Leclerc c. R., 2022 QCCA 365

Un policier peut utiliser tous les moyens d’enquête qu’il juge utiles dans la mesure où ce moyen d’enquête ne contrevient pas à la common law, au droit statutaire et aux droits constitutionnels et qu’il est nécessaire, raisonnable, prompt et sécuritaire.

[39]      D’abord, sur le pouvoir de common law, je suis d’avis qu’un policier peut utiliser tous les moyens d’enquête qu’il juge utiles dans la mesure où ce moyen d’enquête ne contrevient pas à la common law, au droit statutaire et aux droits constitutionnels et qu’il est nécessaire, raisonnable, prompt et sécuritaire.

[40]      Je suis d’accord avec le juge de la Cour supérieure pour dire que rien ne laisse croire que le législateur, en modifiant le Code criminel, a voulu éliminer ou restreindre ainsi les pouvoirs d’enquête conférés depuis toujours par la common law: R. c. Leclerc, 2020 QCCS 4930, par. 27; R. c. Rosario, 2020 QCCS 1673, par. 41; R. v. Campbell, [2015] O.J. No. 5914.

[41]       Les pouvoirs de common law d’enquêter sur la sobriété des conducteurs sont larges et souples. Comme le rappelle la juge Charron dans l’arrêt Orbanski :

[45] […] La portée de la conduite justifiable des policiers ne sera pas toujours définie par des termes explicitement prévus dans la loi, mais plutôt selon l’objet du pouvoir policier en question et en fonction des circonstances particulières de son exercice.  Ainsi, il faudra inévitablement invoquer les principes de la common law pour déterminer la portée des mesures policières permises aux termes de toute loi.  Dans ce contexte, il devient particulièrement important de ne pas oublier que pour être efficace, un régime d’application de la loi doit permettre assez de souplesse.  À l’instar de tout autre pouvoir, le pouvoir policier en matière de vérification de la sobriété n’est pas absolu; il est circonscrit, pour reprendre les termes employés par la majorité de notre Cour dans l’arrêt Dedman, par ce qui est « nécessaire à l’accomplissement du devoir particulier de la police et [. . .] doit être raisonnable, compte tenu de la nature de la liberté entravée et de l’importance de l’objet public poursuivi par cette atteinte » (p. 35).

R. c. Orbanski; R. c. Elias, 2005 CSC 37 (CanLII), [2005] 2 RCS 3, au par. 45.

[42]      Je partage aussi la conclusion du juge de la Cour supérieure qu’un policier peut demander à un conducteur d’effectuer des tests de coordination physique dans la mesure où ceux-ci et leur mise en œuvre sont raisonnables, prompts et sécuritaires : R. c. Leclerc, 2020 QCCS 4930, par. 21; R. c. Rosario, 2020 QCCS 1673, par. 29, 39. R. c. Orbanski; R. c. Elias, 2005 CSC 37 (CanLII), [2005] 2 RCS 3, par. 46.

[43]      Il n’est pas contesté que, dans le cas précis de l’interception d’un conducteur pour la vérification de sa sobriété, le droit à l’assistance d’un avocat est suspendu. Le policier peut alors contraindre le conducteur à se soumettre à des tests additionnels pour éventuellement procéder à son arrestation et le contraindre à fournir des échantillons d’haleine pour établir son alcoolémie : R. c. Orbanski; R. c. Elias, 2005 CSC 37 (CanLII), [2005] 2 R.C.S. 3, au par. 48, 52-53.

[44]      La Cour suprême a reconnu qu’à cette étape :

[…] Comme il l’a fait remarquer à juste titre, les différentes méthodes servant à constater l’état d’ébriété au bord de la route ne supposent pas des degrés différents d’auto‑incrimination car presque tous les renseignements pertinents à cette question à l’occasion d’un arrêt réglementaire ordonné par la police proviendront de l’accusé.  Les tests de sobriété physique, les questions posées au bord de la route au sujet de la consommation d’alcool et celles permettant d’évaluer la cohérence des propos du conducteur visent toutes à obtenir des éléments de preuve émanant du conducteur en vue d’apprécier le degré d’ébriété de celui‑ci (Smith, p. 74) …

R. c. Orbanski; R. c. Elias, 2005 CSC 37 (CanLII), [2005] 2 R.C.S. 3, par. 48.

[45]      Certains des moyens d’enquête n’interfèrent aucunement avec le conducteur, comme le seul fait de l’observer : R. c. Orbanski; R. c. Elias, 2005 CSC 37 (CanLII), [2005] 2 R.C.S. 3, par. 47. Les questions posées au conducteur sur son état ou ses consommations sont des atteintes minimales lorsqu’elles sont posées pour « l’accomplissement par l’agent de son devoir de surveillance de la circulation sur les routes en vue de protéger la vie des personnes et les biens »: R. c. Orbanski; R. c. Elias, [2005] 2 R.C.S. 3, par. 49.

