Malogrosz c. R., 2025 QCCA 667

Il ne fait aucun doute que l’attitude d’un témoin envers le fait d’avoir à témoigner, le processus judiciaire ou la recherche de la vérité fait partie des considérations dont le juge des faits peut tenir compte en appréciant sa crédibilité.

[13] Comme on le constate en lisant cet extrait, la juge insiste sur le fait que l’appelant a fait preuve de mépris non pas envers la plaignante, mais plutôt envers le processus judiciaire. Cette distinction est déterminante. En effet, il ne fait aucun doute que l’attitude d’un témoin envers le fait d’avoir à témoigner, le processus judiciaire ou la recherche de la vérité fait partie des considérations dont le juge des faits peut tenir compte en appréciant sa crédibilité[7]. Quant au poids accordé par la juge à l’attitude méprisante de l’appelant, il s’agit d’une conclusion de fait que ce dernier n’a pas été autorisé à remettre en question dans le cadre du présent pourvoi.

[21]      Le premier paragraphe de cette disposition précise que l’infraction consiste notamment en le fait de sciemment transmettre une image intime d’une personne sachant que cette dernière n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non. Le second paragraphe précise ce que constitue une image intime :

162.1 […]

Définition de image intime

(2) Au présent article, image intime s’entend d’un enregistrement visuel  —  photographique, filmé, vidéo ou autre  —  d’une personne, réalisé par tout moyen, où celle-ci :

a) y figure nue, exposant ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livrant à une activité sexuelle explicite;

b) se trouvait, lors de la réalisation de cet enregistrement, dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée;

c) a toujours cette attente raisonnable de protection en matière de vie privée à l’égard de l’enregistrement au moment de la perpétration de l’infraction.

162.1 […]

Definition of intimate image

(2) In this section, intimate image means a visual recording of a person made by any means including a photographic, film or video recording,

(a) in which the person is nude, is exposing his or her genital organs or anal region or her breasts or is engaged in explicit sexual activity;

(b) in respect of which, at the time of the recording, there were circumstances that gave rise to a reasonable expectation of privacy; and

(c) in respect of which the person depicted retains a reasonable expectation of privacy at the time the offence is committed.

 

[22]      Il est acquis au débat que les deuxième et troisième critères sont remplis : la plaignante avait une attente raisonnable de protection en matière de vie privée au moment où elle s’est prise en photo, et elle avait toujours cette attente au moment où l’image litigieuse a été transmise à son amie.

[23]      L’argument principal de l’appelant est qu’une image montrant une personne nue, mais sans que ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale soient visibles, et sans qu’elle se livre à une activité explicite, n’est pas visée par l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. La juge a rejeté cette thèse. Elle a conclu que l’énumération se trouvant à l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. est disjonctive, ce qui veut dire qu’une image tombera dans le champ d’application de cet alinéa si la personne (i) y figure nue, (ii) y figure exposant ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale (iii) ou y figure se livrant à une activité sexuelle explicite. Puis, après avoir constaté que la plaignante figurait nue sur l’image litigieuse, elle a conclu qu’il s’agissait bien d’une image intime au sens du paragraphe 162.1(2) C.cr.

[24]      La juge a eu raison de conclure que l’alinéa 162.1(2)a) C.cr.contient une énumération disjonctive. Toute ambiguïté que l’on pourrait déceler dans le libellé de la version française se dissipe à la lecture de la version anglaise : « in which the person is nude, isexposing his or her genital organs or anal region or her breasts or is engaged in explicit sexual activity »[13]. De plus, retenir la thèse de l’appelant introduirait une incohérence entre la définition d’image intime et les situations visées par l’infraction de voyeurisme prévue au paragraphe 162(1) C.cr., dont le libellé — y compris dans la version française — ne renferme aucune ambiguïté :

Voyeurisme

162 (1) Commet une infraction quiconque, subrepticement, observe, notamment par des moyens mécaniques ou électroniques, une personne — ou produit un enregistrement visuel d’une personne — se trouvant dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée, dans l’un des cas suivants :

a) la personne est dans un lieu où il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne soit nue, expose ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livre à une activité sexuelle explicite;

b) la personne est nue, expose ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livreà une activité sexuelle explicite, et l’observation ou l’enregistrement est fait dans le dessein d’ainsi observer ou enregistrer une personne;

c) l’observation ou l’enregistrement est fait dans un but sexuel.

