Le pouvoir du ministre relativement à une erreur judiciaire.

Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35 :

(2)      La nature du pouvoir ministériel en cause

[26]                          En l’espèce, la juge Poulin a estimé que le Ministre est soumis aux règles de la responsabilité civile et qu’il ne bénéficie d’aucune immunité dans l’exercice de son pouvoir de clémence. La Cour d’appel a quant à elle jugé que le Ministre bénéficie d’une immunité relative, car son pouvoir relève de la prérogative royale et constitue une fonction politique et non opérationnelle. Devant nous, l’appelant soutient que la conduite du Ministre s’inscrit dans le cadre d’un processus établi par la loi, non d’une prérogative royale : la norme de la faute simple s’appliquerait. Il plaide qu’il existe une distinction entre le traitement des demandes de clémence et la décision finale du Ministre. Le traitement relèverait de la sphère opérationnelle et ne devrait être assorti d’aucune immunité. Pour sa part, l’intimé s’appuie sur l’analyse et la conclusion de la Cour d’appel.

[27]                          Les demandes de clémence sont régies par le C.cr. Quatre dispositions se sont successivement appliquées durant la période pertinente à la présente affaire. Elles sont reproduites en annexe. Nous constatons à leur lecture que le caractère discrétionnaire du pouvoir du Ministre (« le ministre de la Justice peut ») et l’enquête requise de ce dernier (« si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances ») demeurent les constantes durant cette période.

[28]                          Nous sommes d’accord avec la Cour d’appel pour dire que le pouvoir de clémence codifié dans le C.cr. tire sa source de la prérogative royale de clémence. La doctrine majoritaire en convient. Cette prérogative comportait historiquement deux volets et visait deux objectifs : premièrement, faire montre de compassion en libérant un individu du plein effet de sa peine et deuxièmement, rectifier des erreurs judiciaires telles les condamnations erronées (G. T. Trotter, « Justice, Politics and the Royal Prerogative of Mercy : Examining the Self-Defence Review » (2001), 26 Queen’s L.J. 339, p. 344, citant A. T. H. Smith, « The Prerogative of Mercy, the Power of Pardon and Criminal Justice », [1983] P.L. 398). Cette prérogative a été incorporée au droit canadien et attribuée au gouverneur général par voie de lettres patentes : Attorney General for Canada c. Attorney General of the Province of Ontario(1894), 1894 CanLII 12 (SCC)23 R.C.S. 458, p. 468-469; Lettres patentes constituant la charge de Gouverneur général du Canada (1947), L.R.C. 1985, App. II, no 31.

[29]                          Le deuxième volet de la prérogative royale de clémence, lequel vise la rectification d’erreurs judiciaires, était, jusqu’en 2002, principalement codifié à l’art. 690 C.cr. À l’origine, en 1892, la disposition correspondante était rédigée ainsi :

748. Si, sur demande de la clémence de la Couronne en faveur de quelque personne convaincue d’un acte criminel, le ministre de la Justice éprouve quelque doute que cette personne aurait dû être trouvée coupable, il pourra, au lieu de recommander à Sa Majesté de faire grâce ou de commuer la sentence, après telle enquête qu’il jugera à propos, ordonner par écrit qu’un nouveau procès ait lieu à telle époque et devant telle cour qu’il jugera à propos.

(Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29)

[30]                          Au fil du temps, la disposition a évolué, mais le lien entre la procédure de renvoi et la notion de clémence est toujours demeuré, comme en attestaient les mots : « Sur une demande de clémence de la Couronne » (Code criminel, S.C. 1953-54, c. 51, art. 596). Dans l’arrêt Therrien (Re)2001 CSC 35 (CanLII)[2001] 2 R.C.S. 3, par. 113, le juge Gonthier a examiné la portée du pardon et a défini celui-ci comme « l’expression de la souveraineté du Roi, le résultat de l’exercice unilatéral et discrétionnaire de [la] prérogative royale de grâce ou de clémence ». Il a expliqué qu’au Canada les textes législatifs ne font que prescrire différentes façons d’exercer cette prérogative, sans pour autant en limiter la portée. Parmi les formes de pardon, on retrouve « le pardon obtenu après le renvoi à procès ou le renvoi à une cour d’appel conformément à l’art. 690 du Code [. . .], qui donne lieu à la tenue d’un nouveau procès ou d’une nouvelle audition » : Therrien, par. 114.

