*Voir aussi notre billet sur les fondements de l’interdiction de la preuve par ouï-dire.

R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35

L’exception raisonnée en matière de ouï-dire

[19]                          Le processus de recherche de la vérité d’un procès repose sur la présentation de la preuve en cour. Les parties présentent leur cause en soumettant au juge des faits des preuves matérielles et des témoignages de vive voix. En cour, les témoins font leur déposition sous serment ou affirmation solennelle. Le juge des faits observe directement les preuves matérielles et entend les témoignages, de sorte qu’il n’y a aucun risque que la preuve soit rapportée de manière inexacte. Ce processus procure au juge des faits des outils solides pour apprécier la véracité de la preuve et en évaluer la valeur. Pour savoir si un témoin dit la vérité, le juge de faits peut observer son comportement et juger si le témoignage résiste à l’épreuve d’un contre‑interrogatoire (R. c. Khelawon, 2006 CSC 57 (CanLII), [2006] 2 R.C.S. 787, par. 35).

[20]                          Le ouï‑dire est une déclaration extrajudiciaire présentée pour établir la véracité de son contenu. Puisque la déclaration est faite à l’extérieur du tribunal, il est souvent difficile pour le juge des faits d’apprécier si elle est digne de foi. En général, le ouï‑dire n’est pas fait sous serment, le juge des faits ne peut observer le comportement du déclarant au moment où il fait sa déclaration, et le déclarant n’est pas soumis à l’épreuve du contre‑interrogatoire (R. c. B. (K.G.), 1993 CanLII 116 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 740, p. 764). Le fait de permettre au juge des faits de tenir compte du ouï‑dire peut donc compromettre l’équité du procès et le processus de recherche de la vérité. La déclaration relatée peut être rapportée de manière inexacte, et le juge des faits ne peut pas facilement mettre à l’épreuve la perception, la mémoire, la relation du fait ou la sincérité du déclarant (Khelawon, par. 2). Comme le juge Fish l’a expliqué dans R. c. Baldree, 2013 CSC 35 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 520 :

                           Premièrement, il se peut que le déclarant ait mal perçu les faits relatés dans sa déclaration; deuxièmement, même s’il a correctement perçu les faits pertinents, il se peut qu’il ne se les remémore pas fidèlement; troisièmement, il est possible qu’en relatant les faits pertinents il induise involontairement en erreur; finalement, il pourrait avoir sciemment fait une fausse déclaration. La possibilité de sonder en profondeur ces éventuelles sources d’erreur ne se présente que si le déclarant comparaît pour être contre‑interrogé. [Italiques dans l’original; par. 32.]

[21]                          Compte tenu des dangers que présente la preuve par ouï‑dire, « [o]n craint que la preuve par ouï‑dire non vérifiée se voie accorder plus de poids qu’elle n’en mérite » (Khelawon, par. 35). Par conséquent, même si tout élément de preuve pertinent est généralement admissible, la preuve par ouï‑dire est présumée inadmissible (Khelawon, par. 2‑3).

[22]                          Toutefois, certaines preuves par ouï‑dire « présente[nt] des dangers minimes et [leur] exclusion au lieu de [leur] admission gênerait la constatation exacte des faits » (Khelawon, par. 2 (italiques dans l’original)). Par conséquent, les tribunaux ont défini au fil du temps des catégories d’exceptions à la règle d’exclusion du ouï‑dire. Ces exceptions traditionnelles sont fondées sur l’admission de certains types de déclarations relatées qui étaient considérées nécessaires et fiables, comme les déclarations de mourants (Khelawon, par. 42; R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 720, par. 20; J. H. Wigmore, Evidence in Trials at Common Law (2e éd. 1923), vol. III, p. 152).

[23]                          Finalement, une approche plus souple relative au ouï‑dire est ressortie de la jurisprudence. Selon l’exception raisonnée, le ouï‑dire peut exceptionnellement être admis en preuve lorsque la partie qui le produit démontre que le double critère de la nécessité et du seuil de fiabilité est respecté selon la prépondérance des probabilités (Khelawon, par. 47).

