Siciliano c. R., 2025 QCCA 335

Rien ne sert à un appelant de replaider — même avec force et conviction — les arguments présentés en première instance, en insistant sur ceux qui justifieraient à son avis une peine plus clémente.

[19]      Une cour d’appel « ne peut substituer sa propre décision à celle du juge de la peine que pour un motif valable »[9] et doit faire preuve de déférence envers le vaste pouvoir discrétionnaire du juge d’instance[10] à qui est dévolue la tâche bien difficile de pondérer tous les facteurs pertinents en matière de détermination de la peine, dans la poursuite des objectifs pénologiques énoncés au Code criminel. Comme l’exprimait le juge Gendreau dans R. c. S.T. :

[14] La détermination de la peine est, sans doute, l’une des tâches les plus difficiles et les plus délicates de la fonction judiciaire. En effet, trouver et appliquer la norme la plus juste et la plus équitable pour l’accusé tout en manifestant la réprobation sociale adéquate et en assurant la protection de la société est un exercice de pondération complexe puisqu’il tend à assurer un équilibre entre des valeurs qui, sans s’opposer, visent des objectifs différents.[11]

[20]      Le caractère strict de la norme d’intervention en la matière est bien connu et réitéré dans tous les arrêts de la Cour où un appelant cherche à faire réformer une peine infligée en première instance.

[21]      L’intervention de la Cour ne sera justifiée que si 1) la peine n’est manifestement pas indiquée; ou 2) le juge a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine[12]. Dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême mentionne, parmi les erreurs de principe, l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La pondération des facteurs peut aussi constituer une erreur de principe, mais seulement si le juge a « exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre »[13].

[22]      Ainsi, rien ne sert à un appelant de replaider — même avec force et conviction — les arguments présentés en première instance, en insistant sur ceux qui justifieraient à son avis une peine plus clémente. Par conséquent, la quête d’une peine juste et appropriée, proportionnelle à la gravité du crime et au degré de responsabilité du délinquant, ne mène pas à une seule peine acceptable, mais plutôt à une fourchette de peines appropriées, dont le choix relève de la discrétion du juge à l’égard de laquelle la Cour doit déférence en l’absence d’une erreur révisable.

[23]      À mon avis, c’est en raison de cette norme exigeante que la Cour devrait s’abstenir d’intervenir en l’espèce.

[26]      L’argument des appelants vise donc plutôt la pondération de ce facteur qui, selon eux, aurait dû bénéficier d’un poids plus important, de nature à réduire la peine infligée. Or, la détermination de l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes demeure du ressort du juge d’instance[17] et la Cour ne pourra intervenir en l’absence d’une démonstration que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon déraisonnable.

La dissuasion spécifique et la réinsertion sociale sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines infligées à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction. Toutefois, il ne s’agit pas d’une règle absolue.

[27]      Les appelants s’appuient sur l’arrêt Hills dans lequel la Cour suprême énonce que « [l]a dissuasion spécifique et la réinsertion sociale sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines infligées à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction »[18]. La Cour suprême réitère ce principe dans Bertrand Marchand[19]. Toutefois, il ne s’agit pas d’une règle absolue[20] et ce principe est effectivement nuancé en l’espèce par l’application de l’article 718.01 C.cr. qui prévoit que les principes de dénonciation et de dissuasion sont à favoriser dans le cas du mauvais traitement d’une personne de moins de 18 ans. La Cour suprême précise que cet article évoque un ordonnancement des objectifs[21] selon lequel il n’est pas loisible au juge d’accorder une priorité équivalente ou supérieure à d’autres objectifs[22].

[28]      Dans Courchesne c. R., la juge Bich, au nom de la Cour, explique l’interrelation de ces deux principes :

[51]  Bref, il incombe au tribunal d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, ce qui affecte donc forcément l’exercice de pondération auquel il doit se livrer aux fins de déterminer la peine, y compris dans les cas où, en raison de la jeunesse d’un délinquant primaire, il doit également donner un poids certain, c’est-à-dire important, aux facteurs de réhabilitation et de dissuasion spécifique.[23]

[soulignements ajoutés]

La possibilité d’imaginer un facteur plus aggravant ne permet pas d’écarter celui qui s’applique.

[29]      Selon les appelants, le facteur aggravant codifié au sous-al. 718.2a)(ii.1) C.cr., soit que le crime constitue un « mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans », tout comme le principe de l’article 718.01 C.cr. énoncé ci-dessus, devaient être tempérés en l’espèce puisque X, à 17 ans, avait presque l’âge de la majorité, au moment des faits allégués, et que l’écart d’âge avec les appelants était très faible[24].

