R. c. Perreault, 2017 QCCQ 587

En l’espèce, la question est de savoir si les policiers ont respecté le droit du défendeur d’avoir recours à l’avocat de son choix tel que le prescrit l’alinéa 10b) de la Charte.

 

 

  1. A)        Le droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat tel que prévu à l’alinéa 10b)de la Charte

[15]        L’alinéa 10b) de la Charte garantit à la personne arrêtée ou détenue le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat sans délai et d’être informée de ce droit dès le moment de sa détention.

[16]        Tel que décrit par la Cour suprême dans l’arrêt Bartle[4] et reprise par la suite dans les arrêts Willier[5] et Taylor[6], l’alinéa 10b)impose trois obligations aux policiers :

1)    informer la personne détenue de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat;

2)    lui donner la possibilité raisonnable d’exercer ce droit; et

3)    s’abstenir de soutirer des éléments de preuve jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable.

[17]        La première obligation touche au volet information alors que les deuxième et troisième sont des obligations de mise en application qui ne prennent naissance que si la personne détenue indique qu’elle veut exercer son droit à l’assistance d’un avocat.

[18]        Pour satisfaire au volet information, l’agent de la paix doit faire une mise en garde initiale, sans délai, à la personne détenue. Dans l’arrêt Suberu[7], la Cour suprême a précisé que l’expression « sans délai » signifie « immédiatement ». À moins d’une menace pour la sécurité des policiers ou du public et des restrictions qui seraient prescrites par une règle de droit au sens de l’article premier de la Charte, les policiers ont l’obligation immédiate d’informer la personne détenue de son droit à l’assistance d’un avocat et de faciliter l’exercice de ce droit dès le début de la détention.

[19]        Le devoir d’information est double. Dans un premier temps, l’obligation des agents de l’État est d’annoncer à la personne détenue qu’elle a le droit à l’avocat de son choix. Dans un deuxième temps, le policier a l’obligation d’informer la personne détenue de l’existence de l’aide juridique et d’avocats de garde[8].

[20]        Ce volet détaille comment le droit à l’assistance d’un avocat s’incarne dans notre système judiciaire : « [l]e droit à l’assistance d’un avocat en est venu à signifier plus que le droit d’avoir recours au service d’un avocat par ses propres moyens »[9].

[21]        Puisque l’obligation forme un tout, l’information de tels services doit être faite avant que la seconde obligation n’entre en jeu[10].

[22]        Comme le souligne l’arrêt Evans[11] de la Cour suprême, le devoir d’information inclut la compréhension du détenu. La Cour suprême affirme :

Dans la plupart des cas, il est possible de conclure, d’après les circonstances, que l’accusé comprend ce qui lui est dit. Dans ces cas, les policiers ne sont pas tenus de faire plus (à moins que le détenu n’indique qu’il veut retenir les services d’un avocat, auquel cas, les policiers sont tenus aux deuxième et troisième obligations mentionnées ci-dessus).[12]

[23]        De cet extrait de l’arrêt, on peut retenir que la personne détenue doit saisir le message transmis.

[24]        Sur cet aspect, la Cour suprême mentionne dans l’arrêt Bartle :

Étant donné la règle selon laquelle, en l’absence de circonstances particulières, notamment des problèmes de langue ou une déficience mentale notoire ou manifeste, indiquant que la personne détenue ne comprend peut-être pas la mise en garde prévue à l’alinéa 10b), les policiers ne sont pas tenus de s’assurer qu’elle le comprend bien; il importe que la mise en garde type faite aux personnes détenues soit aussi instructive et claire que possible.[13]

[25]        Dans les cas où la personne détenue ne semble cependant pas comprendre le contenu d’une carte mise à la disposition des policiers, ceux-ci « ne peuvent se contenter de la récitation rituelle de la mise en garde relative à ce droit de l’accusé; ils doivent prendre des mesures pour faciliter cette compréhension »[14].

[26]        Après que l’information ait été donnée, la personne détenue peut renoncer à l’exercice de son droit.  La renonciation ne se déduit normalement pas par des gestes ou des paroles implicites[15].

[27]        Ainsi, lorsque l’accusé manifeste la volonté de renoncer à son droit à l’assistance d’un avocat, il est du devoir des policiers de bien lui faire comprendre les conséquences que peut avoir cette renonciation[16]. La renonciation doit être non seulement volontaire et manifeste, mais aussi faite de façon éclairée. Si la personne détenue persiste à ne pas vouloir exercer son droit, les policiers doivent l’avertir qu’elle peut en tout temps revenir sur sa décision.

[28]        Si l’accusé veut communiquer avec un avocat, une seconde obligation entre en jeu. En effet, les policiers doivent en faciliter la mise en application, c’est-à-dire lui donner une opportunité raisonnable d’exercer son droit. L’opportunité raisonnable signifie pour les policiers de faciliter l’accès à un téléphone dès que possible, sans pour autant avoir l’obligation de fournir leur propre téléphone cellulaire[17]. Ils ont néanmoins l’obligation de donner à une telle personne l’accès à un téléphone à la première occasion raisonnable pour réduire le risque d’auto-incrimination ainsi que l’obligation corollaire de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve tant qu’ils ne lui ont pas facilité l’accès à un avocat[18].