[24]                          En admettant seulement les preuves par ouï‑dire nécessaires et suffisamment fiables, le juge du procès agit à titre de gardien de la preuve. Il protège l’équité du procès et l’intégrité du processus de recherche de la vérité (Youvarajah, par. 23 et 25). Dans les poursuites criminelles, l’appréciation du seuil de fiabilité comporte une dimension constitutionnelle, parce que la difficulté de vérifier la preuve par ouï‑dire peut compromettre le droit de l’accusé à un procès équitable (Khelawon, par. 3 et 47). Même lorsque le juge du procès est convaincu que le ouï‑dire est nécessaire et suffisamment fiable, il a le pouvoir discrétionnaire de l’exclure si son effet préjudiciable l’emporte sur sa valeur probante (Khelawon, par. 49).

Ouï-dire et l’exception raisonnée : la norme du seuil de fiabilité demeure toujours élevée

[31]                          Bien que la norme de la fiabilité substantielle soit élevée, la garantie « qui figure dans l’expression ‘garantie circonstancielle de fiabilité’ n’exige pas qu’on établisse la fiabilité de manière absolument certaine » (Smith, p. 930). Le juge du procès doit plutôt être convaincu que la déclaration est « si fiable qu’il aurait été peu ou pas utile de contre‑interroger le déclarant au moment précis où il s’est exprimé » (Khelawon, par. 49). Au fil de ses décisions, la Cour a exprimé le degré de certitude requis de différentes façons. La fiabilité substantielle est établie lorsque la déclaration « a été faite dans des circonstances qui écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti ou commis une erreur » (Smith, p. 933); « dans des circonstances où même un sceptique prudent la considérerait comme très probablement fiable » (Khelawon, par. 62, citant Wigmore, p. 154); lorsque la déclaration est si fiable qu’elle « ne serait pas susceptible de changer lors d’un contre‑interrogatoire » (Khelawon, par. 107; Smith, p. 937); lorsqu’« il n’y a pas de préoccupation réelle quant au caractère véridique ou non de la déclaration, vu les circonstances dans lesquelles elle a été faite » (Khelawon, au par. 62); lorsque la seule explication probable est que la déclaration est véridique (U. (F.J.), par. 40).

[32]                          Ces deux approches visant à établir le seuil de fiabilité peuvent aller de pair. La fiabilité d’ordre procédural et la fiabilité substantielle ne sont pas des catégories mutuellement exclusives (Khelawon, par. 65) et « les facteurs pertinents à l’égard de l’une peuvent servir à compléter l’autre » (Couture, par. 80). Cela dit, la norme du seuil de fiabilité demeure toujours élevée — la déclaration doit être suffisamment fiable pour écarter les dangers spécifiques du ouï‑dire qu’elle présente (Khelawon, par. 49). Par exemple, dans U. (F.J.), lorsque la Cour s’est appuyée sur des éléments de fiabilité d’ordre procédural et de fiabilité substantielle pour accepter l’admission d’une déclaration relatée, le contre‑interrogatoire du témoin qui se rétracte et la preuve corroborante étaient nécessaires pour que le seuil de fiabilité soit atteint, mais aucun n’était suffisant à lui seul (voir également Blackman, par. 37‑52). Je ne connais aucun autre exemple provenant de la jurisprudence de la Cour où la fiabilité d’ordre procédural et la fiabilité substantielle se complètent pour que l’admission d’une déclaration relatée soit acceptée. Il faut prendre bien soin de s’assurer que cette approche combinée ne donne pas lieu à l’admission de déclarations malgré le fait que les mesures de protection procédurales et les garanties de fiabilité inhérentes soient insuffisantes pour écarter les dangers du ouï‑dire.

Dans quelles circonstances et de quelle façon le juge du procès peut‑il s’appuyer sur des éléments de preuve corroborants pour conclure que la fiabilité substantielle est établie en matière de ouï-dire raisonnée?

[37]                          Dans R. c. Starr, 2000 CSC 40 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour a conclu que les éléments de preuve corroborants ne pouvaient pas être pris en considération lors de l’appréciation du seuil de fiabilité du ouï‑dire. Cette règle de démarcation très nette a été créée pour que le juge du procès n’empiète pas sur la compétence du juge des faits en préjugeant de la fiabilité en dernière analyse de la déclaration relatée (par. 217)[1].

