Même si une communication entre un client et son avocat ne relève pas nécessairement de la prestation de services juridiques, elle doit avoir lieu dans un climat de confiance. Sans évidemment prétendre que ce climat de confiance doit nécessairement être respecté au point où toute communication entre un avocat et son client doit demeurer confidentielle (ce n’est pas l’état du droit), il demeure essentiel de tenir compte de cette réalité dans l’élaboration des modalités d’accès en matière d’écoute électronique.
[108] Le secret professionnel de l’avocat est un concept fondamental en droit canadien et il doit être protégé à tout prix en limitant autant que possible l’accès aux conversations privilégiées.
[109] Ainsi que le souligne à juste titre l’intervenante, l’Association des avocats de la défense de Montréal-Laval-Longueuil, « [l]e secret professionnel de l’avocat est un rouage indispensable au bon fonctionnement du système de justice ». L’intervenante fait ainsi écho aux arrêts de la Cour suprême, notamment Canada (P.G.) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, [2016] 1 R.C.S. 336, qui rappelle que ce secret est un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte. Pour sa part, l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574, souligne le caractère essentiel des conseils d’un avocat pour le système de justice et la nécessité de lui assurer une garantie de confidentialité aussi absolue que possible. Comme il est mentionné dans Rizzuto c. R., 2018 QCCS 582, au paragr. 209, la plus grande prudence s’impose.
[110] Cela étant, il est indéniable que, même si une communication entre un client et son avocat ne relève pas nécessairement de la prestation de services juridiques, elle doit avoir lieu dans un climat de confiance. Sans évidemment prétendre que ce climat de confiance doit nécessairement être respecté au point où toute communication entre un avocat et son client doit demeurer confidentielle (ce n’est pas l’état du droit), il demeure essentiel de tenir compte de cette réalité dans l’élaboration des modalités d’accès en matière d’écoute électronique. Ainsi, dans Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319, on peut lire :
26 Ces décisions, parmi d’autres, traitent abondamment de l’origine et du fondement du secret professionnel de l’avocat, fermement établi depuis des siècles. Il reconnaît que la force du système de justice dépend d’une communication complète, libre et franche entre ceux qui ont besoin de conseils juridiques et ceux qui sont les plus aptes à les fournir. La société a confié aux avocats la tâche de défendre les intérêts de leurs clients avec la compétence et l’expertise propres à ceux qui ont une formation en droit. Ils sont les seuls à pouvoir s’acquitter efficacement de cette tâche, mais seulement dans la mesure où ceux qui comptent sur leurs conseils ont la possibilité de les consulter en toute confiance. Le rapport de confiance qui s’établit alors entre l’avocat et son client est une condition nécessaire et essentielle à l’administration efficace de la justice.
[Soulignements ajoutés]
Sachant que la conversation peut être écoutée (même si ce n’est que par un juge) sans aucun motif préalable de croire qu’elle pourrait ne pas être privilégiée (alors qu’elle est présumée l’être), la confiance dont il est question risque d’être ébranlée. Non pas parce qu’un juge ne respectera pas la confidentialité, mais parce que l’on ne peut exclure le risque d’erreurs dans l’envoi des enregistrements au juge et même le risque d’erreurs par celui-ci.
[111] Sachant que la conversation peut être écoutée (même si ce n’est que par un juge) sans aucun motif préalable de croire qu’elle pourrait ne pas être privilégiée (alors qu’elle est présumée l’être), la confiance dont il est question risque d’être ébranlée. Non pas parce qu’un juge ne respectera pas la confidentialité, mais parce que l’on ne peut exclure le risque d’erreurs dans l’envoi des enregistrements au juge et même le risque d’erreurs par celui-ci.
