Chatillon c. R., 2022 QCCA 1072
ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION
L’ordonnance de non-publication prononcée en première instance demeure en vigueur
La quatrième condition du test de Wigmore veut que l’intérêt qu’il y a à soustraire les communications à la divulgation l’emporte sur celui qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige
[50] Il n’est pas contesté que l’analyse de l’approche proposée par le professeur Wigmore est ici en cause : WIGMORE J.H., Evidence in Trials at Common Law, vol. 9, Toronto, Little & Brown, 1961, par. 2285. Le juge fait l’énoncé, que j’ai rappelé au paragraphe [30], des « critères ou test de Wigmore » : Slavutych v. Baker, 1975 CanLII 5 (CSC), [1976] 1 R.C.S. 254; R. c. Gruenke, 1991 CanLII 40 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 263, 282.
[51] Les rapports entre un patient et son médecin, psychiatre, psychologue ou thérapeute peuvent faire l’objet d’un privilège circonstancié ou non générique : R. c. McClure, 2001 CSC 14 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 445, par. 29.
[52] Le fardeau appartient à la partie qui invoque le privilège de démontrer que chacun des facteurs ou critères à son application est satisfait : R. c. National Post, 2010 CSC 16 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 477, par. 64; R. c. Gruenke, 1991 CanLII 40 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 263, 293.
[53] À mon avis, le juge commet une erreur lorsqu’il analyse les deux premiers critères du test qu’il estime non satisfaits. D’abord, il conclut que l’appelant divulgue ses crimes avant de savoir que les intervenants pourraient transmettre l’information à un tiers, la DPJ. Il retient ensuite le fait que la thérapie en groupe annihile l’attente de confidentialité. Or, la possibilité d’une divulgation à un tiers d’un élément n’écarte pas l’attente de confidentialité : M. (A.) c. Ryan, 1997 CanLII 403 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 157, par. 24; R. c. S.(R.), (1985) 1985 CanLII 3575 (ON CA), 19 CCC (3d) 115, 131 (C.A.O.).
[54] À mon avis, les trois premiers critères sont satisfaits. Le quatrième doit maintenant être analysé. Ce critère repose sur les circonstances propres à une affaire, si bien que la conclusion n’établit pas une règle immuable, voire générale. Des faits différents peuvent mener à des conclusions différentes.
[55] Comme le rappelle la Cour suprême, « [l]a quatrième condition veut que l’intérêt qu’il y a à soustraire les communications à la divulgation l’emporte sur celui qu’il y a à découvrir la vérité et à bien trancher le litige » : M. (A.) c. Ryan,1997 CanLII 403 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 157, par. 29.
La common law doit évoluer de manière à refléter les nouvelles valeurs consacrées par la Charte … et que les facteurs soupesés en vertu du quatrième volet du critère applicable pour déterminer l’existence d’un privilège devraient être mis à jour de manière à refléter les valeurs pertinentes de la Charte.
[56] La Cour suprême rappelle que « la common law doit évoluer de manière à refléter les nouvelles valeurs consacrées par la Charte … et que les facteurs soupesés en vertu du quatrième volet du critère applicable pour déterminer l’existence d’un privilège devraient être mis à jour de manière à refléter les valeurs pertinentes de la Charte » : M. (A.) c. Ryan, précité, par. 30 (je souligne).
[58] Plus particulièrement, il est indéniable que doit être considérée dans l’exercice la valeur fondamentale de la Charte qui protège contre l’auto-incrimination : art. 7, 10, 11 et 13 de la Charte. Utiliser les communications confidentielles entre un thérapeute et son patient comme unique preuve de culpabilité entre certainement en collision avec les valeurs de la Charte.
[59] Dans l’arrêt M. (A.) c. Ryan, précité, la Cour a recours à la valeur importante qu’est la vie privée, reflétée notamment par l’article 8 de la Charte afin de l’importer dans une affaire civile où était recherchée la communication de dossiers médicaux de la victime d’une agression sexuelle. Il ne s’agissait pas d’appliquer la Charte au droit civil.
[60] En l’espèce, il ne s’agit pas d’appliquer les garanties constitutionnelles contre l’auto-incrimination dans un contexte d’aveux à des personnes qui ne sont pas des agents de l’État. Il y a cependant lieu de tenir compte de l’importance accordée par la loi suprême à la protection contre l’auto-incrimination lorsqu’il faut évaluer le caractère privilégié des rapports entre médecin-patient, ou plus généralement, entre thérapeute-patient.
