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Notre résumé schématisé en mots
Le troisième motif : 515(10)c) C.cr Fondement : « [l]a confiance du public est essentielle au bon fonctionnement du système de mise en liberté sous caution et de l’ensemble du système de justice »
L’alinéa 515(10)c) C.cr . ne prévoit pas un motif résiduel de détention, applicable seulement lorsque les deux premiers motifs de détention (al. a) et b)) ne sont pas satisfaits. Il s’agit d’un motif distinct permettant à lui seul d’ordonner la détention avant procès d’un accusé.
Fondement
[33] S’exprimant au nom de la majorité de la Cour, la juge en chef McLachlin a expliqué qu’il peut être nécessaire, dans certains cas, de refuser la mise en liberté d’un accusé, et ce, même en l’absence de risque qu’il ne se présente pas à son procès, qu’il récidive ou qu’il nuise à l’administration de la justice : Hall, par. 25. Selon la Juge en chef, « [l]orsque le public n’a pas l’impression que justice est rendue, il risque d’avoir moins confiance dans le système de mise en liberté sous caution et, de manière plus générale, dans tout le système de justice » : par. 26. Or, écrit la Juge en chef, « [l]a confiance du public est essentielle au bon fonctionnement du système de mise en liberté sous caution et de l’ensemble du système de justice » : par. 27, se référant à Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, p. 689.
1 Les facteurs à considérés (non exhausitif) :
Les quatre circonstances énumérées à l’al. 515(10)c) C.cr . ne sont pas exhaustives. Le tribunal ne doit pas automatiquement ordonner la détention même si les quatre circonstances énumérées favorisent ce résultat. Le tribunal doit plutôt tenir compte de toutes les circonstances propres à chaque cas d’espèce, en prêtant une attention particulière aux quatre circonstances énumérées.
1.1 (i) Le fait que l’accusation paraît fondée
(i) Le fait que l’accusation paraît fondée [57] L’enquête sur la mise en liberté provisoire est une procédure sommaire où l’application de règles de preuve plus souples est autorisée. Ainsi, certaines preuves admises à l’occasion de cette enquête peuvent être par la suite exclues au procès. Comme le souligne le juge Trotter, il peut être difficile d’évaluer la force du dossier du poursuivant à l’audience relative à la mise en liberté : [traduction] « La nature expéditive et quelquefois informelle de l’audience relative à la mise en liberté sous caution peut refléter l’existence d’une preuve à charge excessivement forte » (p. 3-7). [58] Malgré ces difficultés inhérentes au processus de mise en liberté, le juge doit décider si l’accusation paraît fondée.
1.1.1 D’une part, l’analyse de la qualité de la preuve
[58] Malgré ces difficultés inhérentes au processus de mise en liberté, le juge doit décider si l’accusation paraît fondée. D’une part, le poursuivant n’est pas tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis l’infraction. Et le juge doit se garder de jouer le rôle du juge du procès ou du jury : la crédibilité des témoins, la fiabilité de la preuve scientifique et d’autres questions devront être analysées lors du procès et non à l’audience relative à la mise en liberté. Cela dit, le juge qui préside cette audience doit tenir compte de la qualité de la preuve présentée par le poursuivant afin de déterminer le poids qu’il accordera à ce facteur dans son exercice de pondération. À titre d’exemple, des éléments de preuve matérielle peuvent s’avérer plus fiables que la simple déclaration d’un témoin, et une preuve circonstancielle peut être moins fiable qu’une preuve directe. L’existence de nombreux éléments de preuve peut également avoir pour effet de renforcer l’apparence de fondement de l’accusation.
1.1.2 D’autre part, l’analyse de tout moyen de défense
[59] D’autre part, le juge doit également considérer tout moyen de défense soulevé par l’accusé. Il est probable que cela ne survienne qu’à l’audience relative à la mise en liberté tenue à la fin de l’enquête préliminaire plutôt qu’à l’audience initiale. Il se peut même que l’accusé n’invoque aucun moyen de défense avant le procès. Mais s’il le fait, cela fait partie des éléments que le juge doit évaluer et, si la défense paraît fondée, il doit en tenir compte dans son analyse de l’apparence de fondement de l’accusation. Comme le soulignait la Cour d’appel du Québec dans une décision relativement récente, « il serait en effet injuste de permettre à la poursuite de faire état de la preuve à charge sans que le juge puisse considérer non seulement ses faiblesses, mais aussi les moyens de défense qu’elle laisse [entre]voir » : R. c. Coates, 2010 QCCA 919, par. 19.
