Il est bien établi que l’accusé qui désire qu’un arrêt des procédures soit prononcé, au motif que son droit à une défense pleine et entière a été violé, doit établir un préjudice concret à ce droit.
[18] À l’audience, l’appelante reconnaît que la preuve ne permet pas de savoir si les caméras vidéo étaient fonctionnelles. Elle reconnaît d’ailleurs que son témoignage au procès se limite, à cet égard, à une affirmation voulant qu’elle ait vu sur celles-ci des petites lumières rouges clignoter. La preuve ne contenant aucune information additionnelle, personne n’ayant même témoigné du bon fonctionnement de l’appareil au moment pertinent ou de leur capacité de capter les images de l’altercation, on ne sait pas si les caméras ont fonctionné ni si elles ont capté l’altercation.
[19] Or, cette absence est fatale à la demande de l’appelante en arrêt des procédures puisqu’il est bien établi que l’accusé qui désire qu’une telle ordonnance soit prononcée, au motif que son droit à une défense pleine et entière a été violé, doit établir un préjudice concret à ce droit[1]. Ce préjudice, en certaines circonstances, peut certes découler de la destruction ou de la perte d’un élément de preuve, mais encore faut-il que l’existence de cet élément de preuve soit d’abord établie[2]. Comme le retient la juge d’instance, aucune preuve en l’espèce n’établit qu’un enregistrement de l’altercation existait bel et bien, c’est‑à-dire que des images de celle-ci avaient bel et bien été captées par les caméras. Or, contrairement à ce que plaide l’appelante, le fardeau de prouver l’existence de ces bandes était le sien. Nous reconnaissons qu’elle ne pouvait établir le contenu exact de celles-ci, mais il lui appartenait d’établir à tout le moins que les caméras de surveillance étaient en bon état, qu’elles fonctionnaient et qu’elles pouvaient capter la scène.
[21] Vu cette conclusion, il ne nous apparaît ni nécessaire ni souhaitable que la Cour se prononce quant au bien-fondé ou non de la conclusion de la juge d’instance voulant que les policiers n’aient pas fait preuve de négligence inacceptable. Quoiqu’il puisse paraître surprenant que les autorités policières n’aient pas agi plus rapidement, des images vidéo étant des éléments de preuve généralement importants dans le cadre d’une enquête, nous estimons que la preuve au dossier ne permet pas de tirer une conclusion quant à leur conduite. La seule existence d’une note à l’effet que les bandes ne seront disponibles que deux jours plus tard couplée au fait que l’enquêteur n’a communiqué avec l’établissement en vue de les obtenir que onze jours plus tard, ne permettent pas, à notre avis et dans les circonstances de l’espèce, de tirer sur ce point une conclusion claire.
[22] Ainsi, il nous apparaitrait périlleux pour la Cour de porter un jugement sur la conduite des autorités policières. Nous sommes aussi d’avis que cela nécessiterait une analyse approfondie du fardeau de preuve applicable à chacune des parties dans le cadre d’une requête en arrêt des procédures de la nature de celle présentée par l’appelante, ce qui nous semblerait, ici, un exercice inutile. Il serait également requis d’analyser et de déterminer, en l’absence d’un contexte factuel adéquat, l’intensité des obligations qui s’imposent aux autorités policières en matière d’enquête et, l’impact de celles-ci sur l’obligation de divulgation du ministère public. Avec beaucoup d’égards, nous ne sommes en effet pas convaincus que le droit impose aux policiers une obligation aussi onéreuse que celle identifiée par notre collègue.
[23] À notre avis, le caractère lacunaire tant de la preuve en première instance que du dossier d’appel et notre conclusion quant à l’absence de préjudice font en sorte qu’il est préférable de ne pas procéder à cette analyse et ainsi ni de confirmer, ni d’infirmer la conclusion de la juge d’instance sur ce point.
La défense ne peut exiger une preuve qui n’existe pas.
[70] La question déterminante pour l’appel devient donc l’existence de la preuve. La défense ne peut exiger une preuve qui n’existe pas : R. c. Chaplin, 1995 CanLII 126 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 727, par. 32. Elle tient pour acquis que cette preuve avait bien existé avant d’être détruite. L’existence de la preuve perdue n’est pas souvent en litige, mais il demeure que la preuve en l’espèce ne permet aucunement de conclure qu’elle existait. Je suis donc d’accord avec mes collègues que cette absence de preuve « est fatale à la demande de l’appelante en arrêt des procédures ».
[71] Je ne dis rien sur le remède qui aurait été approprié si la preuve avait démontré l’existence probable d’images au moment pertinent. Cela dit, généralement, il sera préférable pour le juge du procès de le déterminer après la présentation de la preuve : R. c. La, 1997 CanLII 309 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 680, par. 27.