[61] L’intimée rappelle l’arrêt R. c. S.(R.), (1985) 1985 CanLII 3575 (ON CA), 19 CCC (3d) 115 (C.A.O.). Dans cette affaire, à la suite de deux vagues de dénonciations d’abus sexuel de la part de l’appelant sur les enfants de sa conjointe, des thérapies familiales de groupe avaient été recommandées par les médecins consultés par la mère. Lors des secondes thérapies, l’appelant s’y est présenté volontairement. À sa connaissance, elles étaient enregistrées. Les abus ont été abordés. L’appelant a été confronté par les révélations de même que par le clinicien qui menait la rencontre. Il est demeuré silencieux devant les accusations. C’est ce silence, très éloquent, selon la Cour, que le ministère public cherchait à mettre en preuve au procès. La Cour d’appel n’a eu aucune hésitation à reconnaître qu’une thérapie de groupe ne faisait pas obstacle à la confidentialité attendue : R. c. S.(R.), précité, p. 131. Placée devant une preuve d’articles contradictoires concernant l’importance de la confidentialité dans la relation médecin-patient, soit le second facteur de la démarche de Wigmore, la Cour préfère ne pas statuer : R. c. S.(R.), précité, p. 132. Le troisième facteur de l’analyse, soit l’importance de préserver les thérapies familiales, était admis, mais la Cour estime également que la législation sur le divorce encourage ces séances, reflétant leur importance comme objectif social.
[62] Le quatrième facteur de l’approche de Wigmore n’était cependant pas satisfait. De façon générale, la Cour d’appel conclut que, dans un procès criminel portant sur des abus sexuels à l’égard d’enfants, la recherche de la vérité l’emporte sur les besoins de thérapies familiales. La Cour note que de nombreuses juridictions, dont l’Ontario, ont adopté des lois forçant la divulgation de maltraitance et d’abus sur les enfants, ce qui démontre que l’intérêt public prévaut sur la confidentialité des propos tenus aux psychiatres. Le juge Lacoursière, pour la Cour, écrit :
It is sufficient to say that the information obtained in the course of psychiatric counselling or treatment where child abuse is involved does not meet the test adopted in Slavutych v. Baker et al. (1975), 1975 CanLII 5 (CSC), 55 D.L.R. (3d) 224, [1976], 1 S.C.R. 254, 38 C.R.N.S. 306. Society considers the detection and prevention of child abuse more important than the confidentiality of psychiatric counselling. I would therefore conclude that the learned trial judge did not err in ruling that the evidence of Dr. Sawa and the tapes and transcript of the counselling session were admissible. I would not give effect to this ground of appeal.
R. c. S.(R.), (1985) 1985 CanLII 3575 (ON CA), 19 CCC (3d) 115, 136 (C.A.O.).
[63] Je note que, dans cet arrêt de 1985, la Cour d’appel ne soupèse aucunement les valeurs de la Charte puisqu’il précède évidemment l’arrêt M. (A.) c. Ryan, 1997 CanLII 403 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 157.
[64] L’intimée s’appuie sur un certain nombre d’autres décisions pour écarter le quatrième volet de l’analyse de Wigmore, certainement le plus difficile à démontrer. D’abord, elle table sur l’arrêt Verret de notre Cour où la situation opposait la confidentialité des révélations à propos d’un meurtre commis plusieurs décennies auparavant, dans le contexte d’un traitement pour un problème de consommation d’alcool : R. c. Verret, 2013 QCCA 1128, paragr. 21-33. Je note ici que la nature du crime est différente, que l’appelante avait en sus fait des aveux à sa colocataire, et qu’une preuve d’ADN était disponible. Cela dit, l’appelante avait avoué à son intervenante avoir été complice de meurtres et elle avait rédigé une lettre destinée à une des deux victimes, sa sœur. La Cour explique que les propos de la lettre sont fiables et déterminants pour la preuve de la poursuite, tout comme le témoignage de l’intervenante. Ensuite, la Cour note que les trois premiers critères du test de Wigmore étaient satisfaits, mais pas le quatrième. Elle tient également compte, même si ce n’était pas déterminant, du fait que l’appelante avait accepté que son intervenante partage sa confidence avec sa supérieure. Enfin, elle retient l’analyse du juge qui compare la lettre à un « écrit que l’on pourrait qualifier d’intime, confectionné par l’accusée dans un moment d’intimité » : R. c. Verret, précité, par. 33.
[65] Je partage le résultat auquel parvient la Cour. D’une part, dans cette affaire, le lien entre la démarche thérapeutique dans le cadre d’un programme visant à résoudre un problème d’alcool et l’aveu d’un meurtre est ténu, voire inexistant. Il tient davantage à une révélation plutôt périphérique. D’autre part, même si la preuve était importante, comme le sera sans doute toute forme d’aveu, elle demeurait circonstancielle et d’autres éléments de preuve restaient disponibles.
[66] L’intimée s’appuie également sur l’arrêt R. c. Karasek, 2011 ABCA 161. Dans cette affaire, le psychiatre avait dévoilé aux policiers deux récidives récentes de son patient Karasek, qu’il traitait déjà pour une déviance sexuelle en raison d’une agression sexuelle commise sur un enfant quelques années auparavant.
[67] Dans cette affaire, je retiens que Karasek avait plaidé coupable, qu’il représentait un danger pour d’autres victimes et que le psychiatre témoignait dans le cadre de la détermination de la peine et, plus particulièrement, de la détermination de délinquant dangereux. Manifestement, cet arrêt offre un contexte nettement différent où l’appelant avait plaidé coupable et que la dénonciation était motivée par sa dangerosité, une exception reconnue : Smith c. Jones, 1999 CanLII 674 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 455.
