Par Me Félix-Antoine T. Doyon

Jeudi dernier, la Cour suprême du Canada a rendu une décision partagée (5-4). Bien que les principes de droit applicable ont pratiquement fait l’unanimité, l’application de ceux-ci aux faits en l’espèce a quant à elle, menée à une décision très serrée (5-4).

Contexte

Une conductrice a vu trois hommes s’attaquer à un homme, puis l’abandonner ensanglanté dans la rue. Un autre conducteur n’a pas aperçu l’homme en question et n’a pu l’éviter. L’homme est mort des suites de ses blessures. La juge du procès a déclaré l’accusé Sinclair (ainsi que son coaccusé) coupable d’homicide involontaire coupable. La Cour d’appel a annulé la déclaration de culpabilité et a ordonné un nouveau procès suivant le motif selon lequel la juge de première instance a mal interprété la preuve d’une telle manière que le verdict rendu est déraisonnable.

Le principal questionnement litigieux porte donc sur le problème du type d’erreur qui commande l’intervention en appel en vertu du sous-al. 686(1)a)(i) du Code criminel, et que la Cour en tenté de préciser dans l’arrêt Beaudry[1]. Ainsi, étant donné un certain vide jurisprudentiel, la Cour suprême s’est servie de cette présente affaire pour clarifier certains points de droit énoncés dans l’arrêt Beaudry.

Points de droit à retenir

L’erreur de type « Beaudry »

L’arrêt Beaudry ne modifie en rien les principes établis précédemment dans Yebes et Biniaris. Effectivement, l’examen que requiert le sous-al. 686(1)a)(i) doit débuter  de la façon suivante : le verdict est-il l’un de ceux qu’un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire aurait pu raisonnable rendre au vu de l’ensemble de la preuve? Dans la négative, l’examen prend fin et un verdict d’acquittement est inscrit[2].

Si oui – c’est-à-dire lorsque le prononcé du verdict est possible eu égard à la preuve existante – le tribunal d’appel peut en évaluer le caractère raisonnable selon l’arrêt Beaudry.

Le critère Beaudry permet de déterminer si le verdict du juge est raisonnable, notamment en s’attachant à la logique des conclusions de fait ou des inférences tirées de la preuve admise au procès.

     Le juge du procès qui ne se méprend pas sur la preuve, mais qui arrive à un verdict à l’issue d’un raisonnement illogique ou irrationnel, comme une erreur visée par Beaudry. Ce verdict est déraisonnable parce qu’il n’est pas rendu de manière judiciaire ou conformément au principe de légalité, et ce, même s’il était possible de le rendre eu égard à l’ensemble de la preuve. Dans ce rare cas, la cour d’appel est justifiée de conclure que le verdict est lui-même déraisonnable et ordonne un  nouveau procès puisqu’elle a déjà décidé, suivant la logique du critère des arrêts Yebes et Biniaris susmentionnés, que le verdict peut par ailleurs être rendu eu égard à l’ensemble de cette preuve.

Ainsi, une cour d’appel peut intervenir sur le fondement de Beaudry lorsque le juge du procès tire une inférence ou une conclusion de fait qui est clairement contredite par la preuve qu’il invoque à l’appui. Le principe de légalité recourt alors au langage de la logique.

Par exemple, d’un élément « X » retenu, le tribunal ne saurait légitimement tirer une inférence « non-X », i.e le contraire à cet élément[3].

Une cour d’appel peut intervenir sur le fondement de Beaudry aussi lorsque le juge du procès tire une inférence ou une conclusion de fait qui est incompatible avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge du procès.

Par exemple, il en est ainsi lorsque le juge du procès infère de certains éléments de la preuve offerte que l’accusé avait l’intention requise d’entraver la justice et que cette inférence peut être étayée par la preuve invoquée, mais qu’elle ne peut être retenue au regard d’autres éléments de preuve qui n’ont été ni contredits par des éléments de preuve différents, ni rejetés par le juge du procès[4].

     S’il peut désormais tenir compte des vices du raisonnement pour déterminer si le verdict est raisonnable ou non, le tribunal d’appel doit toujours faire porter son examen sur la conclusion tirée au procès. Autrement dit précisent les juges Abella et Charon, on ne saurait conclure que le verdict est déraisonnable chaque fois que le raisonnement est entaché d’une erreur, y compris une erreur « dont on peut démontrer qu’elle est incompatible » avec la preuve non contredite offerte au procès[5].

