La nouvelle preuve : La jurisprudence établit que le critère de diligence n’est pas déterminant en matière criminelle si l’intérêt de la justice exige l’admission d’une preuve en appel et que celle-ci est pertinente, plausible et qu’on puisse raisonnablement croire qu’elle aurait influencé le résultat si elle avait été administrée au procès.
[17] Les critères énumérés dans l’arrêt Palmer[27] sont applicables aux requêtes en production d’une preuve nouvelle en appel d’une peine[28] :
(1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles: voir McMartin c. La Reine [1964 CanLII 43 (SCC), [1964] R.C.S. 484].
(2) La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.
(3) La déposition doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et
(4) elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.
[18] Comme la Cour suprême l’énonce dans Palmer, le premier critère portant sur la diligence raisonnable ne s’applique pas de manière stricte dans les affaires criminelles, il s’agit plutôt d’un facteur dont il faut tenir compte. Autrement dit, le défaut de satisfaire au critère de diligence raisonnable ne devrait pas être retenu pour écarter l’admission d’éléments de preuve nouveaux en appel si ceux-ci sont convaincants et s’il est dans l’intérêt de la justice de les admettre[29].
[19] L’appelant demande à la Cour d’autoriser la production et de tenir compte des quatre documents suivants :
a) Un extrait de l’ouvrage de l’American Psychiatric Association intitulé Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5th Ed.(DSM-V), Arlington, American Psychiatric Publishing, 2013. Ce document permet de définir et de comprendre plus précisément ce que le milieu psychiatrique entend par un « Intellectual Disability » qui soit « Mild», « Moderate», « Severe » ou « Profound » (le « DSM-5 »);
b) Un courriel du 2 avril 2024 de la Dre Sanchez à Me Beauchamp daté du 2 avril 2024 confirmant que son diagnostic de « retard intellectuel modéré » dans son expertise psychiatrique portant sur la responsabilité criminelle de l’appelant datée du 12 mai 2021 « tient compte du domaine conceptuel, social et pratique selon le DSM-5, ceci menant au diagnostic de retard intellectuel modéré (ou niveau de sévérité moyen) »;
c) Un rapport de deux agents des services correctionnels du Canada daté du 21 novembre 2023 intitulé « Évaluation communautaire » et concernant l’implication des parents de l’appelant auprès de ce dernier et des services correctionnels afin d’évaluer la qualité des ressources et valider leur disponibilité à soutenir l’appelant pendant et après son incarcération;
d) Un rapport d’un psychologue des services correctionnels du Canada daté du 12 janvier 2024 intitulé « Sommaire besoins santé » concernant l’intégration de l’appelant dans le milieu carcéral fédéral et ses progrès au sein des services correctionnels.
[20] Nous sommes d’accord avec l’intimé que les deux derniers documents ne devraient pas être admis en preuve, car ils ne portent aucun éclairage nouveau sur la question centrale soulevée en appel. L’appelant les soumet afin de tenter de remettre en question les conclusions du juge sur ses faibles possibilités de réhabilitation. Or, cette question n’est pas centrale à l’appel. Si les éléments de preuve portant sur la démarche de réadaptation et de réhabilitation d’un accusé rencontrent généralement le critère de diligence raisonnable car, par leur nature même, ils n’étaient pas disponibles au moment du prononcé de la sentence, une telle preuve doit néanmoins rencontrer les autres critères de l’arrêt Palmer, notamment elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive et être susceptible d’influer sur le résultat[30]. Ce n’est pas le cas en l’espèce. En effet, ces documents, issus des services correctionnels canadiens, n’apportent rien de nouveau quant à la déficience intellectuelle de l’appelant qui ajouterait aux rapports et expertises déjà dans le dossier.
[21] Il en est autrement des deux premiers documents. Ceux-ci établissent que c’est le DMS-5 qui a servi de fondement pour classer l’appelant dans la catégorie de diagnostic du « retard intellectuel modéré ». Par ailleurs le DMS-5 permet de comprendre ce qu’un tel diagnostic signifie. Nous sommes donc d’avis que ces deux documents sont fort pertinents aux fins de l’appel. Il convient de noter que le poursuivant n’a pas demandé l’autorisation de contre-interroger la Dre Sanchez sur son courriel du 2 avril 2024 confirmant que c’est le DMS-5 qui a mené à son diagnostic de retard intellectuel modéré.
