R. c. Hilbach, 2023 CSC 3

Lorsqu’il entre en jeu, l’al. 718.2e) s’applique à trois différentes parties de l’analyse.

[41] Lorsqu’il entre en jeu, l’al. 718.2e) s’applique à trois différentes parties de l’analyse.

[42] Premièrement, dans le cadre d’une analyse fondée sur l’art. 12, les tribunaux doivent tenir compte de l’arrêt Gladue lorsqu’ils déterminent la peine de la personne délinquante en cause. L’omission de prendre en considération les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue est une erreur susceptible de mener à la conclusion qu’une peine n’est pas indiquée (Ipeelee, par. 86‑87). Ainsi, lorsque la personne délinquante est autochtone, comme M. Hilbach, le tribunal devra nécessairement tenir compte des principes énoncés dans l’arrêt Gladue afin de fixer une peine qui est juste et proportionnée à la première étape.

[43] Deuxièmement, les tribunaux peuvent examiner des situations mettant en cause des personnes délinquantes autochtones en élaborant des situations hypothétiques raisonnablement prévisibles (Hills, par. 86). Étant donné les statistiques sur l’emprisonnement des personnes autochtones, il est raisonnablement prévisible qu’un délinquant hypothétique soit autochtone, et la prise en compte de l’autochtonité d’une personne délinquante hypothétique, dans le contexte d’une situation hypothétique raisonnable, cadre avec les directives législatives impératives données par le Parlement à l’al. 718.2e). Les Autochtones aux prises avec la pauvreté, une situation précaire en matière de logement ou des déficiences et des dépendances comparaissent avec « une régularité effarante devant nos tribunaux provinciaux » et il est donc raisonnablement prévisible qu’ils commettent une infraction (Boudreault, par. 55).

[44] Enfin, l’autochtonité est pertinente à la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 12. Notre Cour affirme depuis longtemps que l’appréciation de la question de savoir si une peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée dépend, en partie, du fait qu’elle rend compte d’objectifs pénaux valables et de principes reconnus en matière de détermination de la peine (Boudreault, par. 48; Smith, p. 1072; R. c. Goltz, 1991 CanLII 51 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 485, p. 500; R. c. Latimer, 2001 CSC 1, [2001] 1 R.C.S. 3, par. 86; Morrisey, par. 28). Le cadre d’analyse énoncé dans l’arrêt Gladue pour l’application de l’al. 718.2e) est au cœur des principes de détermination de la peine au Canada depuis 1999. La méthodologie prescrite à l’al. 718.2e), ainsi que les normes qu’elle incarne, sont des éléments bien établis de notre jurisprudence en matière de détermination de la peine, tout autant que la parité et la proportionnalité. L’alinéa 718.2e) est nécessairement pertinent dans un cadre d’analyse fondé sur l’art. 12 qui exige que les tribunaux évaluent les effets des peines minimales obligatoires à la lumière des normes et objectifs de détermination de la peine. Qui plus est, comme l’illustre l’arrêt Boudreault, l’incidence d’une peine sur les objectifs du Parlement prévus à l’al. 718.2e) peut justifier l’invalidation d’une peine en application de l’art. 12. Par conséquent, rien ne justifie d’exclure la prise en compte de l’al. 718.2e) du Code criminel à l’une ou l’autre des étapes du cadre d’analyse de la disproportion exagérée.

[45] Les types de considérations susceptibles d’être soulevées en application de l’al. 718.2e) dans le cadre de la contestation d’une peine minimale obligatoire fondée sur l’art. 12 comprennent, par exemple, la question de savoir si une mesure probatoire aurait autrement été une solution de rechange valable à l’incarcération en application des principes de l’arrêt Gladue ou, comme dans l’arrêt Boudreault, la question de savoir si les effets d’une peine peuvent être particulièrement sévères lorsque les circonstances touchant les personnes délinquantes autochtones sont prises en compte (par. 94). Notre Cour a reconnu, par exemple, que les personnes délinquantes autochtones sont susceptibles d’être plus fortement affectées par l’incarcération que les personnes délinquantes non autochtones (Gladue, par. 68). Les tribunaux peuvent retenir ces préoccupations comme motifs qui étayent la conclusion qu’une peine minimale est exagérément disproportionnée, gardant à l’esprit qu’une violation de l’art. 12 demeure un critère exigeant et qu’une peine n’est pas exagérément disproportionnée en raison de la présence ou de l’absence d’un seul principe de détermination de la peine.

