R. c. Gagnon, 2018 CSC 41 ; R. c. Gagnon, 2018 CACM 1

La défense relative à la croyance erronée au consentement peut être soulevée si l’accusé a une croyance sincère quant au consentement manifesté qui n’a pas été viciée par les facteurs énumérés aux articles 273.1 et 273.2 ET s’il a pris les mesures raisonnables dans les circonstances dont il avait connaissance pour s’assurer du consentement

[23]  Aucune formation majoritaire de la Cour suprême du Canada n’a encore interprété cette disposition et peu d’arrêts portent sur l’alinéa 273.2b), c’est-à-dire sur l’exigence relative à la prise de mesures raisonnables pour s’assurer du consentement (voir Kent Roach, Criminal Law, 2015, 6e éd., Toronto, Irwin Law à la p. 455).

[24]  L’un de ces arrêts est celui de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire R. v. Barton, 2017 ABCA 216 (CanLII), 38 C.R. (7e) 316 [Barton]. Au paragraphe 250, la Cour écrit : « [T]here will be no air of reality if one of the statutory bars in s. 273.2 is present». Autrement dit, on ne saurait satisfaire au test de la vraisemblance si l’une des exclusions du moyen de défense fondé sur la croyance au consentement est présente.

[25]  L’intimé ne m’a pas convaincue que Barton est une décision erronée en droit et que nous devrions fonder notre décision sur le paragraphe 60 de l’affaire R. c. Ewanchuck, 1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330, 169 D.L.R. (4e) 193 [Ewanchuk], lequel se lit ainsi :

Dans ses motifs, le juge L’Heureux-Dubé fait mention de l’al. 273.2b) du Code. La question de savoir si l’accusé a pris des mesures raisonnables est une question de fait qui doit être tranchée par le juge des faits, seulement après que le critère de la vraisemblance a été satisfait. Vu la façon dont le procès et l’appel ont été plaidés, l’al. 273.2b) n’avait pas à être pris en considération.

[26]  Tout d’abord, ce passage est écrit en obiter. Puis, l’alinéa 273.2b) du Code criminel n’était pas en cause dans cette affaire, contrairement au présent appel où il est au cœur du débat. Enfin, Barton suit une série d’autres arrêts de cours d’appel canadiennes qui ont conclu dans le même sens (R. v. Dippel, 2011 ABCA 129 (CanLII), 281 C.C.C. (3e) 33; R. v. Despins, 2007 SKCA 119 (CanLII), [2007] 299 Sask. R. 249 ; et R. v. Cornejo (2003), 2003 CanLII 26893 (ON CA), 68 O.R. (3e) 117, 18 C.R. (6e) 124 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 30158 (7 octobre 2004)).

[27]  En discutant du rapport entre le critère de la vraisemblance et l’exigence des mesures raisonnables, je ne peux passer sous silence l’explication de ce rapport par le professeur Hamish Stewart. Son raisonnement juridique cadre bien avec la jurisprudence et me semble un modèle de clarté et de logique :

[TRADUCTION] Le critère de la vraisemblance est appliqué par le juge du procès ; si le critère est satisfait, il appartient alors au juge des faits de déterminer les faits. La juge L’Heureux-Dubé [qui a rédigé des motifs concordants dans l’arrêt Ewanchuk] a évidemment raison de dire que la défense relative à la croyance erronée ne peut être soulevée en l’absence de mesures raisonnables. Or, la question doit être posée deux fois : premièrement par le juge du procès (« l’assertion de l’accusé selon laquelle il a pris des mesures raisonnables est-elle vraisemblable ? ») ; deuxièmement, si nécessaire, par le juge des faits (« l’accusé a-t-il pris des mesures raisonnables ? »). La défense relative à la croyance erronée au consentement peut être soulevée si l’accusé a une croyance sincère quant au consentement manifesté qui n’a pas été viciée par les facteurs énumérés aux articles 273.1 et 273.2 et s’il a pris les mesures raisonnables dans les circonstances dont il avait connaissance pour s’assurer du consentement. Le critère de la vraisemblance s’applique à tous ces éléments, c’est-à-dire que le juge du procès, avant de permettre au juge des faits d’examiner la défense, doit être convaincu qu’il existe des éléments de preuve à la lumière desquels un jury raisonnable et ayant reçu les directives adéquates pourrait conclure à l’existence d’une croyance sincère, non viciée, au consentement manifesté et à l’existence de mesures raisonnables [Mes soulignements] (Hamish C. Stewart, Sexual Offences in Canadian Law, feuilles mobiles, Toronto, Thomson Reuters, 2004 aux pp. 3–50).

[28]  À mon avis, l’explication du professeur Stewart donne un sens à l’alinéa 273.2b). Le législateur a décidé que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement n’est à la portée d’un prévenu que si ce dernier a pris les mesures raisonnables, dans les circonstances, pour s’assurer du consentement de la partie plaignante à chaque acte sexuel au cours des rapports. Si le prévenu ne peut soulever d’élément de preuve susceptible d’être interprété par le jury comme une telle mesure, le moyen de défense ne peut être placé devant le jury. Comme le législateur a circonscrit la défense de croyance sincère mais erronée au consentement aux situations où le prévenu a pris les mesures raisonnables dans les circonstances dont il avait connaissance pour s’assurer du consentement, il faut que le juge détermine au préalable la vraisemblance de ces mesures.