[22] Bien que ces informations auraient pu être fournies lors de l’audition devant le juge portant sur la peine, nous sommes d’avis que cela ne nous empêche pas d’en tenir compte en appel. Premièrement, puisque le poursuivant concédait que la déficience intellectuelle de l’appelant constituait un facteur atténuant et était contributive à la commission des infractions, l’appelant pouvait raisonnablement croire que cette concession ne serait pas remise en question par le juge. Par ailleurs, la jurisprudence établit que le critère de diligence n’est pas déterminant en matière criminelle si l’intérêt de la justice exige l’admission d’une preuve en appel et que celle-ci est pertinente, plausible et qu’on puisse raisonnablement croire qu’elle aurait influencé le résultat si elle avait été administrée au procès. C’est manifestement le cas en l’espèce.
La situation personnelle du délinquant, y compris sa déficience intellectuelle ou ses troubles mentaux, peut avoir un effet sur sa culpabilité morale et, par le fait même, sur la peine applicable.
[23] La situation personnelle du délinquant, y compris sa déficience intellectuelle ou ses troubles mentaux, peut avoir un effet sur sa culpabilité morale et, par le fait même, sur la peine applicable dans son cas particulier, comme le signalent le juge en chef Wagner et le juge Rowe dans l’arrêt Friesen[31] :
[91] Ces commentaires ne doivent pas être interprétés comme une directive de faire abstraction des facteurs pertinents pouvant atténuer la culpabilité morale du délinquant. Le principe de proportionnalité exige que la peine infligée soit « juste et appropriée, rien de plus » (M. (C.A.), par. 80 (soulignement omis); voir aussi Ipeelee, par. 37). Premièrement, comme l’agression sexuelle et les contacts sexuels sont des infractions définies de manière générale qui englobent une vaste gamme d’actes, la conduite du délinquant sera moins blâmable sur le plan moral dans certains cas que dans d’autres. Deuxièmement, la situation personnelle des délinquants peut avoir un effet atténuant. Par exemple, les délinquants ayant des déficiences mentales qui comportent de grandes limites cognitives auront probablement une culpabilité morale réduite (R. c. Scofield, 2019 BCCA 3, 52 C.R. (7th) 379, par. 64; R. c. Hood, 2018 NSCA 18, 45 C.R. (7th) 269, par. 180).
[Soulignement ajouté]
[24] Ainsi, dans l’arrêt Scofield auquel réfère le paragraphe précité de Friesen, la preuve établissait que le délinquant était atteint de « mild mental retardation » et qu’il répondait aux trois critères pour un tel diagnostic selon la 4e édition révisée du Diagnosis and Statistical Manual of Mental Disorders du American Psychiatric Association (« DSM-IV »)[32]. Notons que le terme « mental retardation » du DSM-IV a été remplacé par « intellectual disability » dans le DSM-5[33]. Cette déficience intellectuelle de l’accusé avait contribué à l’infraction de nature sexuelle qu’il avait commise[34]. Le juge de première instance l’a pris en compte pour établir la peine (six mois d’incarcération avec sursis) et la majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé le jugement sur cet aspect.
[25] Dans l’arrêt Hood, auquel réfère aussi le paragraphe précité de Friesen, l’accusée souffrait d’un trouble de l’humeur bipolaire (« bipolar mood disorder »)[35]. Le juge du procès en a tenu compte pour imposer une peine de 15 mois d’emprisonnement avec sursis en lien avec des infractions sexuelles impliquant un mineur. Cette peine fut confirmée en appel au motif que l’accusée « suffered from mental illness which does not pardon her, but was a legitimate factor for the judge to consider on sentencing »[36].
La déficience intellectuelle ou un trouble mental peut contribuer aux choix que fait un délinquant et sur sa capacité d’apprécier toutes les conséquences et le mal causé par sa conduite, ce qui peut influer sur sa culpabilité morale et, par conséquent, sur sa peine. Même lorsqu’elle ne contribue pas directement à la commission de l’infraction, la déficience intellectuelle ou le trouble mental peut néanmoins constituer un facteur atténuant aux fins de la détermination de la peine si, en tenant compte de celle-ci, la peine serait autrement excessive.
[26] Ainsi, la déficience intellectuelle ou un trouble mental peut contribuer aux choix que fait un délinquant et sur sa capacité d’apprécier toutes les conséquences et le mal causé par sa conduite, ce qui peut influer sur sa culpabilité morale et, par conséquent, sur sa peine.
[27] Même lorsqu’elle ne contribue pas directement à la commission de l’infraction, la déficience intellectuelle ou le trouble mental peut néanmoins constituer un facteur atténuant aux fins de la détermination de la peine si, en tenant compte de celle-ci, la peine serait autrement excessive[37].
