Les incidences des obligations de déclaration de la LERDS sur toute personne qui y est assujettie sont au contraire considérables. Ces obligations touchent la vie privée et la liberté, des intérêts personnels qui sont fondamentaux pour la société : la liberté de circulation, la liberté de choix, la mobilité et le droit d’être à l’abri de toute surveillance de l’État et de toute ingérence de ce dernier dans sa vie personnelle.
[28] Deux dispositions du Code criminel qui régissent l’inscription des délinquants sous le régime de la LERDS sont en cause dans le présent pourvoi. La première est l’art. 490.012, qui prévoit que le tribunal « doit » rendre une ordonnance enjoignant aux délinquants sexuels reconnus coupables d’infractions désignées de se conformer à la LERDS pendant la période applicable précisée à l’art. 490.013. Le paragraphe (1) dispose : « Le tribunal doit, lors du prononcé de la peine [. . .] à l’égard d’une infraction [. . .] désignée [. . .], enjoindre à la personne en cause, par ordonnance rédigée selon la formule 52, de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pendant la période applicable selon l’article 490.013 ». On trouve une formulation semblable aux par. (2) et (3) du même article.
[29] La seconde est le par. 490.013(2.1), l’une des nombreuses mesures qui établissent la période d’inscription applicable, ou la durée pendant laquelle le délinquant est tenu de se conformer à la LERDS. Ces ordonnances ont 3 durées différentes — 10 ans, 20 ans ou à perpétuité — selon la peine maximale prévue pour l’infraction ou si l’infraction a été poursuivie par voie sommaire. Le paragraphe 490.013(2.1) prévoit que « [l]’ordonnance visée au paragraphe 490.012(1) s’applique à perpétuité si l’intéressé fait l’objet d’une déclaration de culpabilité [. . .] à l’égard de plus d’une infraction [. . .] désignée ».
…
[33] En 2011, la LERDS et le Code criminel ont été modifiés au moyen de la Loi protégeant les victimes des délinquants sexuels. L’objectif d’aider la police à prévenir les infractions de nature sexuelle a été ajouté à l’énoncé de l’objet de la LERDS, en son par. 2(1). De plus, le pouvoir discrétionnaire du poursuivant et celui du juge de rendre des ordonnances enjoignant au délinquant de se conformer à la LERDS ont été supprimés du Code criminel. Depuis, l’art. 490.012 prévoit que les ordonnances de se conformer à la LERDS sont obligatoires dans le cas des délinquants reconnus coupables d’infractions désignées. Le Parlement a également ajouté au Code criminel le par. 490.013(2.1), qui prévoit l’inscription à perpétuité des individus reconnus coupables de plus d’une infraction désignée. La constitutionnalité de ces deux modifications est en cause dans la présente affaire.
[44] Un certain nombre de cours d’appel ont conclu que les obligations de déclaration de la LERDS avaient un impact [traduction] « minimal » ou « modeste » sur les délinquants inscrits (voir Long, par. 147; R. c. Debidin, 2008 ONCA 868, 94 O.R. (3d) 421, par. 82; R. c. Dyck, 2008 ONCA 309, 90 O.R. (3d) 409, par. 104‑106; R. c. Cross, 2006 NSCA 30, 241 N.S.R. (2d) 349, par. 50 et 66; R. c. C. (S.S.), 2008 BCCA 262, 234 C.C.C. (3d) 365, par. 55). Dans le cas qui nous occupe, tout en estimant que les mesures « n’étaient pas modestes au sens strict », la Cour d’appel a assimilé l’inscription à des obligations de déclaration quotidiennes.
[45] En toute déférence, nous ne pouvons accepter ce point de vue. Les incidences des obligations de déclaration de la LERDS sur toute personne qui y est assujettie sont au contraire considérables. Ces obligations touchent la vie privée et la liberté, des intérêts personnels qui sont fondamentaux pour la société : la liberté de circulation, la liberté de choix, la mobilité et le droit d’être à l’abri de toute surveillance de l’État et de toute ingérence de ce dernier dans sa vie personnelle. La portée des renseignements personnels consignés, la fréquence à laquelle les délinquants doivent mettre à jour leurs renseignements, la surveillance permanente de l’État et, bien sûr, la menace d’emprisonnement rendent ces conditions onéreuses. On ne peut tout simplement pas les comparer aux obligations de déclaration [traduction] « qui font partie de la vie quotidienne » comme celles qui sont associées à la production de formulaires d’impôt sur le revenu, à l’obtention d’un permis de conduire ou d’un passeport, ou à l’inscription à une banque ou à une compagnie de téléphone (voir Dyck, par. 110).
