c. Procureur général du Québec, 2020 QCCA 1613

Est révolue l’époque où un « plaignant privé » pouvait lancer les procédures criminelles, les prendre en main et les mener à terme.

[30] En d’autres mots, est révolue l’époque où un « plaignant privé » pouvait lancer les procédures criminelles, les prendre en main et les mener à terme, dans le cas de procédures par voie sommaire, ou jusqu’à procès, dans le cas de procédures exigeant le dépôt d’un acte d’accusation (puisque, dans ce dernier cas, seul un fonctionnaire ou un représentant du procureur général peut signer un tel acte d’accusation : voir par exemple, l’article 580 C.cr. et la formule 4).

[31] On voit que le droit criminel canadien, droit public, limite grandement la possibilité de « plaintes privées », lesquelles constituent une forme de relent de l’époque où le droit criminel était essentiellement privé. D’ailleurs, le concept même de « poursuivant privé » s’arrime mal avec la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »). Pensons à la retenue minimale dont doit faire preuve le poursuivant pour assurer un procès juste et équitable ou à son obligation de communiquer la preuve pertinente pour assurer une défense pleine et entière à l’accusé. Un « poursuivant privé », encore plus s’il n’est pas représenté par avocat, peut difficilement s’y astreindre. À ce sujet, l’article 112 du Code de déontologie des avocats n’est pas d’une grande utilité lorsque, comme en l’espèce, le poursuivant n’est pas avocat et n’est pas représenté par avocat.

[32] C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la question du mandat de perquisition, qui est fort distinct des autres formes d’ordonnances prononcées par les juges de paix dans un environnement analogue.

[33] Parmi ces autres formes d’ordonnance, il y a, par exemple, le mandat d’arrestation, qui constitue un ordre adressé aux agents de la paix de procéder à l’arrestation du délinquant : art. 511(1)c) C.cr. et formule 7. De son côté, la sommation, aussi délivrée par un juge de paix, est également un ordre (de comparaître), mais cet ordre est adressé à l’accusé ou au défendeur. Il s’agit donc d’ordres et non uniquement d’autorisations. On le comprend puisque, dans les deux cas, il s’agit d’un moyen de contraindre l’accusé ou le défendeur à comparaître devant la cour pour répondre à une accusation. L’acte de procédure doit donc nécessairement être exécuté.

[34] Pour le mandat de perquisition, la situation est différente. D’abord, l’appelante ne pourrait pas l’exécuter. Selon la disposition, seuls les agents de la paix et les fonctionnaires autorisés le peuvent. Or, la police a clos le dossier. Qui l’exécuterait? À quel corps de police l’appelante pourrait-elle le remettre? De toute façon, on ne peut forcer un policier à exécuter un mandat de perquisition.

[35] En effet, selon l’art. 487 C.cr., le mandat de perquisition autorise un agent de la paix à faire une perquisition. Ce n’est pas un ordre. Pourquoi? On ne peut forcer les policiers à faire enquête. Leur pouvoir discrétionnaire et leur indépendance sont reconnus : R. c. Beaudry, 2007 CSC 5, [2007] 1 R.C.S. 190, R. c. Campbell, 1999 CanLII 676 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 565. On ne peut pas les forcer à faire une perquisition, qui fait partie intégrante de l’enquête.

[36] On peut envisager de multiples exemples pour démontrer l’illogisme que l’on puisse ordonner à des policiers de faire une perquisition. L’exemple le plus patent : les policiers ont obtenu l’objet autrement depuis la délivrance du mandat. Le détenteur leur a remis la chose volontairement. Ils n’ont donc plus à pénétrer dans les lieux et, s’ils le faisaient néanmoins, ce serait une démarche contraire à l’article 8 de la Charte. Ou encore, ils apprennent que l’objet n’est plus à cet endroit depuis que le mandat a été délivré. On ne pourrait pas les forcer à pénétrer dans ce lieu pour y rechercher un objet qui, à leur connaissance, n’y est plus. Par ailleurs, comment pourraient-ils savoir si l’objet est encore sur les lieux sans connaître toutes les circonstances de l’enquête? Ils ne pourraient évidemment pas s’ajuster aux circonstances changeantes d’une enquête s’ils n’ont pas signé eux-mêmes la dénonciation en y décrivant les motifs leur permettant de croire à la présence de l’objet sur les lieux. De même, seuls eux connaissent l’importance de l’élément de preuve pour leur enquête.

