L’arrêt R. c. Handy dit clairement qu’une preuve de propension reste une preuve de propension, « quel que soit le nom qu’on lui donne ».
[31] L’intimée soutient que « [s]’agissant d’une déclaration de l’appelant captée intégralement sur écoute électronique après le meurtre, elle n’est assujettie qu’à la règle de pertinence liée au comportement postdélictuel de l’accusé »[15]. Je ne suis pas d’accord. L’arrêt R. c. Handy dit clairement qu’une preuve de propension reste une preuve de propension, « quel que soit le nom qu’on lui donne »[16] :
[59] Il arrive qu’on laisse entendre que, lorsque la preuve de faits similaires se rapporte à une question autre que la « simple » propension ou prédisposition « générale », elle cesse en quelque sorte de constituer une preuve de propension. Je ne crois pas que ce soit le cas.
[…]
[61] En d’autres termes, bien que la détermination de la question en litige définisse la fin à laquelle la preuve est produite, elle ne modifie pas (et ne peut pas modifier) le caractère inhérent de la preuve de propension, qui doit être reconnu pour ce qu’il est. J’estime qu’en confirmant le caractère véritable de cette preuve, notre Cour met à l’avant‑plan son caractère potentiellement dangereux.[17]
[32] L’appelant a donc raison de plaider que sa déclaration à M. Comoe ne cesse pas d’être une preuve de conduite indigne, donc généralement inadmissible, du seul fait qu’elle constitue aussi une preuve de comportement postérieur à l’infraction.
[33] Enfin, toujours dans R. c. Handy, le juge Binnie, après avoir souligné l’importance de cerner la « question soulevée » à laquelle la preuve de propension se rapporte (ou la fin à laquelle elle est produite), rappelle qu’une telle preuve peut être admissible si elle satisfait à deux conditions :
[71] Notre Cour s’est souvent efforcée de souligner que la prédisposition générale de l’accusé ne peut pas être une « question soulevée ». Comme nous l’avons vu, la preuve de faits similaires peut être admissible si, et seulement si, elle tend à établir davantage qu’une propension générale (préjudice moral) et si elle est plus probante que préjudiciable relativement à une question soulevée par le crime maintenant reproché. Je considère juste l’opinion incidente exprimée par le lord juge en chef Goddard dans l’arrêt R. c. Sims, [1946] 1 All E.R. 697 (C.C.A.), p. 700, selon laquelle [TRADUCTION] « [i]l ne faut pas juger une preuve irrecevable pour la seule raison qu’elle tend à établir les mauvaises dispositions de l’accusé, mais il faut le faire seulement si elle ne prouve rien d’autre », pourvu que « ce quelque chose d’autre » soit interprété comme désignant une valeur probante supérieure au préjudice susceptible de résulter. Ainsi, par exemple, dans l’arrêt B. (F.F.), précité, l’accusé était inculpé d’avoir agressé sexuellement une enfant confiée à ses soins. Les frères de la plaignante ont produit une preuve de faits similaires concernant les agressions physiques commises par l’accusé au sein du foyer et la domination violente qu’il y exerçait. Le juge Iacobucci a affirmé, au nom des juges majoritaires, à la p. 731 :
… la preuve qui tend à démontrer la mauvaise moralité de l’accusé ou l’existence chez lui d’une propension criminelle est admissible (1) si elle a rapport à une autre question litigieuse que la propension ou la moralité, et (2) si sa valeur probante l’emporte sur son effet préjudiciable.
[72] La preuve d’une prédisposition générale est une fin prohibée. La mauvaise moralité n’est pas une infraction en droit. La preuve d’une propension déshonorante ou de la moralité en général n’engendre rien de plus qu’un « préjudice moral » et le ministère public n’est pas habilité à alléger la charge qui lui incombe en présentant l’accusé comme une mauvaise personne. […][18]
[Soulignements et italiques dans l’original]
Il appartient au jury de déterminer, eu égard à l’ensemble de la preuve, si le comportement de l’accusé après l’infraction est lié au crime qui lui est reproché, plutôt qu’à un autre acte coupable[21]. C’est vrai, mais encore faut-il que cette inférence puisse être tirée de la preuve autrement qu’au moyen d’un raisonnement fondé sur la propension.
[38] En l’absence d’élément de preuve étayant le fait que l’appelant parlait du meurtre de M. D’Onofrio, cette déclaration ne tend à prouver rien d’autre que la propension de l’appelant à commettre des meurtres. On l’a vu, une telle preuve de propension ou de prédisposition générale est inadmissible en raison du risque élevé de préjudice moral pour l’accusé. Dans R. c. B. (C.R.), le juge Sopinka, dissident, décrit bien la nature de ce préjudice :
La principale raison de la règle d’exclusion relative à la propension est qu’il existe une tendance tout à fait humaine à juger les actes d’une personne en fonction de son caractère. Surtout avec des jurys, la tentation serait forte de conclure qu’un voleur a volé, qu’un homme violent a commis des voies de fait et qu’un pédophile s’est livré à des actes de pédophilie. Cependant, les principes du droit vont tout à fait à l’encontre de ce mode de raisonnement.[20]
[39] Ici, le jury a pu succomber à la tentation de conclure qu’un « tireur » a tiré, comme il a pu vouloir punir l’appelant pour d’autres crimes. Incidemment, le fait que le mot « déjà » puisse signifier qu’il tirait du monde « encore » ne change rien à la nature véritable de la preuve, qui reste une preuve de propension, ni à son caractère potentiellement dangereux.
[40] En bref, la déclaration de l’appelant, quoique postérieure à l’infraction, possède les caractéristiques d’une preuve de conduite indigne généralement inadmissible selon les principes énoncés dans R. c. Handy. Puisqu’elle ne se rapporte pas à une autre question litigieuse que la propension ou la moralité de l’appelant, elle ne satisfait pas à la première condition pour être admissible.
[41] L’intimée rétorque qu’en règle générale, il appartient au jury de déterminer, eu égard à l’ensemble de la preuve, si le comportement de l’accusé après l’infraction est lié au crime qui lui est reproché, plutôt qu’à un autre acte coupable[21]. C’est vrai, mais encore faut-il que cette inférence puisse être tirée de la preuve autrement qu’au moyen d’un raisonnement fondé sur la propension. Si la seule façon de relier le comportement de l’accusé au crime reproché consiste à tenir un tel raisonnement, la preuve est inadmissible.
[42] Au risque de me répéter, j’estime que la seule façon pour le jury de conclure que l’appelant parlait implicitement du meurtre de M. D’Onofrio est sa déclaration elle-même, c’est-à-dire le fait qu’à une époque il tirait du monde déjà. Ce mode de raisonnement est contraire au droit.