Hébert c. R., 2017 QCCQ 5287

 

L’accusé présente une requête en exclusion de preuve alléguant la privation d’être informé et d’exercer sans délai son droit à l’avocat avant l’utilisation de l’appareil de détection prévue à l’article 202.3 du Code de sécurité routière.

ANALYSE

[17] L’accusé est-il détenu légalement ?

[18] À cet effet, l’arrêt de la Cour Suprême R. c. Aucoin[1] mentionne que :

[32] En l’espèce, dans la mesure où l’appelant a été détenu, ce n’était pas pour des fins d’enquête. Il a d’abord été détenu parce que la plaque d’immatriculation de son automobile correspondait à un autre véhicule. La détention s’est poursuivie lorsque l’agent a constaté que l’appelant avait consommé de l’alcool et enfreint ainsi la disposition de la MVA applicable aux nouveaux conducteurs.

[33] La détention de l’appelant pour de telles infractions était tout à fait licite et ce dernier ne prétend pas le contraire. Je le répète, toutefois, il ne s’agissait pas de détention aux fins d’enquête, au sens où cette expression est employée dans Mann. L’appelant a été détenu parce que l’agent Burke croyait qu’il avait enfreint deux dispositions de la MVA.

[…]

[36] L’existence d’un pouvoir général de détention issu de la common law, lorsqu’il est raisonnablement nécessaire eu égard à l’ensemble des circonstances, a été établie dans l’arrêt R. c. Clayton, 2007 CSC 32 (CanLII), [2007] 2 R.C.S. 725. Cette affaire a fait évoluer le débat, jusqu’alors axé sur l’existence ou l’inexistence d’un tel pouvoir, pour le faire porter sur la question de savoir si l’exercice d’un tel pouvoir est raisonnablement nécessaire dans les circonstances d’une espèce. Comme la juge Abella, s’exprimant au nom de la majorité, l’y fait observer :

« L’examen tiendra compte de la nature de la situation, y compris la gravité de l’infraction, des renseignements sur le suspect ou sur le crime dont disposaient les policiers et de la mesure dans laquelle la détention était une mesure raisonnablement adaptée à ces éléments, notamment en ce qui a trait à l’emplacement et au moment. Il faut donc mettre en balance l’importance du risque pour la sécurité du public en général ou d’une personne en particulier avec le droit à la liberté des citoyens, pour déterminer si l’interception n’a porté atteinte à la liberté que dans la mesure raisonnablement nécessaire pour faire face au risque. [Je souligne; par. 31.] »

[19] Dans la présente affaire, les faits révèlent que la chaussée est glissante, le véhicule du requérant est enlisé dans la neige en bordure d’un boulevard urbain, le conducteur ne doit pas conduire avec de l’alcool dans son organisme, il sent l’alcool et il a manifesté le souhait de sortir son véhicule dès l’arrivée des policiers. Les policiers n’ont pas l’ADA avec eux et évalue l’attente à cinq minutes.

[20] Rappelons aussi que la commission d’une telle infraction à cet article du Code de la sécurité routière entraîne automatiquement une suspension du permis de conduire pour une période de quatre-vingt-dix jours (art. 202.4 CSR). Les policiers peuvent aussi remiser le véhicule s’il occupe en partie le chemin de manière illégale ou potentiellement dangereuse (art. 202.6 CSR), ce qui, dans les faits, apparaît être le cas. Ces procédures entraîneront inévitablement un délai dont il faut tenir compte pour déterminer la légalité de la détention.

[21] Pour ces motifs, cette détention apparaît raisonnablement nécessaire, donc légale. Le fait qu’elle se prolonge dû à des circonstances que les policiers ne pouvaient contrôler ne change pas, selon nous, la qualification de cette détention. Celle-ci était aussi minimalement restrictive. Le requérant n’était pas menotté ni questionné, et il était informé de son droit au silence.

[22] Cette détention génère-t-elle le droit de l’accusé à un avocat, tel que le prévoit l’article 10 b) de la Charte ?

[23] Dans l’affaire R. c. Lenihan[2], le juge J.A. Hallet de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse distingue les infractions réglementaires de celles purement criminelles, et conclut qu’un mandataire de l’État n’est pas tenu d’informer la personne détenue, pour de telles infractions, de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat.

[24] En obiter, il précise que l’objectif poursuivi par le MVA (Motor Vehicule Act) est d’assurer la sécurité des usagers de la route. Ainsi, cet objectif est compatible à une restriction aux droits garantis par la Charte des droits et libertés par le biais de l’article 1.

[25] Évidemment, cette interprétation doit être restreinte à une détention momentanée liée à l’application d’une Loi réglementaire.

[26] Ici, comme l’exige l’article 254(3) du Code criminel, l‘article 202.3 du Code de la sécurité routière oblige le policier à agir avec diligence puisque l’ordre de fournir l’échantillon doit se faire dans l’immédiat. Cette exigence de la Loi est le corollaire de la suspension des droits du justiciable par le biais de l’article 1 de la Charte. Ainsi, s’il y a délai, il devra être analysé sous l’éclairage des décisions des tribunaux supérieurs.