Voyeurism

162 (1) Every one commits an offence who, surreptitiously, observes — including by mechanical or electronic means — or makes a visual recording of a person who is in circumstances that give rise to a reasonable expectation of privacy, if

(a) the person is in a place in which a person can reasonably be expected to be nude, to expose his or her genital organs or anal region or her breasts, or to be engaged in explicit sexual activity;

(b) the person is nude, is exposing his or her genital organs or anal region or her breasts, or is engaged in explicit sexual activity, and the observation or recording is done for the purpose of observing or recording a person in such a state or engaged in such an activity; or

(c) the observation or recording is done for a sexual purpose.

[Soulignements ajoutés]

[25]      Cette incohérence serait d’autant plus problématique qu’à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi ayant conduit à l’ajout de l’article 162.1 C.cr., le ministre de la Justice a précisé que l’alinéa (2)a) — dont le libellé était alors identique à celui qui a reçu l’assentiment du Parlement — contenait une définition de la notion d’image intime qui se voulait similaire aux situations visées par l’infraction de voyeurisme[14].

Limiter la notion de nudité à la situation d’une personne complètement dévêtue aurait donc pour effet de restreindre de manière arbitraire la portée de l’infraction de transmission non consensuelle d’une image intime.

[26]      S’il suffit donc qu’une image présente une personne nue pour être visée par l’alinéa 162.1(2)a) C.cr., la question se pose toutefois de savoir si, sur l’image litigieuse, la plaignante est bel et bien nue au sens de cette disposition. L’appelant est d’avis que ce n’est pas le cas, puisque la partie inférieure du corps de la plaignante n’est pas visible sur l’image litigieuse. Ainsi, selon lui, l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. ne vise que la nudité totale — c’est-à-dire la situation d’une personne qui figure entièrement dévêtue sur une image.

[27]      Quel sens revêt le terme « nu/nude » à l’alinéa 162.1(2)a) C.cr.?

[28]      La Cour suprême a eu l’occasion de se pencher sur la notion de nudité dans l’arrêt Verrette, rendu en 1978[15]. L’affaire soulevait la question du sens à donner à ce terme pour interpréter la disposition établissant l’infraction de nudité dans un endroit public. Cette infraction est aujourd’hui codifiée à l’article 174 C.cr., qui se lit comme suit :

Nudité

174  (1) Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, sans excuse légitime, selon le cas :

Nudity

174  (1) Every one who, without lawful excuse,

a) est nu dans un endroit public; (a) is nude in a public place, or
b) est nu et exposé à la vue du public sur une propriété privée, que la propriété soit la sienne ou non. (b) is nude and exposed to public view while on private property, whether or not the property is his own,

is guilty of an offence punishable on summary conviction.

Nu Nude
(2)  Est nu, pour l’application du présent article, quiconque est vêtu de façon à offenser la décence ou l’ordre public. (2)  For the purposes of this section, a person is nude who is so clad as to offend against public decency or order.
Consentement du procureur général Consent of Attorney General
(3)  Il ne peut être engagé de poursuites pour une infraction visée au présent article sans le consentement du procureur général. (3)  No proceedings shall be commenced under this section without the consent of the Attorney General.

[29]      La question en litige dans Verrette concernait l’effet à donner au deuxième paragraphe. La Cour suprême a conclu qu’il s’agissait d’une disposition déterminative — autrement dit, une disposition ayant pour effet d’élargir le sens de la notion de nudité employée au paragraphe précédent, plutôt que de la limiter[16]. Ce faisant, elle a toutefois précisé que, telle qu’employée dans cette disposition, la notion de nudité correspondait à une nudité totale, soit le fait d’être complètement dévêtu[17].

