P.H. c. Canada (Procureur général), 2020 CF 393

[37]  En l’espèce, le caractère véritable de l’instance concerne la légalité du pouvoir conféré à la Commission des libérations conditionnelles du Canada d’appliquer rétrospectivement la période d’inadmissibilité de dix ans prévue par la loi et les critères pour ordonner une suspension de casier. Avec sa demande, P.H. réclame que la Commission des libérations conditionnelles du Canada examine sa demande de suspension de casier judiciaire en fonction de la LCJ telle qu’elle était libellée lorsqu’il a commis l’infraction, en juin 2009. Son recours en injonction repose sur une conclusion selon laquelle les dispositions transitoires sont inconstitutionnelles pour le motif qu’elles enfreignent les alinéas 11h) et i) de la Charte.

La Cour fédérale a compétence pour prononcer des jugements déclaratoires d’invalidité aux fins d’application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[43] La Cour n’a pas l’intention de commenter davantage les remarques incidentes formulées par la majorité dans l’arrêt Windsor. Elle accepte et fait sienne le raisonnement de ses collègues qui ont récemment conclu que notre Cour a bel et bien compétence pour prononcer des jugements déclaratoires d’invalidité aux fins d’application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Deegan c Canada (Procureur général), 2019 CF 960 aux para 212-240; Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 aux para 55-65; Bilodeau-Massé c Canada (Procureur général), 2017 CF 604 aux para 38-88). La Cour s’appuie également sur les déclarations de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lee c Canada (Service correctionnel), 2017 CAF 228, concernant les pleins pouvoirs des Cours fédérales. Puisqu’il semble inutile de reproduire leurs analyses dans les présents motifs, la Cour renvoie les parties et le lecteur aux extraits cités des décisions susmentionnées.

[47] La question en l’espèce est essentiellement une question de droit : l’application rétrospective des modifications apportées à la LCJ change-t-elle les conditions de la « peine » initialement infligée à une personne condamnée de manière contraire aux alinéas 11h) et i) de la Charte? Pour y répondre, la Cour doit se pencher sur les deux (2) questions suivantes, formulées au paragraphe 110 de l’affaire Chu : 1) L’existence d’un casier judiciaire constitue-t-elle une peine au sens de l’article 11 de la Charte? 2) Dans l’affirmative, l’application rétrospective des dispositions transitoires a-t-elle pour effet d’alourdir cette peine?

Une mesure satisfait au critère relatif à la peine si :

Premièrement, elle est une conséquence d’une déclaration de culpabilité qui fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée et ;

Deuxièmement, soit elle est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine OU soit elle a une grande incidence sur le droit du contrevenant à la liberté ou à la sécurité

