R. c. Morin, 2021 QCCA 397 

(Mise à jour du 13 octobre 2022 : voir aussi R. c. Laurin, 2022 QCCA 1353)

Le lien de causalité entre la façon de conduire de l’accusé et la conséquence est un élément additionnel que le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable.

Ce lien sera établi si la façon de conduire de l’accusé a contribué de façon appréciable à la mort de la victime, un critère qui n’est pas très élevé : R. c. Collin, 2019 QCCA 887, paragr. 9, confirmé à 2019 CSC 64; R. c. Sarazin, 2018 QCCA 1065, paragr. 21. La cause qui « contribue de façon appréciable » est l’équivalent, selon la Cour suprême, de celle « ayant contribué de façon plus que mineure » : R. c. Collin, citant R. c. Nette, 2011 CSC 78, [2011] 3 R.C.S. 488, paragr. 72.

[33] Avant d’aborder cette question, il convient de rappeler les éléments essentiels de la conduite dangereuse ainsi que le critère de causalité applicable à l’infraction plus grave de conduite dangereuse ayant causé la mort.

[34] L’actus reus est celui décrit à l’al. 249(1)a) C.cr. (à l’époque) :

249(1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

a) un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu;

249(1) Every one commits an offence who operates

(a) a motor vehicle in a manner that is dangerous to the public, having regard to all the circumstances, including the nature, condition and use of the place at which the motor vehicle is being operated and the amount of traffic that at the time is or might reasonably be expected to be at that place;

[35] La mens rea renvoie à un critère objectif modifié. Elle réside dans l’écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation, étant entendu que « [l]a simple imprudence que même les conducteurs les plus prudents peuvent à l’occasion commettre n’est généralement pas criminelle » : R. c. Roy, 2012 CSC 26, [2012] 2 R.C.S. 60, paragr. 36-37; R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S 49, paragr. 48. La preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé doit également être considérée pour déterminer si « une personne raisonnable, placée dans la même situation, aurait été consciente du risque créé par ce comportement » : R. c. Beatty, paragr. 49.

[36] Dans R. c. Roy, paragr. 36, le juge Cromwell énonce ainsi le critère de la mens rea :

[36] L’analyse relative à la mens rea doit être centrée sur la question de savoir si la façon dangereuse de conduire résultait d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (Beatty, par. 48). Il est utile d’aborder le sujet en posant deux questions. La première est de savoir si, compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible. Le cas échéant, la deuxième question est de savoir si l’omission de l’accusé de prévoir le risque et de prendre les mesures pour l’éviter si possible constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé.

[37] À ces éléments essentiels s’ajoute, dans le cas de l’infraction de conduite dangereuse ayant causé la mort (ou des lésions corporelles), le lien de causalité entre la façon de conduire de l’accusé et la conséquence de cette conduite.

[38] De fait, l’infraction de conduite dangereuse ayant causé la mort (ou des lésions corporelles) est une forme aggravée de l’infraction de conduite dangereuse, cette dernière infraction étant moindre et incluse dans la première : R. v. Romano, 2017 ONCA 837, paragr. 12. L’aggravation découle de la conséquence. Le lien de causalité entre la façon de conduire de l’accusé et la conséquence est donc un élément additionnel que le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable.

[39] Ce lien sera établi si la façon de conduire de l’accusé a contribué de façon appréciable à la mort de la victime, un critère qui n’est pas très élevé : R. c. Collin, 2019 QCCA 887, paragr. 9, confirmé à 2019 CSC 64; R. c. Sarazin, 2018 QCCA 1065, paragr. 21. La cause qui « contribue de façon appréciable » est l’équivalent, selon la Cour suprême, de celle « ayant contribué de façon plus que mineure » : R. c. Collin, citant R. c. Nette, 2011 CSC 78, [2011] 3 R.C.S. 488, paragr. 72.

