R. c. Ribeiro, 2024 QCCA 1528

Il serait sans doute préférable que la pratique de la police soit d’informer la personne arrêtée que le mandat dont elle fait l’objet a été visé, mais on ne peut considérer qu’il s’agit là d’une obligation impérative, précisément parce que la décision de mettre la personne en liberté ou non ne sera pas toujours prise au moment où le mandat est exécuté.

[17]      Le juge conclut que la police avait l’obligation d’informer immédiatement l’intimé du fait que le mandat d’arrestation dont il faisait l’objet était visé et que ce visa lui donnait le droit d’être remis en liberté sans délai. Rien dans le libellé de la Charte ou du Code criminel ou dans la jurisprudence n’appuie la conclusion voulant qu’une mise en garde de cette nature soit obligatoire et que l’omission de la faire équivaille à un abus de procédure de nature à soutenir une demande d’arrêt des procédures. L’inscription d’un visa sur le mandat décerné selon la formule 29 est une décision discrétionnaire qui appartient au juge autorisant le mandat[51]. Le visa ne crée aucune certitude, même lorsqu’il est demandé par le dénonciateur sollicitant la délivrance du mandat, et aucune analogie ne peut donc être faite avec le volet informationnel du droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’alinéa 10b) de la Charte. Il serait sans doute préférable que la pratique de la police soit d’informer la personne arrêtée que le mandat dont elle fait l’objet a été visé, mais on ne peut considérer qu’il s’agit là d’une obligation impérative, précisément parce que la décision de mettre la personne en liberté ou non ne sera pas toujours prise au moment où le mandat est exécuté. Tout au plus, informer la personne que le mandat est visé pourrait équivaloir à lui signaler la possibilité qu’elle soit mise en liberté par l’agent de police.

[18]      Le paragraphe 507(6) C.cr. prévoit qu’un juge qui décerne un mandat d’arrestation « peut » y inscrire un visa pour autoriser la mise en liberté du prévenu conformément à l’article 499. Selon cet article, un agent de la paix « peut » mettre le prévenu en liberté en lui délivrant une citation à comparaître ou sur remise d’une promesse. Les deux dispositions prévoient expressément qu’il s’agit de décisions discrétionnaires. L’article 499 C.cr n’oblige pas l’agent de la paix à mettre le prévenu en liberté et ne lui enlève pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de le faire au motif que cette mise en liberté ne serait pas dans l’intérêt public. Si le juge décernant le mandat était de cet avis, le mandat ne serait pas visé, mais si le mandat est visé, il n’empêche pas que l’intérêt public devienne plus tard une préoccupation pour l’agent de la paix. Ce pourrait être le cas, par exemple, si l’interrogatoire mené à la suite de l’exécution d’un mandat visé révèle des motifs de croire qu’il n’est pas dans l’intérêt public que l’agent de la paix mette le prévenu en liberté. La lecture que fait le juge de l’article 499 en l’espèce entraîne une conclusion incongrue : si les enquêteurs découvrent, une fois le mandat visé décerné, qu’il existe des motifs de croire que la mise en liberté n’est pas dans l’intérêt public, ils seraient tout de même contraints de mettre la personne arrêtée en liberté. Par exemple, si un mandat visé est exécuté et que, lors de l’interrogatoire qui s’ensuit, le prévenu affirme qu’il serait bien heureux d’avoir l’occasion d’accomplir à nouveau l’acte qui lui est reproché ou un autre acte d’une gravité comparable, il serait contraire à l’agencement des principes énoncés à la Partie XVI de conclure que le policier serait obligé, en raison du visa, de le mettre en liberté.

Le visa ne crée pas de droit à la libération provisoire; le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi au juge autorisateur n’implique pas non plus indirectement que les agents de la paix qui exécutent un mandat doivent absolument informer la personne arrêtée du fait qu’il est visé.

[20]      Le visa ne crée pas de droit à la libération provisoire; le pouvoir discrétionnaire conféré par la loi au juge autorisateur n’implique pas non plus indirectement que les agents de la paix qui exécutent un mandat doivent absolument informer la personne arrêtée du fait qu’il est visé. Le visa ne fait que déléguer à un agent de la paix le pouvoir de mettre en liberté ou de détenir, lequel est autrement réservé à un juge.