     Beaudry ne s’applique pas à la décision de première instance qui est inintelligible à cause de motifs insuffisants, comme contestée dans l’arrêt R. c. Sheppard. 2002 CSC 26[6].

L’erreur de type « Lohrer »

Bien qu’un verdict fondé sur une erreur quant à l’essence de la preuve puisse fort bien être déraisonnable au sens général de ce terme, Beaudry ne s’applique pas à ce type d’erreur, qui est plutôt régi par l’arrêt R. c. Lohrer, 2004 CSC 80[7]. Pour qu’une erreur d’interprétation de la preuve atteigne l’importance exigée par le critère de l’arrêt Lohrer, elle doit toucher un élément clé du raisonnement dont est issue la déclaration de culpabilité. Autrement dit, une erreur d’appréciation de la preuve n’est assimilable à une erreur judiciaire que lorsque son élimination du jugement saperait l’assise du raisonnement dont découle la déclaration de culpabilité[8].

De plus, une « erreur apparente » (par ex. une erreur que le juge du procès a peut-être commise) ne suffit pas pour ordonner un nouveau procès au motif qu’une erreur judiciaire découle d’une interprétation erronée de la preuve. « Lorsqu’il applique le critère de l’arrêt Lohrer, le tribunal d’appel ne doit ordonner un nouveau procès que si le juge du procès a commis une erreur véritable, et non une erreur hypothétique. Les motifs doivent clairement ou essentiellement révéler l’existence d’une erreur réelle. Lorsqu’une telle erreur est effectivement commise, la juridiction d’appel peut aisément expliquer pourquoi elle vicie fondamentalement le raisonnement du juge du procès et préciser où elle se trouve dans les motifs, car elle devient alors assez évidente » [9].

La décision

D’emblée, tous les juges de la Cour suprême sont d’avis que l’arrêt Beaudry ne s’applique pas à l’erreur commise par la juge du procès en l’espèce. L’erreur est nettement du ressort de l’arrêt Lohrer, mentionnent-ils.

Ainsi, le nœud de cette affaire se traduit par la remise en question de l’interprétation des motifs fondant la décision de la juge de première instance, lesquels s’énonçant comme suit :

Quant à M. Sinclair, aucune preuve génétique n’établit qu’il se trouvait sur le lieu du crime. La preuve à cet égard est circonstancielle. Le ministère public soutient que la preuve circonstancielle établit hors de tout doute raisonnable la présence de M. Sinclair sur le lieu du crime et sa participation à l’agression illégale de M. Lecours. Le ministère public renvoie à la preuve selon laquelle, avant l’agression, M. Pruden-Wilson, M. Sinclair et l’adolescent avaient projeté de sortir ensemble pour commettre un autre vol qualifié. Bien que personne ne les ait vus partir ensemble du 110 Kushner, ils se sont clairement absentés de la résidence durant un certain temps aux petites heures du matin. En outre, lorsque M. Sinclair y est revenu, il savait que M. Pruden-Wilson avait été poignardé. Selon le rapport médico-légal, du sang de M. Pruden-Wilson se trouvait sur le jeans et le blouson à capuchon de M. Sinclair. De plus, le témoignage de M. Audy révèle que M. Sinclair a mené leurs recherches subséquentes pour trouver M. Pruden-Wilson, et l’agent Tully a témoigné que MM. Audy et Sinclair couraient (et on été arrêtés à l’endroit où se trouvait M. Pruden-Wilson, qui gisait dans la neige, ensanglanté. Je suis convaincue que la seule inférence logique susceptible d’être tirée de tous ces éléments de preuve est que MM. Sinclair et Pruden-Wilson sont toujours demeurés ensemble et M. Sinclair était sur le lieu du crime.

Maintenant, à la lumière de ce qui ressort de la décision, les neuf juges sont d’avis qu’aucune preuve n’a été faite relativement à ce qui est souligné ci-dessus, i.e que M. Sinclair et ses comparses avaient projeté de sortir ensemble pour commettre un autre vol qualifié. Partant de ce fait, examinons successivement les opinions dissidente et majoritaire.

