La norme de contrôle qui s’applique à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire diffère de celle qui s’applique aux questions de droit, aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit.
[50] La norme de contrôle qui s’applique à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire diffère de celle qui s’applique aux questions de droit, aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). Il s’agit d’une norme de contrôle adaptée à la prise de décision discrétionnaire, qui s’accompagne d’un cadre établissant des principes, des facteurs pertinents à examiner ainsi qu’une gamme de résultats acceptables. La norme de contrôle applicable à la prise de décision discrétionnaire en général est énoncée dans l’arrêt Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll-Byrne, 2022 CSC 48 :
Une décision discrétionnaire, comme celle prévue par le Parlement au par. 28(6), commande généralement la déférence et ne peut faire l’objet d’une intervention qu’en cas d’erreur de droit (considérée comme une erreur de principe), d’erreur de fait manifeste et déterminante (considérée comme une erreur importante dans l’interprétation de la preuve) ou de défaut d’exercer le pouvoir discrétionnaire judicieusement (ce qui comprend le fait d’agir de façon arbitraire ou de rendre une décision erronée [traduction] « au point de créer une injustice ») (Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205, par. 36, citant P. (W.) c. Alberta, 2014 ABCA 404, 378 D.L.R. (4th) 629, par. 15). [par. 41]
La norme de contrôle qui s’applique à la détermination de la peine s’accorde avec cette norme générale, tout en étant adaptée aux circonstances propres à cette opération.
La réinsertion sociale des délinquants et la protection de la société sont liées.
[56] La réinsertion sociale des délinquants et la protection de la société sont liées. Les premiers mots de l’art. 718 indiquent que « [l]e prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société ». L’un des objectifs sous‑jacents à cette fin est la « réinsertion sociale des délinquants » (al. 718d)). Cette dernière « fait partie des valeurs morales fondamentales qui distinguent la société canadienne de nombreuses autres nations du monde et [elle] guide les tribunaux dans la recherche d’une peine juste et appropriée » (Lacasse, par. 4).
[57] Puisque la détermination de la peine est une démarche individualisée (Parranto, par. 38; Suter, par. 4; M. (C.A.), par. 92; voir aussi Hills, par. 62), le juge qui en est chargé exerce un large pouvoir discrétionnaire quant au poids qu’il accorde aux objectifs qui sont énoncés à l’art. 718, dont la réinsertion sociale, afin d’arriver à une sanction qui est juste (Nasogaluak, par. 43). Quel que soit le poids qu’il accorde aux objectifs de détermination de la peine, « la peine doit respecter le principe fondamental de proportionnalité » (Nasogaluak, par. 40 (en italique dans l’original); voir aussi Ipeelee, par. 37). La combinaison de circonstances atténuantes et aggravantes, mentionnées à l’al. 718.2a), est propre à chaque affaire. C’est pourquoi il existe une fourchette d’issues acceptables dans laquelle une peine juste peut être fixée (voir Shropshire, par. 48, citant Muise, p. 123‑124; voir aussi Hills, par. 64; Hamilton, par. 85; Ruby, §2.5)
Pour fixer une peine située à l’intérieur de la fourchette déterminée au moyen de cette approche individualisée, le juge peut tenir compte de considérations tels les traitements et programmes de réinsertion sociale, sous réserve de la preuve concernant la disponibilité et l’accessibilité de ceux‑ci. La situation est différente lorsque le juge fixe une peine située à l’extérieur de la fourchette appropriée en tenant compte uniquement du temps à prévoir pour que le délinquant suive certains programmes.
[58] Pour fixer une peine située à l’intérieur de la fourchette déterminée au moyen de cette approche individualisée, le juge peut tenir compte de considérations tels les traitements et programmes de réinsertion sociale, sous réserve de la preuve concernant la disponibilité et l’accessibilité de ceux‑ci. La réinsertion sociale « doi[t] être conçu[e] en tenant compte du cas particulier de chaque contrevenant »; le meilleur moyen d’atteindre cet objectif est « un traitement adapté ou une peine visant la réintégration du contrevenant à la société ainsi que sa réussite future » (R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599, par. 82). Par conséquent, dans la mesure où le juge chargé de la détermination de la peine prend en compte de telles considérations en tant que facteurs pertinents pour fixer une peine juste, située à l’intérieur de la fourchette appropriée, il ne commet aucune erreur de principe.