[68] Enfin, l’autre arrêt cité par l’intimée est R. c. G.D., 1998 CanLII 13015(C.A.Q.) dans lequel la Cour refuse de reconnaître un privilège à l’aveu de deux meurtres, soit deux enfants, commis en 1979 à la suite d’une agression sexuelle. Au moment de l’aveu, l’appelant purgeait une peine dans un pénitencier et il avait volontairement entrepris, auprès des autorités et plus particulièrement des professionnels agissant pour les libérations conditionnelles, une thérapie axée sur une déviance sexuelle. La Cour note que l’appelant s’adressait à un agent de l’État qui les rapporterait aux autorités pour évaluer les modalités de sa libération conditionnelle, qu’il avait directement rencontré les policiers enquêteurs et qu’il avait fait une déclaration écrite complète et admissible, pour ensuite relever les professionnels traitants de leur secret professionnel.
[69] Encore une fois, les faits de cette affaire sont bien loin de ceux qui sont en cause dans le présent appel. S’il y a un rapport avec un professionnel qui promettait le secret, je doute qu’il y ait eu une véritable démarche thérapeutique et que cette dernière ait été véritablement au cœur de la relation. Il apparaît davantage des faits de l’affaire que l’appelant visait à obtenir une libération conditionnelle prochaine. Enfin, la Cour, à l’instar de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. S.(R.), précité, n’examine pas l’impact des valeurs de la Chartesur le privilège.
Je n’ignore pas l’importance de mener à terme les procès criminels et qu’il se présentera des cas où les aveux d’une personne serviront contre elle, même lorsqu’ils sont donnés dans le cadre d’une relation thérapeutique.
Ne pas reconnaître qu’un privilège protège un aveu dans les circonstances de la présente affaire me semble aller à l’encontre du bon sens et décourage les personnes aux prises avec des déviances sexuelles de rechercher l’aide requise par leur état.
[70] Je n’ignore pas l’importance de mener à terme les procès criminels et qu’il se présentera des cas où les aveux d’une personne serviront contre elle, même lorsqu’ils sont donnés dans le cadre d’une relation thérapeutique. Les arrêts cités par l’intimée peuvent en être des manifestations. En l’espèce toutefois, la situation m’amène à conclure que les déclarations de l’appelant étaient privilégiées et inadmissibles en preuve.
[71] Il m’apparaît injuste et contraire aux valeurs de la Charte d’utiliser contre l’appelant ses aveux faits dans le cadre d’une démarche thérapeutique volontairement entreprise auprès d’un organisme traitant les déviances sexuelles afin de discuter de déviance sexuelle. Si, bien sûr, une déviance sexuelle n’a pas à constituer un crime, il demeure que la nature même des aveux est ici au cœur de la problématique et de l’aide recherchée. Il s’agit d’un élément contextuel important.
[72] Qui plus est, cette démarche fondamentalement personnelle et guidée par absolument aucun autre objectif que de vouloir régler un problème grave a été entreprise de bonne foi et en toute honnêteté.
[73] Je note enfin que la preuve révèle, et que le juge est d’accord, que l’appelant n’a jamais été informé, avant de faire ses aveux, que ceux-ci pouvaient servir à l’incriminer. Il est étonnant que l’organisme en cause n’ait pas un protocole plus clair pour l’accueil des candidats que ses représentants peuvent aisément expliquer, sachant, de toute évidence, que si tous les déviants sexuels n’ont pas commis un crime, ce sera le cas pour d’autres, comme l’appelant.
[74] Enfin, aucun danger n’exigeait la neutralisation de l’appelant ou une action immédiate. Comme la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. S.(R.), l’intérêt social d’intervenir auprès des jeunes victimes en état de compromission indique l’importance de cet objectif. Il faut cependant tenir compte que les lois autorisent les professionnels à se libérer du secret et de la confidentialité de leurs rapports avec leurs patients uniquement dans des circonstances précises. L’état de compromission d’un enfant est l’exception édictée par la Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ c. P-34.1, article 38 à 39.1. Cette exception n’était pas constatée dans la présente affaire. Les lois prévoient également des mécanismes pour faire face aux dangers imminents que présentent certaines personnes qui consultent des professionnels tenus au secret et qu’ils peuvent alors prendre des mesures : voir notamment Code des professions, RLRQ c. C-26, art. 60.4; Code de déontologie des psychologues, RLRQ c C-26, r 212, art 18; Code de déontologie des médecins, RLRQ c M-9, r 17, art 20.
[75] Ces dispositions renforcent l’idée que notre société accorde une importance au secret des rapports entre les professionnels et leurs patients et s’accordent avec les valeurs de la Charte.
[76] Ne pas reconnaître qu’un privilège protège un aveu dans les circonstances de la présente affaire me semble aller à l’encontre du bon sens et décourage les personnes aux prises avec des déviances sexuelles de rechercher l’aide requise par leur état. Si la preuve ne permet pas de conclure avec certitude qu’un candidat ne se présenterait pas à une thérapie qui le mènera devant la cour criminelle, poser la question est sans doute y répondre. Contrairement au juge d’instance, j’estime qu’il s’agit d’une inférence probable, autorisée par la preuve et qui découle du bon sens.