R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51 

S’il est vrai que l’ensemble du régime des produits de la criminalité a pour objet de s’assurer que le crime ne paie pas ni ne bénéficie au contrevenant, la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques vise la réalisation d’objets secondaires, à savoir : (1) permettre l’accès aux services d’un avocat et (2) accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence. Le désir d’assurer l’équité à l’accusé dans les poursuites criminelles sous‑tend ces deux objectifs. Dans la plupart des cas, récupérer les sommes versées pour le paiement de frais juridiques raisonnables au moyen d’une amende en remplacement de la confiscation aura pour effet de miner la réalisation de ces objets tout aussi valables.

[9] Le pouvoir discrétionnaire d’infliger une amende que la loi accorde au juge chargé de déterminer la peine doit s’exercer conformément aux objets des dispositions du régime des produits de la criminalité (R. c. Lavigne, 2006 CSC 10 (CanLII), [2006] 1 R.C.S. 392, par. 28). Ces objets se dégagent d’un examen du Code visant à cerner l’intention du législateur quant à la coexistence de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques et de celle sur l’amende en remplacement de la confiscation. En adoptant la disposition sur la restitution, le législateur a non seulement prévu la possibilité que l’accusé ait besoin des fonds saisis pour préparer sa défense, mais a aussi permis explicitement que les fonds restitués soient consacrés à cette fin. S’il est vrai que l’ensemble du régime des produits de la criminalité a pour objet de s’assurer que le crime ne paie pas ni ne bénéficie au contrevenant, la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques vise la réalisation d’objets secondaires, à savoir : (1) permettre l’accès aux services d’un avocat et (2) accorder une importance suffisante à la présomption d’innocence. Le désir d’assurer l’équité à l’accusé dans les poursuites criminelles sous‑tend ces deux objectifs. Dans la plupart des cas, récupérer les sommes versées pour le paiement de frais juridiques raisonnables au moyen d’une amende en remplacement de la confiscation aura pour effet de miner la réalisation de ces objets tout aussi valables.

[10] Par contre, s’il s’avère que le contrevenant n’avait pas un véritable besoin financier ou que les fonds n’ont pas été utilisés pour atténuer ce besoin, il serait indiqué pour le juge d’infliger une amende en remplacement de la confiscation, car cela concorderait avec l’intention du législateur. Par exemple, cela pourrait survenir en présence d’agissements répréhensibles relativement à la demande de restitution (telle la présentation inexacte de la situation financière de l’accusé) ou à l’occasion de l’exécution de l’ordonnance de restitution (p. ex., l’utilisation des fonds d’une manière non prévue dans l’ordonnance, pour des dépenses à des fins qui ne sont pas visées par l’ordonnance ou pour des dépenses qui dépassent les limites autorisées par le tribunal). En outre, cela pourrait se produire si la situation financière de l’accusé change de façon imprévue après la restitution des fonds, mais avant la détermination de la peine, de sorte qu’il ne soit plus nécessaire d’avoir recours aux fonds restitués dès que l’accusé prend connaissance de la nouvelle situation. Ce sont là des exemples du genre de situation qui mine le fondement même de l’ordonnance de restitution de telle sorte que le législateur aurait souhaité recouvrer les sommes d’argent restituées au moyen d’une amende.

La disposition sur la restitution vise donc à offrir un filet de sûreté aux accusés qui ont besoin d’une aide financière.

[35] En édictant la disposition sur la restitution, le législateur a créé un mécanisme distinct et particulier qui permet à l’accusé de récupérer un bien saisi aux fins énumérées au par. 462.34(4), notamment pour les frais juridiques raisonnables. Le législateur a prescrit une procédure de demande particulière, qui comporte la tenue de deux audiences devant un juge; il a obligé les demandeurs à prouver qu’ils ne possédaient pas d’autres biens ou moyens; il a interdit la restitution de fonds dans le cas du tiers qui semble être le propriétaire légitime des biens ou avoir droit à leur possession légitime; il a autorisé le juge à décider du montant à restituer; il s’est assuré que toute restitution soit effectuée par la voie d’une ordonnance judiciaire susceptible de préciser les montants, le nombre d’avocats, etc.; et il a prévu le réexamen subséquent de ces montants pour s’assurer qu’ils sont effectivement raisonnables.