[59] La situation est différente lorsque le juge fixe une peine située à l’extérieur de la fourchette appropriée en tenant compte uniquement du temps à prévoir pour que le délinquant suive certains programmes (R. c. Legere (1995), 1995 CanLII 1551 (ON CA), 22 O.R. (3d) 89 (C.A.), par. 38, citant R. c. Veen (No. 2) (1988), 33 A. Crim. R. 230 (H.C.), p. 235; voir aussi R. c. Spilman, 2018 ONCA 551, 362 C.C.C. (3d) 415, par. 41). Une telle approche ne donnerait pas effet au principe de proportionnalité; une peine de ce type équivaudrait à de la détention préventive, une sanction qui, de façon générale, n’est pas envisagée dans la partie XXII du Code (voir R. c. Keefe (1978), 1978 CanLII 2540 (ON CA), 44 C.C.C. (2d) 193 (C.A. Ont.), p. 199; Legere).
[60] C’est [traduction] « une chose d’affirmer que le principe de proportionnalité empêche l’infliction d’une peine allant au‑delà de ce qui est approprié au regard du crime ayant été commis simplement pour protéger la société; c’en est une autre de dire que la protection de la société n’est pas un facteur important dans la détermination d’une peine appropriée » (Legere, p. 101 (je souligne), citant Veen, p. 235). Comme je l’ai expliqué plus tôt, la prise en compte de la protection de la société en tant que facteur est conforme aux objets, objectifs et principes de détermination de la peine. Cela dit, un juge ne peut pas insister sur cet objet à l’exclusion des autres considérations pertinentes et applicables lorsqu’il élabore une peine juste (Spilman, par. 40). Ainsi que l’a fait remarquer la juge Arbour dans l’arrêt R. c. Knoblauch, 2000 CSC 58, [2000] 2 R.C.S. 780 :
Il n’existe, en droit criminel, aucun mécanisme permettant d’exclure de la société les individus dangereux simplement en prévision des préjudices qu’ils pourraient causer. Le droit criminel ne sanctionne que les actes qui ont été accomplis par les délinquants. [par. 16]
[61] Il y a quelques exceptions à ce qui précède, notamment le régime des délinquants dangereux et à contrôler de la partie XXIV du Code, qui sert à « protéger le public lorsque le comportement antérieur d’un criminel dénote une tendance à commettre des crimes de violence contre la personne et qu’il existe, de ce fait, un danger réel et actuel pour la vie et l’intégrité physique des gens » (R. c. Steele, 2014 CSC 61, [2014] 3 R.C.S. 138, par. 29, citant Hatchwell c. La Reine, 1974 CanLII 203 (CSC), [1976] 1 R.C.S. 39, p. 43; voir, p. ex., Spilman; R. c. Pelly, 2021 SKCA 50, 403 C.C.C. (3d) 127). Pour ce groupe de délinquants défini étroitement, le Parlement a décidé que la protection du public est un « objectif accru de détermination de la peine » (R. c. Boutilier, 2017 CSC 64, [2017] 2 R.C.S. 936, par. 56). J’insiste sur le critère exigeant auquel doit répondre la Couronne lorsqu’elle cherche à obtenir une déclaration sous le régime de la partie XXIV, ainsi que sur la preuve étoffée requise pour de telles demandes. On ne peut envisager un traitement dans le cadre du régime ordinaire de détermination de la peine à titre de solution de rechange à la détention préventive prévue à la partie XXIV avec toutes ses garanties concomitantes (Keefe, p. 199).
[62] Enfin, les tribunaux doivent garder à l’esprit qu’une fois que la peine est infligée, ce sont les responsables des services correctionnels, et non le juge chargé de la détermination de la peine, qui décident quels programmes seront offerts au détenu. Ces responsables disposent de ressources limitées; il n’y a aucune garantie quant à savoir quand, ou même si, un détenu sera en mesure d’avoir accès à des programmes en établissement. Les éléments de preuve à ce sujet sont souvent rares ou inexistants lors de l’audience de détermination de la peine; cela peut entraîner des conjectures inappropriées (voir, p. ex., R. c. J.K.F. (2005), 2005 CanLII 5398 (ON CA), 195 O.A.C. 141, par. 3; R. c. Snelgrove, 2005 BCCA 51, 207 B.C.A.C. 227). De plus, les délinquants autochtones dans les institutions carcérales font face à des inégalités dans l’accès aux programmes spécialisés et culturellement adaptés. À défaut d’éléments de preuve suffisants concernant la disponibilité de tels programmes, les délinquants autochtones pourraient être condamnés à des peines d’incarcération plus longues pour des raisons qui n’ont aucun lien avec la gravité de l’infraction commise ou leur culpabilité morale (voir, p. ex., le m. interv., Queen’s Prison Law Clinic, par. 8; voir aussi Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, [2018] 2 R.C.S. 165, par. 60). Par conséquent, dans bien des cas, les juges chargés de la détermination de la peine ne devraient pas examiner les considérations ayant trait aux programmes de réinsertion sociale.