[46] De plus, le fardeau que représente l’obligation de se conformer varie d’un délinquant à l’autre selon leur situation personnelle. Si les exigences de déclaration de la LERDS sont toujours sérieuses, les délinquants dont le travail exige des déplacements réguliers et prolongés devront souvent prendre des mesures supplémentaires pour s’y conformer. Pire encore, les délinquants qui sont sans abri, qui ont des problèmes de toxicomanie et des problèmes cognitifs ou de santé mentale peuvent trouver extrêmement difficile de se conformer à ces exigences (voir, p. ex., R. c. J.D.M., 2006 ABCA 294, 417 A.R. 186, par. 9; R. c. Desmeules, 2006 QCCQ 16773, par. 25‑27 (CanLII)). En un mot, il faut reconnaître la pleine mesure des restrictions imposées par les ordonnances rendues en vertu de la LERDS — tant sur le plan physique que sur le plan des renseignements à fournir — pour bien évaluer la constitutionnalité de l’art. 490.012 et du par. 490.013(2.1).
Il est clair pour nous que l’art. 490.012 et le par. 490.013(2.1) portent gravement atteinte au droit à la liberté des délinquants.
[57] Il est clair pour nous que l’art. 490.012 et le par. 490.013(2.1) portent gravement atteinte au droit à la liberté des délinquants. La liberté est de toute évidence compromise lorsque des renseignements personnels sont recueillis, sous peine d’emprisonnement, dans le but précis de surveiller une personne au sein de la collectivité et d’être mis rapidement au courant de ses allées et venues dans le cadre d’une enquête criminelle.
[58] Enfin, soyons clairs, nous ne tirons aucune conclusion sur le point de savoir si les ordonnances de se conformer à la LERDS constituent des peines selon le critère de l’arrêt K.R.J. (R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906). Ni l’une ni l’autre des parties n’a soulevé cette question ou n’en a débattu devant nous, et, privés d’observations, nous n’émettrons pas d’hypothèses quant à savoir si les ordonnances de la LERDS font intervenir l’art. 11 de la Charte et, dans l’affirmative, si elles résisteraient à une contestation fondée sur la Charte.
La Couronne ne peut invoquer le fait qu’un délinquant présente un risque — quoique non accru — de commettre une infraction sexuelle dans le futur.
[79] La juge chargée de la détermination de la peine a conclu que l’inscription obligatoire (art. 490.012) a une portée excessive parce qu’elle entraîne l’inscription de délinquants qui ne présentent pas un risque accru de commettre une autre infraction sexuelle dans le futur. Nous sommes du même avis. Comme nous l’avons expliqué, l’inscription obligatoire vise à recueillir, sur les délinquants, des renseignements susceptibles d’aider la police à prévenir les infractions sexuelles et à enquêter sur celles‑ci. Il n’y a aucun lien entre cet objectif et l’inscription de délinquants qui ne présentent pas un risque accru de récidive. La disposition en question a une portée excessive.
[90] Ces exemples illustrent le vice constitutionnel qui entache l’art. 490.012 au regard de l’art. 7. La question n’est pas de savoir si les délinquants sexuels présentent généralement un risque accru de récidive, mais plutôt s’il y a des délinquants qui ne présentent pas ce risque. En effet, il suffit qu’une disposition ait un effet excessif sur une seule personne pour qu’on puisse conclure que cette disposition est incompatible avec les principes de justice fondamentale (Bedford, par. 123). Comme le montre l’affaire T.L.B., dans certains cas, la situation personnelle du délinquant fait en sorte que tout risque accru de récidive est exclu. Il n’y a donc aucun lien entre le fait d’assujettir un délinquant comme T.L.B. à la LERDS et l’objectif de recueillir des renseignements susceptibles d’aider la police à prévenir les infractions sexuelles et à enquêter sur celles‑ci.
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[100] En un mot, la Couronne ne peut invoquer le fait qu’un délinquant présente un risque — quoique non accru — de commettre une infraction sexuelle dans le futur. Si le simple risque de commettre un jour une infraction criminelle fournissait le lien nécessaire pour satisfaire au critère de l’arrêt Bedford, ce critère serait satisfait, en toute logique, chaque fois que le Parlement adopte des mesures prospectives. Si l’on part du principe élémentaire suivant lequel il est impossible de prédire l’avenir avec une certitude absolue, alors, par définition, toute personne risque de commettre une infraction criminelle dans le futur. Si l’existence d’un risque est le facteur qui s’applique pour rendre conforme à l’art. 7 une mesure qui prive des personnes de leur liberté, les règles de droit sur la portée excessive perdraient leur valeur normative.