[31]                          Le fait que ce pouvoir du Ministre provienne de la prérogative royale de clémence témoigne de la large discrétion qui lui est conférée. Même si le caractère discrétionnaire d’une décision ne permet plus, à lui seul, de justifier la reconnaissance d’une immunité de droit public, il demeure un critère utile.

[32]                          Par ailleurs, les diverses dispositions pertinentes du C.cr. au fil des ans étaient toutes rédigées de façon large et générale. Elles ne balisaient guère l’exercice du pouvoir et laissaient de ce fait une grande marge de manœuvre au Ministre. Leur libellé accordait entre autres au Ministre la faculté de prescrire un nouveau procès ou de déférer la cause à la cour d’appel; le texte lui laissait le soin de déterminer dans quelles circonstances il devait intervenir :

596. . . . le ministre de la Justice peut

a) prescrire [. . .] un nouveau procès devant une cour qu’il juge appropriée, si, après enquête, il est convaincu que, dans les circonstances, un nouveau procès devrait être prescrit;

(Code criminel, S.C. 1953-54)

[33]                          En prenant cette décision discrétionnaire, le Ministre devait nécessairement évaluer et soupeser des considérations d’intérêt public, en fonction de facteurs sociaux, politiques et économiques. Issu de la prérogative royale, ce pouvoir se situait en dehors de la sphère traditionnelle du droit criminel, en ce sens qu’il naissait après l’extinction des recours judiciaires. En l’exerçant, le Ministre devait prendre soin d’éviter d’usurper le rôle des tribunaux et de court-circuiter le processus judiciaire habituel. Il ne constituait certes pas un nouveau palier d’appel. Pour reprendre les mots de la Cour d’appel en l’espèce, le Ministre devait :

. . . soupeser, au regard de faits qui sont rarement clairs, des intérêts juridiques et sociaux divers (et souvent divergents), qui vont de l’intérêt particulier de l’individu en cause et du souci de la justice à la préservation de l’indépendance et de l’intégrité du système judiciaire ainsi que de la stabilité des jugements, tous aussi importants les uns que les autres. [par. 141]

[34]                          On constate d’ailleurs que la partie XXI.1 du C.cr., introduite en 2002 par la Loi de 2001 modifiant le droit criminel, L.C. 2002, c. 13, art. 71, a comme objectif d’encadrer davantage l’exercice de ce pouvoir et de rendre le processus plus transparent : Bibliothèque du Parlement « Projet de loi C-15A : Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois », résumé législatif LS-410F, 12 octobre 2001 («  Résumé législatif »). Suivant l’actuel al. 696.3(3)aC.cr., le Ministre peut désormais prescrire un nouveau procès ou renvoyer la cause devant la cour d’appel « s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite ». Contrairement à ce qui était le cas à l’époque des demandes de M. Hinse, l’art. 696.4 C.cr. énonce maintenant des critères précis sur lesquels le Ministre doit fonder sa décision. Les considérations d’intérêt public, telles la stabilité des jugements ou l’indépendance du système judiciaire, ont été prises en compte lors de l’adoption des nouvelles dispositions et occupent moins d’importance dans le processus décisionnel du Ministre.

[35]                          Enfin, comme le rôle du décideur peut également être un facteur pertinent pour déterminer la nature du pouvoir en question, il convient de reconnaître que le Ministre, lorsqu’il prend ces décisions de politique générale, n’agit pas en qualité de simple fonctionnaire exerçant des fonctions administratives ou opérationnelles. À ce sujet, contrairement aux prétentions de l’appelant, il n’y a pas lieu de distinguer entre le traitement des demandes de clémence par le personnel de l’administration publique et la décision du Ministre. Ce découpage est à la fois difficile à justifier et difficile à réaliser en pratique. Il s’agit d’un seul et même pouvoir ― réviser une condamnation ― qui ne peut être séparé en deux étapes étanches. Bien que le processus de révision ministérielle nécessite sans doute des activités de soutien administratif, ce fait à lui seul ne permet pas, dans le cas qui nous intéresse, de diviser le processus en compartiments distincts, à savoir les décisions de politique générale et les décisions de nature opérationnelles. La décision de poursuivre l’étude du dossier ou de rejeter la demande fait partie intégrante du processus d’évaluation.

