Ratt c. R., 2024 QCCA 463

Ce qui sous-tend l’évaluation de la qualité de l’assistance de l’avocat au procès est à la fois l’équité des procédures et la fiabilité du verdict.

[22] Nul doute que réussir à démontrer l’assistance ineffective n’est pas facile. Comme le soulignait le juge Doyon pour la Cour, en plus de démontrer l’assistance ineffective ou l’incompétence par prépondérance des probabilités, il faut démontrer un préjudice de la nature d’un déni de justice : R. c. Helpin, 2012 QCCA 1523, par. 68; R. c. Paiement, 2024 QCCA 304.

[23] L’arrêt R. c. Lajoie, 2021 QCCA 1631, illustre bien que ce ne sont pas toutes les maladresses qui ouvrent la porte à une conclusion d’assistance ineffective. Il est acquis qu’il faut démontrer que la conduite de l’avocat se situe à l’extérieur d’un « large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable » : R. c. G.D.B., 2000 CSC 22 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 520, par. 27.

[24] De plus, arrive un moment où la preuve de la poursuite est si accablante que l’assistance ineffective devient anecdotique. La Cour a rappelé qu’il est possible que devant une telle preuve accablante, l’assistance ineffective invoquée n’affecte pas la fiabilité du verdict : R. v. Vdovin, 2021 QCCA 1969, par. 24; R. c. Vallières,2020 QCCA 372, par. 141-142.

[25]      Toutefois, ce qui sous-tend l’évaluation de la qualité de l’assistance de l’avocat au procès est à la fois l’équité des procédures et la fiabilité du verdict. Je reprends ici des propos de la Cour dans l’arrêt Agnant :

[9] Si notre système de justice contradictoire fonctionne bien, c’est qu’il peut compter sur un barreau compétent pour confronter les faits, faire valoir la thèse d’une partie, promouvoir le droit, les valeurs et les garanties constitutionnelles, bref, représenter adéquatement les justiciables devant les tribunaux.

[10] La Cour suprême dans l’arrêt R. c. G.B.D., 2000 CSC 22 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 520, confirme une jurisprudence canadienne plutôt unanime, selon laquelle le droit à « l’assistance effective », ou « utile », d’un avocat soit le meilleur moyen de déterminer le bien-fondé d’accusations.

[11] Le juge Major explique que l’incompétence de l’avocat peut compromettre soit l’équité procédurale, soit la fiabilité du verdict, deux facettes de l’erreur judiciaire qui se produit alors, aussi inacceptables l’une que l’autre: R. c. G.D.B., précité, par. 26-28.

Voir R. c. Agnant, 2015 QCCA 465 (références omises) et jurisprudence citée.

[26] Je considère qu’en l’espèce, les trois « fautes » alléguées démontrent l’assistance ineffective, de même que les conséquences tant sur l’équité du procès que sur la fiabilité du verdict.

Le droit à un procès équitable comporte la préparation du témoignage de la personne accusée. Le droit à une représentation compétente implique nécessairement que l’avocat prenne le temps requis pour préparer la personne accusée afin qu’elle puisse livrer son récit efficacement sans être désarçonnée, par exemple, avec des faits plus difficiles ou délicats, que le passage du temps ou qu’une autre raison ont effacer ou édulcorer.

[27] J’accepte que le droit à un procès équitable comporte la préparation du témoignage de la personne accusée : R. v. Simpson, 2018 NSCA 25, par. 45-46. Le droit à une représentation compétente implique nécessairement que l’avocat prenne le temps requis pour préparer la personne accusée afin qu’elle puisse livrer son récit efficacement sans être désarçonnée, par exemple, avec des faits plus difficiles ou délicats, que le passage du temps ou qu’une autre raison ont effacer ou édulcorer. Il n’existe pas de règle rigide sur ce qui doit être une préparation adéquate. Le dossier et la personne accusée dicteront à l’avocat compétent les efforts raisonnables à investir dans cet aspect du dossier dès lors qu’il y a une possibilité que son client témoigne.

[28] Toutefois, cette préparation doit à la fois se faire avant le procès et assez proche du moment où le témoignage est livré. Un avocat qui se satisfait d’une rencontre un an avant le procès, sans plus, ne satisfait manifestement pas la norme, surtout dans un contexte où la défense risque de reposer sur le témoignage de son client.

[29] La preuve nouvelle colligée et déposée démontre que l’avocat au procès a été confronté très tôt au fait que l’appelant avait de la difficulté à prendre connaissance de la preuve par lui-même. L’avocat témoigne qu’il devait lui lire la preuve, car l’appelant semblait peu capable de le faire. L’avocat est également incapable de dire avec un degré raisonnable de certitude si la preuve communiquée par le ministère public a été remise à l’appelant. Il l’aurait peut-être remise, plus d’un an avant le procès.