[36] Dans bien des cas, un projet de budget est présenté à huis clos au tribunal (comme dans l’affaire R. c. Davidson, 2016 ONSC 7440, par. 21 (CanLII)); sinon, le juge peut fixer le nombre d’heures admissibles et les frais accessoires (R. c. Alves, 2015 ONSC 4489 (CanLII), par. 46‑51). En outre, le par. 462.34(5) oblige le juge à « t[enir] compte du barème d’aide juridique de la province » et, aux termes du par. 462.34(5.2), les frais juridiques peuvent être taxés (c.‑à‑d. qu’ils peuvent être contrôlés ou vérifiés).Le juge doit faire [traduction] « davantage qu’un examen rapide » de la situation financière de l’accusé; de plus, un « examen approfondi des faits est nécessaire » (R.c. Borean, 2007 NBQB 335 (CanLII), 321 N.B.R. (2d) 309, par. 8). Les fonds saisis seront ensuite restitués conformément aux modalités de l’ordonnance judiciaire.

[37] La formulation des dispositions pertinentes ainsi que la complexité et le caractère détaillé de la disposition sur la restitution indiquent que le législateur a clairement et délibérément tenté de traiter la question de la nécessité pour l’accusé d’obtenir les services d’un avocat, mais seulement dans des circonstances circonscrites : (1) lorsque l’accusé « ne possède pas d’autres biens ou moyens » et, par conséquent, qu’il est absolument essentiel d’avoir recours aux fonds; et (2) lorsque « nulle autre personne ne semble être le propriétaire légitime de ces biens ou avoir droit à leur possession légitime » (par. 462.34(4)). La disposition sur la restitution vise donc à offrir un filet de sûreté aux accusés qui ont besoin d’une aide financière.

Garantir à l’accusé la possibilité d’avoir accès aux services d’un avocat est un objectif principal de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques. Bien que la saisie des fonds aide l’État à protéger son éventuel droit sur les biens, le législateur a voulu que ce droit éventuel passe au second plan lorsqu’il met en péril la capacité d’un accusé à avoir accès aux services d’un avocat.

La disposition sur la restitution visait donc à faire respecter le principe de l’équité dans les poursuites criminelles

[43] Il appert des propos tenus par le ministre que garantir à l’accusé la possibilité d’avoir accès aux services d’un avocat est un objectif principal de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques. Bien que la saisie des fonds aide l’État à protéger son éventuel droit sur les biens, le législateur a voulu que ce droit éventuel passe au second plan lorsqu’il met en péril la capacité d’un accusé à avoir accès aux services d’un avocat.

[44] La protection choisie par le législateur s’appuie sur le fait que la capacité d’un accusé de retenir les services d’un avocat pour se défendre dans un procès criminel fait partie du droit anglais depuis 1836 (An Act for enabling Persons indicted of Felony to make their Defence by Counsel or Attorney (R.‑U.), 1836, 6 & 7 Will. 4, c. 114, art. 1) même si ce droit existait bien avant, dans une forme plus limitée, dans le cas de la trahison ou d’autres crimes graves (J H. Langbein, The Origins of Adversary Criminal Trial (2003), p. 101‑102). Il s’agit sans aucun doute d’un précepte fondamental de notre système de justice pénale.

