Charles c. R., 2022 QCCA 1013

L’article 9 L.p. ne concerne pas la règle générale d’exclusion du ouï-dire ni les circonstances dans lesquelles ce type de preuve peut être admis. Il a plutôt trait à la règle de common law interdisant à une partie d’attaquer la crédibilité d’un de ses témoins à l’aide d’une preuve générale de mauvaise moralité.

Le second paragraphe de l’article 9 L.p., quant à lui, traite du cas particulier de la partie souhaitant attaquer la crédibilité d’un de ses témoins en se servant d’une déclaration écrite ou enregistrée qu’il a faite et qui est incompatible avec son témoignage. La partie concernée pourra être autorisée[12], là encore si les fins de la justice le requièrent, à contre-interroger le témoin quant à sa déclaration antérieure incompatible. Le tribunal pourra aussi, sur la foi de ce contre-interrogatoire, constater que le témoin est opposé à la partie l’ayant convoqué, permettant du coup à cette dernière de se livrer à une attaque plus étendue de sa crédibilité[13].

[21]      Comme premier moyen d’appel, l’appelant reprend un argument qu’il a soulevé en première instance et qui trouverait appui dans l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire B. (K.G.)[7]. L’argument va comme suit : lorsqu’un témoin ayant précédemment fait une déclaration extrajudiciaire affirme ne se souvenir de rien, un voir-dire relatif à l’admissibilité de cette déclaration extrajudiciaire à titre de ouï-dire ne peut avoir lieu qu’après que le juge eut décidé que le témoin était opposé à la partie l’ayant convoqué et autorisé le contre-interrogatoire du témoin relativement à cette déclaration, et ce, conformément à la procédure établie à l’article 9(2) de la Loi sur la preuve au Canada[8] (« L.p. »)[9]. Puisque cette procédure n’a pas été suivie par le juge de première instance, ce dernier aurait commis une erreur de droit en admettant en preuve la déclaration extrajudiciaire de K.A.

[22]      L’intimée rétorque que l’appelant se méprend sur la teneur et la portée des exigences de l’article 9(2) L.p. Elle ajoute que la Cour suprême n’a jamais décidé que la procédure y étant énoncée constituait une étape préalable à l’admission en preuve, à titre de ouï-dire, d’une déclaration extrajudiciaire antérieure d’un témoin affirmant ne se souvenir de rien. Elle attire aussi l’attention de la Cour sur R. v. Glowatski[10], un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique rejetant un argument identique à celui soulevé par l’appelant.

[23]      À mon avis, l’intimée a raison.

[24]      L’article 9 L.p. ne concerne pas la règle générale d’exclusion du ouï-dire ni les circonstances dans lesquelles ce type de preuve peut être admis. Il a plutôt trait à la règle de common law interdisant à une partie d’attaquer la crédibilité d’un de ses témoins à l’aide d’une preuve générale de mauvaise moralité. Le législateur réitère cette règle au premier paragraphe de l’article 9 L.p., puis il établit une exception lorsque le témoin s’avère être « opposé/adverse » à la partie l’ayant convoqué : celle-ci pourra alors réfuter les affirmations du témoin par d’autres témoignages ou encore être autorisée, si les fins de la justice le requièrent, à prouver que le témoin a fait une déclaration antérieure incompatible à l’égard de laquelle ce dernier pourra ensuite être contre-interrogé. Cette exception s’ajoute à celle, reconnue en common law depuis longtemps, permettant à une partie de contre-interroger un de ses témoins lorsque celui-ci lui est hostile[11].

[25]      Le second paragraphe de l’article 9 L.p., quant à lui, traite du cas particulier de la partie souhaitant attaquer la crédibilité d’un de ses témoins en se servant d’une déclaration écrite ou enregistrée qu’il a faite et qui est incompatible avec son témoignage. La partie concernée pourra être autorisée[12], là encore si les fins de la justice le requièrent, à contre-interroger le témoin quant à sa déclaration antérieure incompatible. Le tribunal pourra aussi, sur la foi de ce contre-interrogatoire, constater que le témoin est opposé à la partie l’ayant convoqué, permettant du coup à cette dernière de se livrer à une attaque plus étendue de sa crédibilité[13].

La partie qui tente de faire admettre en preuve, à titre de ouï-dire, une déclaration antérieure incompatible d’un de ses témoins ne cherche pas, à proprement parler, à attaquer sa crédibilité afin d’atténuer la force probante d’un témoignage qu’elle considère faux ou inexact.

Je vois mal en quoi il serait nécessaire ou même utile d’exiger l’épuisement de cette procédure [9 L.p.] avant que la déclaration antérieure incompatible du témoin puisse être admise en preuve à titre de ouï-dire.