[30] L’avocat a convenu, dans son témoignage faisant partie de la nouvelle preuve, que l’appelant avait réellement besoin d’une préparation. Il a néanmoins attendu au début du procès pour le « préparer ». Pour ce faire, il avait réservé plusieurs heures pour une rencontre, le 12 août 2020, soit la veille de la reprise du procès qui avait commencé le 5 août. Contrairement à ce que laisse entendre l’avocat avec une certaine insistance, rien ne soutient le fait que l’appelant ait refusé de se présenter à ce rendez-vous. La preuve nouvelle établit plutôt que l’appelant et sa mère étaient en retard et que l’avocat, ne voulant pas recevoir son client dans la soirée, a reporté la rencontre au lendemain matin au Palais de justice.

[31] Plusieurs témoins ont offert une preuve probante du suivi déficient de l’avocat, entre juin 2019 et le procès d’août 2020. Les explications offertes de l’avocat ne font, au mieux, que soulever un doute sur cette description générale et elles ne suffisent pas à la rejeter.

[32] Si la Cour convient que la version de l’appelant sur sa relation avec son avocat au procès comporte des difficultés, d’autres témoins consolident sa version. Ces témoins, dont sa mère, ont été impliqués dans ses démêlés judiciaires et dans ses contacts avec son avocat. Ces témoins ne souffrent pas de problème de crédibilité. Ces témoignages apportent au récit des éléments qui confrontent généralement celui offert par l’avocat.

[33] Il est surprenant que ce dernier ne produise aucune note de son dossier pour appuyer ses décisions, sa compréhension des enjeux, sa préparation des interrogatoires et des contre-interrogatoires des témoins ou sur d’autres sujet. Ces notes auraient pu raviver sa mémoire lors de la rédaction de sa déclaration sous serment qu’il a rédigée aux fins du présent appel. Ainsi, l’avocat témoigne essentiellement de mémoire sur ses contacts avec l’appelant et sa « préparation », déduisant généralement des réponses, lesquelles sont souvent imprécises ou incertaines. De plus, la description des actes professionnels dans sa facturation soutient difficilement son explication générale sur le temps investi dans le dossier, le temps passé avec son client, bref, sur les services qu’il dit maintenant avoir rendus.

[34] Je retiens donc que l’avocat a rencontré son client à une ou, peut-être, deux reprises. Si tel est le cas, ces rencontres tenues à un an du procès ne sont simplement pas adéquates pour préparer un témoignage.

[35] S’il faut accepter que l’avocat, un an avant le procès, ait discuté avec son client des événements et qu’il lui ait remis des copies écrites des résumés de sa déclaration faite aux policiers, il admet néanmoins ne lui avoir jamais fait écouter l’enregistrement audio de cette déclaration, pourtant incluse dans la communication de la preuve.

[36] La révision de tous les éléments de preuves importants, comme une déclaration enregistrée, est un incontournable d’une préparation adéquate. Avec beaucoup d’égards, ne pas le faire est probablement un manquement important dans n’importe quel dossier, mais définitivement dans les circonstances du présent dossier. Je rappelle que l’avocat au procès a admis que l’appelant avait de la difficulté à lire.

[37] Ce n’est qu’au matin de la repise du procès, et donc peu avant son témoignage, que son avocat lui a remis une série de documents, essentiellement les résumés des déclarations et des notes des policiers, dans une sorte de « blitz préparatoire ». Ces documents avaient pourtant été reçus dans le cadre de la communication de la preuve, un an auparavant. Qui plus est, je comprends que l’appelant a été laissé seul de longues périodes dans un cubicule adjacent aux salles d’audience, lui qui avait de la difficulté à lire. Tout cela était, dans les circonstances, trop peu et trop tard.

[38] Dans le contexte, en raison des difficultés démontrées par l’appelant et connues de l’avocat, de même que l’importance évidente de son témoignage, le fait de lui remettre des résumés de ses propres déclarations et celles des autres témoins n’est pas de nature à rehausser la préparation nécessaire. Cela ne peut équivaloir à ce qui est attendu du travail préparatoire élémentaire exigé par ce dossier. En définitive, il est évident que l’avocat a laissé son client à la merci de la poursuite qui, au procès, l’a notamment contre-interrogé avec l’enregistrement audio de sa déclaration, le faisant mal paraître à plusieurs égards.

[39] L’équité du procès a déjà été sérieusement mise à mal, mais deux autres « fautes » s’ajoutent. Elles sont tout aussi déterminantes et elles découlent d’ailleurs de la préparation déficiente. Évidemment, j’ai évoqué la préparation du témoignage, mais une préparation compétente suppose une préparation de la défense dans son sens large.