[48] Pour trancher la première question, il faut se rapporter à l’arrêt R c KRJ, 2016 CSC 31 [KRJ], dans lequel la Cour suprême du Canada a reformulé le critère qui permet d’assimiler une mesure à une peine. Une mesure satisfait au critère relatif à la peine si 1) elle est une conséquence d’une déclaration de culpabilité qui fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée et 2) soit elle est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine, 3) soit elle a une grande incidence sur le droit du contrevenant à la liberté ou à la sécurité (KRJ au para 41).
[49] Dans l’affaire Chu, la CSCB a conclu que les premier et deuxième volets du critère de l’arrêt KRJ étaient respectés. Elle est parvenue à cette conclusion sur la base de la jurisprudence, en n’examinant aucun élément de preuve. Ce n’est que pour examiner le troisième volet du critère de l’arrêt KRJ (déterminer si les casiers judiciaires ont un effet important sur le droit du contrevenant à la liberté et à la sécurité) que la CSCB a tenu compte des éléments de preuve. Elle a conclu que puisque les premier et deuxième volets du critère de l’arrêt KRJ étaient respectés, il n’était pas nécessaire de se pencher sur le troisième volet à caractère subsidiaire (Chu au para 179). Elle l’a tout de même fait pour le motif qu’il s’agissait d’un dossier de première instance.
[50] La Cour reconnaît qu’elle ne bénéficie pas de la preuve abondante dont disposait la CSCB. En l’espèce, P.H. a déposé un affidavit concernant sa situation personnelle, dans lequel il fait état des conséquences de l’existence de son casier judiciaire. Il a également déposé un rapport d’un psychologue qui aborde, quoique brièvement, l’effet psychologique d’un casier judiciaire. M. Chu, en revanche, avait déposé plusieurs rapports d’expert en plus de son propre témoignage. Pour démontrer les conséquences d’un casier judiciaire, M. Chu a déposé des rapports d’expert rédigés par M. Neil Boyd, professeur et directeur de la School of Criminology à l’Université Simon-Fraser, et par M. Anthony Doob, professeur émérite au Centre of Criminology de l’Université de Toronto. Le PGC a également déposé un rapport de M. Alfred Blumstein, professeur émérite dans le domaine des réseaux urbains et de la recherche opérationnelle au Heinz College de l’Université Carnegie Mellon (Chu au para 183). Les trois (3) experts ont été contre-interrogés et les transcriptions des contre-interrogatoires ont été remises à la CSCB. Cette dernière a estimé que les experts étaient éminemment qualifiés pour fournir les éléments de preuve énoncés dans leurs rapports (Chu au para 184). Les parties n’ont soulevé aucune objection quant aux qualifications et aux rapports des experts, et n’ont fait aucune observation quant au poids à accorder à la preuve d’expert. L’expert cité par le PGC a lui-même reconnu qu’un casier judiciaire complique la recherche d’emploi pour une personne condamnée, et que l’accès limité aux occasions d’emploi avait des conséquences négatives sur les personnes ayant été condamnées, notamment en matière de mariage et de vie familiale (Chu aux para 193, 198).
[51] La Cour ne dispose pas des rapports en question. Elle note néanmoins que la Cour suprême du Canada a affirmé, dans l’arrêt Nur, que pour déterminer si un demandeur a qualité pour solliciter un jugement déclaratoire général d’invalidité, un tribunal peut « se pencher non seulement sur la situation du délinquant, mais aussi sur toute autre situation raisonnablement prévisible à laquelle la disposition pourrait s’appliquer » (Nur au para 58; Chu au para 93). La Cour convient avec les parties qu’elle pourrait considérer l’affaire Chu comme une autre [traduction] « situation raisonnablement prévisible ».
[52] Étant donné que l’expert cité par le PGC dans l’affaire Chu a lui-même reconnu que les casiers judiciaires ont un effet important sur le droit du contrevenant à la liberté et à la sécurité, et puisque les conclusions de la CSCB n’ont pas été contestées, la Cour conclut qu’elle peut s’en inspirer sur cette question précise.
[53] En outre, la Cour est d’avis qu’elle peut prendre acte d’office des répercussions d’un casier judiciaire en général ainsi que d’une suspension du casier, particulièrement comme le prévoient la LCJ et d’autres lois telles que la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [LCDP], qui protège contre la discrimination fondée sur « l’état de personne graciée » (LCDP, art 3(1)).

Un casier judiciaire constitue une « peine » au sens des alinéas 11h) et i) de la Charte et cette sanction fait partie de la peine initialement infligée à une personne condamnée.

[71] Pour déterminer si le casier judiciaire fait partie de la peine initialement infligée à une personne condamnée, la CSCB a tout d’abord examiné le sens et les spécificités du mot « peine » aux termes de l’article 11 de la Charte. Elle a passé en revue la jurisprudence pertinente de la Cour suprême du Canada, y compris les arrêts Whaling et KRJ. Ce faisant, la CSCB a noté, en particulier, que la détermination de ce qui constitue une « peine » est un examen objectif qui ne dépend pas de l’expérience subjective de la personne condamnée concernée (Chu au para 130) et que cette peine englobe plus que la peine officielle infligée par un tribunal et tient compte de toute sanction ou tout traitement punitif connexe (Chu au para 132). La CSCB a également conclu, en se fondant sur la décision rendue par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Liang v Canada (Attorney General), 2014 BCCA 190, que la peine est traitée de la même manière pour l’application des alinéas 11h) et i) de la Charte (Chu au para 143).

