Tremblay c. R., 2019 QCCA 1749

Les mots « en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l’un des articles suivants » retrouvés au paragraphe 231(5) C.cr. ont leur importance. Ils requièrent à la fois que l’infraction énumérée à cette disposition

soit un acte distinct du meurtre et

qu’un lien temporel étroit entre le meurtre et l’infraction sous-jacente de domination soit démontré.

Les circonstances doivent faire de l’ensemble des actes un événement en continu.

Le lien temporel et causal entre chacune des circonstances sera établi si la suite des événements révèle une domination illégale de la part de l’agresseur qui culmine par le meurtre de la victime.

[14] Le meurtre au premier degré par imputation est défini au paragraphe 231(5) C.cr. :

231 (5) Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée par cette personne, en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l’un des articles suivants :

[…]

b) l’article 271 (agression sexuelle);

[…]

e) l’article 279 (enlèvement et séquestration);

[…]

231 (5) Irrespective of whether a murder is planned and deliberate on the part of any person, murder is first degree murder in respect of a person when the death is caused by that person while committing or attempting to commit an offence under one of the following sections:

[…]

(b) section 271 (sexual assault);

[…]

(e) section 279 (kidnapping and forcible confinement); or

[…]
[Soulignement ajouté]

[15] Les éléments que doit prouver la poursuite pour établir cette catégorie d’homicide sont mentionnés dans l’arrêt R. c. Harbottle :

Par conséquent, un accusé peut être reconnu coupable de meurtre au premier degré, conformément au par. 214(5) [paragr. 231(5) C.cr.], lorsque le ministère public établit hors de tout doute raisonnable que:

(1) l’accusé est coupable du crime sous‑jacent comportant domination, ou d’une tentative de commettre ce crime,

(2) l’accusé est coupable du meurtre de la victime,

(3) l’accusé a participé au meurtre d’une telle manière qu’il a été une cause substantielle du décès de la victime,

(4) il n’y a pas eu d’intervention d’une autre personne qui fait en sorte que l’accusé n’est plus substantiellement lié au décès de la victime, et

(5) le crime comportant domination et le meurtre faisaient partie de la même opération, c’est‑à‑dire qu’on a causé la mort en commettant l’infraction comportant domination, dans le cadre de la même série d’événements.[4]

[16] Les mots « en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l’un des articles suivants » retrouvés au paragraphe 231(5) C.cr. ont leur importance. Ils requièrent à la fois que l’infraction énumérée à cette disposition soit un acte distinct du meurtre et qu’un lien temporel étroit entre le meurtre et l’infraction sous-jacente de domination soit démontré[5]. Les circonstances doivent faire de l’ensemble des actes un événement en continu. Le lien temporel et causal entre chacune des circonstances sera établi si la suite des événements révèle une domination illégale de la part de l’agresseur qui culmine par le meurtre de la victime. C’est ce qu’explique la juge Wilson dans R. c. Paré :

[…] c’est la domination illégale continue exercée sur la victime qui confère de la continuité à la suite d’événements qui aboutissent au meurtre. Le meurtre représente une exploitation de la position de force créée par l’infraction sous‑jacente et fait de l’ensemble des actes qui constituent la conduite en question « une seule affaire ». C’est ce point de vue qui, à mon avis, traduit le mieux la philosophie qui sous‑tend le par. 214(5) [devenu 231(5)].[6]

[17] Ces enseignements ont été repris par la Cour d’appel de l’Ontario en ces termes :

The Ontario authorities indicate that liability for first degree murder under s. 231(5)(e) is established where, in the course of a single transaction, an accused commits the crime of unlawful confinement and then chooses to exploit his or her position of dominance over the victim, resulting from the confinement, to murder the victim.[7]

[18] Dans la présente affaire, la juge retient que la preuve permettait au jury de parvenir raisonnablement à l’une ou l’autre des infractions sous-jacentes de séquestration ou d’agression sexuelle. Les faits acceptés par la juge aux fins de son analyse ne sont par ailleurs pas litigieux. L’appelant s’en prend plutôt au poids des inférences tirées à partir de la preuve pertinente, bien qu’il ne propose aucune défense pour les nuancer ou encore les contester.

Une preuve circonstancielle peut suffire à établir l’infraction d’agression sexuelle ou de tentative d’agression sexuelle.

[36] Une preuve circonstancielle peut suffire à établir l’infraction d’agression sexuelle ou de tentative d’agression sexuelle, et ce, notamment, pour le cas qui nous occupe, à partir de la disposition du corps de la victime[24]. Récemment, notre Cour expliquait en ces termes les éléments à prendre en considération dans le cadre d’une analyse objective portant sur le crime d’agression sexuelle :

[24] Pour savoir s’il est en présence d’une agression sexuelle, l’analyse du juge ne doit pas se limiter à l’identification de la partie du corps où est infligée une lésion. Il doit examiner la nature du contact et la situation dans laquelle il s’est produit, selon une analyse objective. Les facteurs pertinents sont les parties du corps touchées, la nature du contact, les paroles et les gestes qui ont accompagné l’acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces. L’intention ou le dessein d’un accusé, si celui-ci était de tirer un plaisir sexuel, peut aussi constituer un facteur pertinent.

