En droit criminel, il existe un principe séculaire tiré des règles de justice fondamentale selon lequel « [n]o person can be rightly tried, sentenced or executed while insane ».
[38] La présente affaire illustre de façon éloquente la préoccupation légitime du Comité selon laquelle « [l]e juge chargé de déterminer la peine est ainsi mis dans une situation intenable » lorsqu’un problème de santé mentale se soulève au stade de la peine. Toutefois, le silence de la loi ne saurait diminuer les garanties constitutionnelles conférées à un inculpé à toutes les étapes des procédures criminelles.
…
[40] Comme je m’apprête à l’expliquer, la première ne repose pas uniquement sur le droit codifié. Elle se fonde également sur les principes de justice fondamentale qui obligent tout tribunal à garantir le respect des intérêts vitaux d’un inculpé. Parmi ceux-ci, il y a le droit à une défense pleine et entière au stade de la peine et celle de ne pas être soumis à une procédure inéquitable en raison de l’absence de connaissance directe, de la part du délinquant, des procédures qui se déroulent devant lui[23].
[41] Quant au pouvoir d’ordonner une évaluation au stade de la peine, j’estime que l’article 721 et le paragraphe 723(3) C.cr. permettent à un tribunal d’obtenir un rapport d’un agent de probation comportant un volet principal sur l’état de santé mental du délinquant de la nature d’une évaluation psychiatrique aux fins de déterminer s’il est apte à recevoir sa peine.
[42] Advenant une conclusion d’inaptitude autre que passagère, je propose la suspension de l’instance. Il appartiendra au régime civil en matière de soins de la personne de prendre le relais. Je m’explique.
On peut donc affirmer, sans risque de se tromper, que les garanties constitutionnelles dont jouit l’accusé, notamment celles conférées par l’article 7 de la Charte, ne cessent pas de s’appliquer du fait qu’il est en attente d’une peine, car, dans les faits, il demeure toujours un inculpé.
[46] On peut donc affirmer, sans risque de se tromper, que les garanties constitutionnelles dont jouit l’accusé, notamment celles conférées par l’article 7 de la Charte, ne cessent pas de s’appliquer du fait qu’il est en attente d’une peine[29], car, dans les faits, il demeure toujours un inculpé[30]. Notamment, dans l’arrêt Walker[31], la Cour d’appel de l’Ontario écrit :
[44] Proceeding against a person who is not mentally present at the proceedings is akin to proceeding against a person who is not physically present at the proceedings. It has the effect of excluding that person from the proceedings. While courtroom efficiency is a laudable goal, it is not to be achieved at all costs. Where fitness concerns arise, they must be addressed. There is nothing irresponsible about halting proceedings to take steps to ensure that the subject of those proceedings is present in mind.
[…]
[56] Individuals have as much right to be present in mind at proceedings determining their liberty as they have a right to be present in mind at proceedings determining their culpability. The dignity and fairness of our justice system requires that to be so.
[Soulignements ajoutés; renvoi omis]
[47] Le fait que le régime législatif se contente de couvrir uniquement les procédures en amont du verdict n’y change rien. Sans pour autant s’ingérer dans la stratégie de la défense, le juge de la peine demeure tenu de s’assurer que toutes les procédures se déroulent devant un délinquant présent mentalement, capable de participer efficacement au débat tout en étant en mesure de communiquer avec son avocat[32]. C’est pourquoi un auteur écrit :
There does not appear to be any reason why an accused who has been found unfit at a point in the prosecution beyond the verdict should be treated any differently than an accused found to be unfit prior to the verdict.[33]
[48] Le poursuivant a toutefois prétendu que les droits fondamentaux de l’appelant n’étaient pas susceptibles d’être compromis puisque la juge était rendue au prononcé de la peine. Je n’accepte pas cette proposition.