[72] Après avoir établi le sens du mot « peine » aux termes de l’article 11 de la Charte, la CSCB s’est demandé si un casier judiciaire fait partie de la peine initialement infligée à une personne condamnée. Elle a conclu que les casiers judiciaires respectent le premier volet du critère relatif à la peine énoncé dans l’arrêt KRJ. Pour arriver à cette conclusion, la CSCB a remarqué que les juges chargés de déterminer les peines disposent d’un éventail de sanctions : emprisonnement, amendes ou, lorsque certaines conditions sont remplies, libérations conditionnelles ou inconditionnelles (Chu au para 157). Elle a également mentionné que pour décider d’accorder une libération, les juges chargés de déterminer les peines évaluent effectivement s’il convient d’imposer un dossier de condamnation étant donné qu’une libération a pour effet d’éviter les conséquences préjudiciables d’un casier judiciaire pour les personnes condamnées accusées d’infractions relativement mineures (Chu au para 159).

[73] La CSCB a également conclu, à la lecture des articles 718 et 718.1 du Code criminel ainsi que la jurisprudence pertinente, que l’ouverture d’un casier judiciaire sert également l’objectif et les principes de détermination de la peine, à savoir la dénonciation et la dissuasion, étant donné que les personnes ayant un casier judiciaire sont stigmatisées au sein de la société. La CSCB a noté, plus précisément, que pour décider d’accorder une libération ou, sinon, pour déterminer la peine appropriée, les juges prennent souvent en compte les difficultés qui accompagnent le fait d’avoir un casier judiciaire, de même que la situation de la personne condamnée concernée et le crime qu’elle a commis (Chu aux para 166-178).

[74] La Cour a examiné le raisonnement suivi par la CSCB et conclut aussi que les casiers judiciaires répondent au premier et deuxième volets du critère de l’arrêt KRJ.

[75] Bien qu’il ne soit pas nécessaire que la Cour se penche sur le troisième volet à caractère subsidiaire du critère de l’arrêt KRJ, elle examinera néanmoins, comme l’a fait la CSCB dans l’affaire Chu, l’incidence de l’existence d’un casier judiciaire sur le droit du contrevenant à la liberté ou à la sécurité.

[76] Comme expliqué ci-dessus, la Cour ne dispose pas de la preuve d’expert qui a été présentée à la CSCB. Toutefois, il suffit d’examiner la jurisprudence pour confirmer que l’existence d’un casier judiciaire a d’importantes conséquences. Dans l’arrêt R c Malmo-Levine, 2003 CSC 74, la Cour suprême du Canada a exposé les effets stigmatisants et punitifs de l’existence d’un casier judiciaire :

[172] […] Il est certain que l’existence d’un casier criminel a de graves conséquences. D’ailleurs, selon la politique législative qu’exprime la [Loi sur les stupéfiants, LRC 1985, c N-1], une déclaration de culpabilité pour possession de marihuana est censée avoir de graves conséquences. C’est en cela que réside l’effet dissuasif de l’interdiction. Comme nous l’avons signalé, le Parlement est à réexaminer l’à-propos de cette politique, examen qui résulterait en partie de la reconnaissance des répercussions importantes d’une accusation au pénal. À titre d’exemple, un document d’information de Santé Canada donne les précisions suivantes :

Le fait d’être poursuivie et condamnée par un tribunal pénal stigmatise la personne et peut avoir des conséquences profondes sur sa vie dans des domaines tels que les choix d’emploi, les voyages et l’éducation. Participer à des procédures pénales peut aussi provoquer des bouleversements personnels.

Santé Canada. Information : Projet de loi sur la réforme concernant le cannabis, mai 2003.

(R v Barinecutt, 2015 BCPC 189, aux para 42, 71-75; R v Michael, 2014 ONCJ 360 au para 77; R v D (J), 1999 CarswellOnt 1551 (Ct J Ont) au para 19.)

[77] La Cour constate également que, dans ses observations écrites dans l’affaire Chu, le PGC a reconnu que l’existence d’un casier judiciaire nuit à la capacité d’une personne condamnée de trouver un emploi, de se loger et de voyager à l’étranger. Voici ce qu’il a déclaré quant aux effets d’un casier judiciaire :

[traduction]
Un casier judiciaire est un dossier permanent des crimes passés. Les comportements qui amènent une personne à commettre un crime et qui entraînent la constitution d’un casier judiciaire sont souvent stigmatisés dans notre société, en particulier dans des domaines comme l’emploi et le logement. Il se peut que les propriétaires soient moins enclins à louer des logements aux personnes ayant été condamnées et les employeurs hésitent à les embaucher, surtout dans les domaines qui comportent du travail auprès de personnes vulnérables. Ces pratiques découlent souvent, officiellement, des politiques des organisations en matière de sélection pour l’emploi. Il est également reconnu que l’existence d’un casier judiciaire peut limiter les déplacements à l’étranger.