[36]                          En raison de l’historique et de la nature du pouvoir de clémence du Ministre, nous sommes d’avis que son exercice participait d’un véritable acte de politique générale fondamentale à l’époque des faits en litige. Aux termes de l’arrêt Imperial Tobacco, l’exercice d’un tel pouvoir ne pouvait donc engager la responsabilité de l’État que si le Ministre agissait de façon irrationnelle ou de mauvaise foi. En l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner en détail ce qui pourrait constituer une décision irrationnelle du Ministre. Ce n’est pas ce qu’invoque M. Hinse ici. Il se plaint uniquement de l’omission de réaliser une étude adéquate de ses demandes; c’est la question de l’existence d’un examen sérieux du Ministre qui est au cœur du débat. En conséquence, il importe de définir ce à quoi correspond la mauvaise foi en droit civil québécois dans le contexte de la présente affaire.

a)        La norme de faute à retenir n’est pas celle de l’intention malveillante

[39]                          Il ne nous paraît pas opportun d’importer en matière de clémence la norme de l’intention malveillante qui s’applique à l’égard de la responsabilité des procureurs de la Couronne en cas de poursuites criminelles abusives. En dépit d’une certaine analogie entre les fonctions du Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence et celles des procureurs de la Couronne dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites criminelles, il existe d’importantes différences entre les deux rôles.

[40]                          Premièrement, si un procureur de la Couronne peut, dans des cas par ailleurs rares, être tenu responsable de poursuites criminelles abusives, des raisons de principe justifient qu’une telle action ne soit accueillie que si elle satisfait à un critère extrêmement strict : Miazga c. Kvello (Succession)2009 CSC 51 (CanLII)[2009] 3 R.C.S. 339, par. 43; Proulx c. Québec (Procureur général)2001 CSC 66 (CanLII)[2001] 3 R.C.S. 9, par. 4; Nelles c. Ontario1989 CanLII 77 (CSC)[1989] 2 R.C.S. 170. En conséquence, le recours pour poursuites abusives doit être fondé sur la malveillance ou l’existence d’un but illégitime : Miazga, par. 56 et 81. La décision d’engager ou de continuer une poursuite criminelle est au cœur de l’exercice par le procureur de la Couronne de ses pouvoirs, et le principe de l’indépendance de sa fonction le protège contre l’influence de considérations politiques inappropriées : Miazga, par. 45; voir aussi Krieger c. Law Society of Alberta2002 CSC 65 (CanLII)[2002] 3 R.C.S. 372. Le procureur doit pouvoir agir indépendamment de toute pression politique du gouvernement et être soustrait à tout contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure. Cette indépendance est à ce point essentielle à l’intégrité et à l’efficacité du système de justice criminelle qu’elle est consacrée par la Constitution : Miazga, par. 46, Krieger, par. 30-32.

[41]                          Ainsi, le fait d’exiger un niveau élevé de faute découle d’un choix délibéré visant à préserver l’équilibre « entre le droit individuel à la protection contre les poursuites criminelles injustifiées et l’intérêt public résidant dans la poursuite effective et sans entrave des criminels » : Miazga, par. 52.

[42]                          En revanche, ces raisons de principe ne s’appliquent pas au pouvoir de clémence du Ministre. Bien qu’il s’agisse d’un pouvoir hautement discrétionnaire, la latitude dont dispose le Ministre dans la prise de décisions n’est pas un élément essentiel à l’intégrité et à l’efficacité du système de justice criminelle proprement dit. En fait, la procédure de clémence « commence là où le droit finit » : Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice)2009 QCCA 746 (CanLII)[2009] R.J.Q. 1003, par. 14; voir aussi Thatcher c. Canada (Procureur général)1996 CanLII 4092 (CF)[1997] 1 C.F. 289 (1re inst.), par. 9. De plus, alors que l’exercice du pouvoir en matière de poursuites doit être à l’abri de l’influence du politique, le Ministre doit, lorsqu’il prend sa décision, soupeser des considérations sociales, politiques et économiques. Par ailleurs, l’indépendance du Ministre à l’égard de ce processus décisionnel n’est pas consacrée par la Constitution.