[27] La Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Quansah[3] établit à ce sujet différents critères d’analyse qui servent, à notre avis, tant à l’application de l’article 202.3 du Code de sécurité routière qu’à l’article 254 (3) du Code criminel.

[28] Ici, le délai total entre la naissance des soupçons de consommation et l’exécution du test est de vingt-six minutes. Mentionnons que les cinq premières minutes ainsi que les trois dernières ne sont pas invoquées par la défense, et la preuve ne révèle pas non plus de laxisme chez les policiers pendant ces huit minutes. Ce sont plutôt les dix-huit minutes d’attente qui causent problème, selon la défense, et où il est nécessaire d’établir si l’accusé doit ou non être informé de son droit à l’avocat.

[29] Bien que ce délai fut inévitable à notre avis, il n’en demeure pas moins que les policiers avaient réalistement le temps et la possibilité d’offrir à l’accusé l’opportunité de contacter un avocat. Le requérant avait en sa possession un téléphone cellulaire et il était facile, malgré qu’il ignorait qui appeler, de demander l’assistance des policiers pour le déterminer. À cet effet, la carte des droits lue ultérieurement, lors de son arrestation, inclut d’ailleurs deux numéros sans frais pour en joindre un.

[30] Le juge Alexandre Boucher dans Tremblay c. R.[4] résume bien l’état du droit en la matière :

« [13] Le terme « immédiatement » contenu au paragraphe 254 (2) du Code criminel évoque un ordre prompt et une obéissance immédiate. Cependant, une certaine souplesse est de mise dans l’interprétation de ce terme. Un court délai raisonnablement nécessaire pour émettre l’ordre ou pour effectuer le test est acceptable. Un tel délai peut survenir si l’ADA n’est pas immédiatement disponible, les policiers n’ayant pas l’obligation d’être tous munis d’un ADA. Le caractère raisonnablement nécessaire du délai doit être évalué à la lumière de l’ensemble des circonstances, en gardant à l’esprit que l’exigence d’immédiateté est au cœur du compromis établi par le paragraphe 254 (2) entre l’intérêt du public à réprimer l’alcool au volant et les droits individuels protégés par la Charte. Notamment, l’exigence d’immédiateté n’est pas respectée si le policier pouvait, de façon réaliste, permettre au prévenu de consulter un avocat avant d’être en mesure d’administrer le test (R. c. Woods, 2005 CSC 42 (CanLII), [2005] 2 RCS 205; R. c. Bernshaw, 1995 CanLII 150 (CSC), [1995] 1 RCS 254; R. c. Petit, 2005 QCCA 687 (CanLII); R. c. Houle, 2007 QCCA 215 (CanLII); R. c. MacMillan, 2013 ONCA 109 (CanLII); R. c. Quansah, 2012 ONCA 123 (CanLII); R. c. George, (2004), 1994 CanLII 107 (CSC), 87 CCC (3d) 289 (CAO); R. c. Gaétani, 2015 QCCS 4226 (CanLII); R. c. Piazza, 2016 QCCS 1622 (CanLII); R. c. Cling, 2015 QCCS 6077 (CanLII); R. c. Paradis, 2016 QCCS 2710 (CanLII)). » (les soulignements sont de nous)

[31] Le Tribunal croit donc que, dans les circonstances propres à ce dossier, le délai entre la naissance des soupçons et le prélèvement de l’échantillon ne respecte pas l’immédiateté prévue au Code de la sécurité routière. Les droits de l’accusé étaient effectivement suspendus pour un court laps de temps, mais le délai supplémentaire constaté permettait réalistement aux policiers d’offrir à l’accusé son droit à l’avocat et la possibilité de l’exercer.

[32] Puisque le droit de l’accusé d’avoir recours à un avocat en cas de détention est lésé, il est nécessaire d’établir si les éléments de preuve postérieurement obtenus doivent être exclus.

[33] La Juge Sophie Bourque dans Gaétani[5] opine que « le courant fortement majoritaire de la jurisprudence veut qu’en cas de violation de l’article 10 b) de la Charte dans des circonstances semblables à celle de la présente affaire, la preuve auto-incriminante obtenue en violation du droit constitutionnel de l’accusé soit exclue. »

[34] Cependant, la présente affaire se distingue significativement des faits auxquels elle fait référence. Ainsi, il faut analyser les circonstances soumises sous l’éclairage des critères déterminés par la Cour Suprême dans l’arrêt Grant[6] :

1) La gravité de la conduite attentatoire de l’état

[35] L’accusé fut détenu pendant dix-huit minutes sans connaître ses droits, ce qui constitue une atteinte sérieuse. Cette détention fut cependant minimale et il a bénéficié de son droit au silence. L’accusé n’a pas manifesté d’inconfort ni questionné sa situation, du moins la preuve n’en révèle pas. Les policiers n’ont pas non plus tenté de soutirer de la preuve pendant cette période.

[36] Il faut aussi souligner que les policiers se trouvaient dans une impasse opérationnelle et force est de conclure que, dans les circonstances, ils ont agi promptement, de bonne foi et au meilleur de leurs connaissances.