[21]      Le juge conclut que le visa inscrit sur un mandat selon la formule 29 équivaut à une ordonnance judiciaire de libération et que la police enfreint cette ordonnance si la personne arrêtée n’est pas mise en liberté une fois le mandat exécuté[54]. On ne trouve rien ni dans la Charte, ni dans le Code criminel ni dans la jurisprudence pour appuyer cette conclusion[55]. Il a été allégué que l’omission de la police d’ainsi libérer l’intimé a enfreint son droit à une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable prévu à l’alinéa 11e), mais sa requête ne contient aucune précision concernant cette allégation et les motifs du juge de première instance ne contiennent aucune conclusion à cet égard. L’intimé n’en a pas fait mention dans le cadre du présent appel. Faire une telle allégation par rapport à la mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable demande d’assimiler la mise en liberté par un agent de la paix à la mise en liberté provisoire par voie judiciaire. La jurisprudence n’appuie aucunement une telle équivalence entre ces formes de mises en liberté et ne reconnaît donc pas la portée très large du droit à la mise en liberté invoqué par l’intimé.

[22]      Or, le juge fait une allégation de portée encore plus vaste, selon laquelle un mandat visé selon la formule 29 serait en soi une ordonnance de libération dans les plus brefs délais. Dans ses motifs, il conclut que l’effet du visa ne consiste pas en une délégation par le juge décernant le mandat du pouvoir discrétionnaire de libérer, mais en une obligation de libérer, car le verbe « pouvoir » devrait être interprété comme « devoir »[56]. S’il est vrai que la distinction entre le verbe « pouvoir » permissif (et discrétionnaire) et le verbe « devoir » contraignant est parfois ambiguë dans certains contextes[57], il n’existe aucune ambiguïté relativement au visa selon la formule 29. Le Code criminel confère au juge qui décerne un mandat le pouvoir discrétionnaire de déférer à la police la décision de mettre ou non la personne arrêtée en liberté, car au moment où le mandat est décerné et au moment où il est exécuté, ni le juge ni la police n’est en mesure de déterminer si l’intérêt public sera mieux servi par la mise en liberté ou par le maintien de la détention en attendant la comparution. L’effet immédiat du visa est de déférer la décision et de suspendre l’obligation de contraindre la personne à comparaître devant un juge directement et sans libération provisoire dans les vingt-quatre heures[58]. Il s’agit d’une autorisation – une autorisation déléguée, mais pas un ordre[59]. Il s’agit d’une décision judiciaire discrétionnaire selon laquelle la police pourra mettre la personne arrêtée en liberté si le maintien de sa détention n’est pas nécessaire dans l’intérêt public pour la contraindre à comparaître devant le tribunal. Il est inhérent à cette forme de procédure qu’aucun délai ne peut être prescrit. La personne inculpée ne possède pas de droit à une mise en liberté immédiate parce que le mandat a été visé. Au mieux, elle a droit d’être mise en liberté dans les meilleurs délais dès que cela est possible une fois que les agents de police ont déterminé que le maintien de sa détention n’est pas nécessaire.

S’il était démontré que l’omission d’informer une personne immédiatement que le mandat dont elle fait l’objet est visé et l’omission de mettre cette personne en liberté dans les meilleurs délais étaient attribuables à la mauvaise foi ou à un mépris délibéré des dispositions de la Charte ou du Code criminel, la détention d’une personne arrêtée en vertu d’un mandat visé pourrait donner ouverture à une demande fondée sur l’article 9 de la Charte.

[24]      L’omission d’informer une personne immédiatement que le mandat dont elle fait l’objet est visé et l’omission de mettre cette personne en liberté dans les meilleurs délais ne peuvent être interprétées comme équivalant à une détention arbitraire au sens de l’article 9 de la Charte, sans supposer des conditions d’utilisation de cette procédure qui ne trouvent aucun fondement dans le Code criminel  S’il était démontré que ces omissions étaient attribuables à la mauvaise foi ou à un mépris délibéré des dispositions de la Charte ou du Code criminel, la détention d’une personne arrêtée en vertu d’un mandat visé pourrait donner ouverture à une demande fondée sur l’article 9 de la Charte. Il n’y a en l’espèce aucune preuve indiquant une telle conduite et en l’absence d’une telle preuve, l’article 9 ne peut servir de fondement pour interpréter le Code criminel en y ajoutant des conditions ou obligations qui n’existent pas. Rien n’indique que par sa conduite l’État a exercé sur l’intimé une pression coercitive ou intimidante[61].

[26]      Bien que le maintien en détention de l’intimé ne constitue pas une violation de l’article 9, nous verrons ci-dessous que la question demeure pertinente pour déterminer si la poursuite de l’interrogatoire de l’intimé maintenu en détention a eu une incidence sur sa liberté de choisir de s’adresser aux enquêtrices ou de garder le silence.

