L’une des exigences fondamentales de la primauté du droit veut qu’une personne puisse savoir qu’un acte est criminel avant de l’accomplir.
[27] Enfin, lorsqu’ils interprètent une disposition de droit criminel comme l’al. 254(2)b), les tribunaux doivent être soucieux de ne pas créer d’incertitude, car « [l]’une des exigences fondamentales de la primauté du droit veut qu’une personne puisse savoir qu’un acte est criminel avant de l’accomplir » (R. c. Mabior, 2012 CSC 47, [2012] 2 R.C.S. 584, par. 14; voir aussi R. c. Kelly, 1992 CanLII 62 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 170, p. 203; R. c. Levkovic, 2013 CSC 25, [2013] 2 R.C.S. 204, par. 1; Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), 1990 CanLII 105 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1123, p. 1155).
Le mot « immédiatement » comprend implicitement un délai d’ordre opérationnel, car l’agent « doit préparer le matériel et indiquer au suspect ce qu’il doit faire ».
[32] Certes, le mot « immédiatement » comprend implicitement un délai d’ordre opérationnel, car l’agent « doit préparer le matériel et indiquer au suspect ce qu’il doit faire » (Bernshaw, par. 64). Toutefois, ce n’est pas ce type de délai qui est en cause en l’espèce, mais plutôt le délai relatif à la livraison d’un appareil sur les lieux.
La constitutionnalité de l’al. 254(2)b) C. cr. dépend d’une interprétation du mot « immédiatement » conforme à son sens ordinaire. Plus le mot « immédiatement » est interprété avec souplesse, moins la justification reconnue à la restriction du droit à l’assistance d’un avocat tient la route.
[34] La constitutionnalité de l’al. 254(2)b) C. cr. dépend d’une interprétation du mot « immédiatement » conforme à son sens ordinaire :
Le paragraphe 254(2) autorise le contrôle routier pour vérifier la consommation d’alcool, sous peine de poursuite criminelle, en violation des art. 8, 9 et 10 de la Charte canadienne des droits et libertés. Sans son exigence d’immédiateté, le par. 254(2) ne résisterait pas à l’examen de sa constitutionnalité. Cette exigence ne saurait être élargie au point d’englober la nature et l’étendue du retard survenu en l’espèce.
(Woods, par. 15)
[35] En effet, bien que le conducteur intercepté soit détenu pendant la réalisation de la première étape de la procédure de détection, il n’a pas droit à l’assistance d’un avocat; il n’y a droit qu’à la seconde étape (Woods, par. 31). C’est le cas, car la présence du mot « immédiatement » comprend une restriction implicite au droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’al. 10b) de la Charte. Il s’agit d’une condition d’application de l’al. 254(2)b) C. cr.; puisque le conducteur détenu doit fournir immédiatement un échantillon d’haleine, il ne peut consulter un avocat préalablement. Notre Cour a reconnu que cette restriction à l’al. 10b) de la Charte est justifiée au regard de l’article premier (Thomsen, p. 653; Woods, par. 30), précisément en raison de la très courte durée de la détention (Bernshaw, par. 23). Plus le mot « immédiatement » est interprété avec souplesse, moins la justification reconnue à la restriction du droit à l’assistance d’un avocat tient la route.
[36] De plus, comme je l’ai mentionné précédemment, le conducteur qui refuse ou omet d’obtempérer à l’ordre formulé s’expose à des sanctions criminelles aux termes du par. 254(5) C. cr. Ne constitue donc pas une infraction l’expression d’une intention de refuser lorsque l’ADA arrivera sur les lieux; c’est le refus de fournir immédiatement l’échantillon qui, sans excuse raisonnable, constitue l’infraction (Woods, par. 14 et 45). Cela suggère qu’il doit exister une possibilité matérielle et réelle d’obtempérer.
L’abrogation ou la modification, en tout ou en partie, d’un texte ne constitue pas ni n’implique une déclaration sur l’état antérieur du droit.
