R. c. Gagnon, 2024 QCCA 343

La norme d’intervention applicable en matière de peine est élevée et bien connue.

[23] Cela étant, la norme d’intervention applicable en matière de peine est élevée et bien connue. Une cour d’appel ne peut intervenir pour modifier une peine que si (1) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine ou (2) la peine n’est manifestement pas indiquée[26].

[24] Dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême identifie parmi les erreurs de principe l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. Elle ajoute que la manière dont le juge de la peine a soupesé ou mis en balance des facteurs peut constituer une erreur de principe seulement s’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre[27]. Si le juge d’instance a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine, la Cour doit effectuer sa propre analyse pour fixer une peine juste, en appliquant de nouveau les principes de la détermination de la peine, sans faire preuve de déférence envers la peine existante même si celle‑ci se situe dans la fourchette applicable[28], mais en s’en remettant aux conclusions de fait du juge et aux facteurs aggravants et atténuants qu’il a relevés, pourvu qu’ils ne soient pas entachés d’une erreur de principe[29]. Par ailleurs, si une erreur de principe n’a eu aucun effet sur la peine, cela met un terme à l’analyse et l’intervention de la Cour ne se justifie que si la peine n’est manifestement pas indiquée[30].

Le cadre d’analyse permettant d’apprécier le danger que l’imposition d’une peine avec sursis peut poser pour la collectivité.

[26] Dans l’arrêt Proulx[31], le juge en chef Lamer établit un cadre d’analyse permettant d’apprécier le danger que l’imposition d’une peine avec sursis peut poser pour la collectivité :

    1. À mon avis, pour apprécier le risque que le délinquant poserait pour la collectivité s’il purgeait sa peine au sein de celle‑ci, deux facteurs doivent être pris en compte(1) le risque que le délinquant récidive; (2) la gravité du préjudice susceptible de découler d’une récidiveSi le tribunal conclut que le risque de récidive est réel, le délinquant doit être incarcéré.  Il est évident qu’il y a toujours un certain risque que le délinquant récidive.  Si le tribunal estime que ce risque est minime, la gravité du préjudice susceptible de découler d’une récidive doit également être prise en considération.  Dans certains cas, quoique le risque de récidive soit minime, la possibilité d’un préjudice considérable aura pour effet de faire obstacle au prononcé de l’emprisonnement avec sursis.[Caractères gras et soulignements ajoutés]

[27] En l’espèce, la juge de première instance a commis deux erreurs de principe ayant eu une incidence sur la peine en omettant d’évaluer correctement le risque que l’imposition d’une peine avec sursis à l’intimé poserait pour la collectivité.

[28] Premièrement, la juge a limité de façon déraisonnable la portée de « la collectivité » concernée. Rappelons ses motifs succincts à ce sujet :

Le Tribunal ne veut pas minimiser les gestes reprochés à l’accusé, bien au contraire. Mais le Tribunal constate que ces gestes surviennent dans un contexte conjugal.[32]

[Soulignement ajouté]

[29] Quoi qu’en dise l’intimé, il n’y a pas autre chose à comprendre de ces motifs que parce qu’il a commis les voies de fait et le harcèlement à l’égard de sa conjointe « dans un contexte conjugal », la collectivité n’est pas concernée, ou l’est insuffisamment.

Les mots « ne met pas en danger la sécurité de [la collectivité] » au paragraphe 742.1a) C.cr. doivent être interprétés largement[34]. Il n’est pas nécessaire que le risque de danger affecte l’ensemble de la collectivité : « “the safety of the community” can include a small group, even one victim ».

[32] Le jugement entrepris permet de constater que la juge n’a pas pris cette réalité en compte et qu’elle a ainsi dénaturé le test applicable. Cette omission a manifestement influé sur sa conclusion qu’une peine d’emprisonnement avec sursis était appropriée dans les circonstances.

Le risque de récidive doit être évalué au cas par cas, selon les faits propres à chaque affaire. Les facteurs développés dans le contexte de demandes de mise en liberté provisoire, sont utiles, quoique non exhaustifs.

[34] Le risque de récidive doit être évalué au cas par cas, selon les faits propres à chaque affaire[37]. Les facteurs suivants, développés dans le contexte de demandes de mise en liberté provisoire, sont utiles, quoique non exhaustifs :

1) la nature de l’infraction, 2) les circonstances pertinentes de celle‑ci, ce qui peut mettre en cause les événements antérieurs et postérieurs, 3) le degré de participation de l’inculpé, 4) la relation de l’inculpé avec la victime, 5) le profil de l’inculpé, c’est‑à‑dire son occupation, son mode de vie, ses antécédents judiciaires, son milieu familial, son état mental, 6) sa conduite postérieurement à la commission de l’infraction, […].[38]