[45] Les propos du ministre donnent à penser que le législateur se souciait également de la présomption d’innocence, « la clé de voûte de notre système de justice pénale » (R. c. Chaulk, 1990 CanLII 34 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 1303, p. 1368). La disposition sur la restitution tient également compte du fait qu’au Canada, les biens peuvent être saisis sur le seul fondement d’une croyance raisonnable qu’il pourrait s’agir de produits de la criminalité, alors que ces biens appartiennent en principe à une personne présumée innocente (B. A. MacFarlane, R. J. Frater et C. Michaelson, Drug Offences in Canada (4e éd.) (feuilles mobiles), § 14:180.40.120) En effet, il se peut que l’accusé ne soit jamais reconnu coupable ou qu’il ne soit jamais prouvé que les biens en cause sont des produits de la criminalité. Par conséquent, lorsqu’un accusé utilise les fonds restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables, il dépense son propre argent pour payer sa défense. Le législateur était manifestement préoccupé par la sévérité d’un régime qui emporterait la saisie des biens de personnes encore présumées innocentes, et il a pris des mesures pour protéger leurs droits.

[46] Enfin, les propos tenus par le ministre témoignent d’une préoccupation sous-jacente à l’égard de l’équité procédurale envers l’accusé dans les poursuites criminelles. Le principe de l’équité procédurale dans les procès criminels est à la base de notre système de justice (R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, p. 121; R. c. Whyte, 1988 CanLII 47 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 3, p. 15; R. c. Hodgson, 1998 CanLII 798 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 449, par. 18). Le ministre a souligné l’importance de la « procédure […] juste » que l’on était en train d’instaurer au moyen de la « protection » de l’accès aux services d’un avocat. De plus, le ministre a mentionné que « le projet de loi est une mesure équilibrée et juste qui ne contient pas de dispositions excessives comme c’était le cas d’autres lois. [. . .] Nous tenons à nous assurer que lorsque nous cherchons à nous emparer des produits de la criminalité, nous le faisons d’une façon équitable » (Débats, p. 17259).

[47] Ainsi que l’a affirmé le juge Doherty, la disposition sur la restitution [traduction] « reconnaît que l’État ne devrait pas être autorisé à appauvrir une personne qui aura souvent besoin de retenir les services d’un avocat afin de se défendre contre une mesure de l’État visant à la priver de ses biens et de sa liberté » (Wilson, p. 659). La disposition sur la restitution visait donc à faire respecter le principe de l’équité dans les poursuites criminelles : il ne faut pas priver une personne de la possibilité d’embaucher un avocat pour la représenter au motif que l’État a saisi les fonds avec lesquels elle aurait payé son avocat.

[48] Le législateur voulait créer une « procédure juste » pour permettre aux accusés de demander au tribunal d’autoriser à certaines fins la restitution des fonds saisis. Ce principe d’équité, y compris les notions d’avis suffisant et de fiabilité, devrait par le fait même éclairer l’interprétation de la disposition sur la restitution, surtout compte tenu du rôle qui lui est attribué dans le régime plus large des produits de la criminalité.

[49] L’examen qui précède montre que, même si le législateur souhaitait indéniablement supprimer l’attrait financier de certains crimes, il voulait aussi s’assurer que les accusés puissent être représentés par un avocat et que la présomption d’innocence soit protégée afin de maintenir une procédure qui est juste envers l’accusé. Ces objets viennent restreindre la poursuite de l’objectif premier. L’interprétation judiciaire devrait favoriser la conciliation des droits et intérêts en jeu dans cette partie du Code, et non la compromettre. À mon avis, l’interprétation juste ne néglige pas les objets secondaires, ni n’en minimise l’importance, dans le but de réaliser l’objectif premier de s’assurer que le crime ne paie pas. Le régime établi par le législateur, ainsi que ses multiples objectifs, doivent plutôt être lus ensemble, [traduction] « interprétés globalement, chaque partie de ce texte ou article éclairant au besoin le reste de celui‑ci » (Greenshields c. The Queen, 1958 CanLII 36 (SCC), [1958] R.C.S. 216, p. 225).

[50] Bien que l’appelant et deux intervenantes, la British Columbia Civil Liberties Association et la Criminal Lawyers’ Association of Ontario, aient formulé des arguments constitutionnels, il n’est pas nécessaire, pour trancher le présent pourvoi, de délimiter les paramètres du droit constitutionnel d’un accusé de dépenser son propre argent pour retenir les services d’un avocat. Notre Cour a mentionné que l’accès à une bonne représentation par avocat est ancrée dans la présomption d’innocence, le principe des poursuites criminelles équitables et les principes de justice fondamentale (R. c. G.D.B., 2000 CSC 22 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 520, par. 24‑25). Il suffit de dire que le législateur a conçu son régime des produits de la criminalité pour établir des mesures de protection équitables envers l’accusé, notamment la possibilité de payer les frais juridiques à même les biens saisis ou bloqués lorsque cela est nécessaire.