[112] De même, la possibilité d’une écoute systématique, par qui que ce soit, est susceptible d’ébranler la confiance des clients qui, somme toute, croient que personne, quel que soit son rôle, ne prendra connaissance de leurs communications à teneur juridique. Il existe pourtant un moyen de protéger efficacement cette confiance et c’est l’utilisation d’une clause similaire à celle utilisée dans Pasquin. Précisons que c’est de la confiance des clients dont il est ici question, et non d’une atteinte au privilège; il reste néanmoins que cette confiance est la base d’une relation avocat-client.
Il faut savoir accorder sa confiance à un tribunal judiciaire. S’il se trompe, il existe des mécanismes de contestation.
[113] Bien entendu, un juge, un tribunal judiciaire, est le forum approprié pour déterminer qu’une telle communication n’est pas privilégiée : Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc.,2004 CSC 18, [2004] 1 R.C.S. 456, paragr. 47.
[114] Malgré cela, la juge de première instance estime que, contrairement à ce que prévoit l’autorisation, un juge n’est pas en mesure de scinder une communication pour en extraire les parties non privilégiées. Comme mentionné précédemment, elle écrit, dans le jugement Zampino :
[50] Le privilège avocat-client ne se fragmente pas au cas par cas, de conversations ou de bribes de conversations diverses, glanées en un espace temporel et situationnel défini, mais constitue bien un continuum de communication entre l’avocat et son client.
[…]
[52] Ainsi, il semble difficile, selon le Tribunal, de concevoir comment le juge autorisateur qui ne connaît pas tout l’historique événementiel d’un dossier, puisse déterminer ce qui est privilégié de ce qui ne l’est pas, en totalité ou en partie.
[53] Surtout dans le contexte où l’enquête roule depuis six ans et que le requérant est représenté par la même firme depuis trois ans.
[54] Aussi, le juge ne connaît pas la preuve, ni toutes les incidences explicites et implicites des propos entre les parties. Ce qui est transmis aux policiers, après examen, peut devenir une mine de renseignements pour ces derniers qui, eux, maîtrisent la preuve et sont en mesure d’effectuer des liens avec des éléments anodins pour le juge autorisateur.
[Référence omise]
[115] C’est faire bien peu de cas de l’expérience judiciaire et même de la fonction judiciaire, sans compter qu’il y a, dans cette affirmation, une bonne part de conjecture, d’hypothèses et même de préjugés. Un juge est formé pour rendre des décisions fondées sur la preuve et le droit. Il faut savoir accorder sa confiance à un tribunal judiciaire. S’il se trompe, il existe des mécanismes de contestation.
[116] Par ailleurs, le présent dossier démontre bien la valeur de la présomption qu’un juge ne rendra pas une décision s’il n’est pas en mesure de le faire légalement. En effet, par souci de prudence, le juge, en l’instance, a qualifié de « privilégiées » toutes les communications qui étaient inintelligibles ou inaudibles. Dans ces circonstances, on ne peut sûrement pas prétendre, comme le fait la juge, que le juge autorisateur s’est arrogé un rôle qu’il n’était pas en mesure d’assumer.
La présomption de confidentialité
[120] La clause de protection reconnue valide dans l’arrêt Pasquin, précité, répondait parfaitement à une telle norme en ce qui a trait aux communications écoutées en différé. Cette norme est exigeante et cherche à minimiser comme il se doit l’atteinte aux droits des cibles, tout en permettant à la police d’écouter la communication le cas échéant, mais à la condition qu’il existe des motifs raisonnables de croire que la présomption de privilège peut être renversée. On ne peut évidemment exiger, comme dans Foster Wheeler, que le client établisse d’abord « qu’un mandat général a été confié à un avocat » avant qu’une présomption ne s’applique. L’aspect subreptice de l’écoute électronique ne permet pas une telle démonstration préalable. Il faut donc adapter la règle et faire comme dans Pasquin, c’est-à-dire considérer que la communication est présumée privilégiée. C’est ainsi que, dans ce dernier arrêt, la poursuite pouvait avoir accès au contenu d’une conversation enregistrée antérieurement et présumée privilégiée, mais devait, pour ce faire, satisfaire d’abord une exigence qui reflète adéquatement l’existence de la présomption (ce qui fut le cas d’ailleurs). Pour les raisons exprimées précédemment, la clause de protection dans le présent dossier n’y arrive pas, puisqu’elle fait fi de la présomption de confidentialité, ce qui rend l’autorisation déraisonnable et invalide. La clause proposée par la Cour en l’instance est plus exigeante, plus protectrice des droits, tout en protégeant le droit légitime des autorités d’écouter et d’utiliser une communication qui n’est pas privilégiée.