D’une part, la dissidence est d’avis que la juge au procès a mal interprété l’essence de la preuve sur un point important. En bref, les juges dissidents considèrent que l’interprétation erronée de la preuve (i.e de ce qui est souligné ci-dessus) par la juge du procès a influé sur son évaluation des autres éléments de preuve circonstancielle (i.e ce qui est en caractère gras ci-dessus). Toujours selon eux, la prétendue intention de l’accusé et de ces coaccusés de rester ensemble toute la nuit a sous-tendu l’inférence de la juge voulant que l’accusé se soit trouvé sur le lieu du crime. Qui plus est, mentionne la dissidence, même s’il était établi que M. Sinclair se trouvait sur le lieu du crime, sa participation à l’agression ne serait pas démontrée pour autant.

D’autre part, la majorité est d’avis que la juge du procès n’a pas conclu que l’accusé avait été parti à un projet de vol qualifié et qu’elle ne s’est pas appuyée sur la preuve d’un tel projet pour inférer que l’accusé était demeuré avec le coaccusé tout au long de la nuit. Effectivement, l’opinion majoritaire s’entend pour dire que de façon tout à fait indépendante, d’autres éléments de preuve circonstancielle ont mené la juge du procès à conclure hors de tout doute raisonnable à la culpabilité de M. Sinclair. Autrement dit, « la preuve circonstancielle admise au procès ne permet pas de douter sérieusement que la juge aurait néanmoins conclu que M. Sinclair se trouvait sur le lieu du crime lors de l’agression de M. Lecours »[10]. Enfin, « l’apparente reconnaissance » par la juge du procès d’une preuve selon laquelle l’accusé avait planifié de commettre un vol qualifié avec le coaccusé, « apparente reconnaissance » à laquelle renvoie la Cour d’appel dans ses motifs, ne peut justifier l’ordonnance d’un nouveau procès. Les motifs doivent plutôt révéler l’existence d’une erreur réelle d’interprétation de la preuve.


[1] R .c. Beaudry, 2007 CSC 5. 

[2] R. c. Sinclair,  2011 CSC 40, au para. 84.

[3] Voir par ex. ibid, au x para. 19-20.

[4] Ibid, au para. 21

[5] Ibid, au para. 81.

[6] Ibid, au para. 45.

[7] Ibid.

[8] Ibid, au para. 56.

[9]Ibid, au para. 53.

[10] Ibid, au para. 57.

Jeudi dernier, la Cour suprême du Canada a rendu une décision partagée (5-4). Bien que les principes de droit applicable ont pratiquement fait l’unanimité, l’application de ceux-ci aux faits en l’espèce a quant à elle, menée à une décision très serrée (5-4).


Contexte

Une conductrice a vu trois hommes s’attaquer à un homme, puis l’abandonner ensanglanté dans la rue. Un autre conducteur n’a pas aperçu l’homme en question et n’a pu l’éviter. L’homme est mort des suites de ses blessures. La juge du procès a déclaré l’accusé Sinclair (ainsi que son coaccusé) coupable d’homicide involontaire coupable. La Cour d’appel a annulé la déclaration de culpabilité et a ordonné un nouveau procès suivant le motif selon lequel la juge de première instance a mal interprété la preuve d’une telle manière que le verdict rendu est déraisonnable.

Le principal questionnement litigieux porte donc sur le problème du type d’erreur qui commande l’intervention en appel en vertu du sous-al. 686(1)a)(i) du Code criminel, et que la Cour en tenté de préciser dans l’arrêt Beaudry[1]. Ainsi, étant donné un certain vide jurisprudentiel, la Cour suprême s’est servie de cette présente affaire pour clarifier certains points de droit énoncés dans l’arrêt Beaudry.

Points de droit à retenir

          L’erreur de type « Beaudry »

L’arrêt Beaudry ne modifie en rien les principes établis précédemment dans Yebes et Biniaris. Effectivement, l’examen que requiert le sous-al. 686(1)a)(i) doit débuter  de la façon suivante : le verdict est-il l’un de ceux qu’un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant d’une manière judiciaire aurait pu raisonnable rendre au vu de l’ensemble de la preuve? Dans la négative, l’examen prend fin et un verdict d’acquittement est inscrit[2].

Si oui – c’est-à-dire lorsque le prononcé du verdict est possible eu égard à la preuve existante – le tribunal d’appel peut en évaluer le caractère raisonnable selon l’arrêt Beaudry.

Le critère Beaudry permet de déterminer si le verdict du juge est raisonnable, notamment en s’attachant à la logique des conclusions de fait ou des inférences tirées de la preuve admise au procès.

