Voir aussi De La Cruz Hernandez c. R., 2020 QCCA 1008, par. 55-58.
S’il appartient au délinquant d’établir les motifs qui justifient la majoration du crédit, celle-ci sera généralement accordée vu que la perte liée à l’admissibilité à la libération conditionnelle suffit à cette fin dans la plupart des cas. Néanmoins, dans l’exercice de sa discrétion, le tribunal peut toujours refuser la majoration, notamment :
(1) lorsque la libération conditionnelle du délinquant est peu probable
(2) ou lorsque la détention avant le prononcé de la peine résulte de l’inconduite du délinquant.
Il appartient alors au ministère public d’établir les facteurs permettant de refuser la majoration.
[17] L’article 719 du Code criminel (« C.cr. ») prévoit que pour fixer la peine à infliger, le tribunal peut tenir compte de la période passée sous garde par suite de l’infraction. Par contre, la façon que cette prise en compte est faite a considérablement évolué au cours des dernières années.
[18] Le texte du par. 719(3) C.cr. était ainsi rédigé jusqu’aux amendements survenus en 2009, auxquels nous reviendrons :
719 (3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction.
719 (3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence.
[19] Sous ce paragraphe, les tribunaux déterminaient au cas par cas et de façon discrétionnaire la façon dont cette prise en compte pouvait s’effectuer. Si certains ratios mis de l’avant à cette fin ont varié selon un ratio de 1:1 à 1:2 et même 1:3, la décision demeurait un exercice discrétionnaire selon les facteurs propres à chaque cas. Dans l’arrêt Wust, la juge Arbour a décrit l’état du droit selon le sens de ce paragraphe[3] :
[44] Je ne vois aucun avantage à porter atteinte au pouvoir discrétionnaire bien établi dont disposent les tribunaux en vertu du par. 719(3) en avalisant une formule mécanique de réduction de la peine pour tenir compte de la période de détention présentencielle. Comme nous le réaffirmons dans les présents motifs, l’objectif de la détermination de la peine est l’infliction d’une peine juste et appropriée, qui prend en compte la situation du délinquant et les circonstances particulières de la perpétration de l’infraction. Je fais mien le raisonnement suivant du juge Laskin de la Cour d’appel de l’Ontario, dans Rezaie, précité [(1996), 1996 CanLII 1241 (ON CA), 112 C.C.C. (3d) 97], à la p. 105 :
[TRADUCTION] . . . les cours d’appel provinciales ont rejeté l’application d’une formule mathématique de réduction de la peine pour tenir compte de la période de détention avant le procès, insistant plutôt sur le fait que la période à retrancher de la peine doit être déterminée au cas par cas [. . .] Bien qu’il ne soit peut‑être pas judicieux d’adopter un multiplicateur fixe, le juge qui détermine la peine doit, à moins de justifier son abstention de le faire, accorder une certaine réduction de peine pour tenir compte de la période passée sous garde par le délinquant avant son procès (et le prononcé de sa peine). [Références omises]
[45] Dans le passé, nombre de juges ont retranché environ deux mois à la peine du délinquant pour chaque mois de détention présentencielle. Cette façon de faire est tout à fait convenable, quoiqu’un autre rapport puisse aussi être appliqué, par exemple si l’accusé a été détenu avant son procès dans un établissement où il avait pleinement accès à des programmes d’enseignement, de formation professionnelle ou de réadaptation. Le rapport de 2 pour 1 qui est souvent appliqué reflète non seulement la rigueur de la détention en raison de l’absence de programmes, rigueur qui peut être plus grande dans certains cas que dans d’autres, mais également le fait qu’aucun des mécanismes de réduction de la peine prévus par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ne s’applique à cette période de détention. Le «temps mort» est de la détention «concrète». Comme la période à retrancher ne peut ni ne doit être établie au moyen d’une formule rigide, il est par conséquent préférable de laisser au juge qui détermine la peine le soin de calculer cette période, car c’est encore lui qui est le mieux placé pour apprécier soigneusement tous les facteurs permettant d’arrêter la peine appropriée, y compris l’opportunité d’accorder une réduction pour la période de détention présentencielle.
[Soulignement ajouté]
[20] Tel que le signalait la juge en chef McLachlin dans Safarzadeh-Markhali[4], le crédit majoré permet d’atteindre deux objectifs. Premièrement, il fait en sorte que le délinquant détenu de manière préventive ne passe pas plus de temps en prison que le délinquant dans la même situation qui est libéré sous caution, du fait que la durée de sa détention avant le prononcé de la peine n’est pas prise en compte aux fins de l’admissibilité à la libération conditionnelle et à la libération anticipée. Deuxièmement, il compense les conditions de détention qui rendent souvent la détention subie avant le prononcé de la peine plus pénible que celle qui suit ce prononcé.
[21] Ainsi, avant les amendements au Code criminel survenus en 2009, les tribunaux allouaient souvent au délinquant un crédit majoré — généralement à raison de deux jours contre un, mais parfois suivant un ratio plus ou moins élevé, selon la situation particulière du délinquant — pour la durée de la détention effective subie avant le prononcé de la peine.
[22] En 2009, le Parlement adoptait des amendements à l’article 719 C.cr. dont l’effet était de restreindre l’octroi d’un crédit majoré selon un maximum d’un jour et demi de crédit pour chaque jour de détention[5]. Ces amendements, dont le but principal était d’accroître la confiance du public dans le système de justice criminelle[6], sont entrés en vigueur en 2010. Le Parlement interdisait aussi tout crédit majoré lorsque la détention résultait d’une condamnation antérieure, d’un bris d’une condition de mise en liberté ou s’il y avait des motifs raisonnables de croire que le délinquant avait commis une infraction au cours d’une période de mise en liberté en attente de procès :
719 (3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction; il doit, le cas échéant, restreindre le temps alloué pour cette période à un maximum d’un jour pour chaque jour passé sous garde.