[46]      Je partage enfin les remarques incidentes du juge Paciocco dans l’arrêt Roberts, lorsqu’il explique que les moyens pour vérifier la sobriété du conducteur ne sont pas limités à ceux énumérés dans le Code criminel et que le policier peut notamment exiger d’autres épreuves physiques. Il écrit :

[83]      To be clear, sobriety testing is not confined to the physical co-ordination tests prescribed by regulation as contemplated by s. 254(2)(a) of the Criminal Code. Sobriety testing can include questions asked about alcohol consumption (Orbanski); directions to detainees to perform physical challenges not provided for in s. 254(2)(a) such as informal co-ordination tests (Milne) or directions to exit a motor vehicle (Visser; and R. v. Iannotta, [2009] O.J. No. 5181 (S.C.)); or directions to blow into the face of an officer (R. v. Weintz, 2008 BCCA 233, 256 B.C.A.C. 197, leave to appeal refused, [2008] S.C.C.A. No. 362).

R. v. Roberts, 2018 ONCA 411, par. 83. (Je souligne)

[47]      En somme, je conclus que le policier Favreau avait bien les pouvoirs de common law d’ordonner à l’appelant d’effectuer les deux tests de coordination physique en question. Il n’avait pas à se limiter aux tests précisés à l’article 254 C.cr. Les épreuves demandées étaient, selon lui, nécessaires, et elles étaient raisonnables, promptes et sécuritaires. Elles s’inscrivent notamment dans une intervention dont la durée totale, jusqu’à l’arrestation, n’est pas supérieure à une dizaine de minutes.

Le policier peut déployer tous les moyens légaux d’enquête qu’il juge nécessaires pour former ses motifs d’arrestation.

[48]      Le policier peut déployer tous les moyens légaux d’enquête qu’il juge nécessaires pour former ses motifs d’arrestation. La question de savoir si les faits supportent objectivement ses motifs est une autre question. Pour que les « épreuves de coordination » puissent participer à la formation de motifs raisonnables, il me semble que la preuve du caractère probant du ou des tests en question doit être établie afin de satisfaire un juge.

[50]      Il s’agit d’une question de fait, laquelle échappe en principe au droit d’appel devant la Cour, celui-ci ne pouvant traiter que de question de droit : article 839 C.cr. Toutefois, il est possible d’y voir une question de droit si, comme le propose l’appelant, il est illégal pour le policier d’ordonner à un conducteur d’effectuer un test de coordination relevant de la common law.

[51]      À ce propos, l’appelant adopte l’interprétation de l’arrêt R. c. Orbanski; R. c. Elias, 2005 CSC 37 (CanLII), [2005] 2 R.C.S. 3 qu’en font les auteurs Karen Jokinen et Peter Keen, Impaired Driving and Other Criminal Code Driving Offences: A Practitioner’s Handbook, Toronto, Emond, 2019, p. 244-245.

[52]      Cette interprétation découle de l’affaire Orbanski où les policiers, manifestement, avaient été prudents. La Cour d’appel décrit ainsi l’intervention :

Instead, Cst. Sutherland asked the accused to step out of his vehicle and perform some sobriety tests.  He informed him that the tests were voluntary and that he did not have to perform them if he did not want to.  He also informed the accused that he could contact a lawyer before performing the tests.  His recollection was that he offered the accused the cell phone he had with him for that purpose. Cst. Sutherland, however, did not read from the standard Charter warning or inform the accused of the availability of duty counsel and legal aid.