[30]      Étant donné que « nu » au paragraphe 174(1) C.cr. signifie complètement nu, ce terme ne devrait-il pas avoir la même signification au sens de l’alinéa 162.1(2)a) C.cr.?

[31]      Certes, il est bien établi « [qu’]à moins que le contexte ne s’y oppose clairement, un mot doit recevoir la même interprétation et avoir le même sens tout au long d’un texte législatif »[18]. Cette « présomption d’uniformité d’expression »[19] est cependant réfragable. En présence d’éléments contextuels militant fortement en faveur d’interprétations divergentes d’un même terme, il peut être justifié, et parfois même nécessaire, de s’en écarter.

[32]      Lorsque l’on compare l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. et l’alinéa 174(1)a) C.cr., une chose saute aux yeux. Dans le cas de l’infraction de nudité dans un endroit public, une interprétation étroite de la notion de nudité — limitée à la nudité totale — n’est pas susceptible de conduire à des résultats qui risqueraient de contrecarrer l’objectif poursuivi par le législateur, car les cas de nudité partielle susceptibles de porter atteinte aux intérêts que cherche à protéger le législateur seront couverts par la disposition déterminative se trouvant au paragraphe suivant. Ainsi, la personne qui se trouve en public vêtue uniquement d’une chemise déboutonnée ne sera pas nue au sens de l’alinéa 174(1)a) C.cr., mais elle pourra être considérée comme étant « vêtu[e] de façon à offenser la décence ou l’ordre public/so clad as to offend against public decency or order » au sens du paragraphe 174(2) C.cr.

[33]      L’absence d’une telle disposition déterminative à l’article 162.1 C.cr. change la donne. S’il fallait interpréter « nue/nude » comme n’incluant que les situations de nudité totale, il s’ensuivrait, par exemple, qu’une image montrant une personne vêtue uniquement de pantalons baissés jusqu’aux genoux et cachant ses organes génitaux et ses seins avec ses mains ne constituerait pas une image intime, alors qu’une image montrant la même personne adoptant la même pose, mais étant cependant entièrement dévêtue, tomberait dans le champ d’application du paragraphe 162.1(2) C.cr. Or, lorsque l’on tient compte des intérêts que cherche à protéger le législateur, on réalise qu’il serait absurde de qualifier différemment ces deux images : l’objectif de protéger l’intimité, l’intégrité, l’autonomie et la dignité d’une personne qui se trouve dans une situation de vulnérabilité au moment de la prise la photo est tout aussi pressant dans un cas comme dans l’autre. Limiter la notion de nudité à la situation d’une personne complètement dévêtue aurait donc pour effet de restreindre de manière arbitraire la portée de l’infraction de transmission non consensuelle d’une image intime.

[34]      Il s’ensuit qu’en l’espèce, on ne peut conclure à l’inapplicabilité de l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. à l’image litigieuse au seul motif qu’on n’y voit pas le corps entièrement dénudé de la plaignante. La question est plutôt de savoir si cette dernière y est suffisamment dévêtue pour que l’on puisse la considérer comme étant « nue/nude » au sens de cette disposition.

[35]      Comment tracer la ligne entre les situations de nudité partielle visées par l’alinéa 162.1(2)a) C.cr. et celles qui ne le sont pas? Il ne me semble pas nécessaire, dans le cadre de la présente affaire, de tenter de définir un critère qui permettrait de délimiter de manière précise et exhaustive les contours de la notion de nudité au sens de cette disposition. Quel que soit le critère applicable, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’il est rempli en l’espèce, car, du point de vue de l’atteinte potentielle à l’intimité, à l’intégrité, à l’autonomie et à la dignité de la personne concernée, je ne vois pas de différence significative entre une image la montrant entièrement dévêtue et une image — comme celle dont il s’agit en l’espèce — la montrant dévêtue à partir du haut des cuisses.

[36]      La juge de première instance a donc eu raison de conclure que l’image litigieuse constitue une image intime au sens du paragraphe 162.1(2) C.cr.