R. c. Média Vice Canada Inc., 2018 CSC 53

En résumé :

Lorsque lui est soumise une demande relative à une ordonnance de communication en lien avec un média, le juge saisi de la demande doit appliquer une analyse en quatre étapes.

[82] Puisque j’ai réglé les principales questions jurisprudentielles qui se posent dans le présent pourvoi, je veux profiter de cette occasion pour restructurer les facteurs établis dans Lessard afin de les rendre plus faciles à appliquer en pratique. Lorsque lui est soumise une demande relative à une ordonnance de communication en lien avec un média, le juge saisi de la demande doit appliquer une analyse en quatre étapes :

1) Avis. Premièrement, le juge saisi de la demande doit établir s’il y a lieu qu’il exige, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, que le média soit avisé. Bien que le statu quo prévu par la loi soit l’audience ex parte (par. 487.014(1) du Code criminel), le juge saisi de la demande peut décider, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, d’exiger l’envoi d’un avis lorsqu’il le juge approprié : National Post, par. 83; CBC (C.A. Ont.), par. 50. Il peut être approprié de procéder ex parte dans « des situations d’urgence ou d’autres circonstances » : National Post, par. 83. Cependant, par exemple, il peut être approprié d’exiger que le média soit avisé dans la situation où le juge saisi de la demande estime qu’il ne dispose pas de tous les renseignements nécessaires pour effectuer comme il se doit l’analyse décrite ci‑dessous.

2) Conditions légales préalables. Deuxièmement, toutes les conditions légales préalables doivent être réunies (Lessard, facteur 1).

3) Mise en balance. Troisièmement, le juge saisi de la demande doit procéder à la mise en balance de l’intérêt de l’État à enquêter sur les crimes et à poursuivre leurs auteurs, d’une part, et du droit des médias à la confidentialité des renseignements dans la collecte et la diffusion des informations, d’autre part (Lessard, facteur 3). Lorsqu’il effectue cette mise en balance, qui ne peut avoir lieu que si l’affidavit à l’appui de la demande contient suffisamment de détails (Lessard, facteur 4), le juge saisi de la demande doit tenir compte de l’ensemble des circonstances (Lessard, facteur 2). Ces circonstances comprennent (notamment) :

a) la probabilité qu’il y ait des effets dissuasifs, et l’étendue de ceux‑ci, le cas échéant;

b) la portée des renseignements demandés et la question de savoir si l’ordonnance demandée est formulée de façon restrictive;

c) la valeur probante éventuelle des renseignements;

d) la question de savoir s’il existe d’autres sources desquelles les renseignements peuvent raisonnablement être obtenus et, dans l’affirmative, si les services de police ont déployé tous les efforts raisonnables pour obtenir les renseignements auprès de ces sources (Lessard, facteur 5);

e) l’effet de la publication partielle antérieure, désormais examiné au cas par cas (Lessard, facteur 6);

f) de façon plus générale, le rôle vital que jouent les médias dans le fonctionnement d’une société démocratique et le fait qu’ils sont généralement des tiers innocents (Lessard, facteur 3).

En définitive, la décision de décerner ou non l’ordonnance relève d’un pouvoir discrétionnaire (Lessard, facteur 2), et l’importance relative des divers facteurs guidant l’exercice de ce pouvoir variera d’une affaire à l’autre : Nouveau‑Brunswick, p. 478.

4) Conditions. Quatrièmement, si le juge saisi de la demande décide de décerner l’ordonnance en vertu de son pouvoir discrétionnaire, il doit envisager d’assortir celle‑ci de conditions pour que le média ne soit pas indûment empêché de publier et de diffuser les informations (Lessard, facteur 7). Le juge saisi de la demande peut également juger qu’il est approprié que les renseignements soient scellés pendant un certain temps en attendant la décision en révision.

[83] Comme je l’ai déjà expliqué au par. 73, si l’ordonnance est décernée lors d’une audience ex parte et qu’elle est ultérieurement contestée par le média, la norme de contrôle sera établie en appliquant le test suivant : si le média expose des renseignements dont ne disposait pas le juge saisi de la demande et qui, de l’avis du juge chargé de la révision, auraient raisonnablement pu avoir une incidence sur la décision du juge saisi de la demande de décerner l’ordonnance, le média aura droit à un examen de novo. Si, par contre, le média ne satisfait pas à ce critère minimal, la norme Garofoli traditionnelle s’appliquera, ce qui signifie que l’ordonnance de communication pourra être annulée seulement si le média peut établir que — compte tenu du dossier soumis au juge saisi de la demande, étoffé lors de la révision — il n’y avait aucun fondement raisonnable sur lequel le juge saisi de la demande a pu accorder l’ordonnance.