R. v. Orbanski, 2003 MBCA 43, par. 5.

[53]      Il est bien établi qu’un citoyen n’a pas à collaborer avec la police sous réserve d’une obligation légale : R. c. Grant, 2009 CSC 32 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 353, par. 37-38; R. c. Ross, 1989 CanLII 134 (CSC), [1989] 1 RCS 3. Il en est de même pour les tests physiques visant à évaluer la sobriété des conducteurs : R. c. Orbanski; R. c. Elias, 2005 CSC 37 (CanLII), [2005] 2 RCS 3, par. 35.

[54]      L’argument remet en cause, en quelque sorte, la règle voulant que les droits constitutionnels du conducteur interpellé soient suspendus pendant l’enquête, de sorte qu’il ne peut pas obtenir les conseils « sur la façon d’exercer ces droits et de remplir ces obligations » : R. c. Orbanski; R. c. Elias, 2005 CSC 37 (CanLII), [2005] 2 RCS 3, par. 58. C’est pourquoi la preuve obtenue à cette occasion ne peut pas servir à incriminer le conducteur.

[55]      Je le répète, si, comme dans Orbanski, le ministère public réussit à démontrer que la participation du conducteur était réellement volontaire, après avoir été informé de ses droits et après les avoir exercés ou y avoir valablement renoncé, alors cette preuve peut bien être admissible au procès pour l’incriminer. Autrement, lorsque la preuve est recueillie pendant et aux fins de l’enquête, elle ne peut servir qu’à étayer les motifs du policier.

[56]      Dans la mesure où il agit en vertu de la common law, aucune conséquence ne découlera du refus d’un conducteur d’obtempérer aux ordres du policier, ce qui est une autre question. À n’en pas douter, sous ce rapport, il est facile de comprendre que les législateurs ont choisi d’adopter des dispositions spécifiques pour contraindre l’automobiliste intercepté de se plier aux ordres des policiers sous peine d’une sanction équivalente à l’infraction elle-même (art. 320.19 C.cr.).

[57]      À mon avis, la jurisprudence justifie l’ordre du policier Favreau à l’appelant dans le contexte d’une interception routière. Comme ce dernier n’a jamais prétendu utiliser les pouvoirs prévus dans le Code criminel, il ne m’apparaît pas nécessaire de discuter si, ce faisant, un policier doit faire passer les trois tests dans tous les cas, comme le plaide l’appelant.

Toute conclusion qu’on ne satisfait pas au critère subjectif implique généralement qu’on ne satisfait pas au critère objectif.

Le critère objectif énoncé dans l’arrêt Storrey, précité, est de savoir si une personne raisonnable, mise à la place du policier, aurait cru à l’existence de motifs raisonnables et probables d’effectuer une arrestation. Toute conclusion qu’on ne satisfait pas au critère subjectif implique généralement qu’on ne satisfait pas au critère objectif, sauf si l’on juge que la norme appliquée par le policier est excessivement élevée.

La conclusion finale sur l’existence de motifs raisonnables n’est toutefois pas prisonnière de l’opinion du policier, même si un juge doit hésiter avant d’en arriver à une conclusion contraire à celle du policier.

[61] En l’espèce, la preuve dépeint une situation tout à fait inusitée où le policier s’impose un fardeau plus élevé que nécessaire sur la question des motifs raisonnables. À mon avis, en droit, le policier Favreau avait des motifs d’arrestation bien avant de procéder aux tests de coordination.

[62] Il est non contesté qu’une arrestation doit nécessairement être fondée sur des motifs raisonnables et que ces derniers s’évaluent à la fois subjectivement et objectivement. Une arrestation doit être raisonnablement justifiée et le policier doit également croire que c’est le cas. Il s’agit d’un double volet d’évaluation, subjectif et objectif : R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, 251, h; R. c. Latimer, 1997 CanLII 405 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 217, par. 26, pour ne citer que ces deux arrêts.

[63] En principe, et cela aussi ne fait pas controverse, « [t]oute conclusion qu’on ne satisfait pas au critère subjectif implique généralement qu’on ne satisfait pas au critère objectif » : R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 34 (souligné ajouté).

[64] Ainsi, dans une analyse des faits, on ne peut justifier une arrestation en n’invoquant que la norme objective : R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, par. 29. Avec raison, à l’audience, l’appelant rappelle que le juge Sopinka écrit qu’il « serait incompatible avec l’esprit de la Charte de permettre à un policier d’effectuer une arrestation sans mandat même s’il ne croit pas à l’existence de motifs raisonnables d’y procéder » : Feeney, par. 29.