[120] La clause de protection reconnue valide dans l’arrêt Pasquin, précité, répondait parfaitement à une telle norme en ce qui a trait aux communications écoutées en différé. Cette norme est exigeante et cherche à minimiser comme il se doit l’atteinte aux droits des cibles, tout en permettant à la police d’écouter la communication le cas échéant, mais à la condition qu’il existe des motifs raisonnables de croire que la présomption de privilège peut être renversée. On ne peut évidemment exiger, comme dans Foster Wheeler, que le client établisse d’abord « qu’un mandat général a été confié à un avocat » avant qu’une présomption ne s’applique. L’aspect subreptice de l’écoute électronique ne permet pas une telle démonstration préalable. Il faut donc adapter la règle et faire comme dans Pasquin, c’est-à-dire considérer que la communication est présumée privilégiée. C’est ainsi que, dans ce dernier arrêt, la poursuite pouvait avoir accès au contenu d’une conversation enregistrée antérieurement et présumée privilégiée, mais devait, pour ce faire, satisfaire d’abord une exigence qui reflète adéquatement l’existence de la présomption (ce qui fut le cas d’ailleurs). Pour les raisons exprimées précédemment, la clause de protection dans le présent dossier n’y arrive pas, puisqu’elle fait fi de la présomption de confidentialité, ce qui rend l’autorisation déraisonnable et invalide. La clause proposée par la Cour en l’instance est plus exigeante, plus protectrice des droits, tout en protégeant le droit légitime des autorités d’écouter et d’utiliser une communication qui n’est pas privilégiée.
La directive dans Pasquin créait littéralement, pour l’écoute en direct, une présomption irréfragable de privilège qui prenait effet dès qu’un avocat était impliqué, ce qui n’est pas nécessaire et trop strict puisqu’elle rend impossible la réfutation de la présomption de privilège. Par conséquent, même pour l’écoute en direct, la clause ne doit pas nécessairement prévoir que l’enregistrement doit être interrompu, bien que l’écoute, elle, doive toujours cesser.
[122] Dans Pasquin, pour ce qui est de l’écoute en direct, l’enregistrement devait être interrompu dès le moment où l’on constatait qu’un avocat participait à la communication, ce qui est différent de la présente clause et de celle utilisée par la poursuite fédérale au Québec. S’il est incontestable que la directive dans Pasquin est respectueuse de la relation avocat-client, il n’est pas dit que l’enregistrement doit, dans tous les cas, être interrompu lorsqu’un avocat prend part à une communication écoutée en direct. Le juge autorisateur décidera comme il le fait pour toutes les modalités de l’autorisation. S’il est vrai que, généralement, l’enregistrement devrait pouvoir continuer, la Cour ne peut exclure des cas particuliers qui, selon le juge autorisateur, exigeraient son arrêt. En d’autres mots, si la Cour peut exiger un minimum de protection dans toutes les autorisations (par exemple l’existence de motifs raisonnables de croire que la communication n’est pas privilégiée avant de la transmettre à un juge), elle ne peut empêcher un juge autorisateur d’être plus exigeant avant d’autoriser une écoute électronique selon les circonstances.