[28] En l’occurrence, le juge n’a pas tenu compte de la déficience intellectuelle de l’appelant aux fins de la détermination de la peine puisque, selon lui, la preuve n’indiquait pas qu’il souffrait d’une déficience mentale comportant de grandes limites cognitives susceptibles de réduire sa culpabilité morale. Le juge dit s’appuyer à cette fin sur le rapport de la Dre Sanchez qui établirait que l’appelant « ne souffre que d’un retard intellectuel modéré »[38]. Il semble bien que le juge soit d’avis que l’adjectif « modéré » dans ce contexte doit recevoir sa signification commune du dictionnaire, soit « peu intense » ou « assez faible »[39]. Or, le DSM-5 introduit comme nouvelle preuve, et utilisé par la Dre Sanchez pour établir son diagnostic, comme elle le confirme dans son courriel du 2 avril 2024, établit que l’expression « retard intellectuel modéré » est plutôt un terme d’art propre à la psychiatrie qui ne reflète pas que le retard intellectuel en cause soit « assez faible » au sens commun du terme, bien au contraire.
[29] En premier lieu, le DSM-5 nous informe que la déficience intellectuelle (« intellectual disability »), telle que définie dans ce manuel psychiatrique, ne touche que 1 % de la population[40]. Le manuel nous explique aussi que le diagnostic de déficience intellectuelle (« Intellectual Disability ») se subdivise en quatre sous-catégories en fonction de sa sévérité, soit légère (« Mild »), modérée (« Moderate »), sévère (« Severe ») et profonde (« Profound »)[41].
[30] Pour l’une ou l’autre de ces quatre sous-catégories, trois critères doivent être établis, soit des déficits dans les fonctions intellectuelles ou, autrement dit, dans le fonctionnement intellectuel (« deficits in general mental abilities (Criterion A) »), des déficits dans les fonctions adaptives ou, autrement dit, dans le comportement adaptif (« deficits in adaptive functionning (Criterion B) ») et la reconnaissance que ces déficits sont présents durant l’enfance ou l’adolescence (« Criterion C, onset during the development period, refers to recognition that intellectual and adaptive deficits are present during childhood or adolescence »)[42].
[31] Un tableau énonce les critères pour établir si le diagnostic de déficience intellectuelle doit être classé comme léger, modéré, sévère ou profond. Il comprend à cette fin des critères en lien avec le domaine conceptuel (« conceptual domain »), le domaine social (« social domain ») et le domaine pratique (« practical domain »)[43]. Pour nos fins, nous ne traiterons que du domaine social, puisque cette dimension permet de saisir aisément l’impact significatif que peut avoir la déficience intellectuelle sur la responsabilité morale à l’égard d’une infraction.
[32] Dans le cas d’une déficience intellectuelle légère, comme il semble que c’était le cas dans l’affaire Scofield, les critères en lien avec le domaine social sont les suivants[44] :
Compared with typically developing age-mates, the individual is immature in social interactions. For example, there may be difficulty in accurately perceiving peers’ social cues. Communication, conversational, and language are more concrete or immature than expected for age. There may be difficulties regulating emotion and behavior in age-appropriate fashion; these difficulties are noticed by peers in social situations. There is limited understanding of risk in social situation; social judgment is immature for age, and the person is at risk of being manipulated by others (gullibility).
[33] Par ailleurs, dans un cas d’une déficience intellectuelle modérée, comme en l’espèce, les déficiences du domaine social sont plus sévères en ce que l’individu concerné ne perçoit pas toujours correctement les signaux sociaux et son jugement est plus restreint, comme d’ailleurs ses habilités décisionnelles[45] :
The individual shows marked differences from peers in social and communication behavior across development. Spoken language is typically a primary tool for social communication but is much less complex than that of peers. Capacity for relationships is evident in ties to family and friends, and the individual may have successful friendships across life and sometimes romantic relations in adulthood. However, individuals may not perceive or interpret social cues accurately. Social judgment and decision-making abilities are limited, and caretakers must assist the person with life decisions. Friendships with typically developing peers are often affected by communication or social limitations. Significant social and communicative support is needed in work settings for success.
[34] Ainsi, contrairement à ce qu’en a conclu le juge de première instance, il ne faut pas confondre un diagnostic de déficience intellectuelle modérée avec celui de léger ni avec la définition du dictionnaire (soit d’« assez faible »). Le mot « modéré » doit plutôt être compris en fonction de son usage aux fins du DSM-5.