[29]        Sur la question du délai, les policiers peuvent retarder l’exercice de ce droit dans le cas d’urgences afin d’assurer leur sécurité et la sécurité du public.

[30]        Lorsque la personne détenue demande à consulter un avocat en particulier, les policiers doivent déployer certains efforts pour tenter de le rejoindre. Si l’avocat n’est pas disponible dans l’immédiat et que la personne détenue veut renoncer à exercer son droit à l’avocat, le policier doit l’avertir qu’il a le droit d’attendre un délai raisonnable avant que ne continuent les procédures[19].

[31]        Finalement, la troisième obligation des agents de l’État consiste à suspendre la récolte de preuve. Cette obligation commence dès l’information au droit à l’assistance d’un avocat et se poursuit jusqu’à la renonciation au droit ou encore jusqu’à ce que la possibilité d’exercer ce droit ait été donnée à la personne détenue. Si cette personne a manqué de diligence dans l’exercice de son droit, les policiers peuvent continuer leur travail puisque la possibilité d’exercer ce droit lui a été octroyée.

  1. B)        Le paragraphe 24(2)de la Charte

[32]        Dans l’hypothèse où le Tribunal conclut à une violation de la Charte, il devra établir si la preuve obtenue doit être exclue conformément au paragraphe 24(2) de la Charte.

[33]        L’arrêt Grant de la Cour suprême établit la grille d’analyse applicable qui vise à préserver l’intégrité du système de justice et la confiance de la société à son égard. Cette analyse comporte trois volets :

▪  le premier concerne la gravité de la conduite attentatoire de l’État;

▪  le deuxième porte sur l’incidence de la violation sur le droit de l’accusé; et

▪  le troisième porte sur l’intérêt de la société à voir l’affaire jugée au fond.[20]

[34]        À la fin de l’exercice, le Tribunal doit mettre en balance les facteurs et décider de l’admissibilité ou de l’exclusion des éléments de preuve obtenus à la suite de la violation de la Charte.

[…]

[37]        Le Tribunal est d’avis que les trois obligations imposées aux policiers par l’alinéa 10b) de la Charte sont satisfaites. L’information du droit à l’assistance d’un avocat telle qu’elle apparait sur la carte de la SQ (VD-2) utilisée pour la mise en garde et le droit à l’assistance d’un avocat respecte en tous points les deux volets de la première obligation formulée par la Cour suprême. La phrase « vous avez le droit d’avoir recours sans délai à l’assistance de l’avocat de votre choix » satisfait la première exigence, alors que la phrase « sans égard à votre situation financière, vous avez également le droit d’avoir recours immédiatement aux conseils préliminaires et gratuits d’un avocat : du service de garde du Barreau du Québec, au numéro sans frais 1-866-666-0011, ou de l’aide juridique au numéro sans frais 1-800-842-2213 », satisfait la seconde.

[38]        L’obligation d’information implique la compréhension du détenu, ce qui explique la présence de la question « avez-vous bien compris ? » à la fin de la mise en garde et du droit à l’assistance d’un avocat. Selon la version des policières, le défendeur répond « oui » à cette question.

[39]        Considérant les principes dégagés par les arrêts Bartle[21]Willier[22] et Evans[23], les policières peuvent considérer que l’accusé comprend ce qui lui a été lu. Elles n’ont pas à aller plus loin dans leur obligation d’informer. L’existence de cette interaction amène le Tribunal à conclure que l’obligation d’information a été satisfaite. Dès lors, les policières n’avaient pas l’obligation d’informer à nouveau le détenu de ses droits une fois rendus au poste de police.

[40]        Quant à la réponse donnée par le défendeur sur l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat, soit : « pas pour le moment », il faut logiquement inférer que la réponse donnée dans son ensemble est : « non, pas pour tout de suite ». Cette réponse contient à la fois une renonciation et l’éventualité d’un retour sur celle-ci ultérieurement.

[41]        Dans l’arrêt Brydges[24] de la Cour suprême, l’accusé a également répondu : « non, pas tout de suite ». Cette réponse survenant après que l’accusé ait questionné sur l’aide juridique et la possibilité qu’il puisse en bénéficier, la Cour suprême conclut qu’il n’y a pas une réelle renonciation puisque l’information initiale n’a pas été bien donnée.

[42]        En l’espèce, l’information complète a été lue au défendeur et celui-ci en a bien compris la teneur.

[43]         L’information a initialement bien été donnée et rien n’oblige les policières à parler de l’aide juridique avec le détenu. Le fait qu’il y ait eu au poste de police, au départ, une  incompréhension du défendeur sur son admissibilité à l’aide juridique qui s’est finalement résolu, ne signifie pas qu’il a mal saisi l’ensemble de son droit à l’assistance d’un avocat. La présomption de compréhension doit survivre au sujet du premier volet de l’information. Certes, il aurait été préférable que la policière lui relise la carte, mais dans les circonstances, elle n’en avait pas l’obligation.