De manière plus précise :

La Cour refuse de tenir pour acquis, en l’absence de preuve, que le fait de contraindre des journalistes à témoigner devant les tribunaux aurait nécessairement pour effet que les sources [traduction] « se tariraient » (voir British Steel Corp.) ou autrement « nuirai[en]t à leur capacité de recueillir de l’information ».

[28] Cependant, soit dit en tout respect, j’ai du mal à voir pourquoi il faudrait présumer qu’il se produirait un effet dissuasif dans tous les cas, quelles que soient les circonstances. Le droit n’est pas disposé à faire des suppositions sans qu’elles soient fondées sur des éléments de preuve dans un cas particulier. En outre, même si la preuve appuie souvent les préoccupations concernant les effets dissuasifs potentiels, à mon avis, l’existence et l’étendue de tout effet éventuel de cette nature devraient être évaluées au cas par cas, et non simplement présumé dans l’abstrait.

[29] La conclusion portant qu’il ne faudrait pas simplement présumer qu’il se produirait des effets dissuasifs sans tenir compte des circonstances particulières est amplement étayée par la jurisprudence de la Cour. Dans aucun des arrêts Lessard, Nouveau‑Brunswick ou National Post la Cour n’a jugé bon de reconnaître un effet dissuasif présumé. De plus, même avant que ces décisions soient rendues, la Cour avait refusé de tenir pour acquis, en l’absence de preuve, que le fait de contraindre des journalistes à témoigner devant les tribunaux aurait nécessairement pour effet que les sources [traduction] « se tariraient » (voir British Steel Corp.) ou autrement « nuirai[en]t à leur capacité de recueillir de l’information » : Moysa c. Alberta (Labour Relations Board), 1989 CanLII 55 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1572, p. 1581. De plus, bien que la Cour ait conclu que, « [d]ans certains cas, l’existence de l’effet dissuasif peut être inférée de faits connus et d’observations antérieures » (R. c. Khawaja, 2012 CSC 69 (CanLII), [2012] 3 R.C.S. 555, par. 79), cet énoncé n’étaye pas l’imposition d’une présomption d’effet dissuasif. Il ne fait que confirmer la proposition plus modeste selon laquelle, dans certaines situations, un effet dissuasif peut — et non doit — être inféré. Bref, je ne vois pas pourquoi la Cour devrait s’écarter de sa jurisprudence établie et reconnaître une présomption d’effet dissuasif dans tous les cas.

[30] J’ajouterais que dans les cas où la police cherche à obtenir des renseignements que les médias ne se sont pas procurés au moyen d’une promesse de confidentialité et qu’ils ont déjà publiés en grande partie, comme c’était le cas dans Lessard et dans Nouveau‑Brunswick, l’ordonnance ne causerait que peu ou pas du tout d’effet dissuasif. En outre, dans la mesure où il existe un risque que des effets dissuasifs surviennent, ceux‑ci pourraient être neutralisés grâce à l’imposition de conditions dans l’ordonnance. Dans Lessard, la juge McLachlin, dissidente, a décrit les effets dissuasifs comme étant le résultat de « l’éventualité d’une saisie de documents de presse à l’avenir sans l’imposition de conditions qui protègent la liberté de la presse et l’identité des informateurs » : p. 453 (je souligne). En conséquence, la préoccupation relative aux effets dissuasifs peut être suffisamment atténuée si des conditions appropriées sont imposées.

[31] À mon avis, pour les motifs qui précèdent, rien ne justifie de reconnaître une présomption d’effet dissuasif chaque fois que l’État demande une ordonnance de communication en lien avec un média. L’existence et l’étendue de tout effet dissuasif éventuel devraient plutôt être évaluées au cas par cas. Comme on le dit souvent, le contexte est fondamental.