[38]                          À cet égard, l’arrêt Khelawon a infirmé l’arrêt Starr. La juge Charron a expliqué que, dans les cas appropriés, les éléments de preuve corroborants ou contradictoires peuvent être pris en compte lors de l’appréciation du seuil de fiabilité (par. 93‑100). Suivant l’arrêt Khelawon, « un élément de preuve [qui] permet d’établir la véracité d’une déclaration [. . . ] ne devrait plus être exclu simplement parce qu’il s’agit d’une preuve corroborante » (Blackman, par. 55 (je souligne)). Mais il importe de « souligner que Khelawon n’a pas élargi la portée de l’examen de l’admissibilité; il n’a fait que le mettre au point » (Blackman, par. 54). Bien que Khelawon ait infirmé l’interdiction de tenir compte des éléments de preuve corroborants lors de l’examen de l’admissibilité, il a confirmé la distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse (par. 50; Blackman, par. 56).

[39]                          La distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse, bien qu’elle puisse être « source de confusion », est essentielle (Khelawon, par. 50). Le seuil de fiabilité porte sur l’admissibilité de l’élément de preuve, tandis que la fiabilité en dernière analyse est liée au fait de s’y fier (Khelawon, par. 3). Lorsque le seuil de fiabilité repose sur la fiabilité intrinsèque de la déclaration, le juge du procès et le juge des faits peuvent tous les deux évaluer si la déclaration relatée est digne de foi. Cependant, ils le font pour des raisons différentes (Khelawon, par. 3 et 50). Lorsqu’il apprécie la fiabilité en dernière analyse, le juge des faits établit dans quelle mesure la déclaration est digne de foi et, si elle l’est, dans quelle mesure il devrait s’y fier pour trancher les questions en litige (Khelawon, par. 50; D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (7e éd. 2015), p. 35‑36). Il prend cette décision « en fonction de l’ensemble de la preuve », ce qui comprend la preuve qui corrobore la culpabilité de l’accusé ou la crédibilité générale du déclarant (Khelawon, par. 3).

[40]                          Par contre, lorsqu’il apprécie le seuil de fiabilité, le juge du procès se demande si un contre‑interrogatoire en cour du déclarant au moment où il a fait sa déclaration aurait été utile au processus judiciaire (Khelawon, par. 49; voir aussi H. Stewart, « Khelawon : The Principled Approach to Hearsay Revisited » (2008) 12 Can. Crim. L. R. 95, p. 106). À l’étape du seuil de fiabilité, le juge du procès doit déterminer si des explications différentes sont disponibles (fiabilité substantielle) et si le juge des faits sera en mesure de choisir parmi celles‑ci par des moyens qui se substituent adéquatement au contre‑interrogatoire mené au moment où le déclarant fait sa déclaration (fiabilité d’ordre procédural). Pour cette raison, alors que la fiabilité d’ordre procédural porte sur la question de savoir s’il existe une base satisfaisante pour apprécier rationnellement la déclaration, la fiabilité substantielle porte sur la question de savoir si les circonstances, et tout élément de preuve corroborant, fournissent une base rationnelle pour rejeter les autres explications de la déclaration, hormis la véracité du déclarant ou l’exactitude de sa déclaration.

[41]                          Bref, dans le contexte du ouï‑dire, la différence entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse est d’ordre qualitatif et ne tient pas à une question de degré, parce que l’examen du juge du procès sert un objectif distinct. Lorsqu’il apprécie la fiabilité substantielle, le juge du procès n’usurpe pas la fonction du juge des faits. Seul ce dernier détermine s’il y a lieu en dernière analyse de prêter foi à la déclaration relatée et en apprécie la valeur probante.

[42]                          Pour préserver la distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse et pour empêcher le voir‑dire d’occulter le procès, [traduction] « il faut pouvoir distinguer la preuve admissible au voir‑dire pour établir la nécessité et la fiabilité et la preuve admissible au procès principal » (Stewart, p. 111; voir également L. Lacelle, « The Role of Corroborating Evidence in Assessing the Reliability of Hearsay Statements for Substantive Purposes » (1999), 19 C.R. (5th) 376; Blackman, par. 54‑57). Comme l’a expliqué la juge Charron dans Khelawon, « le juge du procès doit demeurer conscient du rôle limité qu’il joue lorsqu’il se prononce sur l’admissibilité — il est essentiel pour assurer l’intégrité du processus de constatation des faits que la question de la fiabilité en dernière analyse ne soit pas préjugée lors du voir‑dire portant sur l’admissibilité » (par. 93). De même, elle a signalé ce qui suit dans Blackman : « [l]e voir‑dire sur l’admissibilité doit demeurer centré sur la preuve par ouï‑dire en question. Il ne vise pas — et les juges de première instance ne sauraient pas le permettre non plus — à assimiler ce processus à un procès complet sur le fond » (par. 57). Le fait de limiter l’utilisation de la preuve corroborante comme base de l’admission du ouï‑dire atténue également le risque qu’une déclaration relatée incriminante soit admise simplement parce que la preuve de la culpabilité de l’accusé est forte. Plus la preuve contre l’accusé est forte, plus il serait facile d’admettre contre lui un ouï‑dire entaché d’un vice et non fiable. L’examen limité de la preuve corroborante découle du fait que, à l’étape du seuil de fiabilité, la preuve corroborante est utilisée d’une manière distincte, au plan qualitatif, de la manière dont le juge des faits l’utilise pour évaluer la fiabilité de la déclaration en dernière analyse. Comme l’expliquent Lederman, Bryant et Fuerst, à l’étape du seuil de fiabilité,