[30]      Cet argument ne saurait convaincre. Bien que l’échelle de gravité puisse varier selon l’âge d’une victime — par exemple, ce facteur serait encore plus grave dans le cas d’un crime semblable commis envers une fillette de huit ans — la possibilité d’imaginer un facteur plus aggravant ne permet pas d’écarter celui qui s’applique ici. Le Code criminel trace la limite d’âge de façon claire et oblige le juge à accorder une priorité (primary consideration) aux objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsqu’il s’agit de mauvais traitements à l’égard d’une personne de moins de 18 ans.

[31]      Essentiellement, lors de la détermination de la peine pour un jeune contrevenant primaire ayant commis une infraction contre une personne mineure, le juge doit tenir compte du facteur aggravant codifié au sous-al. 718.2a)(ii.1) et prioriser la dénonciation et la dissuasion conformément à l’article 718.01C.cr. Cependant, il doit aussi s’assurer que la peine infligée respecte le principe de l’individualisation, de la proportionnalité et de la modération.

[32]      En l’espèce, voilà ce que le juge écrit à ce chapitre :

[120]   La prise en considération des objectifs, principes et facteurs applicables en matière de détermination de la peine visés aux articles 718 à 718.2 C.cr. amène le Tribunal à conclure qu’une sanction moins contraignante que l’incarcération n’est pas justifiée dans le cas des contrevenants, au regard de l’ensemble des circonstances abordées précédemment.

[121]   Malgré tout, le principe de modération demeure et doit trouver application. Dans un arrêt récent, la Cour d’appel de l’Ontario enseigne que lorsque l’incarcération est requise, voire lorsqu’une peine de pénitencier est requise, le principe de modération exige que la peine imposée ne soit pas plus longue que ce qui est nécessaire pour atteindre d’autres objectifs de détermination de la peine, comme la dénonciation et la dissuasion.

[122]   Le Tribunal prend en considération le principe de modération dans l’analyse de la détermination de peines proportionnelles, justes et appropriées pour chaque contrevenant.

[soulignements ajoutés, référence omise]

[33]      Force est de constater que le jeune âge des contrevenants a effectivement été pris en compte parmi les facteurs atténuants et que le juge n’a pas erré dans la pondération de son importance.

Le plaidoyer inscrit à la dernière minute, avant le procès, ne mérite pas une aussi grande considération que celui inscrit avec célérité.

[35]      Un plaidoyer de culpabilité est un facteur atténuant reconnu[26], et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, en règle générale, le fait pour un accusé de reconnaître sa participation dans l’infraction qui lui est reprochée démontre, au minimum, une amorce de conscientisation et de reconnaissance des torts causés à la victime et/ou à la société, et, bien souvent, témoigne de remords liés à sa conduite[27]. Ces éléments participent aussi souvent à diminuer le risque de récidive et peuvent être une bonne indication du potentiel de réhabilitation et de réinsertion sociale du délinquant[28]. En l’espèce, ces éléments atténuants sont dûment considérés par le juge[29].

[36]      Deuxièmement, un plaidoyer de culpabilité peut atténuer la peine parce qu’en évitant un procès, il permet d’économiser les ressources judiciaires et d’épargner à la victime toutes les conséquences et difficultés liées à un témoignage[30].

[37]      Renvoyant à une jurisprudence constante sur la question, le juge souligne que le plaidoyer inscrit à la dernière minute, avant le procès, ne mérite cependant pas une aussi grande considération que celui inscrit avec célérité[31]. Il est faux de prétendre que le juge punit les appelants pour des choix légitimes dans le déroulement de leur dossier. Il ne fait que constater l’évidence, c’est-à-dire que les plaidoyers sont inscrits la veille d’un procès fixé pour 11 jours. Par ailleurs, le juge mentionne expressément le désarroi et l’angoisse ressentis par X, et exprimés dans son témoignage, en raison de cette annonce soudaine, le jour même où elle se préparait à aller témoigner[32].

[38]      Le juge examine les circonstances et les conséquences rattachées à la tardiveté du plaidoyer de culpabilité et détermine que son effet atténuant est réduit en l’espèce[33]. Il ne commet aucune erreur de principe en lien avec ce facteur.

Une victime peut être vulnérable en raison de ses caractéristiques personnelles la rendant « plus susceptible d’être blessée, attaquée ou exploitée », mais elle peut aussi devenir vulnérable à cause des circonstances précises de l’infraction.