[49] L’infliction de la peine demeure une étape cruciale pour un accusé. J’emprunte ici au juge Dickson cette citation faite dans l’arrêt Gardiner[34] qui lui-même la tenait de Sir James Fitzjames Stephen qui l’avait écrite en 1863 [TRADUCTION] : « la sentence constitue l’essence même de la procédure. Elle est au procès ce que le boulet est à la poudre. » Selon le juge Dickson, cet énoncé était encore vrai en 1982 et, à mon avis, il le demeure en 2023.
[50] L’objectif de dissuasion – spécifique et générale – poursuivi par le prononcé d’une peine serait sérieusement compromis devant un délinquant inapte, incapable de comprendre les procédures qui se déroulent devant lui. Je ne saurais mieux dire sur cette question que l’auteur Schneider ne l’a fait dans son article intitulé « Fitness to be Sentenced », auquel j’ai fait référence précédemment, pour expliquer l’importance de la pleine lucidité de l’accusé au stade de l’infliction de la peine :
[…] Indeed, to proceed with sentencing in respect of an unfit accused would be to ignore the objective of specific deterrence – an acknowledged principle of sentencing. Specific deterrence is that aspect of sentencing which is designed to bring home to a particular accused the probable consequences of re-offending. Similarly, the general deterrence objective of deterring other “like-minded” accused would appear to be lost if an unfit accused were to be sentenced. Furthermore, a court could not expect an accused who does not have a minimal appreciation of the sentencing process to comply with or be governed by any of the terms the court may impose in its sentence. Finally, an unfit accused who did fail to comply with the terms of the sentence imposed while unfit would inevitably have a defence to any charges laid as a result.[35]
Au stade de la peine, l’accusé, maintenant appelé délinquant, jouit du même droit de voir déterminer l’existence de motifs raisonnables de croire que son aptitude est en jeu.
[53] Au stade de la peine, l’accusé, maintenant appelé délinquant, jouit du même droit de voir déterminer l’existence de motifs raisonnables de croire que son aptitude est en jeu. Il me semble ne faire aucun doute en droit canadien que l’État ne peut procéder contre un accusé dépourvu de faculté mentale suffisante pour comprendre les procédures engagées contre lui[36], incluant la détermination de la peine[37].
[54] Je ne puis voir comment le système de justice ne serait pas déconsidéré aux yeux d’un observateur objectif et raisonnablement informé sachant, par exemple, qu’au moment d’assortir la peine d’une ordonnance de probation et désirant s’acquitter de ses obligations légales, le tribunal 1) fait remettre une copie de l’ordonnance au délinquant (732.1(5)a) C.cr.); 2) lui explique les conditions qu’elle contient (732.1(5)b) C.cr.); 3) veille à ce que les demandes de modifications de conditions facultatives lui soient expliquées (732.1(5)c) C.cr.); et 4) « prend les mesures voulues pour s’assurer qu’il comprend l’ordonnance elle-même et les explications qui lui sont fournies » (732.1(4)d) C.cr.), et ce, tout en ayant des motifs raisonnables de croire qu’une preuve est nécessaire pour vérifier son aptitude à comprendre une telle ordonnance.
[55] Par ailleurs, il ne fait aucun doute que le juge possède les pouvoirs nécessaires pour vérifier si les droits fondamentaux d’un délinquant sont compromis.
[56] Encore tout récemment, la Cour suprême discutait en ces termes de l’étendue des pouvoirs résiduels du juge du procès :
[32] Toutefois, l’art. 669.2 ne retire pas au juge son pouvoir discrétionnaire résiduel (voir, par analogie, R. c. R.V.,2019 CSC 41, [2019] 3 R.C.S. 237, par. 75). En tant que gardien de l’équité du procès, le juge conserve toujours le pouvoir de faire enquête, de son propre chef, même si celle-ci n’est pas requise par la loi ou la common law. Lorsque certains indices portent à croire que le consentement de l’accusé pourrait être vicié, le tribunal devrait user de sa discrétion résiduelle et investiguer davantage afin d’assurer que le consentement de l’accusé à la procédure est libre et éclairé (Gauthier; Jetté).[38]
[57] Par analogie, j’estime que ces enseignements s’appliquent dans les cas où le juge est appelé à s’interroger sur l’aptitude du délinquant au stade de la peine. Ce pouvoir d’enquête repose sur le pouvoir discrétionnaire résiduel du juge d’assurer une audition équitable dans le respect des droits fondamentaux d’un inculpé, et ce, à toutes les étapes des procédures criminelles, y compris celle de la détermination de la peine[39].