                    [traduction] [l]e recours à la preuve corroborante devrait viser la fiabilité du ouï‑dire. Certains éléments de preuve peuvent servir de preuve corroborante et appuyer la thèse du ministère public lorsqu’ils sont examinés dans le contexte de l’ensemble de la preuve. Ces éléments de preuve se rapportent au fond de l’affaire plutôt qu’au contexte restreint du voir‑dire en vue d’évaluer la crédibilité de la déclaration, et il vaut mieux en laisser l’appréciation au juge des faits.

                    (S. N. Lederman, A. W. Bryant et M. K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada (4th ed. 2014), § 6.140)

[43]                          Ainsi, l’argument du ministère public voulant que l’approche relative à la corroboration lors de l’appréciation de la fiabilité en dernière analyse d’un témoignage visé par Vetrovec s’apparente à celle servant à l’appréciation du seuil de fiabilité du ouï‑dire est également entaché d’un vice fondamental. De plus, un témoin dont l’honnêteté est douteuse, contrairement à l’auteur d’une déclaration relatée, est un témoin au procès et peut être contre‑interrogé. En raison des dangers que pose l’absence de contre‑interrogatoire, il est nécessaire de faire la distinction entre l’approche relative à la preuve corroborante dans le cas d’un témoignage visé par Vetrovec et l’approche dans le cas d’un ouï‑dire. Je ne puis donc pas accepter les arguments du ministère public à cet égard.

[44]                          À mon avis, la raison d’être de la règle d’exclusion du ouï‑dire et la jurisprudence de la Cour établissent clairement que ce ne sont pas tous les éléments de preuve corroborant la crédibilité du déclarant, la culpabilité de l’accusé ou la thèse d’une des parties, qui seront utiles lors de l’appréciation du seuil de fiabilité. Le juge du procès ne peut, pour établir le seuil de fiabilité, se fonder sur la preuve corroborante que si celle‑ci, considérée globalement dans les circonstances de l’espèce, démontre que la seule explication plausible de la déclaration relatée est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ceux‑ci. Si les dangers associés au ouï‑dire ont trait à la sincérité du déclarant, il faudra considérer la véracité de la déclaration. Si le danger associé au ouï‑dire a trait à la mémoire, la relation du fait ou la sincérité, il faudra déterminer si la déclaration est exacte.

[45]                          D’abord, la preuve corroborante doit porter sur la véracité ou l’exactitude des aspects importants de la déclaration relatée (voir Couture, par. 83‑84; Blackman, par. 57). Le ouï‑dire est présenté pour établir la véracité de son contenu, et la preuve corroborante doit porter sur la véracité ou l’exactitude du contenu de la déclaration relatée sur lequel la partie requérante veut s’appuyer. Puisque le seuil de fiabilité est lié à l’admissibilité de la preuve, il faut mettre l’accent sur l’aspect de la déclaration qui est présentée pour établir la véracité de son contenu[2]. À l’étape du seuil de fiabilité, la preuve corroborante doit atténuer le besoin d’un contre‑interrogatoire, non pas de façon générale, mais sur le point que la déclaration relatée vise à prouver.

