Moreau c. R., 2017 QCCQ 13469

 

La requérante Marie-Andrée Moreau présente une requête en exclusion de la preuve alléguant que son droit à l’assistance d’un avocat a été violé en vertu des articles 10 b) et 24 (2) de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

LE DROIT APPLICABLE

[44]        L’article 10 (b) de la Charte se lit ainsi :

  1. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :
  2. a) […]
  3. b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;
  4. c) […]

[45]        Cette disposition vise à protéger le droit d’un suspect de ne pas s’incriminer. Les obligations qui en découlent tiennent à la fois d’un devoir d’informer et de mettre en application l’exercice du droit à l’avocat.

[46]        Dans le présent dossier, il n’est pas contesté que la requérante a reçu l’information concernant son droit à l’avocat.

[47]        La poursuite plaide toutefois qu’elle a renoncé à exercer ce droit.

[48]        La Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Prosper[1] précise que lorsqu’une personne détenue ou arrêtée manifeste son intention de consulter un avocat puis y renonce, il y a naissance d’une obligation supplémentaire laquelle vise à s’assurer que cette personne comprend ce à quoi elle renonce.

[49]        Dans ce même arrêt, la Cour suprême rappelle que le fardeau d’établir qu’il y a eu renonciation appartient au ministère public. L’honorable juge en chef Lamer s’exprime ainsi[2] :

Compte tenu de l’importance du droit à l’assistance d’un avocat, j’ajouterais à l’égard de la renonciation que, dès lors qu’une personne détenue a fait valoir son droit, il faut qu’elle donne par la suite une indication claire qu’elle a changé d’avis, et il appartiendra au ministère public d’établir qu’elle y a clairement renoncé:  Ross, aux pp. 11 et 12.  En outre, la renonciation doit être libre et volontaire et elle ne doit pas avoir été donnée sous la contrainte, directe ou indirecte.  Notre Cour a indiqué à maintes reprises que la norme requise pour établir l’existence d’une renonciation au droit à l’assistance d’un avocat est très stricte:  Clarkson c. La Reine1986 CanLII 61 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 383, Manninen, et Evans.  Comme je le dis dans l’arrêt Bartle, aux pp. 192 à 194 et 206, la personne qui renonce à un droit doit savoir ce à quoi elle renonce pour que la renonciation soit valide. Cela dit, il va de soi que le droit à l’assistance d’un avocat garanti l’al.10b) ne doit pas se transformer en obligation pour les personnes détenues de demander l’assistance d’un avocat.

[50]        La Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Fountain[3] a récemment rappelé l’étendue de l’obligation lorsque la personne détenue change d’intention et indique ne plus vouloir exercer son droit à l’avocat. L’honorable juge Paciocco s’exprime ainsi :

[5]  The trial judge also erred when he held that Mr. Fountain did not qualify for a Prosper warning because he did not expressly indicate that he had changed his mind about speaking to a lawyer. In fact, a Prosper warning is triggered even by an apparent change of mind, and it was apparent that Mr. Fountain was no longer seeking to speak to a lawyer without delay when he chose to wait until the next day. Certainly that is how Det. Dellipizzi saw it. That being so, Det. Dellipizzi should have given him a Prosper warning.

[6] The trial judge’s finding that Mr. Fountain waived his right to consult counsel without delay is also in error. Without a Prosper warning having been given there is no basis for inferring that Mr. Fountain understood what he was giving up when he chose to wait until the next day.

[7] It was also an error for the trial judge to find that if a Prosper warning was required, a police caution is an adequate substitute for that warning. It is not. A proper Prosper warning requires more than knowledge of the right to remain silent.

ANALYSE

[51]        Même en tenant pour acquis la version de l’agent Tardif selon laquelle la requérante a affirmé « laisse faire l’avocat » après une démarche infructueuse pour rejoindre le service de référence du Barreau du Québec, la preuve ne permet pas de conclure que les agents de l’État ont satisfait à leurs obligations pour conclure à une renonciation de la part de la requérante.

[52]        Cette dernière, qui avait manifesté son désir d’exercer son droit à l’avocat, a changé d’avis après avoir appris que le service de référence n’était pas fonctionnel la nuit de l’événement. L’agent Tardif s’est alors contenté du fait qu’elle aurait dit « laisse faire l’avocat » pour conclure à une renonciation.