[32] Dans cette optique, si le juge saisi de la demande conclut, au vu du dossier, que l’ordonnance sollicitée est susceptible d’avoir un effet dissuasif, cette conclusion devrait être prise en compte pour décider si, compte tenu de toutes les circonstances, la demande en vue de l’obtention d’une ordonnance devrait être rejetée ou, si elle est accueillie, de quelles conditions elle devrait être assortie. Dans certains cas, l’existence et l’étendue des effets dissuasifs éventuels peuvent constituer un facteur important dans l’analyse, et dans d’autres, non. Encore une fois, chaque cas demeure un cas d’espèce.

Les sources confidentielles soulèvent des considérations particulières.

[35] La jurisprudence de la Cour démontre que les sources confidentielles soulèvent des considérations particulières. Plus particulièrement, dans National Post, il a été conclu que les effets négatifs potentiels du fait de permettre la divulgation imposée par l’État de sources confidentielles étaient si prédominants qu’ils justifiaient de permettre l’application du privilège du secret des sources confidentielles des journalistes au cas par cas. Il n’existe pas de tel privilège entre les journalistes et les sources non confidentielles : National Post, par. 56. De plus, comme je l’ai indiqué précédemment, les effets dissuasifs éventuels pouvant découler de l’autorisation de divulguer des renseignements imposée par l’État peuvent différer considérablement selon que la source des renseignements est confidentielle ou non.

[36] L’adoption de la LPSJ, à laquelle j’ai déjà fait référence, illustre aussi l’importante distinction entre les sources confidentielles et celles qui ne le sont pas. En adoptant cette loi, le Parlement a notamment modifié le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, et la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, c. C‑5, afin que ces textes législatifs prévoient des protections accrues en vue du maintien de la confidentialité des « sources journalistiques », un terme défini étroitement comme une source qui transmet confidentiellement de l’information et dont l’anonymat est essentiel aux rapports entre le journaliste et la source. Par exemple, suivant le par. 488.02(3) du Code criminel, un « journaliste » peut présenter une demande pour s’opposer à la divulgation de documents saisis en exécution d’un mandat de perquisition ou d’une ordonnance de communication pour le motif qu’ils identifient ou sont susceptibles d’identifier une « source journalistique ». Ainsi, le législateur a lui aussi reconnu qu’il existe une différence significative entre les sources confidentielles et les sources non confidentielles.

[37] En conséquence, je n’écarterais pas la distinction entre les sources confidentielles et celles qui ne le sont pas.

[38] Je précise toutefois que l’absence d’entente relative à la confidentialité ne donne pas à l’État la liberté totale d’imposer la communication de documents qui se trouvent en la possession des médias. Même lorsque la source des renseignements demandés n’est pas confidentielle, la communication forcée peut causer des effets dissuasifs, et l’incidence sur les médias et sur les droits à la vie privée en jeu peut être importante. Cela dit, encore une fois, le contexte est d’une importance capitale, et on ne peut pas présumer que l’existence ou l’absence d’une entente de confidentialité ne fait aucune différence dans l’analyse.

Une publication partielle antérieure d’informations ne devrait pas nécessairement réduire la protection accordée aux renseignements non publiés, puisque le fait de permettre à l’État d’avoir accès à ce type de renseignements entrave toujours le droit des médias à la confidentialité des renseignements dans la collecte et la diffusion des informations, et que la communication forcée des renseignements non publiés peut toujours causer un effet dissuasif.

[43]                          Cependant, je ne peux accepter que la publication partielle antérieure favorise toujours l’octroi de l’ordonnance. En effet, une telle publication ne devrait pas nécessairement réduire la protection accordée aux renseignements non publiés, puisque le fait de permettre à l’État d’avoir accès à ce type de renseignements entrave toujours le droit des médias à la confidentialité des renseignements dans la collecte et la diffusion des informations (Lessard, p. 453, la juge McLachlin, dissidente), et que la communication forcée des renseignements non publiés peut toujours causer un effet dissuasif. En fait, dans certains cas, les médias auraient bien pu avoir décidé de ne pas rendre publics les renseignements non publiés précisément parce qu’ils sont particulièrement sensibles. Dans le même ordre d’idées, les renseignements non publiés sont parfois d’une nature différente de celle des renseignements publiés, et soulèveraient donc des préoccupations différentes en matière de respect de la vie privée. Par exemple, l’État peut demander la divulgation des communications telles quelles entre un journaliste et sa source (qui pourraient même comprendre les métadonnées connexes), ou les notes personnelles ou les listes de contacts d’un journaliste. Or, les intérêts importants en matière de respect de la vie privée qui se rattachent à ces types de renseignements ne sont pas nécessairement amoindris par la publication d’un article fondé sur ces documents ou qui y est autrement lié.