Il n’est pas contesté que les enquêteurs ont le droit d’interroger une personne inculpée, arrêtée et détenue en vertu d’un mandat visé. Une des justifications évidentes derrière ce principe général est que l’inculpation ne signifie pas que le dossier est suffisant, complet et prêt à procéder.

[41]      Il n’est pas contesté que les enquêteurs ont le droit d’interroger une personne inculpée, arrêtée et détenue en vertu d’un mandat visé[68]. Il n’est pas non plus contesté que l’interrogatoire peut commencer et se poursuivre de façon persistante même si la personne interrogée invoque son droit de garder le silence. À cet égard, la jurisprudence confirme que la personne interrogée doit faire le choix d’exercer son droit de garder le silence et maintenir ce choix. Une des justifications évidentes derrière ce principe général est que l’inculpation ne signifie pas que le dossier est suffisant, complet et prêt à procéder.

[42]      En l’espèce, le juge de première instance a conclu que la police ne pouvait pas poursuivre une enquête en interrogeant une personne arrêtée en vertu d’un mandat visé. Cette conclusion implique que la personne inculpée et arrêtée serait à l’abri de toute enquête plus approfondie, non seulement en raison du principe interdisant l’auto-incrimination, mais aussi en raison de la présomption d’innocence[69]. Dans les faits, cette thèse assimile la personne arrêtée à un témoin et la position de l’agent de police à celle d’un avocat de la poursuite en salle d’audience. Comme je l’ai déjà signalé, une assimilation de cette sorte est sans fondement juridique ou conceptuel.

Une déclaration sera donc inadmissible si les circonstances dans lesquelles elle a été obtenue et la façon dont elle l’a été soulèvent un doute à savoir si elle résulte d’un libre choix, indépendamment des considérations spécifiquement associées à la règle des confessions.

[44]      En l’espèce, la question en litige consiste à déterminer si la poursuite de l’interrogatoire de l’intimé qui se trouvait en état d’arrestation, malgré ses 39 revendications du droit au silence, a entraîné une violation qui mérite réparation et, le cas échéant, quelle serait cette réparation. Si une déclaration résulte d’un état d’esprit conscient qui n’est pas sous l’influence de promesses ou de menaces ou de conditions oppressives, elle sera inadmissible si elle a été obtenue dans des conditions qui privent la personne de la liberté de choix. Cela n’empêche pas les enquêteurs d’user de tous les moyens de persuasion légitimes en vue d’obtenir une déclaration, mais cela limite les moyens de persuasion acceptables.

[45]      Dans Hebert, cette limite est formulée de la façon suivante :

La persuasion policière qui ne prive pas le suspect de son droit de choisir ni de son état d’esprit conscient ne viole pas le droit de garder le silence.[75]

[46]      Déterminer si la conduite des enquêteurs prive une personne du choix de parler ou de garder le silence exige une appréciation objective de l’ensemble des circonstances[76].

[47]      Cela a été exprimé clairement dans Singh[77], puis réitéré dans Sinclair :

[62]     […] [L]es confessions doivent être volontaires dans le sens large maintenant reconnu en droit. La police doit non seulement respecter les obligations qui lui incombent selon l’al. 10b), mais aussi conduire l’entretien en se conformant strictement à la règle des confessions. Sur ce point, nous ne partageons pas l’avis du juge Binnie selon lequel le test énoncé dans Oickle pour statuer sur le caractère volontaire des confessions « a établi des conditions très strictes pour rendre [celles-ci] inadmissibles » (par. 92). Comme il est expliqué plus en détail dans Singh, la règle des confessions est de nature générale et englobe manifestement le droit au silence. Loin de restreindre le droit au silence garanti aux détenus par la Constitution, sa reconnaissance en tant que composante de la règle de common law le renforce, car tout doute raisonnable au sujet du caractère volontaire entraîne obligatoirement l’exclusion automatique de la déclaration. Nous ne partageons pas non plus l’avis des juges LeBel et Fish selon lequel le nombre de fois que M. Singh a affirmé qu’il n’avait rien à dire au cours de son entretien démontre que la protection offerte par la règle des confessions n’a aucune importance (par. 183). On ne peut déterminer le caractère volontaire qu’en tenant compte de l’ensemble des circonstances. Comme l’a indiqué la majorité dans Singh, par. 53 :

Là encore, il faut souligner que ces situations dépendent fortement des faits de chaque affaire et que le juge du procès doit tenir compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer si le ministère public a établi que la confession de l’accusé est volontaire. Dans certains cas, la preuve permettra de conclure que la poursuite de l’interrogatoire de la police, malgré que l’accusé ait invoqué, à maintes reprises, son droit de garder le silence, a privé ce dernier de la possibilité de faire un choix utile de parler ou de garder le silence : voir l’arrêt Otis. Le nombre de fois que l’accusé invoque son droit de garder le silence entre dans l’appréciation de l’ensemble des circonstances, mais il n’est pas déterminant en soi. En définitive, la question est de savoir si l’accusé a usé de son libre arbitre en choisissant de faire une déclaration : Otis, par. 50 et 54.

