Directives au jury trop longues

R. c. Rodgerson, 2015 CSC 38 :

[45] […] Certes, il est loisible au ministère public d’intenter des poursuites lorsque la preuve permettrait à un jury raisonnable de déclarer l’accusé coupable. Toutefois, une sorte d’analyse de rentabilité servirait également le système de justice. Lorsque les autres accusations ou les accusations plus sévères sont d’importance secondaire et que la poursuite relative à ces accusations nécessiterait un procès et des directives au jury beaucoup plus complexes, le ministère public devrait sérieusement se demander si l’intérêt public serait mieux servi en décidant dès le départ de ne pas intenter de poursuites relativement aux accusations d’importance secondaire, ou en décidant de ne pas y donner suite lorsque la preuve au procès est complète.

[46]                          Bien que le juge du procès doive agir avec prudence, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il interroge l’avocat du ministère public au sujet de l’efficacité de porter une ou des accusations plus graves dans des circonstances où la preuve excède à peine le seuil du verdict imposé. Mis à part le fait qu’elle augmente la longueur et la complexité de l’exposé au jury et qu’elle alourdit le fardeau imposé au jury lors de ses délibérations, la décision de porter des accusations pour une infraction plus grave risque de détourner l’attention du jury de la ou des questions cruciales dont l’issue de l’affaire dépend réellement.

[…]

[49]                          Même s’il cherche évidemment à défendre son client par tous les moyens licites et éthiques possibles, l’avocat de la défense a l’obligation d’aider le juge du procès à élaborer un exposé qui donne au jury des directives claires et compréhensibles sur les moyens de défense que comporte effectivement la thèse de la défense. Si l’avocat de la défense au procès avait agi en ce sens, l’exposé aurait été plus court d’une cinquantaine de pages.

[…]

[52]                          Les tribunaux ont souligné à plusieurs reprises que l’exposé du jury doit [traduction] « être adapté aux faits de l’espèce » (R. c. McNeil (2006), 84 O.R. (3d) 125 (C.A.), par. 21). Bien que « les modèles de directives visent à proposer un point de départ au juge du procès », ils devront fréquemment être modifiés pour présenter aux jurés « les principes juridiques applicables sous une forme qui facilite leur application en fonction des circonstances spécifiques de l’espèce » (ibid.). Les juges du procès doivent [traduction] « séparer le bon grain de l’ivraie » lorsqu’ils déterminent les moyens de défense applicables, et ils doivent procéder à une « sélection attentive et circonspecte [. . .] pour éviter toute directive juridique inutile, inopportune ou non pertinente qui pourrait détourner l’attention du jury » des principales questions en litige dans le procès (Pintar, p. 494). 

[53]                          Ce principe a été retenu dans l’ouvrage Helping Jurors Understand (2007), p. 82, publié par nul autre que le juge Watt de la Cour d’appel de l’Ontario (alors juge de la Cour supérieure de justice), qui a également écrit pour les procès criminels l’ouvrage Ontario Specimen Jury Instructions (Criminal) (2003) : 

                        [traduction] Un modèle offre un exemple. Une directive modèle offre un exemple d’une directive sur un sujet donné. Les directives modèles ne donnent pas d’instructions légalement exactes pour chaque situation qu’elles sont censées viser et elles ne prétendent pas le faire. Il n’existe pas de directives au jury universelles. Tout au plus, les modèles de directives offrent‑ils des éléments de base permettant de formuler des instructions finales ou autres. Les particularités de chaque affaire détermineront la nature et l’ampleur des modifications requises pour assurer l’exactitude juridique. [Italiques dans l’original.]

[54]                          En l’espèce, quelques modestes modifications auraient produit un exposé sans erreurs de droit. Par ailleurs, un grand nombre des directives qui y figuraient auraient pu et auraient dû être supprimées. Si, dans le cadre du nouveau procès de M. Rodgerson, des éléments de preuve essentiellement semblables sont présentés et que la position des parties relativement à ces éléments de preuve demeure la même, j’estime qu’un exposé au jury beaucoup plus simple suffirait. Il serait avantageux pour M. Rodgerson que le jury examine attentivement la preuve et les arguments qui constituent le fondement de sa défense, et qu’il ne se laisse pas distraire par des heures de directives générales répétitives qui ne font que créer de la confusion. Le ministère public bénéficierait également d’un exposé simplifié, expurgé de tout élément inutile susceptible de dissimuler des motifs d’appel d’une déclaration de culpabilité. Je ne veux pas paraître naïf et je reconnais qu’une méthode qui assure que « tout le monde sort gagnant » est plus facile à proposer qu’à réaliser. Néanmoins, je demeure fermement convaincu que [traduction] « le bon sens et le droit ne sont pas nécessairement incompatibles » et que l’objectif fondamental des directives au jury doit être « d’éduquer et non de compliquer les choses » (R. c. Zebedee (2006), 81 O.R. (3d) 583 (C.A.), par. 82).