[101] En fin de compte, la preuve — acceptée par la juge chargée de la détermination de la peine — démontre que l’art. 490.012 englobe des délinquants qui, au moment de leur mise en liberté, ne présentent plus de risque important de récidive. Par conséquent, le fait d’avoir déjà commis une infraction sexuelle est un indicateur erroné dans le cas des délinquants dont les renseignements sont susceptibles d’aider la police. Un indicateur aussi général, qui s’applique à un aussi grand nombre de personnes et à un éventail d’actes aussi large, vise inévitablement des individus qui ne présentent pas un risque accru de commettre les actes criminels que le Parlement cherchait à prévenir et à soumettre à des mesures d’enquête en créant le registre.
Comme l’art. 490.012 vise des délinquants qui ne présentent pas un risque accru de récidive, il viole l’art. 7 de la Charte.
[108] Les arrêts Bedford, Carter et Safarzadeh‑Markhali confirment tous que le Parlement ne peut pas invoquer l’utilité pratique sur le plan de l’application ou des raisons de commodité administrative pour protéger une disposition législative contre une allégation de portée excessive fondée sur l’art. 7 de la Charte. Ces considérations doivent plutôt être examinées dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier. Les tentatives faites par la Couronne pour invoquer l’utilité pratique sur le plan de l’application en se fondant sur l’art. 7 échouent également en l’espèce.
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[110] Enfin, dans le passé, des juges ont peut‑être indûment soustrait des délinquants au registre en raison des effets nettement démesurés que leur inscription aurait sur eux en se fondant sur des mythes et des stéréotypes au sujet des agressions sexuelles (voir J. Benedet, « A Victim‑Centred Evaluation of the Federal Sex Offender Registry » (2012), 37 Queen’s L.J. 437). Dans la mesure où certains juges du procès ont pu interpréter l’ancienne exemption de manière trop large, il est toujours possible pour les cours d’appel de réviser ces décisions de première instance et de proposer certaines orientations. Cela ne saurait rendre constitutionnelle une loi qui ne l’est pas.
[111] En conséquence, l’inscription obligatoire a une portée excessive. Comme l’art. 490.012 vise des délinquants qui ne présentent pas un risque accru de récidive, il viole l’art. 7 de la Charte.
L’inscription à perpétuité des personnes reconnues coupables de plus d’une infraction sexuelle (par. 490.013(2.1)) a également une portée excessive.
[112] L’inscription à perpétuité des personnes reconnues coupables de plus d’une infraction sexuelle (par. 490.013(2.1)) a également une portée excessive.
[115] La Couronne fait valoir qu’il était loisible au Parlement de se fonder sur une inférence de bon sens selon laquelle la perpétration simultanée de plus d’une infraction augmente le risque de récidive. Nous ne retenons pas cet argument. Le témoignage de l’expert mine clairement la vraisemblance d’une telle inférence. Pour cette raison, nous convenons avec la défense que le par. 490.013(2.1) a une portée excessive.
La Cour déclare donc l’art. 490.012 et le par. 490.013(2.1) inopérants en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. L’exécution du jugement déclaratoire est suspendue pour un an en ce qui concerne l’art. 490.012, et elle s’applique prospectivement. La Cour prononce une déclaration immédiate d’invalidité en ce qui concerne le par. 490.013(2.1), et celle‑ci s’applique rétroactivement.
[136] Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi et de déclarer l’art. 490.012 et le par. 490.013(2.1) inopérants en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. À notre avis, il convient de suspendre pour un an l’exécution de ce jugement déclaratoire en ce qui concerne l’inscription obligatoire, compte tenu des préoccupations relatives à la sécurité publique et des nombreux moyens dont dispose le Parlement pour corriger les lacunes de la loi en ce qui concerne l’évaluation individualisée (G, par. 165). Il y a toutefois lieu de prononcer une déclaration d’invalidité d’application immédiate en ce qui concerne l’inscription à perpétuité.