[123] S’il fallait que l’arrêt de l’enregistrement soit obligatoire pour toutes les communications impliquant un avocat, l’écoute en direct deviendrait la règle. Or, cela été rejeté par la Cour suprême dans R. c. Taylor, 1998 CanLII 836 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 26, qui confirmait pour l’essentiel les motifs de la juge Huddart dans R. v. Taylor (1997), 86 B.C.A.C. 224. Comme celle-ci l’écrivait, cela ferait en sorte que les avocats jouiraient d’une protection de leur vie privée supérieure à celle offerte au citoyen ordinaire :
[16] If this Court were to accept the interpretation counsel seeks to have us put on section 186, counsel agrees that live monitoring of all interceptions would be required and that any conversation by anyone with a lawyer would be required to be terminated automatically upon the solicitor’s phone being answered. One consequence of such a policy would be that solicitors would have protection of their privacy far exceeding that available to the ordinary citizen, whether or not there was any realistic possibility that the interception would infringe solicitor/client privilege. They would have such protection not only at their offices but also in their homes and anywhere else they might answer a phone. The respondent considers the incidental benefit to lawyers to be a reasonable price to pay to ensure the sanctity of solicitor/client communications.
[124] La directive dans Pasquin créait littéralement, pour l’écoute en direct, une présomption irréfragable de privilège qui prenait effet dès qu’un avocat était impliqué, ce qui n’est pas nécessaire et trop strict puisqu’elle rend impossible la réfutation de la présomption de privilège. De plus, la cessation de l’enregistrement n’est pas toujours nécessaire si, par ailleurs, les communications avec un avocat ne peuvent pas être transmises au juge à moins qu’il n’existe des motifs raisonnables de croire qu’elles ne sont pas privilégiées. Par conséquent, même pour l’écoute en direct, la clause ne doit pas nécessairement prévoir que l’enregistrement doit être interrompu, bien que l’écoute, elle, doive toujours cesser.
Ce n’est pas l’interception de toute conversation impliquant un avocat qui est illégale, mais bien l’écoute de communications privilégiées par les enquêteurs
[125] Cette dernière exigence protège adéquatement les droits des cibles, tout en n’éliminant pas la possibilité qu’une conversation devienne un jour accessible parce qu’elle n’était finalement pas privilégiée. Bref, ce n’est pas l’interception de toute conversation impliquant un avocat qui est illégale, mais bien l’écoute de communications privilégiées par les enquêteurs. Il est donc inapproprié d’empêcher totalement l’interception légale et son écoute ultérieure, à certaines conditions, alors qu’un mécanisme de mise sous scellés existe et est déjà utilisé pour l’écoute en différé.
[126] Selon la Cour, une écoute en direct n’exige donc pas nécessairement d’arrêter immédiatement l’enregistrement, à la condition toutefois qu’il soit prévu que l’écoute de la communication devra cesser et que l’enregistrement ne pourra être transmis à un juge que s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle n’est pas privilégiée. Voilà une mesure équilibrée qui doit maintenant être la norme.
[127] À cet égard, outre l’arrêt Pasquin, précité, deux autres décisions canadiennes portent sur des clauses qui contiennent une telle exigence : R. c. Martin, 2010 NBCA 41 et R. c. Fox, 2022 SKKB 235. Il faut donc constater qu’à tout le moins, au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan, une telle clause protège davantage les communications entre un avocat et son client qu’au Québec. En d’autres mots, le présent arrêt ne révolutionne pas les règles à suivre; il entérine tout au plus ce que la pratique a déjà reconnu et fait en sorte que la relation avocat-client soit adéquatement protégée.
