
Le fait que l’état de santé d’un contrevenant soit douteux ou précaire et que l’emprisonnement puisse constituer pour lui un fardeau additionnel ne suffit pas à justifier un allègement de la peine. La jurisprudence exige la preuve d’une maladie grave et incurable; d’une maladie ou d’une condition médicale à laquelle les services carcéraux ne seront pas en mesure de répondre; ou encore d’un état de santé très grave qui comporte, au moment du prononcé de la peine, une très lourde déchéance permanente et débilitante.
[64] En ce qui concerne plus spécifiquement l’état de santé du contrevenant considéré en tant que tel, les professeurs Parent et Desrosiers synthétisent en ces termes l’état actuel de la jurisprudence[53] :
Indépendante de toutes considérations relatives à la gravité de l’infraction ou au degré de responsabilité du délinquant, la clémence parfois affichée par certains tribunaux à l’égard de la santé précaire de l’accusé repose à la fois sur des motifs pratiques et humanitaires. Pratiques, tout d’abord, puisque l’administration d’un prisonnier nécessitant un suivi médical constant ponctué de nombreuses visites à l’hôpital pose de sérieux problèmes d’ordre organisationnel. Humanitaires, ensuite, car la présence d’une maladie qui est sur le point de sceller le destin d’une personne en phase terminale ou qui fragilise sa capacité à purger sa peine au point de la rendre insupportable doit être prise en considération par un tribunal.
[65] Le juge de première instance a tenu compte en l’occurrence de l’âge avancé de l’appelant mais il a conclu que, malgré ses 91 ans, celui-ci était « relativement en bonne santé ». Selon lui, les problématiques soulevées par la preuve médicale au dossier « remont[ai]ent soit à plusieurs années ou encore sembl[ai]ent inhérentes à son âge »[54]. Conformément à l’arrêt O’Reilly, il n’a pas voulu spéculer sur l’évolution future de la condition médicale de l’appelant. Il a néanmoins pris soin de situer la condition de ce dernier au regard de la jurisprudence qu’on lui citait, y compris les affaires R.P.[55] (délinquant souffrant d’une maladie dégénérative neurologique, présentant de nombreuses limitations et se dirigeant vers la mort à court ou moyen terme), A.E.S.[56] (délinquant atteint d’un cancer de la prostate de stade 4 et présentant une espérance de vie d’environ 13 mois) et J.E.B.[57] (délinquant affligé de plusieurs maladies, incluant une maladie pulmonaire obstructive chronique [« MPOC »], laquelle rendait son incarcération dangereuse[58]).
[66] En Cour du Québec, la preuve relative à l’état de santé de l’appelant consistait en deux éléments : une lettre signée par la Dre Suzanne Côté[59] et le témoignage de M. Jean Gobeil, un voisin de l’appelant. Ces éléments de preuve font bien état de la fragilité de l’appelant — tant sur le plan de sa santé physique que de sa santé psychique — et des risques pour sa santé qui pourraient potentiellement se matérialiser en raison du stress lié à son emprisonnement. Mais, rappelons-le, le fait que l’état de santé d’un contrevenant soit douteux ou précaire et que l’emprisonnement puisse constituer pour lui un fardeau additionnel ne suffit pas à justifier un allègement de la peine[60]. La jurisprudence exige la preuve d’une maladie grave et incurable; d’une maladie ou d’une condition médicale à laquelle les services carcéraux ne seront pas en mesure de répondre; ou encore d’un état de santé très grave qui comporte, au moment du prononcé de la peine, une très lourde déchéance permanente et débilitante. Aucune telle preuve n’a été offerte en l’espèce. De même, toute considération de connaissance d’office mise à part, aucune preuve n’a été produite quant à l’espérance de vie de l’appelant. Dans ces conditions, il est impossible de conclure que sous ce rapport le jugement entrepris est entaché d’une erreur justifiant sa réformation en appel.
Médiatisation :
La situation particulière de l’intéressé doit avoir eu pour conséquence dans son cas que la médiatisation lui a causé un préjudice distinct du dévoilement public de ses agissements et qu’elle faisait anormalement obstacle à sa réhabilitation et sa réinsertion sociale.
Ou
En l’absence d’une telle démonstration, la médiatisation ne pourra se qualifier comme circonstance atténuante que si la couverture médiatique a été « démesurée, abusive ou oppressive ».