[78] En ce qui concerne les éléments de preuve au dossier, P.H. a déposé un affidavit contenant des renseignements sur sa situation personnelle. P.H. est un ancien membre des Forces canadiennes. Il est titulaire d’un diplôme d’études supérieures et d’une maîtrise en gestion. Faisant état des répercussions de son casier judiciaire, il explique qu’il a été victime de discrimination en matière d’embauche et qu’on lui a dit sans ambages lors d’une entrevue qu’il n’était pas possible de l’embaucher à cause de son casier. Un ancien employeur lui a refusé une promotion parce que le poste nécessitait des déplacements aux États-Unis. On lui a refusé les taux ordinaires pour l’assurance sur les biens et l’assurance automobile, et il affirme qu’il paie des primes cinq (5) fois plus élevées que la normale. Il a dû refuser de participer à un événement académique aux États-Unis et laisser passer des possibilités d’emploi dans ce pays lorsqu’il travaillait pour deux (2) sociétés étrangères. Il a également décliné des offres de stage et renoncé à des occasions de bénévolat pour éviter de révéler ses antécédents.

[79] Pour ce qui est de l’exclusion sociale, P.H. affirme également que depuis neuf (9) ans, il est séparé des membres de sa famille aux États-Unis et ne peut pas leur rendre visite, et qu’il a ainsi raté des mariages, des anniversaires et d’autres événements familiaux importants. Son assurance et son amour-propre ont également souffert de la stigmatisation qui accompagne son casier judiciaire et les conditions de comparution régulière imposées par la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, LC 2004, c 10.

[80] P.H. a également déposé un rapport d’examen psychologique. Le rapport ne porte pas précisément sur les conséquences de l’existence d’un casier judiciaire; il aborde de façon générale les répercussions des procédures judiciaires sur le demandeur, ainsi que le risque de récidive. Néanmoins, le rapport confirme que le casier judiciaire de P.H. a bel et bien eu des répercussions négatives sur ses perspectives de carrière et a été à la fois humiliant et décourageant pour lui.

[81] Les éléments de preuve non contestés qui figurent au dossier amènent la Cour à conclure que la stigmatisation qui accompagne un casier judiciaire a compromis la capacité de P.H. de gagner sa vie et d’effectuer des voyages à titre professionnel. La Cour conclut aussi que cette stigmatisation a eu de graves répercussions sur sa situation financière, sa santé psychologique et son sentiment identitaire.

[82] Par conséquent, compte tenu de la jurisprudence et des éléments de preuve présentés par P.H., la Cour conclut que l’existence d’un casier judiciaire respecte le troisième volet du critère établi dans l’arrêt KRJ, puisqu’un casier judiciaire peut limiter considérablement la capacité d’une personne de mener des activités par ailleurs légales, par exemple en matière d’emploi, et qu’il impose des fardeaux importants que n’ont pas à supporter les autres membres du public.

[83] Pour les motifs qui précèdent, la Cour conclut qu’un casier judiciaire constitue une « peine » au sens des alinéas 11h) et i) de la Charte et que cette sanction fait partie de la peine initialement infligée à une personne condamnée.

Les dispositions transitoires ont pour effet d’aggraver la peine et elles contreviennent par conséquent aux alinéas 11h) et i) de la Charte

[85] Dans l’affaire Chu, la CSCB a examiné chacune des dispositions transitoires en tenant compte de ce contexte. Elle a conclu que la prolongation des périodes d’inadmissibilité engendrée par l’article 161 de la LSRC avait une incidence comparable à celle de la modification rétrospective examinée dans l’arrêt Whaling. La durée du casier judiciaire était automatiquement prolongée, sans tenir compte de la situation personnelle de la personne condamnée, ce qui bouleversait vraisemblablement les attentes légitimes et les projets de nombreuses personnes condamnées et constituait ainsi une peine supplémentaire (Chu aux para 241-243). Dans son examen des répercussions des dispositions transitoires sur les attentes légitimes, la CSCB a pris les exemples de deux (2) personnes condamnées hypothétiques :

[traduction]
[245] Tout d’abord, une jeune personne qui a plaidé coupable à l’acte criminel de possession de cocaïne et a été condamnée à un an d’emprisonnement avec sursis. Elle se serait attendue à pouvoir présenter une demande de réhabilitation cinq ans après la fin de sa peine. Elle a repris sa vie en main et, en attendant la fin de sa période d’inadmissibilité et grâce à des prêts d’études, elle a obtenu une certification de comptable professionnelle agréée. À cause de l’application rétrospective des modifications, son attente légitime de pouvoir commencer sa carrière et rembourser des prêts d’études a été trompée puisqu’elle doit attendre encore cinq ans avant de pouvoir présenter une demande de suspension de casier.