[46]                          Une approche semblable a été adoptée pour limiter le type de preuve corroborante pouvant être invoquée dans le but d’établir le seuil de fiabilité de déclarations issues d’opérations Monsieur Big. Dans Hart, le juge Moldaver (au nom des juges majoritaires), a conclu qu’il y avait une « absence complète de preuve de corroboration » (par. 143), et il a mis de côté les éléments de preuve corroborants qui confirmaient simplement la présence de l’accusé sur la scène du crime au moment où celui‑ci a eu lieu, puisque la déclaration obtenue dans le cadre de l’opération Monsieur Big avait été présentée pour prouver que l’accusé avait assassiné ses filles, et non qu’il était présent sur les lieux du crime. Comme l’a expliqué le juge Moldaver :

                    La question a toujours été de savoir si les filles de l’intimé s’étaient noyées accidentellement ou si elles avaient été assassinées. La présence de l’intimé lorsque les fillettes se sont retrouvées dans l’eau n’a jamais été contestée. Toutes les données objectivement vérifiables des aveux (p. ex. la connaissance de l’emplacement de la noyade) découlent du fait qu’il a reconnu avoir été présent au moment du drame. [par. 143]

Ainsi, lorsque le juge du procès apprécie le seuil de fiabilité des déclarations issues d’opérations Monsieur Big, il peut seulement tenir compte d’éléments de preuve corroborants qui portent sur la véracité ou l’exactitude des aspects importants de la déclaration.

[47]                          Ensuite, à l’étape de l’appréciation du seuil de fiabilité, l’effet conjugué des éléments de preuve corroborants et des circonstances doit écarter les dangers spécifiques du ouï‑dire que pose la déclaration présentée. Lors de l’appréciation de l’admissibilité de la déclaration relatée, « l’examen doit être fonction des dangers particuliers que présente la preuve et ne porter que sur la question de l’admissibilité » (Khelawon, par. 4). Ainsi, pour écarter les dangers associés au ouï‑dire et établir la fiabilité substantielle, la preuve corroborante doit démontrer que les aspects importants de la déclaration ne sont pas susceptibles de changer lors d’un contre‑interrogatoire (Khelawon, par. 107; Smith, p. 937). La preuve corroborante parvient à le démontrer si son effet conjugué, considéré eu égard aux circonstances de l’espèce, démontre que la seule explication plausible de la déclaration relatée est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ceux‑ci (voir U. (F.J.), par. 40). Autrement, d’autres explications de la déclaration, qui auraient pu être obtenues ou vérifiées lors d’un contre‑interrogatoire, ainsi que les dangers associés au ouï‑dire, subsistent.

[48]                          Lorsqu’il apprécie la fiabilité substantielle, le juge du procès doit donc envisager d’autres explications, même conjecturales, de la déclaration relatée (Smith, p. 936‑937). La preuve corroborante est utile pour établir la fiabilité substantielle si elle démontre que ces autres explications ne sont pas disponibles, si elle [traduction] « élimine les hypothèses qui suscitent des soupçons » (S. Akhtar, « Hearsay: The Denial of Confirmation » (2005), 26 C.R. (6th) 46, p. 56 (italiques omis)). Par contre, la preuve corroborante qui est « également compatible » avec la véracité et l’exactitude de la déclaration et avec une autre hypothèse n’est pas utile (R. c. R. (D.), 1996 CanLII 207 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 291, par. 34‑35). L’ajout d’éléments de preuve qui appuient la véracité de la déclaration, mais qui sont aussi compatibles avec d’autres explications, n’ajoute rien à la fiabilité inhérente de la déclaration.

[49]                          Même si la véracité du déclarant ou l’exactitude de sa déclaration doivent être plus probables que l’une ou l’autre des autres explications, cela ne suffit pas. Le fait que l’analyse relative au seuil de fiabilité soit faite selon la prépondérance des probabilités signifie plutôt que, compte tenu des circonstances et de tout élément de preuve présenté au voir‑dire, le juge du procès doit pouvoir écarter toute autre explication plausible selon la prépondérance des probabilités.

[50]                          Pour que le juge du procès se fonde sur la preuve corroborante pour rejeter d’autres hypothèses relatives à la déclaration, cette preuve doit elle‑même être digne de foi. La preuve corroborante qui n’est pas digne de foi n’est donc pas utile dans le cadre de l’examen de la fiabilité substantielle (voir Khelawon, par. 108). Les préoccupations relatives à la fiabilité sont particulièrement graves lorsque la preuve corroborante est une déclaration plutôt qu’un élément de preuve matériel (voir Lacelle, p. 390).

[51]                          La jurisprudence de la Cour donne deux exemples d’éléments de preuve corroborants sur lesquels on peut se fonder pour établir le seuil de fiabilité.

