Barchichat c. R., 2020 QCCA 282

Constituerait une erreur de principe le fait de ne pas envisager sérieusement la possibilité de rendre une ordonnance de sursis à l’emprisonnement lorsque les préalables prévus par la loi sont réunis.

[15] Le prononcé d’une peine d’emprisonnement avec sursis nécessite, aux termes de l’article 742.1 C.cr., l’analyse des quatre critères suivants :

(1) le délinquant doit être déclaré coupable d’une infraction autre qu’une infraction pour laquelle une peine minimale d’emprisonnement est prévue;

(2) le tribunal doit infliger au délinquant une peine d’emprisonnement de moins de deux ans;

(3) le fait que le délinquant purge sa peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci;

(4) le prononcé d’une ordonnance d’emprisonnement avec sursis est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine visés aux art. 718 à 718.2.[6]

[16] Selon la Cour suprême, « les trois premiers critères sont des préalables au prononcé de toute condamnation à l’emprisonnement avec sursis »[7]. Si ces conditions sont réunies, le tribunal doit alors déterminer, à la lumière des objectifs et des principes de la détermination de la peine (art. 718 et 718.2 C.cr.), la peine appropriée à prononcer. Il doit considérer si l’emprisonnement avec sursis constitue une telle peine. À ce sujet, le passage suivant de l’arrêt Proulx est sans équivoque :

90. Premièrement, l’examen des al. 718.2d) et e) m’amène à conclure que le tribunal doit envisager sérieusement la possibilité de prononcer l’emprisonnement avec sursis dans tous les cas où les trois premiers préalables prévus par la loi sont réunis. Les alinéas 718.2d) et e) codifient le principe important de la modération dans la détermination des peines et, avec l’art. 742.1, ils ont été adoptés précisément en vue d’aider à réduire le taux d’incarcération au Canada. Par conséquent, constituerait une erreur de principe le fait de ne pas envisager sérieusement la possibilité de rendre une ordonnance de sursis à l’emprisonnement lorsque les préalables prévus par la loi sont réunis. […][8].

[Soulignement dans l’original.]

[17] En l’espèce, ayant reconnu qu’en règle générale, les objectifs de dénonciation et de réprobation pouvaient être atteints avec une peine d’emprisonnement avec sursis et ayant déterminé que la durée d’emprisonnement, selon les principes pénologiques généraux, devait être de 22 mois, la juge ne s’est pas attardée à l’examen du risque de récidive que poserait le délinquant s’il purgeait sa peine au sein de la collectivité, ni à l’examen du danger pour la sécurité de la collectivité.

[18] Cependant, dans l’arrêt Proulx auquel j’ai fait abondamment référence précédemment, le juge en chef Lamer identifie les deux facteurs à prendre en compte à cette étape comme étant « (1) le risque que le délinquant récidive; (2) la gravité du préjudice susceptible de découler d’une récidive. »[9]

[19] Ici, le risque de récidive est pratiquement absent. L’absence d’antécédents judiciaires avant les crimes et de toute nouvelle infraction depuis 2010, jumelée à la restitution quasi totale des sommes fraudées, rend la chose évidente. En plus, l’appelant est père de cinq enfants, dont deux présentent des problèmes de santé, un facteur susceptible d’influer sur la décision d’infliger une peine avec incarcération plutôt qu’une peine à servir dans la communauté.

[20] Avec respect pour la juge de première instance, dont la décision est à tous autres égards plus qu’adéquatement motivée, j’estime qu’elle a commis une erreur de droit en insistant sur la dissuasion et la dénonciation au point de ne pas suivre la démarche indiquée par l’arrêt Proulx pour écarter une peine d’emprisonnement avec sursis dans le cas présent.

[21] Pour ces motifs, je propose d’accueillir l’appel, d’annuler la peine infligée et de la remplacer par une peine de 22 mois d’emprisonnement avec sursis, ainsi que de retourner le dossier à la juge de première instance pour qu’elle détermine la nature des conditions dont sera assortie l’ordonnance de sursis.