[68] Cette proposition appelle cependant certaines nuances, bien illustrées dans le récent arrêt Harbour c. R.[62] Le juge Vauclair, qui rédige les motifs de la Cour d’appel, y note que « [l]’impact médiatique, pris comme le simple dévoilement du crime et de son auteur, n’autorise pas en soi à inférer, dans la plupart des cas, des conséquences qui en feraient un facteur atténuant »[63]. Cela dit, les circonstances particulières de cette affaire Harbour[64] en faisaient un cas où la médiatisation avait eu des effets concrets et préjudiciables, allant bien au-delà du seul dommage infligé à la réputation d’un accusé, d’où une pondération attentive par la Cour des divers impacts possibles de la médiatisation selon la jurisprudence et à la lumière des faits de l’espèce[65]. Condamné en première instance à six mois d’emprisonnement dans la collectivité, l’appelant voyait sa peine réduite par la Cour d’appel à une ordonnance d’absolution conditionnelle, soit à une probation de 12 mois assortie de quelques autres conditions. Le juge Vauclair commentait : « Trois ans après les faits, alors qu’il avait réussi à réintégrer le marché du travail, [l’appelant] perd ses emplois [deux fois de suite] en raison de la médiatisation des accusations. Des lettres non contredites le confirment. Toujours selon la preuve, une condamnation met à risque son emploi actuel. L’appelant vit maintenant une situation financière précaire. Clairement, la réinsertion sociale de l’appelant passe principalement par la possibilité de réintégrer le marché du travail. »[66] En d’autres termes, la situation particulière de l’intéressé avait eu pour conséquence dans son cas que la médiatisation lui avait causé un préjudice distinct du dévoilement public de ses agissements et qu’elle faisait anormalement obstacle à sa réhabilitation et sa réinsertion sociale. Mais encore faut-il le démontrer, et non simplement avancer une vague hypothèse dans ce sens.
[…]
[72] Par ailleurs, il ne s’agit pas ici d’un cas où la preuve étayait une conclusion selon laquelle la médiatisation de l’affaire avait entraîné la déchéance de l’appelant. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où la preuve démontrait que la couverture médiatique de l’affaire avait été « démesurée, abusive ou oppressive » – d’autant que le dossier ne recèle aucune preuve de l’ampleur de la couverture médiatique. Vu l’ensemble de ce qui s’y trouve, on en déduit que le juge n’était certainement pas tenu de considérer la médiatisation comme une circonstance militant en faveur d’un allègement de la peine. En somme, sur ce point, rien n’établit l’existence d’une erreur réformable en appel.
L’article 718.01 crée ainsi un ordonnancement des objectifs de la détermination de la peine en matière de crimes commis contre des enfants. Ce faisant, il « n’efface pas le pouvoir discrétionnaire du juge d’individualiser la sanction au moment de son application », mais il le limite néanmoins.
[83] Contrairement à ce qu’avance l’appelant, le juge ne pouvait se contenter d’« écarter » l’objectif de la dissuasion générale de son analyse. La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent primer en matière de crimes sexuels contre des enfants[78]. En outre, depuis 2005, l’article 718.01 C.cr. exige que le tribunal saisi de la peine accorde une attention particulière (« it shall give primary consideration ») aux objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsque l’infraction constitue un mauvais traitement d’une personne âgée de moins de 18 ans. L’article 718.01 crée ainsi un ordonnancement des objectifs de la détermination de la peine en matière de crimes commis contre des enfants[79]. Ce faisant, il « n’efface pas le pouvoir discrétionnaire du juge d’individualiser la sanction au moment de son application », mais il le limite néanmoins[80]. Comme l’explique la Cour suprême dans Friesen [81]:
L’article 718.01 vient […] qualifier la directive antérieure de la Cour voulant qu’il appartienne aux juges chargés de la détermination de la peine d’établir quel objectif ou quels objectifs doivent être privilégiés. Lorsque le législateur indique les objectifs de détermination de la peine à privilégier dans certains cas, le pouvoir discrétionnaire des juges chargés de déterminer la peine est de ce fait limité, de sorte qu’il ne leur est plus loisible d’accorder une priorité équivalente ou plus grande à d’autres objectifs (Rayo, par. 103 et 107‑108). Toutefois, bien que cet article exige que l’on accorde la priorité à la dissuasion et à la dénonciation, les juges chargés de la détermination de la peine conservent néanmoins le pouvoir discrétionnaire d’accorder un poids important à d’autres facteurs (y compris la réinsertion et les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue) pour en arriver à une peine juste, en conformité avec le principe général de proportionnalité (voir R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, par. 37).
Il est de jurisprudence constante que le simple écoulement du temps n’est pas en soi une circonstance exceptionnelle permettant d’alléger la peine en matière d’infractions sexuelles commises contre des enfants.