719 (3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence but the court shall limit any credit for that time to a maximum of one day for each day spent in custody.
(3.1) Malgré le paragraphe (3), si les circonstances le justifient, le maximum est d’un jour et demi pour chaque jour passé sous garde, sauf dans le cas où la personne a été détenue pour le motif inscrit au dossier de l’instance en application du paragraphe 515(9.1) ou au titre de l’ordonnance rendue en application des paragraphes 524(4) ou (8).
(3.1) Despite subsection (3), if the circumstances justify it, the maximum is one and one-half days for each day spent in custody unless the reason for detaining the person in custody was stated in the record under subsection 515(9.1) or the person was detained in custody under subsection 524(4) or (8).
[23] Dans R. c. Summers, la Cour suprême du Canada explique que ce ratio d’un jour et demi par jour a deux raisons d’être : il sert à garantir que le délinquant libéré d’office au deux tiers de sa peine selon le par. 127(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions[7] soit emprisonné pendant la même durée, qu’il ait été détenu ou non avant le prononcé de la sentence[8], et aussi pour compenser les conditions souvent plus difficiles de détention préventive[9].
[24] Cela étant, le fait que la période de détention subie avant le prononcé de la peine ne compte pas aux fins du calcul à l’admissibilité à la libération conditionnelle peut aussi constituer une circonstance susceptible de justifier le crédit majoré[10]. D’ailleurs, dans la plupart des cas, cette perte en lien avec la libération conditionnelle suffit en elle-même à justifier l’octroi d’un crédit à raison d’un jour et demi contre un jour de détention[11].
[25] Il faut aussi noter que dans l’arrêt Safarzadeh-Markhali[12], la Cour suprême du Canada a déclaré constitutionnellement inopérants les mots « sauf dans les cas où la personne a été détenue pour le motif inscrit au dossier de l’instance en application du paragraphe 515(9.1) » énoncés au par. 719(3.1) C.cr., lesquels prohibaient un crédit majoré pour les délinquants dont la mise en liberté était refusée en raison de condamnations antérieures. De plus, la Cour d’appel du Manitoba[13], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[14] et la Cour d’appel de l’Ontario[15] ont déclaré inconstitutionnelles les dispositions de ce paragraphe portant sur l’impossibilité de majorer le crédit lors d’un bris des conditions de libération, et ce, au profit d’une discrétion judiciaire accrue. Un nouvel amendement à l’art. 719 C.cr. a donc été adopté par le Parlement afin d’en biffer les exclusions qui s’y trouvaient alors. Les paragraphes pertinents sont maintenant rédigés comme suit :
719 (3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction; il doit, le cas échéant, restreindre le temps alloué pour cette période à un maximum d’un jour pour chaque jour passé sous garde
719 (3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence but the court shall limit any credit for that time to a maximum of one day for each day spent in custody.
(3.1) Malgré le paragraphe (3), si les circonstances le justifient, le maximum est d’un jour et demi pour chaque jour passé sous garde.
(3.1) Despite subsection (3), if the circumstances justify it, the maximum is one and one-half days for each day spent in custody.
[26] La majoration du crédit demeure ainsi toujours une décision discrétionnaire, comme l’a conclu la Cour suprême dans Wust[16]. Cela étant, cette discrétion doit être exercée judiciairement, notamment en tenant compte des principes et des critères énoncés par la jurisprudence. La Cour a récemment réitéré ce principe dans l’arrêt Samuel de la Cruz Hernandez c. R.[17].
[27] Ainsi, s’il appartient au délinquant d’établir les motifs qui justifient la majoration du crédit, celle-ci sera généralement accordée vu, tel que déjà constaté, que la perte liée à l’admissibilité à la libération conditionnelle suffit à cette fin dans la plupart des cas[18]. Néanmoins, dans l’exercice de sa discrétion, le tribunal peut toujours refuser la majoration, notamment lorsque la libération conditionnelle du délinquant est peu probable[19] ou lorsque la détention avant le prononcé de la peine résulte de l’inconduite du délinquant[20]. Il appartient alors au ministère public d’établir les facteurs permettant de refuser la majoration[21].
[28] Quant à l’inconduite du délinquant, elle peut notamment résulter d’un manquement aux conditions de libération ou de problèmes disciplinaires lors de l’incarcération[22]. Par contre, ces inconduites ne peuvent être prises en compte deux fois. Ainsi, si l’inconduite est considérée par le tribunal aux fins de déterminer la peine applicable ou si elle a été sanctionnée d’une autre façon, elle ne peut servir à nouveau pour refuser la majoration du crédit lié à la détention qui précède le prononcé de la peine, puisque le délinquant serait ainsi puni deux fois pour le même comportement répréhensible[23].
[29] L’inconduite peut aussi être le résultat d’une décision de l’appelant de profiter du système de libération en maintenant une incarcération avant le prononcé de la peine afin de bénéficier ainsi indûment d’une majoration du crédit[24]. Cela étant, cette inconduite doit résulter d’une volonté réelle du délinquant de profiter du système afin de retarder volontairement les procédures, en toute connaissance de cause, pour ensuite demander un crédit majoré pour cette période[25].