[246] Ensuite, un jeune homme de 19 ans poursuivi par voie de mise en accusation et qui, avant les modifications, a plaidé coupable pour voies de fait lors d’une bagarre dans un bar. Il a été condamné à trois années de probation. Il se serait attendu à pouvoir présenter une demande de suspension de casier à l’âge de 27 ans, mais l’effet rétrospectif des modifications l’oblige maintenant à attendre ses 32 ans.

(Chu aux para 245-246.)

[86] La CSCB a conclu que l’application rétrospective des modifications de la LCJ, prévue à l’article 161 de la LSRC, avait pour effet d’aggraver la peine, ce qui contrevient aux alinéas 11h) et i) de la Charte (Chu aux para 247-249).

[87] En ce qui concerne l’article 10 de la LLARCG, qui a modifié rétrospectivement les critères pris en compte par la Commission des libérations conditionnelles du Canada pour ordonner une suspension de casier, la CSCB a fait les observations suivantes :

[traduction]
[251] Avant les modifications de la LLARCG, on accordait une suspension du casier si le demandeur conservait un mode de vie respectueux des lois et avait une bonne conduite au cours de la période d’inadmissibilité. Le demandeur avait le contrôle du respect des critères d’admissibilité; le résultat de la demande, bien qu’il ne fut pas automatique, était prévisible. Les demandeurs n’étaient pas tenus de formuler des arguments ou des observations quant à la nature de leurs infractions antérieures.

[252] Aux termes de la LLARCG, la Commission doit également conclure, à présent, que la suspension du casier procurera un avantage mesurable au demandeur, favorisera sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois et ne sera pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[253] Pour déterminer si une suspension du casier est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, la Commission doit tenir compte de la gravité de l’infraction commise par le demandeur. Ainsi, même si un demandeur a maintenu une bonne conduite et même s’il est évident qu’une suspension du casier favorisera sa réinsertion, la Commission peut rejeter la demande uniquement d’après la nature des infractions antérieures commises par le demandeur. Il s’agit d’un critère plus exigeant.

[254] Les modifications rétrospectives des critères de fond pour l’obtention d’une suspension du casier sont au cœur du processus décisionnel et modifient en profondeur la nature de la décision de la Commission, de sorte que le risque de se voir refuser la réhabilitation augmente pour de nombreuses personnes condamnées qui auraient autrement obtenu une suspension de casier selon les anciens critères. Plutôt que de tenir compte uniquement de la réinsertion du demandeur, la Commission fait à présent un examen rétrospectif et réévalue la gravité de l’infraction commise par le demandeur. Le demandeur n’a plus de contrôle sur le respect des critères et l’incertitude est plus grande quant au résultat de la demande. Les demandeurs sont désormais tenus de formuler des arguments et des observations quant à la nature de leurs infractions antérieures.

[255] Tel qu’il a été mentionné plus haut, les débats parlementaires et l’examen par les comités parlementaires appuient une intention législative de modifier considérablement la décision de réhabiliter une personne. Comme il est également indiqué ci-dessus, l’objet des modifications de la LLARCG était de donner à la Commission un nouveau rôle « quasi judiciaire » pour garantir un certain équilibre entre l’octroi d’une suspension du casier et la gravité des infractions. Les membres de l’opposition ont dit craindre que cela revienne essentiellement à « juger à nouveau » la personne.

[256] En bref, l’application rétrospective des critères supplémentaires a pour effet de rendre plus difficile que prévu l’obtention d’une suspension du casier, ce qui frustre les attentes légitimes des personnes condamnées.

(Chu aux para 251-256.)

[88] Ces considérations ont amené la CSCB à conclure que l’article 10 de la LLARCG a pour effet d’aggraver la peine et qu’il contrevient par conséquent aux alinéas 11h) et i) de la Charte (Chu au para 257).