[25] Ici, le contexte sexuel de l’agression est démontré objectivement selon la norme applicable à l’enquête préliminaire, soit un degré peu élevé : la victime a été retrouvée nue, ses parties intimes ont été touchées, des lacérations importantes et répétées sont concentrées sur ses organes génitaux et résultent de gestes posés alors qu’elle était vraisemblablement toujours vivante. De plus, l’agression est survenue dans un lieu privé, la salle de bain.[25]

[37] À l’instar de la séquestration, l’agression sexuelle à titre d’acte de domination doit être distincte du meurtre, mais former « une seule affaire » avec celui-ci, c’est-à-dire que l’appelant doit avoir causé la mort de la victime tout en commettant une agression sexuelle à l’occasion de la même trame factuelle.

[38] La preuve retenue par la juge au soutien de sa décision de rejeter la requête pour verdict imposé en ce qui concerne l’infraction d’agression sexuelle est la suivante :

1) À la suite d’une dispute[26] entre l’appelant et la victime d’une durée de près d’une minute qui a lieu à l’extérieur du cabanon, alors que les deux « semblent devenir plus agitées »[27], la victime reçoit un coup de la part de l’appelant. Elle s’écroule au sol;

2) L’appelant traîne ensuite la victime inconsciente dans un cabanon alors qu’elle est toujours vêtue. Cette manœuvre prendra à l’appelant une minute additionnelle;

3) L’appelant admet que sa déclaration donnée à l’enquêteur permet d’inférer que la victime est toujours vivante au moment d’être placée dans le cabanon[28];

4) Le corps de la victime est retrouvé à cet endroit, nu à partir du tronc jusqu’aux pieds; et

5) De l’ADN provenant de l’appelant est retrouvé sur le sein droit de la victime.

[39] La juge aborde le crime d’agression sexuelle en laissant de côté la déclaration de l’appelant[29], et ce, conformément à ce que prévoit la jurisprudence en cette matière[30], étant bien au fait qu’il ne lui revenait pas d’apprécier la force probante de cette preuve. Elle se demande plutôt, advenant la situation où le jury déciderait de ne pas retenir cette preuve, s’il subsisterait suffisamment d’éléments lui permettant de conclure à un meurtre au premier degré à partir de l’infraction sous-jacente d’agression sexuelle. Pour ce faire, elle retient les éléments de preuve suivants :

[…] la preuve sur laquelle le jury pourra se baser pour en arriver à un verdict sera à l’effet que Pina Rizzi est traînée inconsciente et vêtue dans le cabanon, que son corps est retrouvé gisant sur le ventre, dénudé, ses vêtements accumulés au niveau du cou et de la tête, le soutien-gorge détaché et au niveau du cou également, et que l’ADN de l’accusé, qui peut provenir de salive, de sueur ou de cellule de la peau, mais pas de sperme, est trouvé sur son sein droit. L’autopsie ne révèle aucune autre marque physique de contact sexuel entre Jean-Philippe Tremblay et Pina Rizzi.[31]

[40] Pour contrer les déterminations de la juge, l’appelant reprend sa thèse selon laquelle la preuve permet de tirer plusieurs inférences possibles qui ne conduiraient pas nécessairement à sa culpabilité. Ainsi, l’absence de petites culottes de la victime s’expliquerait par la possibilité qu’elle n’en portait pas. La situation des pantalons de la victime retrouvés autour de son cou a comme réponse le désir de l’appelant d’éponger le sang de la victime, et ce, bien qu’aucun indice dans la preuve ne soutienne cette hypothèse. Le soutien-gorge relevé serait le résultat d’une activité sexuelle consentante tout comme la présence de l’ADN de l’appelant trouvé sur le sein droit de la victime.

[41] Au départ, ces prétentions ne reposent sur aucun élément de preuve concret, si ce n’est de constituer des hypothèses qui n’atteignent pas le niveau des inférences raisonnables.

[42] De plus, au stade de la requête pour verdict imposé, la juge n’avait pas à spéculer sur l’ensemble des possibilités découlant de la preuve comme l’invite à le faire l’appelant. La norme à laquelle elle devait plutôt s’astreindre était la suivante : « le juge doit évaluer la preuve, en ce sens qu’il doit déterminer si celle-ci est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences que le ministère public veut que le jury fasse »[32].

[43] Il ne s’agissait donc pas de déterminer si l’inférence selon laquelle l’appelant avait commis une agression sexuelle sur la victime était la seule inférence raisonnable qu’il était possible de tirer de la preuve circonstancielle. Cette appréciation complète de la preuve relevait seulement du juge des faits[33].

[44] Je partage donc l’avis de la juge selon lequel la poursuite avait présenté suffisamment d’éléments de preuve circonstancielle permettant de soutenir un verdict de culpabilité pour le crime d’agression sexuelle. La nature sexuelle des attouchements peut raisonnablement s’inférer de la nudité de la victime alors qu’au moment d’être traînée à l’intérieur du cabanon, elle était toujours vêtue. À ces preuves s’ajoute l’ADN de l’appelant retrouvé sur le sein droit de la victime. L’absence de consentement de cette dernière peut également s’inférer de son état d’inconscience au moment d’être traînée dans le cabanon et de la domination sur elle qui s’en est suivie.

[45] Bref, la preuve circonstancielle présentée par la poursuivante n’avait pas à exclure toute inférence concevable et il n’était pas nécessaire que celle-ci soit convaincante au point de contrer toutes les explications possibles[34].

[46] La juge était donc justifiée de rejeter les arguments de l’appelant portant sur l’absence de preuve pour le crime d’agression sexuelle.