Robitaille Drouin c. R., 2022 QCCA 233

L’évaluation de la responsabilité criminelle de l’accusé ne doit pas être faite de manière étroite en ne considérant que l’acte précis reproché, qui a pu se dérouler en quelques instants. Elle doit plutôt situer cet acte dans son contexte, ce qui inclut le comportement des parties, de la genèse de l’incident jusqu’à sa conclusion.

[22]      L’analyse de la raisonnabilité de l’action en réponse à l’emploi de la force est souple et contextuelle[20]. Si le juge doit tenir compte d’un ensemble de facteurs énumérés au paragraphe 34(2) du Code criminel liés à la situation personnelle et au rôle joué par chacun des protagonistes, l’analyse doit être objectivée, en ce sens que l’accent demeure sur ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans des circonstances comparables[21].

[23]      Comme indiqué, ces facteurs incluent, non limitativement : la nature de la force ou de la menace; la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel; le rôle joué par la personne accusée lors de l’incident; la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme; la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause; la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, ce qui inclut tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident en cause; la nature et la proportionnalité de la réaction de l’accusé à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force.

[24]      En ce qui concerne le rôle joué par la personne lors de l’incident, ce facteur englobe toute conduite pertinente de la personne accusée au long de l’incident, ses gestes, omissions et l’exercice de son jugement[22]. Le rôle de l’accusé au cours de l’incident vise toute conduite pertinente, qu’elle soit légale ou non, provocatrice ou non, répréhensible ou non, constituant ou non une réaction minimale ou excessive[23].

[25]      Sous cet angle, le comportement de la personne accusée, tout au long de l’incident, apporte un éclairage sur la nature et l’étendue de sa responsabilité à l’égard de l’affrontement qui a abouti à l’acte ayant donné lieu à l’accusation[24].

[26]      En somme, l’évaluation de la responsabilité criminelle de l’accusé ne doit pas être faite de manière étroite en ne considérant que l’acte précis reproché, qui a pu se dérouler en quelques instants. Elle doit plutôt situer cet acte dans son contexte, ce qui inclut le comportement des parties, de la genèse de l’incident jusqu’à sa conclusion[25].

[27]      Pour évaluer la raisonnabilité de la réaction de l’appelant, le juge devait soigneusement examiner les circonstances de l’incident, de manière globale et holistique, à la lumière des facteurs énoncés au paragraphe 34(2) du Code criminel[26].

La personne accusée qui a joué un rôle prosocial tout au long de l’incident accroîtrait ses chances de justifier ou d’excuser son acte aux yeux de la société.

[29]      L’appelant agissait en tant que portier dans un Cabaret de danseuses érotiques. Il était responsable de maintenir l’ordre au sein de l’établissement et d’assurer la sécurité des employés et des clients. Il est possible de penser qu’il exerçait un « rôle prosocial » dont l’exercice peut avoir un impact sur l’évaluation de la légitime défense. Comme l’indiquent les juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Khill :

[105] […] La structure de l’art. 34 confère aux juges des faits la latitude de conclure que la légitime défense n’est pas réfutée, et ce, même si la personne accusée a aggravé l’incident qui a mené à la mort de la victime, s’est trompée quant à l’existence de l’emploi de la force et a employé une force disproportionnée. Dans de tels cas, qui se situent loin de l’essence de la justification, l’examen le plus large possible de la conduite de la personne accusée et de sa contribution à l’affrontement ultime s’impose. La personne accusée qui a joué un rôle prosocial tout au long de l’incident accroîtrait ses chances de justifier ou d’excuser son acte aux yeux de la société. En revanche, la société est plus susceptible de voir l’acte ultime de la personne accusée comme injuste ou inexcusable quand sa conduite a été imprudente, insouciante, négligente ou déraisonnable. […][27]

[Soulignement ajouté]

[30]      L’appelant semblait agir à l’intérieur du périmètre de ses fonctions tout au long de la trame factuelle, alors qu’il tentait de neutraliser les comportements perturbateurs de deux clients intoxiqués et très agressif dans le cas du plaignant.

Le droit de repousser une attaque comprend celui de répliquer physiquement[28]. En ce qui concerne l’ampleur de la réplique, la personne qui agit en légitime défense ne peut être tenue de mesurer, et peut de toute manière ne pas être capable de calibrer avec précision dans le feu de l’action le degré de force requis pour repousser une agression imminente[29]. Il faut éviter d’évaluer la proportionnalité de la réponse en rétrospective et de manière non contextualisée, en se fondant uniquement ou exagérément sur la gravité des blessures qui ont été occasionnées au plaignant.

[34]      Le juge ne pouvait évidemment faire abstraction de l’extrême gravité des blessures subies par le plaignant à la suite du coup de poing porté par l’appelant. Cependant, encore une fois, cet état de fait ne devait pas obscurcir la considération du contexte de l’incident dans son ensemble pour juger de la raisonnabilité de l’emploi de la force.

[35]      Le droit de repousser une attaque comprend celui de répliquer physiquement[28]. En ce qui concerne l’ampleur de la réplique, la personne qui agit en légitime défense ne peut être tenue de mesurer, et peut de toute manière ne pas être capable de calibrer avec précision dans le feu de l’action le degré de force requis pour repousser une agression imminente[29]. Il faut éviter d’évaluer la proportionnalité de la réponse en rétrospective et de manière non contextualisée, en se fondant uniquement ou exagérément sur la gravité des blessures qui ont été occasionnées au plaignant[30].

[36]      Si les blessures et la gravité de celles-ci peuvent être pertinentes pour jauger de la proportionnalité de la réponse[31], c’est la force employée par l’accusé qui doit être jugée raisonnable et non pas ses conséquences[32].

[37]      À mon avis, le juge n’a pas adéquatement tenu compte de ces considérations sur l’évaluation de la légitime défense.