[43]                          Deuxièmement, fait important à noter, l’exercice de la prérogative royale est révisable par les tribunaux au même titre que l’exercice d’un pouvoir de source législative. Les décisions du Ministre sur les demandes de clémence sont donc assujetties au contrôle judiciaire : Operation Dismantle Inc. c. La Reine1985 CanLII 74 (CSC)[1985] 1 R.C.S. 441; P. W. Hogg, P. J. Monahan et W. K. Wright, Liability of the Crown (4e éd. 2011), p. 26; voir aussi Bilodeau c. Canada (Ministre de la Justice)2011 CF 886 (CanLII)Daoulov c. Canada (Procureur général)2009 CAF 12 (CanLII)388 N.R. 54Bilodeau (QCCA); Timm c. Canada (Procureur général)2012 CF 505 (CanLII), conf. par 2012 CAF 282 (CanLII)451 N.R. 250Thatcher. Ce n’est généralement pas le cas pour les décisions des procureurs de la Couronne d’intenter ou non des poursuites criminelles.

[44]                          La comparaison entre la prérogative du procureur de la Couronne en matière de poursuites et l’évolution du pouvoir de clémence dévolu au Ministre par le C.crrévèle des différences importantes entre la teneur de chacune des prérogatives. Cela commande d’analyser ces prérogatives sous un éclairage différent.

[45]                          Troisièmement, la question qui se pose en l’espèce concerne l’assujettissement de l’État fédéral au régime général de responsabilité civile extracontractuelle du Québec, comme le prescrit la L.R.C.E. Or, l’élément d’intention n’est normalement pas un prérequis pour établir cette responsabilité. Même en cas de faute lourde, l’élément intentionnel n’est pas exigé, contrairement au délit de poursuites abusives qui, lui, inclut nécessairement cet élément.

[46]                          Enfin, nous notons qu’à l’audience, le PGC n’a pas insisté sur cette norme très exigeante.

[47]                           En conséquence, nous sommes d’avis que pour apprécier la conduite du Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence, il n’y a pas lieu d’appliquer une norme de faute qui limite la mauvaise foi à une intention malveillante. La notion de mauvaise foi à laquelle renvoie l’arrêt Imperial Tobacco pour cerner les limites de l’immunité relative de l’État pour ses actes de puissance publique ne l’exige pas.

b)        La norme de faute à retenir en l’espèce

[48]                          En droit civil québécois, la notion de mauvaise foi est flexible et son contenu varie selon les domaines du droit : Entreprises Sibeca Inc. c. Frelighsburg (Municipalité)2004 CSC 61 (CanLII)[2004] 3 R.C.S. 304, par. 25.  Dans Finney, notre Cour a défini la portée d’une immunité d’origine législative prévoyant que le Barreau du Québec ne pouvait être poursuivi pour des actes accomplis de bonne foi. Elle a reconnu que la mauvaise foi a une portée plus large que celle de la seule faute intentionnelle ou de l’existence d’une volonté affirmée de nuire à autrui : par. 37. Elle englobe notamment la notion d’insouciance grave. Selon le juge LeBel :

. . . l’insouciance grave implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir, à tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi.  L’acte, dans les modalités de son accomplissement, devient inexplicable et incompréhensible, au point qu’il puisse être considéré comme un véritable abus de pouvoir par rapport à ses fins. [Nous soulignons; par. 39.]

[49]                          La définition de mauvaise foi établie dans Finney a été reprise par notre Cour dans Sibeca dans le contexte de l’immunité relative dont bénéficie une municipalité dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de réglementation. Les remarques de la juge Deschamps sur la nature de ce pouvoir peuvent être transposées en l’espèce :

Les municipalités exercent des fonctions qui requièrent la prise en considération d’intérêts multiples, parfois contradictoires.  Pour favoriser pleinement la résolution démocratique des conflits politiques, les corps publics élus doivent disposer d’une marge de manœuvre considérable.  Hors d’un contexte constitutionnel, il serait inconcevable que les tribunaux s’immiscent dans ce processus et s’imposent comme arbitres pour dicter la prise en considération d’un intérêt particulier.  Ils ne peuvent intervenir que s’il y a preuve de mauvaise foi.  La lourdeur et la complexité des fonctions inhérentes à l’exercice du pouvoir de réglementation justifient l’incorporation d’une protection, tant en droit civil qu’en common law. [par. 24]

[50]                          Pour la juge Deschamps, l’interprétation du concept de mauvaise foi proposée dans l’affaire Finney permet de viser tant les cas où les actes sont délibérément accomplis dans l’intention de nuire que ceux où une preuve circonstancielle de mauvaise foi s’avère nécessaire : Sibeca, par. 26.

