Boutarene c. R., 2020 QCCA 1392

Le juge doit alors être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la relation du témoin avec la personne accusée lui offre un niveau de familiarité permettant de fournir des informations pertinentes et autrement indisponibles sur l’identité de cette personne

[9] Cela nous amène au deuxième moyen d’appel : la juge de première instance aurait erré en concluant qu’il y a eu identification positive par l’agent Coulombe et l’agent Goyette sur la base de la vidéo captée par la caméra de surveillance du commerce où l’infraction a été commise. L’erreur de la juge serait de ne pas avoir tenu de voir-dire avant d’admettre la preuve de reconnaissance dont faisait office le témoignage des agents Coulombe et Goyette. L’appelant reconnaît toutefois dans son mémoire que les agents ont pu être contre-interrogés, ce qui l’amène à admettre que « la juge du procès pouvait considérer comme admissibles les témoignages de reconnaissance […] ». L’appelant reproche aussi à la juge de ne pas avoir elle-même apprécié la vidéo ni sa qualité, et de l’avoir déféré aux agents Coulombe et Goyette.

[10] Ces moyens ne valent pas. Lorsque, comme en l’espèce, l’infraction a été captée par une caméra de surveillance, le ministère public peut faire comparaître comme témoins des personnes familières avec la personne accusée afin d’établir son identité[5]. Le traitement de ce type de preuve commande l’évaluation (1) de son admissibilité et (2) de sa fiabilité objective. Il s’agit là d’une preuve dite de reconnaissance, laquelle est un type de preuve d’identification[6] permettant au ministère public d’établir que la personne accusée est bel et bien celle qui a commis l’infraction reprochée.

[11] L’admissibilité d’une preuve de reconnaissance par un témoin ordinaire doit normalement[7] faire l’objet d’un voir-dire[8], dont l’objectif est de déterminer si le témoin en question est dans une meilleure position que le juge des faits, en raison de sa connaissance préalable de l’accusé, pour le reconnaître sur une photographie ou dans une vidéo[9]. Le juge doit alors être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la relation du témoin avec la personne accusée lui offre un niveau de familiarité permettant de fournir des informations pertinentes et autrement indisponibles sur l’identité de cette personne[10]. L’intimée convient avec l’appelant qu’un voir-dire aurait dû être tenu, mais soutient que cette erreur de droit est ici inoffensive, est exempte d’effet préjudiciable et justifie l’application de la disposition réparatrice prévue au sous-alinéa 686 (1) (b) (iii) C.cr.

[12] Toutefois, l’appelant concède devant nous, à bon droit, qu’en l’espèce, puisqu’il ne s’est pas opposé au témoignage des deux agents, qu’il les a contre-interrogés au sujet de leur connaissance préalable de l’appelant et qu’il ne peut démontrer en quoi cette omission aurait nui à sa défense, ce moyen ne vaut pas.

[13] À ces raisons, on peut ajouter que, si un voir-dire avait été tenu, il est clair que les deux agents auraient satisfait le test d’admissibilité de la preuve de reconnaissance. L’agent Coulombe a témoigné avoir fait affaire plusieurs fois avec l’appelant. Il indique l’avoir arrêté au cours de l’année qui a précédé l’infraction dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrestation, procédure qui a nécessité une vérification de l’identité de l’appelant. Il précise qu’il ne peut dire combien de fois il a côtoyé l’appelant, mais souligne que son nom est mentionné dans deux rapports et qu’il l’a vu plusieurs fois lors d’interpellations.

[14] Quant à l’agent Goyette, il témoigne avoir été en contact avec l’appelant minimalement une dizaine de fois en 2014 et précise avoir été aussi près de l’appelant que cinq pieds et aussi loin que quinze pieds, dont une fois dans le cadre d’une arrestation en 2014 alors qu’il l’a écroué dans un centre de détention, et lors d’interpellations dans des parcs. Son nom se retrouve dans cinq rapports d’interpellations.

[15] Il est donc manifeste que la nature, la fréquence et le caractère relativement récents des contacts des deux agents avec l’appelant les plaçaient dans une meilleure position que la juge des faits pour reconnaître l’appelant sur la bande vidéo. Ainsi, à l’instar de la majorité des juges de la Cour suprême dans R. c. Leaney[11], nous sommes d’avis que le sous-alinéa 686 (1) (b) (iii) C.cr. s’applique au cas d’espèce.

[16] L’appelant reproche ensuite à la juge de s’être basée sur le témoignage de reconnaissance des agents policiers plutôt que sur sa propre appréciation de la bande vidéo et de ne pas avoir préalablement établi que celle-ci était suffisamment claire pour permettre une identification des personnes filmées.

[17] Il est vrai que la juge ne commente pas sur la qualité de la vidéo. Toutefois, elle a elle-même visionné la vidéo et a donné foi aux témoignages des agents voulant qu’ils reconnaissaient l’appelant. L’intimée note dans son mémoire « [qu’à] tout événement, cette Cour peut visionner la [bande vidéo] et constater que sa qualité n’altère en rien le bien-fondé du verdict de culpabilité ». Son visionnement révèle en effet qu’elle est de bonne qualité et que les images captées sont suffisamment claires pour que l’on puisse y reconnaître une personne avec laquelle l’on a interagi à plusieurs reprises. Autrement dit, la qualité de la bande vidéo n’est pas de nature à amoindrir la fiabilité objective du témoignage des agents policiers et donc, l’erreur, si erreur il y a, est sans conséquence sur le verdict.