[40] Le lien de causalité recherché comporte deux aspects, l’un factuel et l’autre juridique. La causalité factuelle s’intéresse à la façon dont la victime est morte sur le plan médical, technique ou physique ainsi qu’à la façon dont l’accusé a contribué à ce résultat : R. c. Nette, paragr. 44. La causalité juridique, aussi appelée « causalité imputable », repose sur des notions de responsabilité morale et n’est pas un exercice machinal ou mathématique. Il faut se demander si l’accusé doit être tenu responsable en droit de la conséquence de sa conduite. En ce sens, le critère de la contribution appréciable (ou « plus que mineure ») reflète le principe fondamental de la justice criminelle selon lequel les personnes moralement innocentes ne doivent pas être punies : R. c. Maybin, 2012 CSC 24, [2012] 2 R.C.S. 30, paragr. 15 et 16; R. c. Nette, paragr. 45 et 83.

C’est la façon de conduire le véhicule à moteur qui est en cause, et non la conséquence de cette conduite. La conséquence – par exemple des décès, comme en l’espèce – peut entraîner l’infraction plus grave prévue au par. 249(4), mais elle n’a aucune incidence sur la question de savoir si l’infraction de conduite dangereuse a été établie ou pas.

Dans le cas de l’infraction plus grave de conduite dangereuse ayant causé la mort (ou des lésions corporelles), le juge des faits doit d’abord déterminer si l’infraction de conduite dangereuse a été établie. Pour ce faire, il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire de l’accusé, sans égard à la conséquence ou à la cause de celle-ci. C’est seulement s’il conclut que l’accusé a conduit son véhicule d’une façon dangereuse pour le public (l’actus reus) et que son comportement constitue un écart marqué par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (la mens rea) que le juge des faits doit se pencher sur la conséquence et sur la question de savoir si l’accusé y a contribué de façon appréciable (la causalité juridique)

[41] Dans un procès pour conduite dangereuse ayant causé la mort (ou des lésions corporelles), la question n’est donc pas de savoir si la conduite dangereuse de l’accusé a été la cause, mais plutôt si elle a contribué de façon appréciable à la conséquence.

[42] Cette question ne saurait toutefois obscurcir la détermination de l’actus reus et de la mens rea. Dans R. c. Beatty, la juge Charron insiste sur la distinction à faire entre la façon de conduire et la conséquence de cette conduite :

[46] Comme l’indiquent clairement les termes de la disposition, c’est la façon de conduire le véhicule à moteur qui est en cause, et non la conséquence de cette conduite. La conséquence – par exemple des décès, comme en l’espèce – peut entraîner l’infraction plus grave prévue au par. 249(4), mais elle n’a aucune incidence sur la question de savoir si l’infraction de conduite dangereuse a été établie ou pas. Il s’agit là encore d’une distinction importante. Si l’accent est mis indûment sur la conséquence, il devient alors presque superflu de se demander si un acte ayant causé la mort était dangereux. Le tribunal ne doit pas tirer de conclusion hâtive au sujet de la façon de conduire en se fondant sur la conséquence. Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire. Il va de soi que la conséquence peut aider à apprécier le risque en cause, mais elle ne permet pas de déterminer si le véhicule a été conduit d’une façon dangereuse pour le public. […]

[Italiques dans l’original; caractères gras ajoutés]

[43] Le juge Cromwell revient sur cette distinction dans R. c. Roy :

[34] Pour déterminer si l’actus reus a été établi, il faut déterminer si la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public dans les circonstances. L’enquête doit être axée sur les risques créés par la façon de conduire de l’accusé, et non sur les conséquences, comme un accident dans lequel il aurait été impliqué. Comme l’a déclaré la juge Charron au par. 46 de Beatty, « [l]e tribunal ne doit pas tirer de conclusion hâtive au sujet de la façon de conduire en se fondant sur la conséquence. Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire » (je souligne). Une façon de conduire peut à juste titre être qualifiée de dangereuse lorsqu’elle met en danger le public. L’élément pertinent, c’est le risque de dommage ou de préjudice qu’engendre la façon de conduire, non les conséquences d’un accident ultérieur. […]

[Soulignement dans l’original; caractères gras ajoutés]

[44] En somme, dans le cas de l’infraction plus grave de conduite dangereuse ayant causé la mort (ou des lésions corporelles), le juge des faits doit d’abord déterminer si l’infraction de conduite dangereuse a été établie. Pour ce faire, il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire de l’accusé, sans égard à la conséquence ou à la cause de celle-ci. C’est seulement s’il conclut que l’accusé a conduit son véhicule d’une façon dangereuse pour le public (l’actus reus) et que son comportement constitue un écart marqué par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (la mens rea) que le juge des faits doit se pencher sur la conséquence et sur la question de savoir si l’accusé y a contribué de façon appréciable (la causalité juridique).