[84] L’appelant fait également fausse route lorsqu’il plaide que l’absence de contemporanéité des infractions justifiait l’imposition d’une peine plus clémente. Il est de jurisprudence constante que le simple écoulement du temps n’est pas en soi une circonstance exceptionnelle permettant d’alléger la peine en matière d’infractions sexuelles commises contre des enfants[82]. En effet, comme le note la juge Otis dans l’arrêt R. c. L. (J.-J.), « [s]ouvent, le long délai [entre la commission de l’infraction et l’imposition de la peine] constitue une caractéristique inhérente à ce genre de crime », compte tenu notamment de l’âge et de la vulnérabilité des victimes[83]. L’espèce en cours confirme ce constat.
Toute prétention que l’appelant, à ce stade et en appel, était « inapte à subir son procès / unfit to stand trial » au sens de l’article 2 C.cr. doit être écartée parce que dénuée d’assise en fait en première instance et parce qu’elle est juridiquement inapplicable à l’appel.
[97] Au moment où l’avocat de l’appelant demandait le report de l’audience au fond et annonçait son intention de déposer une preuve nouvelle au dossier, l’appelant avait déjà subi son procès, au cours duquel il était représenté par avocat, le verdict avait été rendu à l’issue de ce procès, il n’avait pas été porté en appel, et la peine avait été prononcée plus d’un an après le verdict, en août 2021. Cela étant, toute prétention que l’appelant, à ce stade et en appel, était « inapte à subir son procès / unfit to stand trial » au sens de l’article 2 C.cr. doit être écartée parce que dénuée d’assise en fait en première instance et parce qu’elle est juridiquement inapplicable à l’appel[87]. Et en l’occurrence, une quelconque analogie avec le régime de l’article 672.11 C.cr. est de nature à brouiller les pistes et à lancer le débat dans la mauvaise direction, comme on peut le déduire de certains arrêts de cours d’appel[88]. Toute confusion de ce genre[89] doit maintenant être dissipée pour recadrer le pourvoi et l’aborder sous l’angle approprié : quel peut être l’effet, juridiquement parlant, de la condition de l’appelant, au stade où nous en sommes?
[98] J’ai déjà considéré en termes généraux et aux paragraphes [60] à [66] quelle importance peut acquérir au moment du prononcé de la peine la condition ou l’état de santé d’une personne déclarée coupable d’une infraction criminelle. Mais la question mérite d’être approfondie pour deux raisons. Premièrement, le juge qui a prononcé la peine ignorait tout de la preuve additionnelle maintenant versée au dossier. Deuxièmement, à la différence du juge de première instance, nous ne sommes pas ici avant le prononcé de la peine, mais après, au stade de la mise en application de la peine. Et en l’absence d’une erreur de principe commise par le juge, la Cour ne peut intervenir. Or, je crois qu’une jurisprudence récente peut nous éclairer sur la meilleure façon d’aborder la question.
[99] Le problème qui se pose ici s’est posé dans O’Reilly c. R.[90], un pourvoi qui s’est soldée par un arrêt unanime de la Cour. L’appelant, dans ce dossier, avait 84 ans. Il éprouvait des ennuis de santé (quoiqu’au moment de son procès en 2014, un certificat médical le décrivait comme étant « generally in good health » – ce qui ressemble à la remarque faite ici par le juge et évoquée plus haut au paragraphe [65]). Il avait été condamné à une peine globale de cinq ans d’emprisonnement sur des chefs de fraude, de complot, de gangstérisme et de recyclage des produits de la criminalité dans une affaire de contrebande de cigarettes sur une grande échelle : la perte pécuniaire des gouvernements pour taxes non perçues était évaluée à plus de 5 000 000,00 $. L’essentiel de cette peine fut confirmé en appel.
[99] Le problème qui se pose ici s’est posé dans O’Reilly c. R.[90], un pourvoi qui s’est soldée par un arrêt unanime de la Cour. L’appelant, dans ce dossier, avait 84 ans. Il éprouvait des ennuis de santé (quoiqu’au moment de son procès en 2014, un certificat médical le décrivait comme étant « generally in good health » – ce qui ressemble à la remarque faite ici par le juge et évoquée plus haut au paragraphe [65]). Il avait été condamné à une peine globale de cinq ans d’emprisonnement sur des chefs de fraude, de complot, de gangstérisme et de recyclage des produits de la criminalité dans une affaire de contrebande de cigarettes sur une grande échelle : la perte pécuniaire des gouvernements pour taxes non perçues était évaluée à plus de 5 000 000,00 $. L’essentiel de cette peine fut confirmé en appel.