Une clause de protection valable doit prévoir l’arrêt de l’écoute en direct, mais peut néanmoins permettre la continuation de l’enregistrement, dès que la participation d’un avocat à une communication avec une cible est constatée. Pour ce qui est de l’écoute en différé, l’enregistrement d’une communication avec un avocat ne doit plus être écouté dès que l’on constate qu’il y participe. Dans les deux cas, les enregistrements, le cas échéant, doivent ensuite être scellés et archivés et ne pourront être transmis à un juge pour détermination de leur statut que s’il existe des motifs raisonnables
[131] En bref, selon la Cour, une clause de protection valable doit prévoir l’arrêt de l’écoute en direct, mais peut néanmoins permettre la continuation de l’enregistrement, dès que la participation d’un avocat à une communication avec une cible est constatée. Pour ce qui est de l’écoute en différé, l’enregistrement d’une communication avec un avocat ne doit plus être écouté dès que l’on constate qu’il y participe. Dans les deux cas, les enregistrements, le cas échéant, doivent ensuite être scellés et archivés et ne pourront être transmis à un juge pour détermination de leur statut que s’il existe des motifs raisonnables de croire que les communications pourraient ne pas être privilégiées. L’autorisation en cause ne comportant pas une telle clause, il faut conclure qu’elle a enfreint la protection de l’art. 8 de la Charte.
Que devrait-il advenir des enregistrements des communications qui n’ont pas été jugées non privilégiées? La solution consiste donc à sceller ces enregistrements et à les archiver sans possibilité de les écouter ou encore d’y avoir accès selon les modalités décrites précédemment.
[132] Maintenant, que devrait-il advenir des enregistrements des communications qui n’ont pas été jugées non privilégiées? Dans tous ces cas (par exemple pour les enregistrements qui n’ont pas été envoyés au juge ou pour ceux qu’il a déclarés privilégiés), devraient-ils être conservés et archivés ou tout simplement détruits?
[133] Si l’on voulait accorder aux communications entre un avocat et son client une présomption irréfragable de privilège, on pourrait envisager la destruction de tous ces enregistrements. Tel n’est toutefois pas le cas. Il peut arriver, comme d’ailleurs dans l’arrêt Pasquin, précité, que des policiers acquièrent, ultérieurement, des motifs raisonnables de croire que ces communications n’étaient pas privilégiées. Il n’y a aucune raison de priver les autorités de cette possibilité.
[134] De plus, comme le plaide l’Association des avocats de la défense de Montréal-Laval-Longueuil, ce qui est fait est fait. Les enregistrements ont eu lieu, ils existent et l’État ne devrait pas être autorisé à détruire sans motifs des éléments de preuve du dossier, fussent-ils, pour le moment du moins, inadmissibles. Outre la possibilité que la communication soit jugée plus tard non privilégiée, il y a aussi la possibilité, souligne l’Association, qu’elle soit même disculpatoire et il ne faudrait pas nier le droit de l’accusé d’y avoir accès.
[135] La solution consiste donc à sceller ces enregistrements et à les archiver sans possibilité de les écouter ou encore d’y avoir accès selon les modalités décrites précédemment.
La violation des droits protégés par la Charte ne suffit pas, au sens du paragr. 24(1) de la Charte, pour constituer un abus de procédure. Même si la mauvaise foi ou encore la malveillance de l’État n’est pas exigée, il doit néanmoins y avoir une preuve de conduite préjudiciable. Aussi, il peut y avoir abus de procédure sans que cela engendre nécessairement un arrêt des procédures.
[152] La violation des droits protégés par la Charte ne suffit pas, au sens du paragr. 24(1) de la Charte, pour constituer un abus de procédure. Même si la mauvaise foi ou encore la malveillance de l’État n’est pas exigée, il doit néanmoins y avoir une preuve de conduite préjudiciable : R. c. Hunt, 2017 CSC 25, [2017] 1 R.C.S. 476; R. c. Nixon, 2011 CSC 34, [2011] 2 R.C.S. 566, paragr. 41.
[153] Il est vrai que l’abus de procédure et l’arrêt des procédures sont souvent traités indistinctement. C’est le cas, par exemple, dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 R.C.S. 307, paragr. 118, de même que dans R. c. Conway, 1989 CanLII 66 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1659, dans lequel on lit, à la page 1667 :
Suivant la doctrine de l’abus de procédure, le traitement injuste ou oppressif d’un accusé prive le ministère public du droit de continuer les poursuites relatives à l’accusation. […]
[154] Il reste toutefois qu’il peut y avoir abus de procédure sans que cela engendre nécessairement un arrêt des procédures. Ce fut le cas dans Tshiamala c. R., 2011 QCCA 439 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 1er décembre 2011, no 34243) :
[101] Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que la juge de première instance était justifiée de conclure que les incidents survenus en marge du témoignage de Wilkerno Dragon ont violé le droit des intimés à une défense pleine et entière et à un procès équitable, ont miné l’intégrité du système de justice et constituent un abus de procédure.
