Lévesque c. R., 2024 QCCA 1570

Un juste équilibre doit être établi entre la nature généralement expéditive du processus de mise en liberté provisoire – vu le droit du prévenu d’être mis en liberté à la première occasion raisonnable –, et la nécessité de s’assurer que le poursuivant puisse présenter sa preuve et faire valoir ses prétentions lorsqu’il s’y oppose.

[31] Cela étant, un juste équilibre doit être établi entre la nature généralement expéditive du processus de mise en liberté provisoire[27] – vu le droit du prévenu d’être mis en liberté à la première occasion raisonnable –, et la nécessité de s’assurer que le poursuivant puisse présenter sa preuve et faire valoir ses prétentions lorsqu’il s’y oppose. C’est ce que prévoit le par. 516(1) C.cr., lequel doit être lu avec le par. 515(1) C.cr. qui prévoit la possibilité (« a reasonable opportunity ») pour le poursuivant de s’opposer à cette mise en liberté[28].

Le délai de trois jours francs prévu au par. 516(1) n’est pas de rigueur.

[32] Il est indubitable que le par. 516(1) C.cr. prévoit que les procédures de contestation de la mise en liberté du prévenu devraient s’effectuer au plus tard dans les trois jours francs de sa comparution, à moins que le prévenu consente à un délai plus long. Cela étant, ce délai n’est manifestement pas de rigueur, puisque le juge peut ajourner ces procédures à toute autre date convenue avec le prévenu, même si elle excède les trois jours francs. Le juge peut même ajourner les procédures plusieurs fois si le prévenu y consent toujours.

[36] Cela étant, si le juge de paix peut ajourner les procédures au-delà du délai de trois jours francs prévu par le par. 516(1) C.cr. sans perdre sa compétence, il n’en demeure pas moins que les prescriptions de ce paragraphe ne sont alors pas respectées lorsque le prévenu n’y consent pas.

[37] La légalité de la détention peut alors être remise en question, vu que le défaut de respecter les prescriptions du par. 516(1) soulève la question du droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable, tel que garanti par l’al. 11e) de la Charte canadienne.

[38] Cependant, le droit du prévenu de ne pas consentir à un ajournement de plus de trois jours francs doit être évalué dans le contexte dans lequel l’ajournement est demandé. Bien que le prévenu puisse refuser de consentir à un ajournement de plus de trois jours francs, il peut survenir une multitude de circonstances qui justifient néanmoins d’ajourner les procédures à plus de trois jours francs, même si cela mène à prolonger la détention du prévenu sans son consentement. Certaines de ces circonstances peuvent constituer une « juste cause » au sens de l’al. 11e) de la Charte canadienne, d’autres non.

[39] Par exemple, lorsqu’il manque un renseignement clé, il pourrait être opportun pour le juge d’ajourner les procédures afin que la détention du prévenu puisse être évaluée utilement et sérieusement[31]. Il peut aussi survenir des évènements imprévus, tels un évènement météo, une pandémie, un incendie, une menace à la sécurité ou la maladie ponctuelle du juge, d’un procureur ou d’un témoin clé, qui justifient l’ajournement, et ce, même si le prévenu n’y consent pas. Il ne s’agit pas là d’une énumération exhaustive. Les motifs à l’appui de chaque demande d’ajournement doivent être évalués selon les circonstances propres à chaque cas, en tenant compte de la durée totale déjà écoulée aux fins de l’enquête, étant entendu que plus celle-ci se prolonge, plus il sera difficile de conclure que l’ajournement est justifié, quelle qu’en soit la raison.

[40] Par ailleurs, certains motifs d’ajournement constituent rarement une « juste cause », notamment lorsque la demande d’ajournement est le résultat d’un évènement qui était tout à fait prévisible ou qui aurait pu être facilement évité si des mesures appropriées avaient été prises en temps opportun. Il en est de même lorsque l’ajournement résulte d’une incurie systémique à l’égard de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire, comme c’était le cas dans les affaires Reilly[32], Simonelli[33] et Lauzon[34].