[100] La question d’un allègement d’une peine à ce stade du processus pénal doit être abordée sous l’angle qu’identifie le juge Mainville dans les motifs de la Cour :
[42] Ainsi, si au moment du prononcé d’une peine, l’état de santé d’un contrevenant âgé ne permet pas de croire qu’il a peu de perspectives de compléter sa peine d’incarcération avant son décès, le juge dispose alors de toute la discrétion requise pour prononcer la peine qu’il estime appropriée selon les facteurs et critères habituels. C’est le cas en l’espèce, vu l’état de santé de Gérald O’Reilly (« [g]enerally in good health ») lors du prononcé de sa peine le 2 juillet 2014. Il [y a lieu] d’ailleurs de noter que, vu les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, Gérald O’Reilly ne serait probablement plus aujourd’hui en milieu carcéral si l’exécution de sa peine n’avait pas été suspendue pendant l’instance d’appel.
[43] Il est possible que l’état de santé d’un contrevenant se détériore après le prononcé de sa peine. Cette possibilité s’accroît d’autant plus avec l’âge du contrevenant. Le juge de la peine ne peut cependant spéculer à ce sujet et doit déterminer la peine en fonction de la preuve dont il dispose lors du prononcé de celle-ci. Si la santé du contrevenant se détériore par la suite, il ne s’agit plus alors d’une question de détermination de la peine, mais plutôt de sa mise en œuvre. Il appartient alors aux autorités carcérales compétentes de prendre les mesures qui s’imposent, tenant compte notamment de l’article 121 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[…].
La disposition de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[91] à laquelle renvoie cite le juge Mainville est sans application en l’occurrence car, contrairement à l’appelant, O’Reilly devait purger sa peine dans un établissement de détention fédéral.
[101] Cela dit, des dispositions parallèles existent dans la Loi sur le système correctionnel du Québec[92]. Servent notamment aux mêmes fins les articles suivants :
42. Le directeur de l’établissement peut, en tout temps, permettre à une personne incarcérée une sortie à des fins médicales lorsque, notamment:
1° elle est malade en phase terminale;
2° son état de santé nécessite une hospitalisation immédiate;
3° elle doit subir une évaluation ou des examens médicaux en milieu spécialisé;
4° elle nécessite des soins ou un traitement qui ne peuvent lui être prodigués dans l’établissement.
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42. The facility director may, at all times, authorize the temporary absence of an inmate for medical purposes, in particular where
(1) the inmate is terminally ill;
(2) the inmate’s state of health requires immediate hospitalization;
(3) the inmate must undergo an evaluation or medical examinations in a specialized environment; or
(4) the inmate requires care or treatment that cannot be provided in the correctional facility. |
149. Malgré les articles 145 à 148, une personne contrevenante peut bénéficier de la libération conditionnelle dans les cas suivants:
1° elle est malade en phase terminale;
2° sa santé physique ou mentale risque d’être gravement compromise si la détention se poursuit;
3° l’incarcération constitue pour elle une contrainte excessive difficilement prévisible au moment de sa condamnation;
[…]
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149. Notwithstanding sections 145 to 148, conditional release may be granted to an offender
(1) who is terminally ill;
(2) whose physical or mental health is likely to suffer serious damage if he or she continues to be held in confinement;
(3) for whom continued confinement would constitute an excessive hardship that was not reasonably foreseeable at the time the offender was sentenced; […] |
[102] C’est selon ces règles, et sur le plan de l’administration ou de la mise en application de la peine, plutôt que sur celui du prononcé de la peine, que devra se résoudre, le cas échéant, le problème graduel mais irréversible que pose la condition de l’appelant.
[103] Il convient cependant d’ajouter que le dépôt au dossier d’une preuve nouvelle et digne de foi permet à la Cour de porter à l’attention des autorités compétentes la gravité potentielle de la situation. Selon un principe primordial et déjà ancien en cette matière, la peine prononcée en première instance doit être, et devait être ici, une peine « juste et appropriée »[93]. Elle l’était. Mais les choses évoluent et il ne saurait être question à l’avenir, par le seul effet d’une détérioration de l’état de santé de l’appelant, d’accabler un grand vieillard[94], quelqu’un qui, en raison d’une maladie incurable, sent s’alourdir de jour en jour le fardeau de la sanction initiale imposée en 2021. Il n’appartient pas à la Cour de suivre et de jauger cette évolution, mais elle peut souligner la nécessité de le faire en formulant comme ici une recommandation en ce sens auprès des autorités compétentes[95]. Cela explique les lignes qui précèdent.