Landry c. R., 2021 QCCA 411

Un fait qui survient et complique une conduite déjà criminelle ne peut manifestement pas réussir à nier la contribution appréciable (ou « plus que mineure ») de cette même conduite aux lésions corporelles causées à la victime.

[21] Les principes applicables ont récemment été énoncés par la Cour dans l’arrêt R. c Collin[11]:

[9] […]la norme du lien de causalité exige que la conduite de l’intimé ait contribué de façon appréciable aux lésions corporelles de la victime, rien de plus, ce qui n’est pas un critère très élevé : R. c. Sarazin, 2018 QCCA 1065, par. 21; R. c. Maybin, 2012 CSC 24 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 30; R. c. Nette, 2001 CSC 78 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 488. La cause qui « contribue de façon appréciable » est l’équivalent, selon la Cour suprême, de celle « ayant contribué de façon plus que mineure » : R. c. Nette, [2001] 3 R.C.S. 488, par. 72.

[10] Le lien causal recherché n’est pas physique ou mécanique, mais lié à la culpabilité morale du délinquant, ce qui n’est pas un exercice machinal ou mathématique. Il faut se demander si un accusé doit être tenu responsable en droit des conséquences de son geste, ici des lésions corporelles, afin de ne pas punir des personnes moralement innocentes : R. c. Nette, 2001 CSC 78 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 488, par. 83; R. c. Maybin, 2012 CSC 24 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 30, par. 16; R. c. K.L., 2009 ONCA 141; R. c. Romano, 2017 ONCA 837.

[11] La question n’était donc pas de savoir si la conduite dangereuse de l’intimé était la cause, comme l’écrit le juge. Il devait déterminer si cette dernière avait contribué de façon appréciable aux lésions corporelles.

[22] La conduite dangereuse de l’appelant a certainement contribué de façon appréciable aux lésions corporelles des étudiants et à la mort de sa conjointe. Vu le seuil peu élevé énoncé dans la jurisprudence, la conduite du chauffeur d’autobus qui s’est engagé sur la route 116 ne peut avoir rompu ce lien. La responsabilité criminelle d’un accusé n’est pas écartée du seul fait qu’un autre facteur a pu contribuer à la collision[12].

[23] En l’espèce, la preuve retenue par le juge de première instance ne recèle aucun acte intermédiaire. L’appelant doit être tenu responsable des conséquences de sa vitesse excessive et de son inattention. C’est à bon droit que le juge affirme :

[…] dans la présente affaire, le comportement de l’accusé était dangereux. Alors qu’il accélère sans raison à plus de cent quarante-neuf (149) kilomètres à l’heure dans ce que je qualifier des circonstances nécessitant une attention particulière alors qu’on se trouve, comme je le mentionnais, à la fin des classes, avec du transport scolaire. Peu importe l’erreur de jugement qu’on pourrait attribuer au chauffeur d’autobus, la conduite de l’accusé a causé l’accident. D’ailleurs plusieurs témoins confirment qu’il aurait pu éviter l’accident en prenant des mesures appropriées, soit en réduisant sa vitesse ou en freinant si nécessaire. Mais je constate qu’il n’a jamais prêté attention à la route devant lui.

[24] L’erreur de jugement qui pouvait potentiellement être attribuée au chauffeur d’autobus n’est pas un acte intermédiaire ayant pour effet d’exonérer l’appelant. Le commentaire formulé dans l’arrêt Collin s’applique au cas d’espèce: « [u]n fait qui survient et complique une conduite déjà criminelle ne peut manifestement pas réussir, dans les circonstances, à nier la contribution appréciable (ou « plus que mineure ») de cette même conduite aux lésions corporelles causées à la victime »[13].