[42] Premièrement, l’évolution législative subséquente, soit les modifications apportées à la version d’une disposition en vigueur au moment des faits, « ne peut jeter aucune lumière sur l’intention du législateur, qu’il soit fédéral ou provincial » quant à cette version antérieure aux modifications (États‑Unis d’Amérique c. Dynar, 1997 CanLII 359 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 462, par. 45; voir aussi Banque de Montréal c. Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 R.C.S. 725, par. 78). Comme le précise le par. 45(3) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, c. I‑21, « [l]’abrogation ou la modification, en tout ou en partie, d’un texte ne constitue pas ni n’implique une déclaration sur l’état antérieur du droit. » Dans le même ordre d’idées, le par. 45(4) de la Loi d’interprétationajoute que « [l]a nouvelle édiction d’un texte, ou sa révision, refonte, codification ou modification, n’a pas valeur de confirmation de l’interprétation donnée, par décision judiciaire ou autrement, des termes du texte ou de termes analogues. »
[43] Même dans l’hypothèse où la conservation du mot « immédiatement » au par. 320.27(1) C. cr. (le mot « forthwith » a été remplacé par « immediately » dans la version anglaise) pourrait être vue comme une confirmation de l’interprétation que lui ont donnée les tribunaux (et qu’est présumé connaître le législateur), ce corpus jurisprudentiel est composé, au premier chef, des arrêts Thomsen, Grant, Bernshaw et Woods de notre Cour qui interprètent ce mot conformément à son sens ordinaire, sauf dans des circonstances inhabituelles (motifs de la C.A., par. 67 in fine). Comme le souligne à juste titre le juge Doyon dans ses motifs, si le Parlement souhaitait s’éloigner de cette interprétation, il lui était loisible d’employer d’autres termes — tels que « dès que raisonnablement possible » ou « dans les meilleurs délais » (par. 68). Pourtant, il ne l’a pas fait.
[44] Deuxièmement, et plus important encore, il existe une différence conceptuelle entre l’exigence de possession prévue au par. 320.27(2) C. cr. et l’exigence d’immédiateté, laquelle est relative à la temporalité. D’ailleurs, le mot « immédiatement » figure aussi au par. 320.27(2) C. cr. Il s’ensuit que les enseignements du présent arrêt relatifs à l’interprétation de l’exigence d’immédiateté contenue à l’al. 254(2)b) C. cr. s’appliquent à l’interprétation du mot « immédiatement » figurant à l’al. 320.27(1)b) C. cr.
Il est préférable que celles‑ci soient identifiées au cas par cas, à la lumière des faits propres à chaque affaire. Cependant, afin de guider les tribunaux d’instance inférieure dans cet examen, il importe de tracer des lignes directrices.
[54] Comme je l’ai mentionné, pour les besoins du présent pourvoi, il n’est ni nécessaire ni souhaitable d’identifier dans l’abstrait et exhaustivement les circonstances pouvant être qualifiées d’inhabituelles et pouvant justifier une interprétation souple de l’exigence d’immédiateté. Il est préférable que celles‑ci soient identifiées au cas par cas, à la lumière des faits propres à chaque affaire. Cependant, afin de guider les tribunaux d’instance inférieure dans cet examen, il importe de tracer des lignes directrices.
[55] Premièrement, le fardeau de démontrer l’existence de circonstances inhabituelles repose sur le ministère public.
[56] Deuxièmement, comme dans l’arrêt Bernshaw, les circonstances inhabituelles doivent être identifiées eu égard au texte de la disposition (Piazza, par. 82). Ceci permet de préserver l’intégrité constitutionnelle de la disposition en faisant en sorte que les tribunaux n’élargissent pas indûment le sens ordinaire strictement réservé au mot « immédiatement ».
[57] Tout comme la disposition en cause dans l’arrêt Bernshaw, l’al. 254(2)b) C. cr. prévoit que l’échantillon recueilli doit être nécessaire à la réalisation d’une « analyse convenable », ce qui ouvre la porte à des délais causés par des circonstances inhabituelles relatives à l’utilisation de l’appareil ou à la fiabilité du résultat.
[58] Ceci dit, les tribunaux pourraient reconnaître des circonstances inhabituelles autres que celles directement liées à l’utilisation de l’ADA ou à la fiabilité du résultat qui sera généré. Par exemple, dans l’optique où la procédure de détection d’alcool au volant vise d’abord et avant tout à assurer la sécurité de tous, des circonstances relatives à l’urgence d’assurer la sécurité du public ou celle des agents de la paix pourraient être reconnues.
[59] Troisièmement, les circonstances inhabituelles ne peuvent être le résultat de considérations budgétaires ou d’efficacité pratique. Une interprétation souple de l’exigence d’immédiateté ne peut être justifiée par l’importance des fonds publics devant être affectés à l’approvisionnement des forces policières en ADA, ou par le temps requis pour former des agents à leur utilisation. De telles considérations utilitaires n’ont rien d’inhabituel. Le lot quotidien de tout gouvernement consiste à allouer des ressources budgétaires limitées (Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique, 2020 CSC 13, [2020] 1 R.C.S. 678, par. 153).
Il doit être possible pour les justiciables de connaître à l’avance la nature criminelle de l’acte avant de l’accomplir.