[52]                          Dans R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531, la Cour a conclu qu’une déclaration relatée d’une enfant concernant une agression sexuelle était admissible, notamment parce qu’elle était corroborée par une tache de sperme sur les vêtements de l’enfant (p. 548). L’enfant a soutenu qu’elle a été agressée sexuellement au bureau du médecin. Elle était seule dans le bureau pendant une courte période et « n’a rencontré aucun autre homme pendant cette période » (p. 534). Compte tenu de la tache de sperme et des circonstances de l’affaire, la seule hypothèse plausible était que l’enfant n’avait pas menti au sujet de l’agression et ne l’avait pas mal perçue. La tache de sperme contrait directement les dangers associés au ouï‑dire.

[53]                          L’arrêt Khan peut être mis en apposition avec l’arrêt R. (D.), où la Cour a statué que la déclaration relatée d’un enfant concernant une agression sexuelle par son père était inadmissible, même si un élément de preuve étayait sa déclaration : des sous‑vêtements tachés de sang. Cet élément de preuve corroborant était compatible avec plus d’une hypothèse, soit la possibilité qu’elle ait été agressée par son frère ou par son père, et n’était donc pas utile pour apprécier le seuil de fiabilité (par. 34‑35).

[54]                          Dans U. (F.J.), une déclaration relatée était admissible en partie parce qu’elle était corroborée par une déclaration d’une similitude frappante. Cette dernière déclaration pouvait étayer le seuil de fiabilité de la déclaration relatée parce que la Cour avait réussi à écarter les possibilités que la similitude soit une pure coïncidence, que la deuxième déclarante ait entendu la première déclaration et ait fondé sa déclaration sur celle‑ci, et que les déclarations résultent de la collusion ou d’une influence extérieure. Fait important, le juge en chef Lamer craignait de rejeter non pas l’hypothèse voulant que la seconde déclaration soit en fait basée sur la première, mais la possibilité qu’elle puisse avoir été basée sur la première. Il a conclu que la seule explication probable de la similarité entre les deux déclarations était que le déclarant disait la vérité (U. (F.J.), par. 40 et 53).

[55]                          Par contre, la preuve corroborante dans Khelawon, des ecchymoses et des sacs à ordures pleins de vêtements, ne pouvait pas étayer le seuil de fiabilité d’une déclaration relatée concernant une agression. La juge Charron a expliqué que les ecchymoses sur le corps du plaignant auraient pu être causées par une chute plutôt que par une agression. Et même si le plaignant a soutenu que l’accusé a entassé ses vêtements dans des sacs à ordures, la juge Charron a expliqué que le plaignant « pouvait avoir rempli ces sacs lui‑même » (par. 107). Puisque ces éléments de preuve corroborants étaient compatibles avec plusieurs hypothèses, ils ne démontraient pas que la seule explication plausible était que le déclarant disait la vérité au sujet de l’agression.

[56]                          On ne déroge pas à l’approche fonctionnelle relative à l’admissibilité du ouï‑dire lorsque l’on précise les cas dans lesquels on peut se fonder sur la preuve corroborante pour établir la fiabilité substantielle. Aucune règle de démarcation nette ne restreint le genre de preuve corroborante sur lequel peut s’appuyer un juge du procès pour déterminer que la fiabilité substantielle est établie. Dans tous les cas, le juge du procès doit examiner les dangers spécifiques du ouï‑dire que pose la déclaration, l’ensemble de la preuve corroborante et les circonstances de l’espèce pour décider s’il peut se fonder sur la preuve corroborante (s’il en est) pour conclure à l’existence d’une fiabilité substantielle.

[57]                          En somme, pour établir si la preuve corroborante est utile lors de l’examen de la fiabilité substantielle, le juge du procès devrait prendre les mesures suivantes :

  1.    cerner les aspects importants de la déclaration relatée qui sont présentés pour établir la véracité de leur contenu;
  2.    cerner les dangers spécifiques du ouï‑dire que posent ces aspects de la déclaration dans les circonstances particulières de l’affaire;
  3.    en fonction des circonstances et de ces dangers, envisager d’autres explications de la déclaration, qui peuvent même être conjecturales;
  4.    décider si, compte tenu des circonstances de l’affaire, la preuve corroborante présentée au voir‑dire a écarté ces autres explications, de sorte que la seule explication plausible de la déclaration est la véracité du déclarant au sujet de ses aspects importants, ou l’exactitude de ces aspects.