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[139] Il y a lieu de suspendre l’effet d’un jugement déclaratoire lorsque l’État démontre « qu’une déclaration d’invalidité avec effet immédiat s[erait] susceptible de porter atteinte à un intérêt qui revêt une importance si grande que, tout bien considéré, les avantages qu’il y a à suspendre l’effet de cette déclaration l’emportent sur les inconvénients du maintien d’une loi inconstitutionnelle qui viole des droits garantis par la Charte » (G, par. 117; voir aussi par. 133, 139 et 156). Déclarer l’art. 490.012 inopérant avec effet immédiat empêcherait effectivement les tribunaux d’imposer des ordonnances de la LERDS à tous les délinquants, y compris à ceux qui présentent un risque élevé de récidive. Prononcer une déclaration immédiate d’invalidité pourrait donc mettre en danger l’intérêt public à prévenir les infractions sexuelles commises par des délinquants présentant un risque élevé et à enquêter sur celles‑ci, ce qui compromettrait la sécurité publique. En contrepartie, il faut tenir compte de l’importance de la violation des droits qui serait temporairement maintenue en raison de la suspension de cette déclaration. Ordonner la suspension irait également à l’encontre de l’intérêt qu’a le public à l’égard d’une loi conforme à la Constitution. Or, tout bien considéré, les circonstances justifient la suspension de l’exécution de la déclaration d’invalidité pour une période de 12 mois.
[140] Une déclaration d’invalidité est présumée s’appliquer rétroactivement (R. c. Albashir, 2021 CSC 48, par. 34 et 38). Toutefois, en l’espèce, l’application rétroactive à la fin de la période de suspension pourrait contrecarrer les intérêts publics impérieux qui exigent une période de transition, ce qui créerait de l’incertitude et supprimerait la protection qui, au départ, avait justifié la suspension (par. 46, 52 et 72). Plus précisément, une déclaration avec effet rétroactif minerait le but de la suspension (c.‑à‑d. s’assurer que les délinquants présentant un risque élevé sont inscrits sous le régime de la LERDS pour des raisons de sécurité publique). De plus, une déclaration d’invalidité avec effet prospectif ne porterait pas indûment préjudice aux délinquants qui sont inscrits depuis 2011, mais dont les droits protégés par l’art. 7 sont toujours violés. Ces délinquants pourront demander une réparation personnelle en vertu du par. 24(1) de la Charte pour être retirés du registre s’ils peuvent démontrer que les effets de la LERDS sur leur droit à la liberté n’ont aucun lien avec l’objectif de l’art. 490.012 ou sont totalement disproportionnés.
[142] En ce qui concerne l’inscription à perpétuité, la Couronnne a admis qu’une suspension ne constituerait pas une mesure appropriée. Nous sommes du même avis : il convient de rendre une déclaration immédiate d’invalidité étant donné que ces délinquants demeureront inscrits au registre et qu’il n’y a pas de « lacune » que le Parlement doit combler. Par conséquent, les dispositions actuelles qui imposent une durée d’inscription s’appliqueront, en attendant l’adoption d’une nouvelle disposition constitutionnelle qui ciblerait les délinquants qui commettent plus d’une infraction. Par exemple, les personnes reconnues coupables d’infractions passibles d’un emprisonnement maximal de 2 à 5 ans feront l’objet d’une ordonnance d’inscription pour une période de 10 ans, tandis que celles reconnues coupables d’une infraction passible d’un emprisonnement maximal de 10 à 14 ans seront inscrites pour une période de 20 ans (par. 490.013(2)). En l’espèce, il n’existe aucune raison impérieuse de réfuter la présomption d’application rétroactive de la déclaration d’invalidité. Le paragraphe 490.013(2.1) est par conséquent déclaré invalide. Étant donné que la déclaration touche toutes les personnes visées par l’adoption de cette disposition depuis 2011, les délinquants qui font l’objet d’une ordonnance d’inscription à perpétuité conformément à cette disposition après avoir été reconnus coupables de plus d’une infraction d’ordre sexuel sans avoir été l’objet d’une déclaration de culpabilité dans l’intervalle peuvent demander une réparation en vertu du par. 24(1) pour faire modifier la durée de leur inscription.
[143] Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi. Le jugement de la Cour d’appel de l’Alberta est annulé. L’article 490.012 et le paragraphe 490.013(2.1) du Code criminelviolent l’art. 7 de la Charte, et la Couronnne n’a pas démontré que cette violation se justifie en vertu de l’article premier. La Cour déclare donc l’art. 490.012 et le par. 490.013(2.1) inopérants en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. L’exécution du jugement déclaratoire est suspendue pour un an en ce qui concerne l’art. 490.012, et elle s’applique prospectivement. Monsieur Ndhlovu est soustrait à la suspension de la déclaration. La Cour prononce une déclaration immédiate d’invalidité en ce qui concerne le par. 490.013(2.1), et celle‑ci s’applique rétroactivement.