L’accès aux services d’un avocat est un objectif principal de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques. Si l’on voit l’ordonnance de restitution comme un prêt et une amende en remplacement de la confiscation est infligée automatiquement à l’égard de fonds restitués par voie judiciaire, la capacité d’un accusé d’avoir accès aux services d’un avocat devient largement illusoire.

[55] L’accès aux services d’un avocat est un objectif principal de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques. Si l’on voit l’ordonnance de restitution comme un prêt et une amende en remplacement de la confiscation est infligée automatiquement à l’égard de fonds restitués par voie judiciaire, la capacité d’un accusé d’avoir accès aux services d’un avocat devient largement illusoire. Craignant une amende ou une peine d’emprisonnement additionnelle, les accusés pourraient renoncer complètement à solliciter la restitution de fonds et se représenter plutôt eux‑mêmes. Par conséquent, au lieu d’aider les accusés à avoir accès aux services d’un avocat, la disposition aurait exactement l’effet contraire : elles les décourageraient de retenir les services d’un avocat. La disposition sur la restitution était censée faire en sorte que les personnes dont les fonds ont été saisis par l’État ne soient pas incapables d’embaucher un avocat. Toutefois, les accusés qui comprennent que les fonds restitués par voie judiciaire seront récupérés plus tard, par l’infliction d’une amende, voire d’un emprisonnement, risquent fort bien de choisir de se représenter eux-mêmes. En conséquence, les personnes dont les fonds ont été saisis par l’État se verront souvent dans l’impossibilité de retenir les services d’un avocat.

[56] Lorsqu’un accusé ne peut avoir accès aux services d’un avocat, la présomption d’innocence en souffre. Il en est ainsi puisqu’en favorisant l’exercice du droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière, l’avocat de la défense fait en sorte que la preuve à établir incombe toujours au ministère public. Il est difficile pour le profane inculpé d’apprécier correctement « la complexité accrue des affaires criminelles » qui, selon ce qu’a affirmé la Cour, touche « la plupart des causes » dans notre système de justice pénale (R. c. Jordan, 2016 CSC 27 (CanLII), [2016] 1 R.C.S. 631, par. 53 et 83).

[57] L’importance de la présomption d’innocence n’est pas non plus « épuisée » dès qu’il y a déclaration de culpabilité (par. 71). Le système de justice pénale ne limite pas rétroactivement la présomption d’innocence — et il ne doit pas le faire —, pas plus qu’il en assortit l’exercice de conditions préalables ou de sanctions. Imposer des sanctions rétroactives à des accusés qui invoquent la présomption d’innocence ne peut avoir d’autre effet que de saper cette présomption et les protections qu’elle confère aux accusés. Par exemple, la présomption d’innocence sous-tend le concept de mise en liberté sous caution (R. c. Antic, 2017 CSC 27 (CanLII), [2017] 1 R.C.S. 509, par. 1). Le temps passé en liberté sous caution n’est pas ajouté au moment de la détermination de la peine; au contraire, des conditions de mise en liberté sous caution rigoureuses peuvent être un facteur atténuant lorsque vient le moment de déterminer la peine.