[41] Par exemple, prenons une demande d’ajournement fondée sur l’indisponibilité des juges, comme c’est le cas en l’espèce. Si l’indisponibilité résulte de circonstances imprévues, une maladie par exemple, elle pourrait peut-être justifier un ajournement des procédures. Ce serait beaucoup plus difficile si l’indisponibilité du juge découle d’un évènement prévisible ou qui aurait pu être facilement évité, ou encore, si elle est le résultat d’une incurie systémique, tel un manque de ressources. Comme le notait le juge Harris dans R. v. Barletta[35] :

[20] The inability to provide judicial officers, courtrooms or staff is no excuse for the failure to conduct a bail hearing within the three clear days timeframe of Section 516(1). Bail hearings are an absolute priority within the system of criminal justice. In this case, the conclusion is inescapable that the Section 11(e) rights of the Applicants were violated.

[42] Il incombe généralement au poursuivant d’assumer le fardeau de justifier une demande d’ajournement des procédures[36]. Ce fardeau est d’autant plus lourd lorsque le prévenu s’oppose à l’ajournement. Par ailleurs, l’ajournement ne peut être octroyé que pour la durée qui est strictement nécessaire.

[43] Les remèdes qui s’offrent au juge qui accorde une demande d’habeas corpus invoquant le par. 516(1) C.cr. varient selon les circonstances. Si l’arrêt des procédures peut être envisagé dans les cas d’incurie systémique[37], elle ne devrait pas l’être dans d’autres cas, sauf circonstances exceptionnelles. Comme le note le juge Harris dans R. c. Simonelli, « [i]n structuring the approach to the main issue in this case, it should be clarified at the outset that if the delay in holding this bail hearing was a one-off problem, an application for a stay could not be credibly argued »[38].

[44] Dans la plupart des cas, les remèdes à envisager pourront comprendre une ordonnance pour la tenue immédiate d’une enquête sur la mise en liberté provisoire du prévenu ou, encore, la mise en liberté du prévenu si les circonstances s’y prêtent.  Je souscris à ces égards aux propos de mon collègue le juge Cournoyer dans Tyrone-Stewart v. Centre de détention de Montréal, alors qu’il était à la Cour supérieure, voulant que le rôle de l’habeas corpus dans le cadre de la mise en liberté provisoire est surtout d’assurer un processus équitable au prévenu[39]. En effet, l’habeas corpus peut mener à un remède autre que la mise en liberté du prévenu lorsque les circonstances s’y prêtent[40].

La question qui se pose plutôt lorsqu’un prévenu ne consent pas à un ajournement de plus de trois jours francs en est une de droit substantif, à savoir si l’ajournement devrait néanmoins être accordé puisque le motif qui le justifie constitue une « juste cause » au sens de l’al. 11e) de la Charte canadienne pour le priver de sa mise en liberté pendant sa durée.

Il appartient généralement au poursuivant d’établir que le motif invoqué au soutien de l’ajournement constitue une « juste cause » pour priver l’appelante de sa mise en liberté pendant l’ajournement.

[49] Avec égards pour l’opinion contraire, lorsqu’un prévenu ne consent pas à un ajournement de plus de trois jours francs, on ne peut simplement évacuer le problème en ajournant de trois jours francs en trois jours francs au motif que la règle énoncée au par. 516(1) est ainsi techniquement respectée. Il s’agit là d’une règle de droit substantif et non pas d’une règle purement procédurale. La question qui se pose plutôt lorsqu’un prévenu ne consent pas à un ajournement de plus de trois jours francs en est une de droit substantif, à savoir si l’ajournement devrait néanmoins être accordé puisque le motif qui le justifie constitue une « juste cause » au sens de l’al. 11e) de la Charte canadienne pour le priver de sa mise en liberté pendant sa durée. On ne peut évacuer cette question en ajournant simplement de trois jours francs en trois jours francs, car ce faisant, on enlève toute portée substantive au par. 516(1) C.cr. et on déconsidère ainsi les droits du prévenu énoncés à l’al. 11e) de la Charte canadienne.