Crédit de détention

La Cour suprême vient de rendre des décisions dans R. c. Summers, 2014 CSC 26R. c. Carvery, 2014 CSC 27 et R. c. Clarke, 2014 CSC 28.

Voici les extraits pertinents dans R. c. Summers, 2014 CSC 26 :

Le par. 719(3.1) est conçu comme une exception à l’application du par. 719(3), mais il n’existe pas de règle générale d’interprétation législative selon laquelle les circonstances qui relèvent d’une exception doivent être moins nombreuses que celles qui relèvent de la règle générale.  Il n’est donc pas problématique que presque tous les délinquants détenus préventivement puissent avoir droit au crédit majoré en raison de la perte subie aux fins de l’admissibilité à la libération anticipée ou à la libération conditionnelle.  En outre, interpréter le mot « circonstances » en y assimilant la perte liée à l’admissibilité à la libération conditionnelle et à la libération anticipée ne rend pas le paragraphe 719(3) superflu.  Lorsque l’accusé est visé par une exception expresse au par. 719 (3.1), le plafond d’un jour contre un prévu au par. 719(3) s’applique.  De plus, la construction de l’art. 719 s’harmonise avec les raisons d’être du crédit pour détention présentencielle.  Le paragraphe 719(3) reflète la raison d’être générale de l’octroi du crédit; un jour devrait habituellement être alloué pour chaque jour passé en prison.  En revanche, le par. 719(3.1) reflète la raison d’être du crédit majoré.  Il ne suffit pas d’accorder une journée par jour de détention présentencielle pour tenir compte à la fois de la perte subie aux fins de l’admissibilité à la libération conditionnelle et à la libération anticipée (conséquences d’ordre quantitatif) et de la sévérité des conditions de détention (conséquences d’ordre qualitatif).

Le recours à l’ancien par. 719(3) pour accorder un crédit majoré afin de tenir compte des conséquences quantitatives et qualitatives de la détention présentencielle s’inscrivait profondément dans notre régime de détermination de la peine.  Il est inconcevable que le législateur ait voulu écarter une pratique rationnelle ayant cours depuis longtemps en matière de détermination de la peine, mais qu’il ne l’ait pas fait de manière explicite, s’en remettant plutôt à des inférences susceptibles d’être tirées de l’ordre d’apparition de certaines dispositions dans le Code criminel.  En fait, il semble plus vraisemblable que le législateur ait eu l’intention de faire ce qu’il a fait explicitement.  Les modifications établissent clairement un ratio maximum, à savoir un jour et demi contre un.  Après avoir manifesté son intention si clairement sur ce point, le législateur n’a pas indiqué qu’il voulait modifier les raisons pour lesquelles il pouvait y avoir majoration du crédit.  Ni le libellé de la disposition, ni la preuve externe ne démontrent l’intention claire d’abolir l’une des raisons d’être rationnelles de la majoration du crédit.

Comme le législateur est présumé avoir créé un régime législatif cohérent, uniforme et harmonieux, l’art. 719 doit être interprété conformément aux principes et aux objectifs de la détermination de la peine énoncés dans le Code criminel.  La règle dont l’application entraîne une peine plus longue pour le délinquant qui n’obtient pas de libération sous caution, comparativement à un délinquant dont la situation est par ailleurs identique, heurte les principes de la détermination de la peine que sont la parité et la proportionnalité.  Le cas des délinquants vulnérables et démunis qui ont moins accès à la libération sous caution illustre tout particulièrement cette incompatibilité.

À elle seule, la perte subie aux fins de l’admissibilité à la libération anticipée suffit habituellement à justifier l’octroi d’un crédit à raison d’un jour et demi contre un, même lorsque les conditions de détention n’ont pas été spécialement dures et que la libération conditionnelle est peu probable.  Toutefois, le juge chargé de la détermination de la peine qui estime que le délinquant se verra refuser la libération anticipée n’est pas justifié d’accorder un crédit majoré pour une perte sans objet.  Le délinquant doit établir que sa détention présentencielle lui vaut un crédit majoré.  Évidemment, le ministère public peut contester l’inférence selon laquelle le délinquant a subi une perte aux fins de l’admissibilité à la libération conditionnelle ou à la libération anticipée, de sorte qu’il aurait droit à un crédit majoré.  Il est rarement nécessaire d’offrir à l’appui une preuve très étoffée. Concrètement, il ne faut pas compliquer le processus de détermination de la peine, ni accroître sa durée.

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