[37] Certes, leur erreur de ne pas donner le droit à l’avocat est importante, mais encore aujourd’hui, la détention d’un individu dans l’attente de l’ADA suscite de multiples décisions judiciaires, parfois aux conclusions fort différentes en fonction des circonstances propres à chaque affaire soumise, ce qui est susceptible d’ébranler l’homogénéité de l’intervention policière dans de telles circonstances.

[38] Considérant les particularités liées à la situation soumise en fonction de ce critère, la preuve ne devrait pas être exclue.

2) L’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte

[39] L’accusé avait l’obligation légale de fournir un échantillon d’haleine et sa détention était justifiée dans le cadre de l’application d’une disposition réglementaire. Son véhicule enlisé dans la neige et le risque qu’il représentait de poursuivre l’infraction entraînaient la nécessité qu’il demeure de toute façon sur les lieux.

[40] Après son arrestation et la lecture de ses droits, l’accusé n’a pas sollicité de contacter un avocat immédiatement, malgré l’information transmise qu’il y avait droit sans délai.

[41] Ajoutons qu’après l’exercice de son droit à l’avocat qui n’a duré que deux minutes malgré les circonstances que l’on connaît, il a fourni les échantillons d’haleine tel qu’ordonné, prélèvements qualifiés de peu intrusifs par la Cour suprême dans l’arrêt Grant[7] :

« Bien qu’il faille toujours tenir compte des faits particuliers de chaque espèce, on peut dire que, en règle générale, les éléments de preuve seront écartés en dépit de leur pertinence et de leur fiabilité lorsque l’atteinte à l’intégrité corporelle est délibérée et a des effets importants sur la vie privée, l’intégrité corporelle et la dignité de l’accusé. À l’inverse, lorsque la violation est moins inacceptable et l’atteinte moins sévère, les éléments de preuve corporels fiables pourront être admis. Ce sera souvent le cas, par exemple, des échantillons d’haleine, qui s’obtiennent par des procédés relativement non intrusifs. »

[42] Ces facteurs militent vers l’acceptation de la preuve.

3) L’intérêt à ce que l’accusé subisse un procès.

[43] Nul ne conteste la fiabilité de la preuve recueillie qui constitue l’élément essentiel pour prouver l’infraction.

[44] Il est certain que l’intérêt de la société penche indubitablement en faveur de juger les délinquants de la route pour mettre fin à ce fléau social qu’est la conduite avec les facultés affaiblies, ce à quoi la Cour suprême dans Bernshaw[8] nous sensibilise tout particulièrement à ses paragraphes 16 et suivants :

« 16 Chaque année, l’ivresse au volant entraîne énormément de décès, de blessures, de peine et de destruction. Au plan numérique seulement, l’ivresse au volant a une plus grande incidence sur la société canadienne que tout autre crime. Du point de vue des décès et des blessures graves donnant lieu à l’hospitalisation, la conduite avec facultés affaiblies est de toute évidence le crime qui cause la plus grande perte sociale au pays. À cet égard, Statistique Canada a récemment fait remarquer :

La conduite avec facultés affaiblies est un crime grave. Chaque année, des milliers de canadiens meurent dans des accidents de la route et beaucoup plus s’y blessent. On associe en moyenne 43% de ces accidents à la consommation d’alcool (Fondation de recherches sur les blessures de la route — D. R. Mayhew et al. [Alcohol Use Among Persons Fatally Injured in Motor Vehicle Accidents: Canada 1990] 1992, p. 33).

(«Conduite avec facultés affaiblies — Canada, 1991» (1992), 12:17 Juristat 1, à la p. 2.).

(…)

19 Ces chiffres rébarbatifs indiquent de façon discrète mais choquante les effets tragiques et dévastateurs de l’alcool au volant. Les coûts sociaux de ce crime, si élevés soient‑ils, sont faibles quand on les compare aux pertes personnelles que ce crime cause aux personnes qui en sont victimes en raison du décès et des blessures de personnes chères. La gravité du problème et son incidence sur la société canadienne sont si importantes que le Code criminel a été modifié dans le but d’éliminer le problème ou, tout au moins, de le réduire.

[45] Ce facteur penche aussi vers l’admissibilité de la preuve.

[46] En considération des critères susmentionnés, le Tribunal croit qu’après évaluation de l’ensemble des faits soumis et ci-avant discutés, l’admission des échantillons d’haleine ne déconsidère par l’administration de la justice puisqu’elle n’a pas, dans les circonstances, d’effet sur la confiance du public envers le système de justice.

[47] Comme nous le rappelait la Cour Suprême dans l’arrêt Aucoin[9] précité :

« Qui plus est, comme le révèlent les décisions de la juge du procès et des juges majoritaires de la Cour d’appel, le droit régissant les pouvoirs de la police en cas de détention est toujours en évolution. C’est pourquoi, lorsque les policiers agissent de bonne foi, sans mépris flagrant ou méconnaissance des droits garantis par la Charte comme en l’espèce — la gravité de la violation s’en trouve atténuée. Voir R. c. Cole, 2012 CSC 53 (CanLII), [2012] 3 R.C.S. 34, par. 86. »

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[48] REJETTE la requête.