[…]

[63]      Nos collègues les juges LeBel et Fish affirment également que, selon notre approche, le détenu est effectivement forcé de participer à l’enquête policière, laissant entendre qu’en soi le fait de poser des questions à un suspect va à l’encontre de la présomption d’innocence et de la protection contre l’auto-incrimination. Il est clair que cette affirmation est contraire à la jurisprudence et à la pratique établies. À notre avis, pour définir la portée du droit au silence reconnu à l’art. 7 et celle des droits connexes garantis par la Charte, il faut tenir compte non seulement de la protection des droits de l’accusé, mais aussi de l’intérêt de la société à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et soient résolus. La police a l’obligation d’enquêter sur les crimes présumés et, dans l’exercice de cette fonction, elle doit nécessairement interroger des sources d’information pertinentes, y compris les personnes soupçonnées ou même accusées d’avoir commis le crime présumé. Certes, la police doit respecter les droits que la Charte garantit à un individu, mais la règle selon laquelle elle doit automatiquement battre en retraite dès que le détenu déclare qu’il n’a rien à dire ne permet pas, à notre avis, d’établir le juste équilibre entre l’intérêt public à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et l’intérêt du suspect à ne pas être importuné.[78]

Le maintien de la détention jusqu’à l’obtention d’une confession est une forme de persuasion inacceptable.

[48]      Deux éléments revêtent une importance toute particulière en l’espèce[79]. Le premier est que l’intimé se trouvait en état d’arrestation et était détenu quand les enquêtrices ont mené leur long interrogatoire avec l’objectif précis d’obtenir une déclaration. Le second est que les enquêtrices ont ignoré les revendications répétées de l’intimé quant à son droit de garder le silence.

[49]      En ce qui concerne le premier élément, l’intimé a été arrêté et détenu en tant que personne inculpée en vertu d’un mandat visé, puis maintenu en détention jusqu’à ce que les enquêtrices obtiennent une déclaration. Difficile de dire si la conduite des enquêtrices peut se concilier avec la thèse selon laquelle « [d]etention until confession in an unacceptable form of persuasion »[80]. Après Hebert, notre Cour a énoncé cette thèse dans l’arrêt Timm, puis celle-ci a été observée de façon consistante au cours des années suivantes[81]. Le second élément à prendre en considération, dans les circonstances de l’espèce, est de savoir si, alors que l’intimé se trouvait en état d’arrestation et que sa détention se poursuivait, les enquêtrices ont passé outre ses revendications répétées du droit au silence.

[50]      En l’espèce, le voir-dire sur la requête en arrêt des procédures n’a pas été tenu pour traiter de questions liées à la violation alléguée du droit de garder le silence. Pour le dire plus précisément, il n’y a eu aucun voir-dire visant à traiter d’une possible privation de la capacité de l’intimé de choisir librement de répondre aux questions ou de faire une déclaration en conséquence de l’interrogatoire persistant mené durant la détention continue malgré ses revendications répétées du droit de garder le silence. L’allégation de violation du droit de garder le silence a été faite au soutien de la requête en arrêt des procédures. Aucun voir-dire n’a été tenu sur la question de l’application de la règle de common law régissant les confessions.

[51]      La question de la violation alléguée du droit au silence ne peut être entièrement résolue dans le cadre du présent pourvoi. Il reste en effet à déterminer s’il y a eu violation et si la question devrait être abordée sous l’angle de la Charte ou de la règle régissant les confessions. Il reste à déterminer en l’espèce si l’effet combiné du maintien en détention et du mépris des revendications du droit au silence soulève un doute raisonnable, voire prouve que l’intimé a été privé de la possibilité de choisir librement de répondre aux questions ou de faire une déclaration. Si c’est le cas, toute déclaration obtenue lors de l’entrevue du 2 décembre 2020 pourrait s’avérer inadmissible par application de la Charte ou de la règle de common law régissant les confessions. Ces questions n’ont toutefois pas été débattues dans le cadre de la requête en arrêt des procédures.