[44]                          En conséquence, j’estime qu’il faut évaluer l’effet de la publication partielle antérieure au cas par cas. Lorsqu’il évalue l’effet d’une telle publication dans un dossier donné, le juge saisi de la demande doit tenir compte de toutes les circonstances, y compris de la nature des renseignements (tant de ceux qui ont été publiés que de ceux qui ne l’ont pas été) et de la portion de l’ensemble complet de renseignements qui a déjà été publiée. Lorsque, par exemple, les renseignements publiés soulèvent des préoccupations graves et crédibles quant à de possibles crimes, que la communication des renseignements non publiés ne révèlerait pas l’identité d’une source confidentielle ou des communications faites « à titre confidentiel » ou « sous le couvert de l’anonymat » et que la plupart des renseignements ont déjà été rendus publics, la publication partielle antérieure peut favoriser l’octroi de l’ordonnance. Toutes ces conditions étaient réunies dans Lessard et dans Nouveau‑Brunswick. En revanche, lorsque seulement certaines de ces conditions sont réunies, ou lorsqu’aucune de ces conditions n’existe, l’effet de la publication partielle antérieure pourrait être plus neutre. À mon avis, cette façon plus nuancée d’aborder la publication partielle antérieure assouplit le cadre d’analyse établi dans Lessard, et permet de procéder à une analyse plus contextuelle.

[45]                          Finalement, je suis d’avis que, même si, selon le cadre d’analyse établi dans Lessard, la publication partielle antérieure est un facteur indépendant, il est préférable de la considérer comme un aspect du critère de mise en balance établi dans Lessard, au moins en ce sens que la publication partielle antérieure pourrait accroître l’intérêt de l’État à enquêter sur les crimes et à poursuivre leurs auteurs et pourrait diminuer l’intérêt des médias à l’égard des renseignements non publiés. En conséquence, par souci de clarté, je considérerais la publication partielle antérieure comme faisant simplement partie de l’exercice de mise en balance générale, plutôt que comme un facteur indépendant devant être examiné de manière isolée.

L’intérêt de l’État à l’égard des renseignements est accru lorsque la valeur probante de ces renseignements sera raisonnablement importante. En revanche lorsqu’on peut raisonnablement s’attendre à ce que les renseignements demandés aient une valeur probante moindre, l’intérêt de l’État à l’égard de ces renseignements peut être atténué.

[55] Par conséquent, lorsqu’on peut raisonnablement s’attendre à ce que les renseignements demandés aient une valeur probante plus élevée, l’argument en faveur de l’octroi de l’ordonnance est renforcé. Notre jurisprudence étaye cette proposition. Par exemple, dans Lessard et dansNouveau‑Brunswick, la Cour a jugé que les séquences vidéo montraient la perpétration d’actes criminels, ce qui leur conférait une valeur probante évidente. Dans National Post, les documents demandés avaient une valeur probante encore plus grande; en effet, on a fait valoir qu’ils constituaient l’actus reus même du crime reproché : par. 77. Dans de telles circonstances, l’intérêt de l’État à l’égard des renseignements est accru, et la valeur probante des renseignements demandés pèse plus lourd dans la balance. En revanche, lorsqu’on peut raisonnablement s’attendre à ce que les renseignements demandés aient une valeur probante moindre, l’intérêt de l’État à l’égard de ces renseignements peut être atténué.

[56] Cela dit, l’évaluation de la valeur probante a ses limites. La Cour a signalé qu’il « sera souvent difficile de déterminer péremptoirement la valeur probante d’une chose avant la fin de l’enquête policière » : Descôteaux c. Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 860, p. 889. Ainsi, comme une telle démarche peut être imprécise et incertaine, il est important de ne pas accorder trop d’importance à l’évaluation de la valeur probante probable.