–     Le juge du procès qui ne se méprend pas sur la preuve, mais qui arrive à un verdict à l’issue d’un raisonnement illogique ou irrationnel, comme une erreur visée par Beaudry. Ce verdict est déraisonnable parce qu’il n’est pas rendu de manière judiciaire ou conformément au principe de légalité, et ce, même s’il était possible de le rendre eu égard à l’ensemble de la preuve. Dans ce rare cas, la cour d’appel est justifiée de conclure que le verdict est lui-même déraisonnable et ordonne un  nouveau procès puisqu’elle a déjà décidé, suivant la logique du critère des arrêts Yebes et Biniaris susmentionnés, que le verdict peut par ailleurs être rendu eu égard à l’ensemble de cette preuve.

 

Ainsi, une cour d’appel peut intervenir sur le fondement de Beaudry lorsque le juge du procès tire une inférence ou une conclusion de fait qui est clairement contredite par la preuve qu’il invoque à l’appui. Le principe de légalité recourt alors au langage de la logique.

Par exemple, d’un élément « X » retenu, le tribunal ne saurait légitimement tirer une inférence « non-X », i.e le contraire à cet élément[3].

Une cour d’appel peut intervenir sur le fondement de Beaudry aussi lorsque le juge du procès tire une inférence ou une conclusion de fait qui est incompatible avec une preuve qui n’est ni contredite par d’autres éléments de preuve ni rejetée par le juge du procès.

Par exemple, il en est ainsi lorsque le juge du procès infère de certains éléments de la preuve offerte que l’accusé avait l’intention requise d’entraver la justice et que cette inférence peut être étayée par la preuve invoquée, mais qu’elle ne peut être retenue au regard d’autres éléments de preuve qui n’ont été ni contredits par des éléments de preuve différents, ni rejetés par le juge du procès[4].

–     S’il peut désormais tenir compte des vices du raisonnement pour déterminer si le verdict est raisonnable ou non, le tribunal d’appel doit toujours faire porter son examen sur la conclusion tirée au procès. Autrement dit précisent les juges Abella et Charon, on ne saurait conclure que le verdict est déraisonnable chaque fois que le raisonnement est entaché d’une erreur, y compris une erreur « dont on peut démontrer qu’elle est incompatible » avec la preuve non contredite offerte au procès[5].

 

–     Beaudry ne s’applique pas à la décision de première instance qui est inintelligible à cause de motifs insuffisants, comme contestée dans l’arrêt R. c. Sheppard. 2002 CSC 26[6].

 

L’erreur de type « Lohrer »

Bien qu’un verdict fondé sur une erreur quant à l’essence de la preuve puisse fort bien être déraisonnable au sens général de ce terme, Beaudry ne s’applique pas à ce type d’erreur, qui est plutôt régi par l’arrêt R. c. Lohrer, 2004 CSC 80[7]. Pour qu’une erreur d’interprétation de la preuve atteigne l’importance exigée par le critère de l’arrêt Lohrer, elle doit toucher un élément clé du raisonnement dont est issue la déclaration de culpabilité. Autrement dit, une erreur d’appréciation de la preuve n’est assimilable à une erreur judiciaire que lorsque son élimination du jugement saperait l’assise du raisonnement dont découle la déclaration de culpabilité[8].

De plus, une « erreur apparente » (par ex. une erreur que le juge du procès a peut-être commise) ne suffit pas pour ordonner un nouveau procès au motif qu’une erreur judiciaire découle d’une interprétation erronée de la preuve. « Lorsqu’il applique le critère de l’arrêt Lohrer, le tribunal d’appel ne doit ordonner un nouveau procès que si le juge du procès a commis une erreur véritable, et non une erreur hypothétique. Les motifs doivent clairement ou essentiellement révéler l’existence d’une erreur réelle. Lorsqu’une telle erreur est effectivement commise, la juridiction d’appel peut aisément expliquer pourquoi elle vicie fondamentalement le raisonnement du juge du procès et préciser où elle se trouve dans les motifs, car elle devient alors assez évidente » [9].

La décision

D’emblée, tous les juges de la Cour suprême sont d’avis que l’arrêt Beaudry ne s’applique pas à l’erreur commise par la juge du procès en l’espèce. L’erreur est nettement du ressort de l’arrêt Lohrer, mentionnent-ils.

