Le droit à l’avocat n’est pas absolu. Des circonstances exceptionnelles, ayant trait notamment à la sécurité, à la préservation de la preuve ou à la nécessité d’empêcher que des informations puissent être dévoilées, peuvent justifier que son exercice soit reporté à plus tard.
[49] La preuve incontestée révèle en effet que l’exercice de ce droit a été suspendu aussitôt que l’appelant en a été informé. Les policiers le reconnaissent, mais le ministère public plaide qu’ils étaient justifiés d’agir de cette façon. Ainsi, la question posée est celle de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, les policiers pouvaient valablement suspendre l’exercice du droit à l’avocat jusqu’à la fin de l’opération policière, c’est-à-dire jusqu’à ce que M. Côté ait également été arrêté et sa résidence sécurisée.
[50] La juge y répond affirmativement, mais, cela dit avec égards, j’estime qu’elle a tort. La suspension du droit à l’avocat, dans les circonstances de l’espèce, n’était pas justifiée et, selon moi, constitue une violation du droit de l’appelant protégé par l’article 10 de la Charte d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat.
[51] La juge justifie sa conclusion en établissant d’abord, et avec raison que le droit à l’avocat, quoique fondamental, n’est pas absolu. S’appuyant sur la jurisprudence, elle poursuit en rappelant, là aussi à bon droit, que des circonstances exceptionnelles, ayant trait notamment à la sécurité, à la préservation de la preuve ou à la nécessité d’empêcher que des informations puissent être dévoilées, peuvent justifier que son exercice soit reporté à plus tard.
[52] Cela dit, je suis d’avis que les circonstances de l’espèce ne sont pas de celles qui permettent de reporter l’exercice du droit à l’avocat. Je m’en explique.
[53] La juge retient de la preuve que les policiers ont planifié l’opération de façon à amoindrir les risques de destruction de la preuve, lesquels, à son avis, étaient importants vu la nature de la drogue impliquée. Elle souligne ensuite qu’ils s’attendaient à ce que le délai entre les deux arrestations soit d’environ 1 h-1 h 30 et que c’est le défaut de M. Côté de quitter sa résidence à l’heure habituelle qui a fait en sorte qu’il a été beaucoup plus long. On ne peut donc, selon elle, reprocher ce délai aux policiers, qui de plus, ont tenté de s’adapter à ce développement imprévu en prenant des mesures concrètes pour le minimiser.
[54] Ce faisant, la juge se limite à évaluer le délai découlant du retard de M. Côté à quitter sa résidence et ne considère pas que le droit de l’appelant aurait, de toute façon, été suspendu pendant au moins 1 h-1 h 30 si l’opération s’était déroulée comme prévu. En fait, elle fait totalement abstraction du fait que la suspension du droit à l’avocat découle du fait que les policiers ont choisi d’exécuter leur opération en deux temps, sans que l’on sache pourquoi, ce qui, à leur avis, rendait nécessaire qu’il suspende le droit de l’appelant d’avoir recours à l’assistance d’un avocat. Elle ne s’est donc pas interrogée à savoir si ce choix était dicté par des motifs impératifs, ce qu’elle devait faire à mon avis.
[55] Le droit à l’avocat, faut-il le rappeler, est un droit fondamental qui ne peut être suspendu que dans des circonstances spécifiques, lesquelles doivent être analysées au cas par cas. L’extrait suivant, tiré des motifs du juge Doherty dans Rover[8], représente bien l’état du droit :
[27] These cases have, however, emphasized that concerns of a general or non-specific nature applicable to virtually any search cannot justify delaying access to counsel. The police may delay access only after turning their mind to the specifics of the circumstances and concluding, on some reasonable basis, that police or public safety, or the need to preserve evidence, justifies some delay in granting access to counsel. Even when those circumstances exist, the police must also take reasonable steps to minimize the delay in granting access to counsel: see e.g. R. v. Patterson, 2006 BCCA 24, 206 C.C.C. (3d) 70, at para.41; R. v. Soto, 2010 ONSC 1734, at paras. 67-71; Learning, at para. 75; R. v. Wu, 2017 ONSC 1003, 35 C.R. (7th) 101, at para. 78.
[28] Wu, at para. 78, provides a helpful summary of the law. That summary includes the following:
The assessment of whether a delay or suspension of the right to counsel is justified involves a fact specific contextual determination. The case law on this issue reveals some general guiding principles that provide a framework for this assessment:
a. The suspension of the right to counsel is an exceptional step that should only be undertaken in cases where urgent and dangerous circumstances arise or where there are concerns for officer or public safety.
…
e. Police officers considering whether circumstances justify suspending the right to counsel must conduct a case by case assessment aided by their training and experience. A policy or practice routinely or categorically permitting the suspension of the right to counsel in certain types of investigations is inappropriate. [Emphasis added.]
[56] En l’espèce, la preuve démontre que les autorités policières ont estimé nécessaire de suspendre le droit à l’avocat de l’appelant pour éviter que M. Côté puisse être informé de son arrestation et des perquisitions en cours, avançant ainsi que cette suspension était motivée par la nécessité de ne pas compromettre l’opération policière, notamment en évitant que la preuve pouvant être en possession de M. Côté soit détruite.
[57] La preuve n’établit toutefois aucunement les raisons pour lesquelles les policiers, en premier lieu, ont choisi d’arrêter l’appelant et M. Côté à des moments et à des endroits différents alors que c’est cette décision qui a entraîné la suspension du droit à l’avocat de l’appelant.
Il n’appartient pas aux tribunaux de déterminer de quelle façon une opération policière doit être exécutée, ce privilège appartenant aux policiers, mais lorsqu’ils choisissent une méthode qui les conduira à suspendre un droit fondamental tel le droit à l’avocat, ils doivent être en mesure de justifier ce choix par des impératifs sérieux.
[58] Je reconnais qu’il n’appartient pas aux tribunaux de déterminer de quelle façon une opération policière doit être exécutée, ce privilège appartenant aux policiers, mais lorsqu’ils choisissent une méthode qui les conduira à suspendre un droit fondamental tel le droit à l’avocat, ils doivent être en mesure de justifier ce choix par des impératifs sérieux, ce qu’ils n’ont pas fait.
[59] Or, en l’absence d’une telle justification, il faut présumer que la décision de suspendre le droit à l’avocat de l’appelant aurait pu être évitée et, partant, qu’elle n’est pas acceptable.
[60] Le droit d’avoir accès sans délai à l’assistance d’un avocat est un droit fondamental qui ne peut être modulé au gré des choix que font les autorités policières, seuls des motifs impérieux peuvent justifier d’en retarder l’exercice[9].
[61] Je suis donc d’avis que les faits mis en preuve établissent que le droit de l’appelant d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat a été violé et que la juge de première instance a commis une erreur de droit en concluant autrement sur la base des mêmes faits.