[37] L’appelante se fonde sur la formule 5 du Code criminel pour affirmer que les policiers ont l’obligation de procéder à la perquisition ou que le juge de paix peut le leur ordonner. Outre la valeur relative d’un formulaire pour interpréter la portée d’une disposition législative, il faut constater que ce n’est pas ce que dit le formulaire. Il y est écrit : « À ces causes, les présentes ont pour objet de vous autoriser à entrer et obliger à entrer, entre les heures de (selon ce que le juge paix indique), dans les lieux et de rechercher […] » / « This is, therefore, to authorize and require you between the hours of (as the justice may direct) to enter into the said premises and to search […] » [je souligne.]. Il est manifeste qu’il s’agit d’une autorisation d’entrer et non d’une obligation, celle-ci n’étant pas d’entrer, mais bien de respecter les heures pour ce faire; par exemple, la perquisition de nuit est exceptionnelle et requiert l’autorisation du juge de paix : article 488 C.cr.

[38] Dans cet esprit, il me semble que le juge de la Cour supérieure devait conclure que seuls les agents de la paix et les fonctionnaires désignés peuvent présenter une telle dénonciation.

[39] Laissons les enquêtes criminelles à la police et au droit criminel et les poursuites privées au droit civil.

[40] Pour me répéter, la proposition de l’appelante est incompatible avec les préceptes et la structure de notre droit criminel, en plus de porter atteinte de manière importante à l’indépendance de la police, qui n’est pas mandataire de l’État et qui ne doit pas être soumise à la volonté, parfois malheureusement vengeresse, de citoyens insatisfaits de la conduite d’une enquête. Si les autorités policières ont pris la décision de clore un dossier d’enquête, je ne vois pas comment la délivrance d’un mandat de perquisition à la demande d’un « poursuivant privé » peut être d’une quelconque utilité, au contraire.

[41] Dans notre système, les policiers mènent les enquêtes criminelles et peuvent, au nom de l’intérêt public, utiliser ou demander l’autorisation, par voie judiciaire, d’utiliser des mesures d’enquête coercitives, tel un mandat de perquisition, mesures qui peuvent porter atteinte de manière importante à la vie privée et aux droits des citoyens. Il faut s’assurer que le régime pour ce faire est respecté en tous points.

[42] La possibilité que des « poursuivants privés », sans aucune formation, expérience et obligation de rendre compte, puissent s’improviser enquêteurs et demander des ordonnances intrusives sous l’empire du Code criminel pourrait conduire à des abus, malgré la participation d’un juge pour assurer un filtrage. Ceci me semble être une orientation si fondamentale qu’elle ne saurait être autorisée qu’en présence d’un texte clair, ce qui n’est pas le cas de l’article 487 C.cr.

Une personne qui fait face à un refus injustifié de la police de mener une enquête n’est pas sans recours.

[43] Par ailleurs, je souligne qu’une personne qui fait face à un refus injustifié de la police de mener une enquête n’est pas sans recours. Elle pourrait transmettre une plainte au ministre de la Sécurité publique, qui lui-même pourrait prendre des mesures en application de la Loi sur la police; elle pourrait déposer une plainte déontologique ou encore entreprendre des recours civils ou même, dans un cas extrême, déposer une plainte pour entrave à la justice (ou autre infraction de même nature). Ce sont là des avenues beaucoup plus respectueuses du droit criminel canadien qu’une enquête privée menant à la délivrance d’un mandat de perquisition alors que la police a clos son dossier et ne peut être forcée de procéder à la perquisition. D’ailleurs, ce dernier cas de figure est susceptible lui-même de générer de multiples litiges totalement inutiles.