[26]      La partie qui tente de faire admettre en preuve, à titre de ouï-dire, une déclaration antérieure incompatible d’un de ses témoins ne cherche pas, à proprement parler, à attaquer sa crédibilité afin d’atténuer la force probante d’un témoignage qu’elle considère faux ou inexact. Elle cherche plutôt à dénouer l’impasse dans laquelle elle se trouve en raison du refus ou de l’incapacité du témoin à s’exprimer adéquatement sur les faits relatés dans sa déclaration antérieure : elle invoque alors la nécessité d’admettre en preuve cette déclaration afin que le juge des faits puisse avoir accès à la version du témoin qu’elle estime utile à sa cause. Il s’agit d’une finalité bien différente de celle poursuivie par la procédure prévue à l’article 9(2) L.p.

[53]      Nous partageons l’avis de notre collègue en ce qui a trait au paragr. 9(2) de la Loi sur la preuve. Notre opinion diffère toutefois de la sienne en ce qui concerne la recevabilité de la déclaration de K.A. Avec égards, nous estimons que son analyse décortique indûment la preuve et la jurisprudence. Ceci mène à la négation du principe cardinal qui consiste à privilégier une approche souple, un examen effectué au cas par cas, en tenant compte de toutes les circonstances, examen qui relève d’abord et avant tout du juge du procès puisqu’il est le mieux placé pour déterminer dans quelle mesure les dangers d’une preuve par ouï-dire sont présents : R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Smith, 1992 CanLII 79 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 915; R. c. B. (K.G.), 1993 CanLII 116 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 740; R. c. U. (F.J.),1995 CanLII 74 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 764; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298; R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720; R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865.

La nouvelle règle d’admissibilité du ouï-dire ne saurait être rigide et compartimentée; elle doit, au contraire, être souple et pouvoir s’adapter aux nouvelles situations.

La question primordiale demeure la nécessité que la preuve annihile les craintes que la déclaration puisse être fausse ou autrement erronée et qu’elle fournisse une base rationnelle permettant de rejeter d’autres explications, même conjecturales.

[54]      La nouvelle règle d’admissibilité du ouï-dire ne saurait être rigide et compartimentée; elle doit, au contraire, être souple et pouvoir s’adapter aux nouvelles situations : U. (F.J.), paragr. 20.Le juge du procès, gardien des règles de preuve, possède alors « un rôle davantage complexe et nuancé » : Youvarajah, paragr. 21. Il détermine « si la déclaration relatée atteint le seuil de fiabilité », alors que le juge des faits décide de « la fiabilité en dernière analyse » : Youvarajah, paragr. 23; Khelawon, paragr. 2. La distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse est essentielle : Bradshaw, paragr. 39; Khelawon, paragr. 50.

[55]      La question primordiale demeure la nécessité que la preuve annihile les craintes que la déclaration puisse être fausse ou autrement erronée et qu’elle fournisse une base rationnelle permettant de rejeter d’autres explications, même conjecturales. Or, c’est exactement l’exercice auquel s’est astreint le juge de première instance et c’est la conclusion qu’il a retenue. Rien ne permet d’infirmer le résultat auquel il est parvenu alors que la retenue s’impose en appel : Youvarajah, paragr. 31.

[56]      Il est vrai, lorsqu’il s’agit d’évaluer la fiabilité substantielle, que Bradshaw requiert qu’une preuve de corroboration porte sur un aspect important de la déclaration. Il faut toutefois examiner cette exigence dans un double contexte : celui de l’arrêt Bradshaw et celui du présent dossier.

[57]      Les faits singuliers dans Bradshaw sont importants : R. v. Larue, 2018 YKCA 9, paragr. 98-101 (la juge Dickson) confirmé par 2019 CSC 25, [2019] 2 R.C.S. 398; R. v. Hall, 2018 MBCA 122, paragr. 77-78. Dans cette affaire, le déclarant, une personne à la crédibilité douteuse et visée par Vetrovec, avait antérieurement, et sur une longue période, fait plusieurs déclarations contradictoires sur sa propre participation aux meurtres et sur celle de l’accusé, alors que le seul aspect susceptible de corroborer sa dernière déclaration était les conditions météorologiques et la preuve médicolégale confirmant la manière de commettre les meurtres. On peut comprendre qu’il fallait être particulièrement exigeant avant de permettre le dépôt d’une déclaration provenant d’un tel témoin.

[60]      Par ailleurs, l’analyse de notre collègue portant sur la preuve de corroboration se fonde en grande partie sur Bradshaw qui, de son côté, a été rendu dans un contexte différent du nôtre puisque, dans cette affaire, le juge s’était basé principalement sinon exclusivement sur la corroboration pour admettre la preuve (la fiabilité substantielle). Ce n’est pas le cas ici, même si le juge n’a pas rigoureusement distingué les deux approches (fiabilité substantielle/fiabilité d’ordre procédural).