Les peines minimales obligatoires sont plus vulnérables sur le plan constitutionnel lorsqu’elles s’appliquent à une vaste gamme de circonstances.

Plus vaste est la portée de l’infraction faisant l’objet de la peine minimale, plus il est probable que la peine minimale imposera une longue peine d’emprisonnement pour un comportement qui présente peu de risques pour le public et comporte une faible faute morale

[52] Comme notre Cour l’a affirmé à maintes reprises, les peines minimales obligatoires sont plus vulnérables sur le plan constitutionnel lorsqu’elles s’appliquent à une vaste gamme de circonstances (Nur, par. 81‑82; Lloyd, par. 3, 24, 27 et 35‑36). Plus vaste est la portée de l’infraction faisant l’objet de la peine minimale, plus il est probable que la peine minimale imposera une longue peine d’emprisonnement pour un comportement qui présente peu de risques pour le public et comporte une faible faute morale (Hills, par. 125; Nur, par. 83). Par conséquent, le tribunal doit tenir compte du degré variable de la gravité de l’infraction et de la culpabilité en cause et se demander si la peine vise un comportement qui ne justifie pas l’imposition de la peine minimale obligatoire.

[53] En l’espèce, l’infraction de vol qualifié ne ratisse pas trop large de façon à englober des comportements qui comportent une faible faute morale ou qui présentent peu de risques pour la sécurité publique. La gravité de l’infraction et la culpabilité des personnes délinquantes qui en sont reconnues coupables sont relativement élevées. D’abord, même lorsqu’il est commis sans arme à feu, le vol qualifié est une infraction grave en raison de l’actus reus requis, c’est‑à‑dire le recours ou la menace de recours à la violence ou à la force lors du vol ou de la tentative de vol de biens. L’ajout d’une arme à feu à l’équation ne fait qu’accroître la gravité de l’infraction. De plus, la simple possession d’une arme à feu ne suffit pas pour conclure à la culpabilité du délinquant. Celui‑ci doit utiliser l’arme à feu lors de la perpétration de l’infraction. Comme l’a écrit notre Cour dans l’arrêt R. c. Felawka, 1993 CanLII 36 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 199, lorsqu’une arme à feu est utilisée pour menacer ou intimider, elle « incarne en soi la menace suprême de mort aux yeux de ceux qui y font face » (p. 211). Les armes à feu prohibées comptent parmi les outils les plus puissants dans la perpétration d’un crime. Par exemple, les carabines à canon tronqué peuvent avoir une force meurtrière, tout en étant plus faciles à dissimuler, à transporter et à manipuler dans des espaces restreints, comme les dépanneurs.

[54] Les conséquences préjudiciables de l’utilisation d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte lors de la perpétration d’un vol qualifié sont faciles à déterminer. Il y a le risque de décès ou de blessures corporelles graves pour les victimes et les passants si l’arme est déchargée. Même s’il n’y a pas de coups de feu, l’exposition à cette menace comporte le risque de préjudice psychologique profond. On peut s’attendre à ce que les commis de magasin qui sont victimes d’infractions comme celle perpétrée par M. Hilbach souffrent d’un préjudice psychologique. Dans l’affaire R. c. Al‑Isawi, 2017 BCCA 163, 348 C.C.C. (3d) 524, l’accusé s’était servi d’une fausse arme à feu pour commettre des vols qualifiés dans 10 petites pharmacies et avait été déclaré coupable de 10 chefs de vol qualifié en contravention du par. 85(2) du Code criminel. Cinq des victimes avaient fait état de sentiments d’hypervigilance, de traumatisme et de crainte pour leur sécurité personnelle (par. 29). Outre les menaces immédiates aux victimes, il existe des risques plus larges pour la collectivité. Brandir une arme à feu dans un magasin peut raisonnablement provoquer une réaction de recours à la force, soit par les policiers qui interviennent lors du vol qualifié en cours, soit par des passants qui tentent d’intervenir. Par conséquent, le risque d’escalade de la violence est aigu.