[65]      Je partage cette affirmation. J’insiste fortement sur le fait que ce principe est fondamental et qu’il a constamment été réitéré. Des auteurs constatent d’ailleurs que la jurisprudence mettant en cause l’absence de croyance subjective est pauvre. Elle confirme davantage qu’en l’absence de ce volet important, une arrestation est en principe déclarée illégale : Couglhan et Luther (2017), Detention and Arrest, Irwin Law, 2nd ed., p. 95. Cependant, cela ne répond pas entièrement aux circonstances de la présente affaire.

[69]      Compte tenu de l’importance constitutionnelle des composantes, subjective et objective, des motifs raisonnables, il ne fait pas de doute que les cas où un juge pourra intervenir seront rares. La conclusion finale sur l’existence de motifs raisonnables n’est toutefois pas prisonnière de l’opinion du policier, même si un juge doit hésiter avant d’en arriver à une conclusion contraire à celle du policier.

[70]      Cela dit, comme l’illustre l’arrêt Feeney, je retiens qu’un juge ne peut pas tirer des inférences précaires ou nébuleuses à partir des faits non contredits pour justifier une conclusion contraire à celle du policier qui était « sur le terrain ». Au surplus, si un juge s’y aventure, il doit motiver soigneusement son intervention. Je réitère et j’accepte, comme le dit l’appelant, que l’opinion d’un policier de plus de trente ans d’expérience a un poids certain.

Les motifs raisonnables d’arrestation ne sont pas l’équivalent d’une preuve prima faciede la culpabilité du suspect et le policier n’a pas à s’en convaincre.

[71]      En l’espèce, il ne s’agit pas de remettre en question les faits retenus par le sergent Favreau ou d’en tirer des inférences précaires ou nébuleuses. Comme le policier dans l’arrêt Feeney, le sergent Favreau témoigne clairement ne pas avoir de motifs subjectifs pour arrêter l’appelant. Toutefois, sa justification indique qu’il s’imposait un fardeau trop lourd; il ne se posait pas la bonne question.

[72]      Les motifs raisonnables d’arrestation ne sont pas l’équivalent d’une preuve prima faciede la culpabilité du suspect et le policier n’a pas à s’en convaincre. Les motifs d’arrestation ne sont pas un gage d’une poursuite réussie devant les tribunaux. Ce seuil est trop élevé : R. c. Shepherd, 2009 CSC 35 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 527, par. 23; R. c. Storrey, 1990 CanLII 125 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 241, 251.

[73]      C’est toutefois précisément ce que recherchait le sergent Favreau pour arrêter l’appelant afin de lui intimer l’ordre de fournir des échantillons d’haleine dans un éthylomètre. Il témoigne avoir besoin du test symptomatique litigieux puisque cela « confirmait comme quoi qu’il était réellement en état d’ébriété ». Avec égards, le policier n’avait pas besoin d’un tel degré de conviction.

[74]      Rappelons que l’infraction à l’article 253 C.cr. (à l’époque) requérait la preuve de l’influence minimale de l’alcool sur les capacités de conduire une automobile : R. c. Belle-Isle, 2021 QCCA 600, par. 93; R. c. Legault, 2008 QCCA 1637, par. 20; R. c. Aubé, 1993 CanLII 4143 (C.A.Q.); R. c. Stellato (1993), 1993 CanLII 3375 (ON CA), 78 C.C.C. (3d) 380 (C.A.O.), confirmé à, 1994 CanLII 94 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 478; R. c. Andrews 1996 ABCA 23, par. 28 (CanLII) (C.A.A.).

[75]      Nonobstant le test échoué, dans les circonstances très particulières et compte tenu du témoignage clair du sergent Favreau, il faut exceptionnellement conclure que le policier avait amplement de faits, subjectif et objectif, pour procéder à l’arrestation de l’appelant et pour le sommer de passer un test d’ivressomètre.

[76]      La preuve révèle une consommation d’alcool, un comportement globalement mal assuré et une conduite automobile anormale, à très basse vitesse et à contresens sur un boulevard de la ville. Ces faits sont directement révélateurs de l’infraction qui fait l’objet de l’enquête puisqu’ils démontrent des motifs raisonnables de croire que l’alcool affecte les capacités de conduire de l’appelant à un moindre degré.