[58] Tout comme la loi ne prévoit aucun mécanisme de « récupération » du temps passé en liberté sous caution en vertu du régime de mise en liberté provisoire parce qu’un tel mécanisme irait à l’encontre de la présomption d’innocence consacrée par ce régime, la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation ne saurait représenter, en temps normal, une dilution rétroactive de la présomption d’innocence à l’égard des biens que le tribunal a restitués pour le paiement de frais juridiques raisonnables. Bien que la loi prévoie un mécanisme permettant de récupérer les produits de la criminalité dépensés par le truchement du régime de l’amende en remplacement de la confiscation, cette analogie avec la mise en liberté sous caution fait ressortir que les contrevenants en général ne sont pas punis pour avoir invoqué la présomption d’innocence. En adoptant la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques, le législateur voulait accorder une importance significative au principe fondamental de la présomption d’innocence, notamment en veillant ce que l’accusé puisse retenir les services d’un avocat. Considérer que la disposition sur la restitution est simplement temporaire et dissuade par le fait même l’accusé de recourir aux services d’un avocat mine l’objectif même que le législateur cherchait à atteindre.

[59] De plus, l’imposition d’une amende à l’égard de fonds restitués par voie judiciaire suscite des préoccupations de préavis et de fiabilité qui sont ancrées dans le principe de l’équité envers l’accusé dans les poursuites criminelles. On peut s’attendre à ce que l’accusé se fonde sur une ordonnance judiciaire autorisée par un régime légal en particulier. Cet accusé ne peut raisonnablement pas savoir qu’en faisant cela, il s’expose à une sanction additionnelle. Pourtant, « [l]a règle de droit exige que les lois délimitent à l’avance ce qui est permis et ce qui est interdit » (R. c. Mabior, 2012 CSC 47 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 584, par. 14; R. c. Levkovic, 2013 CSC 25 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 25, par. 3). L’imposition générale d’une amende en remplacement d’une confiscation à l’égard de fonds restitués par voie judiciaire ne respecterait pas les principes de notification raisonnable, ce qui mine davantage l’intention du législateur de créer une procédure équitable qui permet le recours aux services d’un avocat et assure la présomption d’innocence.

[60] Mon collègue minimise ces préoccupation en affirmant que même si le « choix » de retenir les services d’un avocat quitte à faire face à une amende à l’égard des fonds restitués en application d’une ordonnance judiciaire « peut ne pas s’avérer facile à faire, mais notre système de justice criminelle ne garantit à personne une expérience exempte de choix difficiles » (par. 142). Soit dit en tout respect, il y a une différence entre un choix difficile et un choix qui n’en est pas un du tout. Le « choix » auquel est confronté un accusé en pareille situation est un faux choix : un choix apparemment libre quand il n’existe en réalité qu’une seule option. Dans ce cas, l’option est de ne pas être représenté par avocat. La Cour a souligné qu’il faut se garder de donner un faux choix dans le contexte du droit criminel (R. c. Taylor, 2014 CSC 50 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 495, par. 40).

L’un des objectifs fondamentaux du système de justice pénale est d’offrir un processus équitable permettant d’arriver à des résultats justes et non d’imposer le plus de représailles à tout prix.

[67] À mon avis, la Cour d’appel a accordé trop d’importance à l’objectif général de la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation pour empêcher que l’accusé obtienne indirectement un avantage et n’a pas suffisamment tenu compte des objectifs importants du mécanisme de restitution détaillé adopté par le législateur. La disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques offrait à M. Rafilovich, qui ne possédait pas d’autres biens ou moyens de payer les frais de sa défense, une possibilité d’avoir accès à des fonds saisis (qui lui appartenaient toujours) qui étaient assujettis à une surveillance judiciaire étroite et à des conditions rigoureuses. Il ne s’agit pas là du type d’« avantage » que la disposition sur l’amende en remplacement de la confiscation vise à prévenir. Ainsi que l’a fait remarquer la juge Veit dans Gagnon :

[traduction] Contrairement au ministère public, je ne crois pas que les honoraires d’avocats s’apparentent à ceux des coiffeurs et que leur paiement découle de l’exercice par l’accusé d’un pouvoir discrétionnaire relativement à un revenu disponible. Même si l’intention du législateur était de retirer au contrevenant le droit d’exercer ce type général de pouvoir discrétionnaire, il a considéré les frais d’avocat comme un type spécial de dépense… [p. 512]

[68] Comme M. Rafilovich a affecté les fonds restitués au paiement de sa défense, il reste indéniablement moins d’argent qui pourrait être confisqué au profit de Sa Majesté. Cette conséquence du fait pour les accusés d’exercer leurs droits n’a toutefois rien d’inhabituel. L’un des objectifs fondamentaux du système de justice pénale est d’offrir un processus équitable permettant d’arriver à des résultats justes et non d’imposer le plus de représailles à tout prix.