[53]        L’absence d’explication subséquente indique clairement que l’agent Tardif ne s’est pas conformé à l’arrêt Prosper et ne s’est pas soucié de savoir si la requérante comprenait ce à quoi elle renonçait en refusant de poursuivre les démarches pour consulter un avocat.

[54]        La renonciation à un droit constitutionnel doit être claire et non équivoque. Dans la présente affaire, tout indique qu’il n’y avait pas une telle renonciation. La requérante a refusé d’apposer ses initiales confirmant une renonciation à son droit à l’avocat.

[55]        Malgré ce refus, l’agent Tardif ne s’interroge pas sur la validité de la renonciation. Il poursuit ses démarches comme si ce refus n’avait aucune signification.

[56]        Avant de procéder au deuxième échantillon d’haleine, la requérante sollicite d’appeler un avocat, ce qui lui est refusé sous prétexte que l’occasion lui avait été donnée auparavant.

[57]        Bien sûr, les policiers ne sont pas tenus d’acquiescer à toutes les demandes faites tardivement par une personne arrêtée ou détenue et celle-ci doit agir avec diligence dans l’exercice de ses droits.

[58]        Mais il ne s’agit pas ici de se demander si l’agent Tardif aurait dû lui permettre, à cette étape du déroulement de la procédure, d’exercer son droit à l’avocat, mais plutôt de déterminer si elle avait renoncé à ce droit.

[59]        Dans le contexte de l’analyse de cette question, la demande de la requérante d’avoir accès à un avocat s’inscrit dans un continuum qui, de l’avis du Tribunal, indique qu’elle n’avait pas renoncé clairement à son droit à l’avocat.

[60]        Ce droit n’est pas qu’une simple formalité qui doit être remplie machinalement par les agents de l’État. Le citoyen qui se retrouve détenu et qui n’est pas familier avec les services disponibles durant la nuit doit recevoir les explications et pouvoir compter que les démarches seront effectuées pour assurer la mise en œuvre de ce droit.

[61]        De plus, le Tribunal est d’avis que la version de l’agent Tardif ne peut être acceptée sans réserve. Celui-ci affirme que la requérante a, dans un premier temps, décidé de ne pas consulter pour par la suite changer d’avis lorsqu’il lui a expliqué qu’il existait des services de garde sans frais.

[62]        L’agent Tardif mentionne toutefois que ces détails n’apparaissent pas à son rapport parce qu’il ne jugeait pas pertinent de les inscrire. Le rapport de l’agent Tardif a été complété un mois et demi après l’événement à l’aide de ses notes. Aucune mention de ces détails n’apparait non plus dans ses notes.

[63]        L’agent Tardif confirme avoir relu son rapport en décembre 2016 en vue de témoigner dans le présent dossier. Ces éléments factuels ne lui seraient pas revenus en mémoire à ce moment-là. Ce n’est qu’une semaine avant la présente audition qu’il se serait rappelé ces faits relatifs au droit à l’avocat. Il n’aurait pas complété de rapport complémentaire ou avisé le ministère public de ces nouveaux éléments.

[64]        Le Tribunal met en doute qu’un agent de la paix puisse se souvenir de tels éléments près de deux ans après son intervention alors que son rapport ou ses notes n’en font pas mention, surtout lorsque ces éléments n’ont pas été jugés suffisamment importants pour être inscrits dans le rapport d’événement.

[65]        Cet élément affecte la fiabilité de la version de l’agent Tardif.

[66]        La version de la requérante selon laquelle elle aurait voulu consulter un avocat, mais n’en a pas véritablement eu l’opportunité, est plausible et compatible avec son refus d’apposer ses initiales pour confirmer sa renonciation à son droit de consulter un avocat.

[67]        Le Tribunal conclut que le ministère public n’a pas démontré par une preuve prépondérante la renonciation claire et non équivoque de la requérante à son droit d’avoir recours à un avocat. De plus, l’agent Tardif ne s’est pas conformé aux obligations de l’arrêt Prosper de sorte que même s’il y avait eu renonciation, celle-ci serait invalide.

[68]        Dans les circonstances, il y a eu violation du droit de la requérante d’avoir recours à un avocat en vertu de l’article 10 (b) de la Charte.