[…]
[161] Que conclure de tout cela? Certainement que l’inconduite de l’avocat de la poursuite est manifeste, grave et délibérée et qu’elle doit être vivement dénoncée. Faut-il pourtant en déduire nécessairement que le seul remède convenable est l’arrêt ou la suspension définitive des procédures? J’estime que les circonstances de l’affaire ne peuvent raisonnablement appuyer une telle conclusion de sorte que, malgré toute la déférence due à la décision de la juge de première instance, il est nécessaire d’intervenir.
[155] Quoi qu’il en soit, comme on l’a vu, il n’existe que deux catégories d’abus de procédure, au sens de l’art. 7 de la Charte : lorsque le comportement de l’État porte atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable (catégorie principale) ou lorsqu’il mine l’intégrité du système de justice (catégorie résiduelle) : R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297, paragr. 49-51; R. c. Babos, précité.
Affirmer sans véritable analyse qu’il y a abus de procédure devant mener à l’arrêt des procédures, compte tenu du lourd fardeau, constitue une erreur de droit.
[172] C’est donc l’atteinte aux droits des intimés, dans le cadre de la catégorie résiduelle décrite dans R. c. Babos, précité, qui guide la juge dans le jugement Marcil. Or, affirmer ainsi, sans véritable analyse, qu’il y a abus de procédure devant mener à l’arrêt des procédures, alors que le lourd fardeau de le démontrer reposait sur les épaules des intimés, constitue une erreur de droit.
…
[200] Le fardeau est lourd lorsqu’il est question d’arrêt des procédures, et même davantage lorsqu’il est question de la seconde catégorie de l’arrêt Babos, précité :
[35] Par contre, lorsque la catégorie résiduelle est invoquée, il s’agit de savoir si l’État a adopté une conduite choquant le sens du franc‑jeu et de la décence de la société et si la tenue d’un procès malgré cette conduite serait préjudiciable à l’intégrité du système de justice. Pour dire les choses plus simplement, il y a des limites au genre de conduite que la société tolère dans la poursuite des infractions. Parfois, la conduite de l’État est si troublante que la tenue d’un procès — même un procès équitable — donnera l’impression que le système de justice cautionne une conduite heurtant le sens du franc‑jeu et de la décence qu’a la société, et cela porte préjudice à l’intégrité du système de justice. Dans ce genre d’affaires, la première étape du test est franchie.
[201] Or, c’est sur cette seule catégorie résiduelle que la juge s’appuie pour ordonner l’arrêt des procédures dans le jugement Marcil :
[108] Le Tribunal s’appuie sur l’arrêt R. c. Babos et sa catégorie résiduelle, afin de déterminer que de tels agirs par les policiers de l’Upac ont miné l’intégrité du système de justice et qu’il s’agit d’un des cas les plus manifestes où un arrêt des procédures s’impose.
[Référence omise]
[17] Babos uses strong language. That language tells me that resort to the residual category of abuse of process to stay an otherwise proper criminal trial will seldom be appropriate. There is a significant difference between state conduct which is unwise, unnecessary, inappropriate, or even improper, and state conduct that goes so far as to be properly characterized as “offensive to societal norms of fair play and decency”.
[203] La conduite de l’État peut être imprudente ou inappropriée, comme en l’espèce, et néanmoins ne pas être qualifiée de suffisamment choquante pour justifier un arrêt des procédures. Le qualificatif « choquante » renvoie aux notions de franc-jeu et de décence de la société, alors que la conduite reprochée dans le présent dossier ne s’apparente pas à une telle situation.