[63] Les tribunaux devraient uniquement tenir compte de la disponibilité du programme, des possibilités de traitement ou du temps nécessaire pour que le délinquant suive le programme lorsque de telles observations sont étayées par un dossier de preuve dûment constitué. Par exemple, la Couronne peut présenter des éléments de preuve individualisés et propres au délinquant et à ses conditions de détention. La preuve quant à la nécessité de programmes correctionnels précis, ou la preuve des autorités correctionnelles concernant les échéanciers en cours pour la disponibilité et la capacité des programmes, peuvent également établir une base suffisante. De plus, les tribunaux doivent être conscients du fait que certains délinquants ne seront ni coopératifs ni disposés à prendre part à des programmes.
…
[71] Comme je l’ai expliqué plus tôt, un juge chargé de la détermination de la peine commettrait une erreur de principe en fixant une peine à l’extérieur de la fourchette appropriée (déterminée en fonction de la proportionnalité) en raison du temps à prévoir pour que le délinquant suive certains programmes (Legere, p. 101, citant Veen, p. 235). Toutefois, lorsqu’un juge cherche à façonner une peine à l’intérieur de la fourchette appropriée, il peut tenir compte de telles considérations. C’est ce qu’a fait la juge Aitken en l’espèce.
Suivant l’arrêt Lacasse, un « seuil très élevé » s’applique lorsqu’une cour d’appel détermine si une peine est manifestement non indiquée. Pour être jugée telle, la peine doit « s’écarte[r] de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires ».
[75] Enfin, bien qu’aucune des parties n’ait présenté d’observations devant notre Cour sur la question de savoir si une intervention en appel est justifiée au motif que la peine infligée était manifestement non indiquée, je me permets de faire les remarques suivantes. Suivant l’arrêt Lacasse, un « seuil très élevé » s’applique lorsqu’une cour d’appel détermine si une peine est manifestement non indiquée (par. 52). Pour être jugée telle, la peine doit « s’écarte[r] de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires » (M. (C.A.), par. 92; voir aussi Lacasse, par. 67; Suter, par. 23‑24).
[76] En l’espèce, compte tenu des circonstances graves de l’agression sexuelle, des menaces de mort à l’endroit de la victime, de la séquestration et de la situation dégradante où la plaignante a été forcée de faire un enregistrement dans lequel elle affirmait avoir été consentante, on ne peut conclure que la peine de 9 ans de détention ayant été infligée était manifestement non indiquée. Je m’empresse d’ajouter que je ne traite pas de la fourchette de peines pour les agressions sexuelles en général; par conséquent, je ne dis pas que toute agression sexuelle avec pénétration commande une peine tout aussi lourde. La peine reflète plutôt les circonstances particulières et graves de la présente affaire. La détermination de la peine est une démarche individualisée.
Donner une portée trop large à la notion de « mauvaise conduite » risque de miner le principe de proportionnalité. Les individus qui se voient refuser un crédit majoré sur la base d’une mauvaise conduite seront assujettis à une période d’incarcération prolongée pour une raison qui n’est pas liée à « la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité » du délinquant.
[88] Le présent pourvoi soulève la question suivante : Lorsqu’un accusé cause des délais dans l’instance criminelle dont il fait l’objet, dans quelles circonstances un tel comportement équivaut‑il à une « mauvaise conduite »? L’appelant affirme que cette mauvaise conduite devrait être définie étroitement (m.a., par. 54) et qu’elle ne devrait pas inclure les délais procéduraux causés par le délinquant (par. 53). La Couronne soutient que les juges chargés de la détermination de la peine [traduction] « devraient exercer leur pouvoir discrétionnaire d’une manière qui évite les délais et favorise la confiance du public » (m.i., par. 80) et que les délais attribuables à la conduite du délinquant constituent un motif valable pour refuser d’accorder un crédit majoré (par. 84).