[55] L’usage d’une arme à feu prohibée non chargée ne réduit pas considérablement la gravité de l’infraction. La présence d’une arme à feu, même non chargée, [traduction] « crée en elle‑même une situation extrêmement instable et dangereuse » (Al‑Isawi, par. 57 (en italique dans l’original)). Une arme à feu chargée peut facilement être confondue avec une arme à feu non chargée, notamment par les personnes délinquantes elles‑mêmes. En outre, le fait d’accorder une peine à rabais pour avoir brandi une arme à feu non chargée ne tient pas compte du risque bien réel qu’une personne délinquante décharge accidentellement une arme à feu qu’elle croyait non chargée. Il fait également abstraction, pour des raisons pratiques, de la difficulté à prouver si l’arme à feu était chargée ou non, même si l’arme à feu utilisée a été récupérée. Qui plus est, une arme à feu non chargée est utilisée pour la même raison qu’une arme à feu chargée : pour laisser planer « la menace suprême de mort aux yeux de ceux qui y font face » (Felawka, p. 211). Les victimes de vol qualifié ne savent pas si l’arme à feu est chargée ou non. Il en va de même des passants et des policiers qui interviennent lors de vols qualifiés (R. c. Stewart, 2010 BCCA 153, 253 C.C.C. (3d) 301, par. 37; R. c. Uniat, 2015 ONCA 197, par. 5(CanLII)). Que l’arme à feu ait une force meurtrière au moment de l’infraction ou non, « [l]’utilisation d’une arme à feu lors de la perpétration d’un crime en exacerbe l’effet terrorisant, que l’arme soit vraie ou fausse. Ce but précis demeure dans l’un et l’autre cas » (Steele, par. 23). Par conséquent, le traumatisme psychologique associé à un vol qualifié commis avec une arme à feu non chargée est comparable à celui associé à un vol qualifié commis avec une arme à feu chargée (R. c. Breese, 2021 ONSC 1611, par. 34 (CanLII); R. c. John, 2016 ONSC 396, par. 27 (CanLII); R. c. Stoddart, [2005] O.J. No. 6076 (QL), 2005 CarswellOnt 6523 (WL) (C.S.J.), par. 6, conf. par 2007 ONCA 139, 221 O.A.C. 108; R. c. Asif, 2020 ONSC 1403, par. 40 (CanLII); R. c. Charley, 2019 ONSC 6490, par. 45 (CanLII)). Il en va de même du risque d’escalade de la violence.

[56] Les éléments moraux requis pour que le minimum s’applique suggèrent un degré relativement élevé de culpabilité. La personne délinquante qui commet un vol qualifié avec une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte doit avoir l’intention de voler et avoir l’intention d’« utiliser » la violence ou la force (ou de menacer de le faire). Elle doit faire le choix conscient d’avoir recours à la violence ou à la force. Pour que la peine minimale obligatoire s’applique, ce choix s’étend à la décision d’utiliser une arme à feu en particulier pour commettre l’infraction — la personne délinquante doit avoir l’intention d’employer l’arme. L’infraction ne consiste pas en une décision prise par inadvertance de mettre la sécurité du public à risque, mais en un choix conscient de mettre à grand risque la sécurité d’une autre personne.

Si elle a pour effet d’infliger à la personne délinquante des douleurs et des souffrances psychologiques au moyen d’une peine ou d’un traitement dégradant et déshumanisant, la peine est vulnérable sur le plan constitutionnel dans la mesure où elle porte atteinte à la dignité de la personne délinquante.