[63] Avec égards, je ne suis pas d’accord. Comme je l’ai expliqué plus tôt, l’immédiateté qualifie l’ordre de fournir un échantillon d’haleine. C’est le refus d’obéir à cet ordre de fournir immédiatement l’échantillon qui constitue une infraction criminelle, et non pas l’expression anticipée d’un refus d’obtempérer à l’ordre lorsqu’un ADA sera disponible sur les lieux. Au demeurant, et comme le note avec justesse le juge Doyon aux par. 49‑50 et 55 du jugement de la Cour d’appel, comment une personne peut‑elle engager sa responsabilité criminelle pour avoir refusé d’obéir à un ordre, soit celui de fournir un échantillon d’haleine, auquel il était concrètement impossible d’obéir en raison de l’absence d’ADA au moment de la formulation de l’ordre? Poser la question, c’est y répondre.
[64] Plus fondamentalement, un même ordre ne peut être à la fois valide et invalide. En d’autres termes, et pour reprendre dans leur essence les propos de la Cour d’appel, la validité de l’ordre ne peut être conditionnelle au délai de livraison de l’ADA à destination (motifs de la C.A., par. 51‑61). Cette situation prévaudrait si l’on adhérait à l’approche du ministère public et de la Cour d’appel de l’Ontario.
[65] Une telle approche place le conducteur devant une incertitude insoutenable. En effet, suivant un principe de droit élémentaire, nul n’est censé ignorer la loi. Dès lors, il doit être possible pour les justiciables de connaître à l’avance la nature criminelle de l’acte avant de l’accomplir (Mabior, par. 14). Lorsqu’un conducteur détenu est appelé à répondre à un ordre lui intimant de fournir un échantillon d’haleine, il doit être en mesure de savoir si l’ordre est valide et si son refus engagera sa responsabilité criminelle (motifs de la C.A., par. 51). Dans un contexte où ce dernier n’a pas le bénéfice de l’assistance d’un avocat, on ne saurait légitimement et réalistement attendre de lui qu’il accepte à l’avance d’obtempérer, puis qu’il sache ensuite déterminer à quel moment le délai de livraison de l’ADA justifie un refus. De même, cela démontre pourquoi il faut adopter une approche restrictive dans l’identification de ce qui peut constituer une « circonstance inhabituelle » permettant une interprétation souple du mot « immédiatement ». Plus l’interprétation est flexible, transformant ainsi l’exigence d’immédiateté en une exigence à géométrie variable, plus l’assistance d’un avocat devient nécessaire pour le conducteur (R. c. Talbourdet(1984), 1984 CanLII 2573 (SK CA), 9 D.L.R. (4th) 406 (C.A. Sask.), p. 414‑415, a contrario). C’est, du reste, le souhait qu’a exprimé l’intimé après avoir refusé une première fois de fournir un échantillon d’haleine.
Il faut adopter une approche restrictive dans l’identification de ce qui peut constituer une « circonstance inhabituelle » permettant une interprétation souple du mot « immédiatement ».
[65] Une telle approche place le conducteur devant une incertitude insoutenable. En effet, suivant un principe de droit élémentaire, nul n’est censé ignorer la loi. Dès lors, il doit être possible pour les justiciables de connaître à l’avance la nature criminelle de l’acte avant de l’accomplir (Mabior, par. 14). Lorsqu’un conducteur détenu est appelé à répondre à un ordre lui intimant de fournir un échantillon d’haleine, il doit être en mesure de savoir si l’ordre est valide et si son refus engagera sa responsabilité criminelle (motifs de la C.A., par. 51). Dans un contexte où ce dernier n’a pas le bénéfice de l’assistance d’un avocat, on ne saurait légitimement et réalistement attendre de lui qu’il accepte à l’avance d’obtempérer, puis qu’il sache ensuite déterminer à quel moment le délai de livraison de l’ADA justifie un refus. De même, cela démontre pourquoi il faut adopter une approche restrictive dans l’identification de ce qui peut constituer une « circonstance inhabituelle » permettant une interprétation souple du mot « immédiatement ». Plus l’interprétation est flexible, transformant ainsi l’exigence d’immédiateté en une exigence à géométrie variable, plus l’assistance d’un avocat devient nécessaire pour le conducteur (R. c. Talbourdet(1984), 1984 CanLII 2573 (SK CA), 9 D.L.R. (4th) 406 (C.A. Sask.), p. 414‑415, a contrario). C’est, du reste, le souhait qu’a exprimé l’intimé après avoir refusé une première fois de fournir un échantillon d’haleine.