[89] Les tribunaux inférieurs ont examiné ce qui constitue une « mauvaise conduite », quoique bien souvent en obiter. Par exemple, dans l’arrêt R. c. Stonefish, 2012 MBCA 116, 288 Man. R. (2d) 103, le tribunal a affirmé qu’un délinquant qui est par ailleurs admissible au crédit majoré pourrait ne plus y avoir droit s’il [traduction] « a intentionnellement retardé l’instance en révoquant continuellement le mandat de ses avocats » ou s’il « a causé des délais en ne coopérant pas avec les agents de probation lors de la préparation des rapports présentenciels » (par. 82). Dans une autre affaire, le tribunal était d’avis que « dans certains cas où le délinquant tente de “déjouer le système” en occasionnant des retards de traitement de façon à accroître le nombre de jours de son crédit majoré, il p[eut] être justifié de refuser d’allouer la majoration du crédit en plus de la peine imposée pour le manquement » (R. c. Hussain, 2018 ONCA 147, 140 O.R. (3d) 601, par. 22).
[90] Dans certaines affaires, les tribunaux ont jugé que des actions autres que les délais constituaient une « mauvaise conduite » du délinquant justifiant qu’il n’ait pas droit au crédit majoré. Par exemple, certains tribunaux se sont demandé si les facteurs considérés dans la détermination de la peine, tels les facteurs aggravants, peuvent servir à statuer sur l’octroi du crédit majoré (voir, p. ex., R. c. McBeath, 2014 BCCA 305, 341 C.C.C. (3d) 531; R. c. Boutilier, 2018 NSCA 65, 30 M.V.R. (7th) 31). D’autres affaires ont soulevé la question de savoir si la perpétration d’une infraction par le délinquant pendant qu’il est en liberté sous caution ou en probation le rendait inadmissible au crédit majoré (voir, p. ex., R. c. Morris, 2013 ONCA 223, 305 O.A.C. 47; R. c. Campbell, 2017 ONSC 26, par. 62; R. c. Bonneteau, 2016 MBCA 72, 330 Man. R. (2d) 139, par. 22; voir aussi Ruby, §13.98). Selon moi, il est préférable de reporter à une autre occasion l’examen de telles circonstances, dans le cadre d’une affaire où les faits pertinents sont présents.
[91] Cela dit, pour déterminer ce qui constitue une mauvaise conduite au regard de l’arrêt Summers, il nous faut garder à l’esprit l’objet du par. 719(3.1). Suivant l’adoption de la LAPC, la nouvelle limite imposée au crédit majoré avait pour objet de « dissuader l’accusé de prolonger la détention préventive, ainsi que d’assurer la transparence vis‑à‑vis du public quant à la juste sanction, au crédit accordé et aux motifs sous‑jacents » (Summers, par. 4).
[92] En outre, ce qui constitue une mauvaise conduite doit concorder avec l’objet, les objectifs et les principes de détermination de la peine, étant donné que les par. 719(3) et (3.1) font partie du régime général de détermination de la peine (Summers, par. 59). Donner une portée trop large à la notion de « mauvaise conduite » risque de miner le principe de proportionnalité. Les individus qui se voient refuser un crédit majoré sur la base d’une mauvaise conduite seront assujettis à une période d’incarcération prolongée pour une raison qui n’est pas liée à « la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité » du délinquant (art. 718.1). Une portée trop large risque également de miner le principe de parité, puisque la mauvaise conduite du délinquant entraînerait des disparités dans les peines infligées « à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables » (al. 718.2b); voir Summers, par. 61).
Le fait que le délinquant ait agi de façon à retarder l’instance n’est pas suffisant en soi pour constituer une mauvaise conduite. Cependant, si les actes en question sont posés dans l’intention d’entraver le bon fonctionnement du système de justice criminelle, il s’agira alors d’une mauvaise conduite.