Ainsi, le nœud de cette affaire se traduit par la remise en question de l’interprétation des motifs fondant la décision de la juge de première instance, lesquels s’énonçant comme suit :

Quant à M. Sinclair, aucune preuve génétique n’établit qu’il se trouvait sur le lieu du crime. La preuve à cet égard est circonstancielle. Le ministère public soutient que la preuve circonstancielle établit hors de tout doute raisonnable la présence de M. Sinclair sur le lieu du crime et sa participation à l’agression illégale de M. Lecours. Le ministère public renvoie à la preuve selon laquelle, avant l’agression, M. Pruden-Wilson, M. Sinclair et l’adolescent avaient projeté de sortir ensemble pour commettre un autre vol qualifié. Bien que personne ne les ait vus partir ensemble du 110 Kushner, ils se sont clairement absentés de la résidence durant un certain temps aux petites heures du matin. En outre, lorsque M. Sinclair y est revenu, il savait que M. Pruden-Wilson avait été poignardé. Selon le rapport médico-légal, du sang de M. Pruden-Wilson se trouvait sur le jeans et le blouson à capuchon de M. Sinclair. De plus, le témoignage de M. Audy révèle que M. Sinclair a mené leurs recherches subséquentes pour trouver M. Pruden-Wilson, et l’agent Tully a témoigné que MM. Audy et Sinclair couraient (et on été arrêtés à l’endroit où se trouvait M. Pruden-Wilson, qui gisait dans la neige, ensanglanté. Je suis convaincue que la seule inférence logique susceptible d’être tirée de tous ces éléments de preuve est que MM. Sinclair et Pruden-Wilson sont toujours demeurés ensemble et M. Sinclair était sur le lieu du crime.

Maintenant, à la lumière de ce qui ressort de la décision, les neuf juges sont d’avis qu’aucune preuve n’a été faite relativement à ce qui est souligné ci-dessus, i.e que M. Sinclair et ses comparses avaient projeté de sortir ensemble pour commettre un autre vol qualifié. Partant de ce fait, examinons successivement les opinions dissidente et majoritaire.

D’une part, la dissidence est d’avis que la juge au procès a mal interprété l’essence de la preuve sur un point important. En bref, les juges dissidents considèrent que l’interprétation erronée de la preuve (i.e de ce qui est souligné ci-dessus) par la juge du procès a influé sur son évaluation des autres éléments de preuve circonstancielle (i.e ce qui est en caractère gras ci-dessus). Toujours selon eux, la prétendue intention de l’accusé et de ces coaccusés de rester ensemble toute la nuit a sous-tendu l’inférence de la juge voulant que l’accusé se soit trouvé sur le lieu du crime. Qui plus est, mentionne la dissidence, même s’il était établi que M. Sinclair se trouvait sur le lieu du crime, sa participation à l’agression ne serait pas démontrée pour autant.

D’autre part, la majorité est d’avis que la juge du procès n’a pas conclu que l’accusé avait été parti à un projet de vol qualifié et qu’elle ne s’est pas appuyée sur la preuve d’un tel projet pour inférer que l’accusé était demeuré avec le coaccusé tout au long de la nuit. Effectivement, l’opinion majoritaire s’entend pour dire que de façon tout à fait indépendante, d’autres éléments de preuve circonstancielle ont mené la juge du procès à conclure hors de tout doute raisonnable à la culpabilité de M. Sinclair. Autrement dit, « la preuve circonstancielle admise au procès ne permet pas de douter sérieusement que la juge aurait néanmoins conclu que M. Sinclair se trouvait sur le lieu du crime lors de l’agression de M. Lecours »[10]. Enfin, « l’apparente reconnaissance » par la juge du procès d’une preuve selon laquelle l’accusé avait planifié de commettre un vol qualifié avec le coaccusé, « apparente reconnaissance » à laquelle renvoie la Cour d’appel dans ses motifs, ne peut justifier l’ordonnance d’un nouveau procès. Les motifs doivent plutôt révéler l’existence d’une erreur réelle d’interprétation de la preuve.


 

[1] R .c. Beaudry, 2007 CSC 5. 

[2] R. c. Sinclair,  2011 CSC 40, au para. 84.

[3] Voir par ex. ibid, au x para. 19-20.

[4] Ibid, au para. 21

[5] Ibid, au para. 81.

[6] Ibid, au para. 45.

[7] Ibid.

[8] Ibid, au para. 56.

[9]Ibid, au para. 53.

[10] Ibid, au para. 57.