[57] En fin de compte, même si la valeur probante peut être un facteur pertinent lors de l’application du cadre d’analyse énoncé dans Lessard, je n’irais pas jusqu’à imposer aux appelants le critère proposé de la « nécessité ». L’idée selon laquelle les policiers devraient se voir accorder une ordonnance de communication seulement s’ils démontrent que l’ordonnance est nécessaire pour obtenir une déclaration de culpabilité ne peut être retenue pour plusieurs raisons, y compris les suivantes :

Premièrement, elle est fondée sur une idée fausse du rôle du juge saisi de la demande. À ce sujet, je souscris à l’observation du juge Doherty de la Cour d’appel, selon laquelle l’argument des appelants [traduction] « brouille à tort la ligne de démarcation entre un juge et un procureur en attribuant au juge la tâche de décider si la preuve de la poursuite est suffisante sans qu’il ait accès aux informations que les médias ont en leur possession » : 2017 ONCA 231 (CanLII), 137 O.R. (3d) 263, par. 41.

Deuxièmement, dans un sens différent, elle transformerait en fait la demande de communication en un procès sur le fond de l’infraction reprochée. À mon avis, il serait à la fois inapproprié et impossible d’exiger que le juge saisi de la demande cherche à savoir si la police a recueilli suffisamment d’éléments de preuve pour prouver hors de tout doute raisonnable qu’une infraction a été commise.

Troisièmement, le simple fait que d’autres éléments de preuve — même des éléments de preuve semblables — soient disponibles ne devrait pas empêcher la police de recueillir des éléments de preuve supplémentaires. Encore une fois, l’objectif à l’étape de l’enquête et de l’obtention d’éléments de preuve est de mener une « enquête prompte et approfondie [. . .] s’il y a possibilité d’infraction » ainsi que de trouver et de conserver « tous les renseignements et éléments de preuve [. . .] le plus rapidement possible » : CanadianOxy, par. 19 (souligné dans l’original). De fait, à cette étape, « [i]l est important que les enquêteurs découvrent le plus d’éléments de preuve possible » : par. 24 (je souligne).

Quatrièmement, l’imposition d’un critère de stricte nécessité entraverait grandement la capacité de la police à mener une enquête et à obtenir des éléments de preuve à l’égard de possibles crimes.

[58] Ainsi, bien que la valeur probante des documents demandés puisse être prise en considération lors de la mise en balance de l’intérêt de l’État à enquêter sur les crimes et à poursuivre leurs auteurs, d’une part, et du droit des médias à la confidentialité des renseignements dans la collecte et la diffusion des informations, d’autre part, je ne peux souscrire à l’argument des appelants voulant que le critère de stricte nécessité doive être imposé.

Il n’y a aucune obligation présumée de signifier un avis au média dans les situations où les services de police sollicitent une ordonnance de communication en lien avec un média.

[65]                          Je n’imposerais pas d’obligation présumée de signifier un avis dans les situations où les services de police sollicitent une ordonnance de communication en lien avec un média. À mon avis, le modèle traditionnel de demande ex parte en vue d’obtenir une ordonnance de communication [traduction] « assure une protection adéquate afin que les médias soient forts, vibrants et indépendants, libres de s’acquitter de leur important rôle au sein de la société sans intrusions injustifiées de l’État » : R. c. Canadian Broadcasting Corp. (2001), 2001 CanLII 24044 (ON CA), 52 O.R. (3d) 757 (C.A.), par. 6 (« CBC (CA Ont.) »). Je donnerais donc effet au texte du Code criminel et à la décision de la Cour dans National Post : comme prémisse de départ, il n’y a pas d’obligation de signification d’un avis lorsque la police sollicite une ordonnance de communication en lien avec un média. Le Code criminelpermet plutôt aux agents de la paix et aux fonctionnaires publics de présenter une demande ex parte afin d’obtenir une ordonnance de communication (par. 487.014(1)), sous réserve du pouvoir discrétionnaire prépondérant du juge saisi de la demande, qui peut exiger qu’un avis soit donné lorsqu’il le juge approprié : National Post, par. 83; CBC (C.A. Ont.), par. 50.

[66]                          En l’absence de situations d’urgence ou d’autres circonstances qui peuvent justifier la procédure ex parte, le juge saisi de la demande peut fort bien conclure qu’il est préférable d’aviser le média (National Post, par. 83), surtout s’il ou elle considère qu’il serait nécessaire de disposer de plus de renseignements pour mettre correctement en balance les droits et intérêts en jeu. Le juge n’est toutefois pas tenu de tirer une telle conclusion.