[59] Le deuxième élément exige que les tribunaux examinent les effets de la peine obligatoire sur la personne délinquante en cause. Si elle a pour effet d’infliger à la personne délinquante des douleurs et des souffrances psychologiques au moyen d’une peine ou d’un traitement dégradant et déshumanisant, la peine est vulnérable sur le plan constitutionnel dans la mesure où elle porte atteinte à la dignité de la personne délinquante (Hills, par. 133; Québec (Procureure générale) c. 9147‑0732 Québec inc., 2020 CSC 32, par. 51).

[60] Pour évaluer les effets — et donc les répercussions — qui découlent de la peine prescrite sur la personne délinquante réelle ou hypothétique, le tribunal doit tenir compte des années supplémentaires d’emprisonnement imposées par la peine minimale obligatoire. Toutefois, l’art. 12 suppose une analyse contextuelle et il n’y aucun nombre précis au‑delà ou en deçà duquel une peine devient exagérément disproportionnée. Le tribunal peut tenir compte des conditions de détention de la personne délinquante dans lesquelles elle purgera la peine obligatoire, y compris la question de savoir si la peine minimale obligatoire substitue l’emprisonnement à une mesure probatoire, ainsi que toute caractéristique ou circonstance qui accroît la sévérité de la peine dans le cas de la personne délinquante (Hills, par. 133). Il convient de répéter que l’accent est mis sur la peine, et non sur la possibilité d’une libération conditionnelle dans l’appréciation des effets de la peine minimale (Hills, par. 104, citant Bissonnette, par. 37 et 41, et Nur, par. 98).

Le besoin de dénonciation est étroitement lié à la gravité de l’infraction

[64] Dans ce volet, les tribunaux doivent d’abord examiner quels objectifs de détermination de la peine le Parlement a priorisés en adoptant la peine minimale obligatoire et, ensuite, se demander si la peine minimale va au‑delà de ce qui est nécessaire pour permettre au Parlement d’atteindre ses objectifs (Hills, par. 138). La dénonciation et la dissuasion sont des principes reconnus de détermination de la peine que le Parlement peut utiliser pour exprimer la désapprobation de l’État à l’égard des infractions graves (Hills, par. 139). Bien que les formes de punitions qui font totalement abstraction de la réinsertion sociale soient incompatibles avec la dignité humaine et violent l’art. 12 (Bissonnette, par. 85), aucun objectif de détermination de la peine ne peut être appliqué à l’exclusion de tous les autres (Nasogaluak, par. 43).

[65] Dès lors qu’il n’exclut pas complètement la réinsertion sociale de son calcul, le Parlement peut prioriser à juste titre certains objectifs, comme la dénonciation et la dissuasion, plutôt que d’autres lorsqu’il établit une peine minimale. Les peines exemplaires représentent « une déclaration collective [. . .] que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société » (R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 81). Lorsque les conséquences des infractions contreviennent manifestement au « code des valeurs fondamentales » de la population canadienne et commandent une forte condamnation, notre Cour fait preuve d’une plus grande déférence envers le Parlement lorsqu’il édicte une peine minimale obligatoire qui priorise la dénonciation (Hills, par. 139, citant Morrisey, par. 47). Le besoin de dénonciation est étroitement lié à la gravité de l’infraction (Hills, par. 139, citant Ipeelee, par. 37). De même, bien que la dissuasion à elle seule ne puisse empêcher une peine minimale obligatoire d’être cruelle et inusitée, elle peut « justifier l’infliction d’une peine qui, quoique sévère, se situe à l’intérieur de la fourchette des peines qui ne sont pas cruelles et inusitées » (Morrisey, par. 45).

Les tribunaux devraient plutôt se demander si la mesure dans laquelle le Parlement a choisi de prioriser la dénonciation et la dissuasion lorsqu’il a établi la peine est justifiée.