J’envisage trois situations dans lesquelles l’infliction d’une amende serait indiquée, mais il pourrait y en avoir d’autres.

[77] La première serait le cas d’agissements répréhensibles commis dans le cadre de la présentation de la demande de restitution des fonds, comme la présentation inexacte de la situation financière de l’accusé. La deuxième serait le cas d’agissements répréhensibles du contrevenant lors de l’exécution de l’ordonnance de restitution, comme l’utilisation des fonds d’une manière non prévue dans l’ordonnance ou pour des dépenses à des fins dépassant la portée de celle‑ci, ou le paiement d’honoraires dépassant les montants autorisés par cette même ordonnance. La troisième serait le cas où la situation financière de l’accusé change de façon imprévue après la restitution des fonds, mais avant la détermination de la peine, de telle sorte que les fonds restitués ne sont plus nécessaires après que l’accusé ait pris connaissance du changement de situation. En effet, l’avocat de M. Rafilovich a concédé que le tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire [traduction] « s’il y avait eu enrichissement imprévu entre le prononcé de l’ordonnance [de restitution] et la fin du procès, comme un gain à la loterie » (transcription, p. 24, lignes 16‑19).

[78] Ce sont là des exemples de situations dans lesquelles l’accusé a obtenu davantage que ce que le législateur voulait lui offrir, et le juge chargé de déterminer la peine peut donner suite à cette intention en recouvrant les sommes d’argent restituées au moyen d’une amende. En infligeant une amende en pareilles circonstances, les tribunaux respectent l’équilibre recherché entre les objectifs du législateur consistant à permettre l’accès aux services d’un avocat et à protéger la présomption d’innocence au moyen de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques, et son autre objectif de priver les contrevenants des produits de leurs crimes au moyen de la disposition sur la confiscation.

L’arrêt Rowbotham et l’amende en remplacement de la confiscation.

[82] Si les ordonnances fondées sur l’arrêt Rowbotham et la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques opèrent pour assurer une représentation convenable, elles le font dans des contextes différents. Selon Rowbotham, les juges doivent évaluer la complexité de l’affaire et se demander si le fait de poursuivre l’instance sans avocat mettrait en péril le droit de l’accusé à un procès équitable. Tel est le critère exigeant auquel il faut satisfaire pour obliger l’État à financer la représentation de l’accusé par avocat. En revanche, sous le régime de la disposition relative à la restitution, le juge n’ordonne pas l’affectation de fonds publics, mais bien celle de fonds réputés privés afin de permettre l’accès aux services d’un avocat. Il s’agit là d’un objectif fort différent, et si le législateur avait voulu imposer ces critères additionnels comme conditions préalables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ne pas imposer une amende, il l’aurait fait explicitement.

[83] Le raisonnement de mon collègue aurait essentiellement pour effet de limiter l’application de la disposition sur la restitution en vue du paiement des frais juridiques aux accusés qui peuvent répondre aux exigences plus strictes de l’arrêt Rowbotham. Puisque la question de savoir si un accusé a droit à une ordonnance de type Rowbotham est tranchée au stade de la détermination de la peine, même l’accusé qui croit satisfaire aux critères de l’arrêt Rowbotham pourrait s’abstenir de demander la restitution des fonds saisis de peur que, ultimement, le juge chargé de déterminer la peine refuse. Par conséquent, l’accusé qui ne peut être certain que sa demande fondée sur l’arrêt Robowtham sera accueillie à un moment donné risque de se montrer encore plus prudent et de se représenter lui‑même, même si les services d’un avocat sont en fait « essentiels », sur le plan constitutionnel, au respect de son droit à un procès équitable.