[67]                          Il convient de souligner que les simples affirmations dans l’affidavit soumis à l’appui de la demande relative à l’ordonnance de communication ne sauraient justifier une audience ex parte. Les policiers doivent plutôt faire état de certains éléments de preuve qui expliquent pourquoi il y a « situation d’urgence ou autres circonstances ». À mon avis, cela est essentiel pour faire en sorte que les médias ne se voient pas refuser sans raison valable l’occasion de présenter leur preuve devant le juge saisi de la demande. À titre d’exemple, une allégation générale et non étayée selon laquelle il est improbable que le média coopère avec les services de police ou qu’il puisse théoriquement mettre les renseignements hors de portée des autorités si un avis est donné — ce qui est toujours un risque, jusqu’à un certain point — ne devrait pas être suffisante.

La norme de contrôle applicable à une contestation d’une ordonnance de communication

[72]                          Certes, lorsque l’ordonnance de communication a été rendue ex parte contre un média, la norme énoncée dans Garofoli, qui commande une grande déférence, peut, dans certains cas, créer des injustices. En fait, même si je n’ai pas besoin de me fonder sur cette concession, la Couronne a admis que, dans le contexte d’une ordonnance de communication prononcée ex parte contre un média, [traduction] « on ne peut pas simplement prendre le cadre d’analyse tel qu’il a été énoncé dans Garofoli et l’appliquer » : transcription, p. 105.

[73]                          Il pourrait toutefois être exagéré de créer une règle générale autorisant les médias à obtenir une révision de novo de toute ordonnance de communication qui été rendue ex parte. À mon avis, lorsque l’ordonnance a été ainsi rendue, il faut appliquer le test suivant : si le média expose des renseignements qui n’ont pas été portés à la connaissance du juge saisi de la demande et qui, selon le juge chargé de la révision, auraient pu raisonnablement avoir une incidence sur la décision du premier juge de délivrer l’ordonnance, le média aura droit à une révision de novo. Si, par contre, le média ne respecte pas cette exigence minimale, la norme traditionnelle établie dans Garofoli s’appliquera, ce qui signifie que l’ordonnance de communication sera annulée seulement si le média peut établir que — au vu du dossier soumis au juge saisi de la demande, étoffé lors de la révision — il n’y avait aucun fondement raisonnable sur lequel le juge saisi de la demande a pu accorder l’ordonnance. Lorsqu’il applique la norme établie dans Garofolidans ce contexte, le juge siégeant en révision doit garder à l’esprit que le juge saisi de la demande est tenu d’accorder une attention particulière au rôle essentiel des médias dans une société libre et démocratique, et de mettre en balance l’intérêt de l’État à enquêter sur les crimes et à poursuivre leurs auteurs et l’intérêt des médias à la confidentialité des renseignements dans la collecte et la diffusion des informations.

[74]                          Le critère minimal, qui consiste à exposer des renseignements qui n’ont pas été soumis au juge saisi de la demande et qui auraient raisonnablement pu avoir une incidence sur la décision — ce qui doit être évalué au cas par cas — n’est pas un fardeau excessif. Par exemple, sans prétendre dresser ici une liste exhaustive, les médias pourraient s’en acquitter en signalant les éléments suivants :

une entente de confidentialité qui protège l’identité de la source, ou une entente selon laquelle certaines communications ont été faites « à titre confidentiel » ou doivent être considérées comme ayant été faites « sous le couvert de l’anonymat », dont le juge saisi de la demande n’avait pas connaissance;

des caractéristiques uniques de la nature de la relation entre le journaliste et sa source, dont le juge saisi de la demande n’avait pas connaissance;

la preuve que l’ordonnance de communication a eu, a ou aura une incidence sur le média — par exemple en empêchant ou en retardant une publication ou en compromettant une enquête journalistique — d’une manière telle que n’aurait pas pu prévoir le juge saisi de la demande;

des éléments de preuve précis — plutôt que des préoccupations d’ordre général — quant aux effets dissuasifs dont le juge saisi de la demande n’avait pas connaissance; ou

d’autres sources de renseignements dont le juge saisi de la demande n’avait pas connaissance.

[…]

[81] Finalement, pour plus de précision, je voudrais ajouter que lorsque le média a reçu un avis et comparu devant le juge saisi de la demande, il existe généralement de bonnes raisons d’appliquer la norme de contrôle Garofoli traditionnelle. Dans ce contexte, permettre une révision de novo ne ferait guère plus qu’ajouter des délais et des dépenses indus.