[51]                          Selon nous, retenir une norme de mauvaise foi englobant l’insouciance grave telle qu’elle a été définie dans l’arrêt Finney et reprise dans Sibeca s’inscrit dans la logique du régime québécois de responsabilité civile. Cette norme rejoint d’ailleurs la notion de faute lourde, laquelle comprend l’insouciance grossière : voir art. 1474 C.c.Q.; J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, La responsabilité civile (8e éd. 2014), no 1-190.

[52]                          Il va de soi que cette norme se veut plus exigeante que celle de la faute simple à laquelle s’est erronément tenue la première juge en l’espèce. Une simple faute de la nature d’une erreur ou d’une imprudence cadre mal avec la notion de mauvaise foi qui forme les contours de l’immunité relative de l’État. Il serait d’ailleurs paradoxal que l’exercice du pouvoir de clémence du Ministre soit assujetti à une norme de décision raisonnable en cas de révision judiciaire et examiné sous l’angle de la faute simple en cas de responsabilité extracontractuelle. 

[53]                          En somme, échappent à l’immunité relative de l’État les décisions prises de mauvaise foi par le Ministre, y compris celles démontrant une insouciance grave de sa part au sens établi dans les arrêts Finney et Sibeca. La mauvaise foi peut être établie par une preuve montrant que le Ministre a agi délibérément dans l’intention arrêtée de nuire à autrui. Elle peut aussi l’être par une preuve d’insouciance grave révélant un dérèglement tellement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir que l’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi. C’est sous cet éclairage que l’on doit analyser l’obligation qui incombe au Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence.

(4)      L’obligation du Ministre

[68]                          Nous sommes d’avis qu’aux fins de détermination de la responsabilité extracontractuelle sous le régime québécois, l’obligation du Ministre se définit en fonction du sérieux apporté à l’examen de la demande de clémence. Cet examen doit s’entendre au sens que suggère le juge Rothstein. Un examen sérieux se distingue de l’étude fouillée et approfondie à laquelle se réfère la juge Poulin. Il va de soi que cet examen ne se veut pas non plus l’équivalent d’un nouveau palier d’appel. Dans la même veine, il n’est pas opportun de comparer l’enquête du Ministre à une enquête policière ou au travail d’une commission d’enquête. En revanche, une enquête bâclée ne saurait guère davantage être qualifiée de sérieuse. Il va sans dire que l’absence totale d’examen sérieux d’une demande qui n’est ni futile ni vexatoire constitue un manquement à l’obligation du Ministre, comme en a d’ailleurs convenu le PGC à l’audience. De plus, comme nous avons conclu qu’il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre le traitement d’une demande de clémence et la décision du Ministre sur cette demande, ces deux aspects du pouvoir de clémence sont intrinsèquement liés. L’obligation d’examen sérieux emporte donc celle de prendre une décision de bonne foi en fonction des éléments révélés par cet examen. Il convient enfin d’ajouter qu’à l’époque le Ministre n’avait pas à documenter son enquête ou à motiver sa décision discrétionnaire de quelque façon que ce soit. Cet élément a son importance dans notre évaluation de la preuve offerte.

[69]                          Puisque nous avons conclu à l’existence d’une immunité relative en faveur du Ministre dans l’exercice de son pouvoir de clémence, seul un manquement à son obligation équivalant à de la mauvaise foi ou à de l’insouciance grave pouvait entraîner la responsabilité de l’État. En somme, la preuve devait démontrer qu’il y avait eu mauvaise foi ou insouciance grave de sa part dans l’examen des demandes de clémence de M. Hinse auquel il était tenu.