[52]       En général, la vulnérabilité d’une victime s’apprécie à la lumière de l’ensemble des faits retenus par le juge. Il s’agit d’un facteur dont l’importance variera selon les circonstances particulières du dossier. Une victime peut être vulnérable en raison de ses caractéristiques personnelles la rendant « plus susceptible d’être blessée, attaquée ou exploitée »[43], mais elle peut aussi devenir vulnérable à cause des circonstances précises de l’infraction.

[55]      Je ne vois aucune erreur commise par le juge lorsqu’il tient compte de cette situation de vulnérabilité, d’autant plus que l’argument des appelants sur cette question est fondé sur des mythes et stéréotypes. Ils soutiennent en effet que X n’était pas vulnérable puisqu’elle était « libre de partir à tout moment ». Cet argument occulte complètement la réalité d’une victime d’agression sexuelle en général, et de cette victime en particulier. Bien que les appelants n’invoquent pas l’inférence prohibée selon laquelle l’absence de résistance équivaut à consentement[44] (en fait, ils reconnaissent, par leur plaidoyer de culpabilité, l’absence de consentement de X), il est tout aussi aberrant pour eux de soutenir que le « libre arbitre » de la victime permet de conclure qu’elle n’était pas vulnérable.

[56]      Comme les auteures Desrosiers et Beausoleil-Allard l’écrivent :

[…] la majorité des victimes connaissent leur agresseur et […] nombre d’entre elles entretiennent une relation d’autorité et de confiance avec celui-ci, de sorte qu’elles n’ont d’autre choix que de se soumettre. De plus, les victimes ont peur. Les forces physiques en présence sont inégales et leur sécurité physique est menacée. Si elles résistent, elles risquent de se faire blesser, parfois tuer. La crainte d’attiser la violence contraint souvent à la passivité.[45]

[soulignements ajoutés]

[57]      Bref, la prétention selon laquelle X aurait pu quitter si elle l’avait voulu et qu’elle n’était conséquemment pas dans une situation de vulnérabilité s’inscrit dans une logique stéréotypée et depuis longtemps dépassée[46].

Tout en s’assurant de ne pas confondre un élément essentiel d’un crime avec un facteur aggravant, un juge peut — et doit — tenir compte des faits qui vont au-delà du minimum requis pour constituer un élément essentiel de l’infraction et qui ajoutent à la culpabilité morale du contrevenant. En matière d’agression sexuelle, bien que les attouchements constituent un élément de l’actus reus[54], leur importance aggravera évidemment la peine à infliger

[67]      Tout en s’assurant de ne pas confondre un élément essentiel d’un crime avec un facteur aggravant, un juge peut — et doit — tenir compte des faits qui vont au-delà du minimum requis pour constituer un élément essentiel de l’infraction et qui ajoutent à la culpabilité morale du contrevenant. Par exemple, dans un dossier de conduite avec facultés affaiblies par l’alcool, la preuve de l’alcool dans le sang de l’accusé demeure un élément essentiel de l’infraction, mais une alcoolémie particulièrement élevée doit être considérée comme un facteur aggravant (al. 320.22e) C.cr.)[52]. De même, dans un dossier d’homicide involontaire avec usage d’une arme à feu, si l’usage de l’arme en soi n’est pas un facteur aggravant, mais un élément essentiel de l’infraction, les circonstances entourant cet usage peuvent toutefois être considérées comme aggravantes[53]. Enfin, en matière d’agression sexuelle, bien que les attouchements constituent un élément de l’actus reus[54], leur importance aggravera évidemment la peine à infliger[55].

[68]      Dans toute accusation d’agression sexuelle, une preuve hors de tout doute raisonnable de la connaissance par l’accusé de l’absence de consentement de la plaignante satisfait à l’élément intentionnel de l’infraction. La passivité ne saurait équivaloir à consentement[56] et le poursuivant n’a pas à établir un refus clair exprimé par la victime. Cependant, lorsque, comme en l’espèce, la preuve démontre qu’il y a eu un refus communiqué et que l’accusé a poursuivi l’agression sexuelle malgré des protestations répétées, ces faits aggravent la culpabilité morale du contrevenant. Pour que cela soit clair, précisons que l’absence de protestations ne peut aucunement constituer un facteur atténuant la peine : nul besoin de développer sur le fait que l’absence de facteur aggravant ne constitue pas un facteur atténuant.

[69]      En l’espèce, le juge ne commet aucune erreur lorsqu’il considère comme un facteur aggravant « la persistance des contrevenants et l’objectification sexuelle de la victime »[57] et qu’il souligne la volonté communiquée de X « maintes fois ignorée au profit de l’assouvissement des désirs des contrevenants »[58], tenant compte aussi du fait que « [l]es contrevenants constatent son absence de plaisir, mais poursuivent néanmoins l’agression sexuelle »[59].