[94] Cependant, si les actes en question sont posés dans l’intention d’entraver le bon fonctionnement du système de justice criminelle, il s’agira alors d’une mauvaise conduite. Les tentatives qui visent à [traduction] « “déjouer” le système » en faisant traîner l’instance ne peuvent être tolérées (Carvery, par. 20). Bien que les observations du juge Moldaver dans l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, concernaient les conséquences des délais sur le droit garanti par l’al. 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés, je suis d’avis qu’elles sont également pertinentes dans le présent contexte. Les procès instruits en temps utile ont une incidence non seulement sur les accusés, mais aussi sur les victimes et les témoins (par. 22‑23). Ils sont importants pour « préserver la confiance générale du public envers l’administration de la justice » (par. 25). Les délais déraisonnables risquent de porter atteinte au sens de la justice du public, car ils placent « l’innocent dans une situation incertaine et permet[tent] au coupable de rester impuni » (par. 25; voir aussi R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199, p. 1219‑1220). En outre, les délais exacerbent la souffrance des victimes et peuvent les dissuader de coopérer avec le système de justice criminelle (Jordan, par. 23‑24).
[95] Lors de l’audience, l’avocat de l’appelant a soutenu que les décisions de ce dernier de révoquer le mandat de ses avocats ne peuvent être considérées comme mauvaises parce qu’il exerçait ses droits constitutionnels (transcription, p. 32). De même, la Criminal Lawyers’ Association (Ontario) est intervenue pour faire valoir que l’exercice des droits légaux d’une personne ne saurait constituer une mauvaise conduite (m. interv., par. 23), car cela reviendrait dans les faits à punir le délinquant pour la façon dont il a mené sa défense (par. 25).
[96] Il ne fait aucun doute que le fait d’exercer ses droits légaux n’est pas en soi répréhensible. Causer des délais, p. ex., en congédiant son avocat, en choisissant de ne pas plaider coupable ou en présentant des requêtes fondées sur la Charte, ne constitue pas une mauvaise conduite en soi. Toutefois, de telles actions deviennent répréhensibles lorsque le délinquant manifeste l’intention d’entraver ou de miner le déroulement des procédures dans le système de justice criminelle.
La Couronne peut en outre faire valoir d’autres motifs justifiant l’exclusion du crédit majoré, comme le fait que l’accusé est un délinquant particulièrement dangereux, « auteu[r] d’infractions graves, [qui] n’[a] tout simplement pas droit à la libération anticipée ou conditionnelle », ou que « la conduite de l’accusé en prison donne à penser qu’il ne sera pas libéré par anticipation ou conditionnellement ».
[99] Lorsque cette inférence peut être tirée, il incombe alors à la Couronne (Summers, par. 79) de démontrer que le délinquant a eu une mauvaise conduite. La Couronne peut en outre faire valoir d’autres motifs justifiant l’exclusion du crédit majoré, comme le fait que l’accusé est un délinquant particulièrement dangereux, « auteu[r] d’infractions graves, [qui] n’[a] tout simplement pas droit à la libération anticipée ou conditionnelle », ou que « la conduite de l’accusé en prison donne à penser qu’il ne sera pas libéré par anticipation ou conditionnellement » (par. 79). Tout au long du processus, le juge chargé de la détermination de la peine doit garder à l’esprit qu’« [i]l est rarement nécessaire d’offrir à l’appui une preuve très étoffée. Concrètement, il ne faut pas compliquer le processus de détermination de la peine, ni augmenter sa durée » (par. 79).
Sur ce point, je dirais seulement que bien que les conditions dans un établissement psychiatrique puissent être différentes de celles dans un centre de détention préventive, il s’agit dans les deux cas d’une forme d’emprisonnement. Comme il a été dit dans l’arrêt Summers, « [l]’emprisonnement à quelque étape du processus criminel est une privation de liberté pour l’accusé »
[111] Étant donné qu’il existe un fondement suffisant justifiant l’octroi d’un crédit majoré suivant la raison d’être quantitative énoncée dans l’arrêt Summers (par. 71 et 79), il n’est pas nécessaire de répondre à la question de savoir si la raison d’être qualitative s’applique en l’espèce. Sur ce point, je dirais seulement que bien que les conditions dans un établissement psychiatrique puissent être différentes de celles dans un centre de détention préventive, il s’agit dans les deux cas d’une forme d’emprisonnement. Comme il a été dit dans l’arrêt Summers, « [l]’emprisonnement à quelque étape du processus criminel est une privation de liberté pour l’accusé » (par. 49, citant Rezaie, p. 104).