R. c. J.W., 2025 CSC 16

La norme de contrôle qui s’applique à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire diffère de celle qui s’applique aux questions de droit, aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit.

[50] La norme de contrôle qui s’applique à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire diffère de celle qui s’applique aux questions de droit, aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). Il s’agit d’une norme de contrôle adaptée à la prise de décision discrétionnaire, qui s’accompagne d’un cadre établissant des principes, des facteurs pertinents à examiner ainsi qu’une gamme de résultats acceptables. La norme de contrôle applicable à la prise de décision discrétionnaire en général est énoncée dans l’arrêt Canada (Bureau de la sécurité des transports) c. Carroll-Byrne, 2022 CSC 48 :

Une décision discrétionnaire, comme celle prévue par le Parlement au par. 28(6), commande généralement la déférence et ne peut faire l’objet d’une intervention qu’en cas d’erreur de droit (considérée comme une erreur de principe), d’erreur de fait manifeste et déterminante (considérée comme une erreur importante dans l’interprétation de la preuve) ou de défaut d’exercer le pouvoir discrétionnaire judicieusement (ce qui comprend le fait d’agir de façon arbitraire ou de rendre une décision erronée [traduction] « au point de créer une injustice ») (Canada (Procureur général) c. Fontaine, 2017 CSC 47, [2017] 2 R.C.S. 205, par. 36, citant P. (W.) c. Alberta, 2014 ABCA 404, 378 D.L.R. (4th) 629, par. 15). [par. 41]

La norme de contrôle qui s’applique à la détermination de la peine s’accorde avec cette norme générale, tout en étant adaptée aux circonstances propres à cette opération.

La réinsertion sociale des délinquants et la protection de la société sont liées.

[56] La réinsertion sociale des délinquants et la protection de la société sont liées. Les premiers mots de l’art. 718 indiquent que « [l]e prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société ». L’un des objectifs sous‑jacents à cette fin est la « réinsertion sociale des délinquants » (al. 718d)). Cette dernière « fait partie des valeurs morales fondamentales qui distinguent la société canadienne de nombreuses autres nations du monde et [elle] guide les tribunaux dans la recherche d’une peine juste et appropriée » (Lacasse, par. 4).

[57] Puisque la détermination de la peine est une démarche individualisée (Parranto, par. 38; Suter, par. 4; M. (C.A.), par. 92; voir aussi Hills, par. 62), le juge qui en est chargé exerce un large pouvoir discrétionnaire quant au poids qu’il accorde aux objectifs qui sont énoncés à l’art. 718, dont la réinsertion sociale, afin d’arriver à une sanction qui est juste (Nasogaluak, par. 43). Quel que soit le poids qu’il accorde aux objectifs de détermination de la peine, « la peine doit respecter le principe fondamental de proportionnalité » (Nasogaluak, par. 40 (en italique dans l’original); voir aussi Ipeelee, par. 37). La combinaison de circonstances atténuantes et aggravantes, mentionnées à l’al. 718.2a), est propre à chaque affaire. C’est pourquoi il existe une fourchette d’issues acceptables dans laquelle une peine juste peut être fixée (voir Shropshire, par. 48, citant Muise, p. 123‑124; voir aussi Hills, par. 64; Hamilton, par. 85; Ruby, §2.5)

Pour fixer une peine située à l’intérieur de la fourchette déterminée au moyen de cette approche individualisée, le juge peut tenir compte de considérations tels les traitements et programmes de réinsertion sociale, sous réserve de la preuve concernant la disponibilité et l’accessibilité de ceux‑ci. La situation est différente lorsque le juge fixe une peine située à l’extérieur de la fourchette appropriée en tenant compte uniquement du temps à prévoir pour que le délinquant suive certains programmes.

[58] Pour fixer une peine située à l’intérieur de la fourchette déterminée au moyen de cette approche individualisée, le juge peut tenir compte de considérations tels les traitements et programmes de réinsertion sociale, sous réserve de la preuve concernant la disponibilité et l’accessibilité de ceux‑ci. La réinsertion sociale « doi[t] être conçu[e] en tenant compte du cas particulier de chaque contrevenant »; le meilleur moyen d’atteindre cet objectif est « un traitement adapté ou une peine visant la réintégration du contrevenant à la société ainsi que sa réussite future » (R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599, par. 82). Par conséquent, dans la mesure où le juge chargé de la détermination de la peine prend en compte de telles considérations en tant que facteurs pertinents pour fixer une peine juste, située à l’intérieur de la fourchette appropriée, il ne commet aucune erreur de principe.

[59] La situation est différente lorsque le juge fixe une peine située à l’extérieur de la fourchette appropriée en tenant compte uniquement du temps à prévoir pour que le délinquant suive certains programmes (R. c. Legere (1995), 1995 CanLII 1551 (ON CA), 22 O.R. (3d) 89 (C.A.), par. 38, citant R. c. Veen (No. 2) (1988), 33 A. Crim. R. 230 (H.C.), p. 235; voir aussi R. c. Spilman, 2018 ONCA 551, 362 C.C.C. (3d) 415, par. 41). Une telle approche ne donnerait pas effet au principe de proportionnalité; une peine de ce type équivaudrait à de la détention préventive, une sanction qui, de façon générale, n’est pas envisagée dans la partie XXII du Code (voir R. c. Keefe (1978), 1978 CanLII 2540 (ON CA), 44 C.C.C. (2d) 193 (C.A. Ont.), p. 199; Legere).