[58] Dans l’arrêt Société Radio-Canada c. Manitoba, le juge Kasirer écrit :
[62] […] Outre les pouvoirs qui leur sont explicitement conférés, les tribunaux d’origine législative et les cours d’appelont la maîtrise implicite de leur propre procédure et d’autres pouvoirs qui sont de fait nécessaires à l’exercice du rôle que la loi leur confie […].[40]
[Renvois omis]
[59] En somme, si la question de l’aptitude du délinquant se pose au stade de la peine, il faut y répondre à la première étape selon la norme « des motifs raisonnables de croire ».
[60] Le juge aura alors deux possibilités. La première – et elle ne souffre d’aucune controverse – réside dans la conclusion selon laquelle il n’y a pas de motif raisonnable de croire que l’aptitude du délinquant nécessite d’être examinée. Les procédures inhérentes à la détermination de la peine suivront alors leur cours sans autre forme de vérification. Dans le cas contraire, se soulèvera alors la question de l’ordonnance d’évaluation proprement dite.
Si un juge de la Cour du Québec possède des motifs raisonnables de croire qu’une preuve concernant l’état mental du délinquant est nécessaire pour déterminer son aptitude à recevoir sa peine, les articles 721 et 723(3)C.cr. lui confèrent le pouvoir de requérir un rapport comportant un volet principal sur son état de santé mental de la nature d’une évaluation psychiatrique.
Si l’évaluation psychiatrique conclut à l’inaptitude du délinquant,la seule solution alors envisageable me semble être la suspension de l’instance puisque, d’une part, le principal intéressé n’a pas accès au régime prévu à la Partie XX.1 du Code criminel et, d’autre part, les procédures portant sur la détermination de la peine ne pourraient pas se poursuivre sans enfreindre ses droits constitutionnels.
[91] Pour les raisons déjà expliquées, j’estime que, si un juge de la Cour du Québec possède des motifs raisonnables de croire qu’une preuve concernant l’état mental du délinquant est nécessaire pour déterminer son aptitude à recevoir sa peine, les articles 721 et 723(3)C.cr. lui confèrent le pouvoir de requérir un rapport comportant un volet principal sur son état de santé mental de la nature d’une évaluation psychiatrique. En ce sens, je suis d’accord avec une certaine jurisprudence de la Cour du Québec qui a déjà retenu cette solution[62].
[92] Sur cette question, je me permets d’ajouter que la doctrine de la compétence par déduction nécessaire[63] et les pouvoirs implicites d’un tribunal statutaire, indispensables pour s’acquitter du rôle que lui confie la loi[64], constituent des fondements sérieux au soutien de sa capacité de rendre une ordonnance de cette nature, à la condition toutefois de détenir des motifs raisonnables de croire qu’une preuve s’impose concernant l’état mental du délinquant.
[93] Si l’évaluation psychiatrique conclut à l’inaptitude du délinquant,la seule solution alors envisageable me semble être la suspension de l’instance puisque, d’une part, le principal intéressé n’a pas accès au régime prévu à la Partie XX.1 du Code criminel et, d’autre part, les procédures portant sur la détermination de la peine ne pourraient pas se poursuivre sans enfreindre ses droits constitutionnels.
[94] La suspension de l’instance devrait intervenir seulement si la preuve au dossier autorise le juge à conclure que l’inaptitude du délinquant ne pourra pas se résorber à l’intérieur d’un délai raisonnable apprécié selon les attentes du système de justice en matière d’efficacité.