1.2 (ii) La gravité de l’infraction (point de vue objectif)
[60] Pour les besoins de l’al. 515(10) c), il s’agit pour le juge de déterminer la gravité « objective » de l’infraction, c’est-à-dire par rapport aux autres infractions du Code criminel . Cette gravité s’évalue en fonction de la sentence maximale – et, le cas échéant, de la sentence minimale – prévue par le Code criminel à l’égard de l’infraction.
1.3 (iii) Les circonstances entourant la perpétration de l’infraction, y compris l’usage d’une arme à feu
[61] Sans dresser une liste exhaustive des circonstances entourant la perpétration de l’infraction qui peuvent être pertinentes pour l’application de l’al. 515(10) c), mentionnons les suivantes : le caractère violent, odieux ou haineux de l’infraction, le fait que celle-ci s’inscrive dans un contexte de violence domestique, de gang criminel ou d’organisation terroriste, et le fait qu’elle ait été commise à l’égard d’une personne vulnérable (par exemple, un enfant, une personne âgée ou une personne souffrant d’une déficience). S’il s’agit d’une infraction commise par plusieurs personnes, le degré de participation de l’accusé peut s’avérer pertinent. Les facteurs aggravants ou atténuants dont le tribunal tient compte dans la détermination de la peine peuvent également être considérés.
1.4 (iv) Le fait que le prévenu encourt une longue peine d’emprisonnement (point de vue subjectif)
[62] La quatrième circonstance énoncée à l’al. 515(10) c) est « le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement ou, s’agissant d’une infraction mettant en jeu une arme à feu, une peine minimale d’emprisonnement d’au moins trois ans ».
[63] Bien qu’il ne soit pas souhaitable d’établir, pour les besoins de l’al. 515(10) c) C.cr ., une règle fixant précisément le nombre d’années qui constitue une « longue peine d’emprisonnement », certaines indications sont toutefois nécessaires afin de baliser l’exercice auquel doivent se livrer à cet égard les juges décideurs.
[64] En premier lieu, comme j’ai conclu qu’aucun crime n’était exempté de l’application possible de l’al. 515(10) c) C.cr ., il coule de source qu’une « longue peine d’emprisonnement » ne s’entend pas seulement des peines d’emprisonnement à perpétuité.
[65] De plus, afin de déterminer, au cas par cas, si l’accusé encourt réellement une « longue peine d’emprisonnement », le juge doit tenir compte de toutes les circonstances connues au moment de l’audience et des principes devant moduler la peine applicable. Toutefois, cela ne signifie pas que le juge est justifié de se livrer à un complexe calcul de la peine que l’accusé pourrait recevoir, car, faut-il le rappeler, la mise en liberté provisoire survient au début du processus pénal et le juge doit éviter de se substituer au juge du procès. Cela dit, il arrivera dans certains cas que des circonstances atténuantes ou aggravantes apparaîtront suffisamment fondées pour que le juge puisse les prendre en compte pour déterminer si l’accusé encourt une « longue peine d’emprisonnement ». Dans la mesure du possible, cette quatrième circonstance s’évalue donc de façon subjective, contrairement à la deuxième circonstance — la gravité de l’infraction — qui s’évalue quant à elle de manière objective. (c) Les circonstances énumérées ne sont pas exhaustives.
[66] Se fondant sur l’arrêt R. c. Mordue (2006), 223 C.C.C. (3d) 407 (C.A. Ont.), l’appelante soutient que, lorsque les quatre circonstances énoncées à l’al. 515(10) c) jouent en faveur d’une ordonnance de détention, celle-ci s’impose, à moins que d’autres « circonstances » puissent justifier une ordonnance de mise en liberté.
[67] J’estime que l’appelante a tort.
[68] Le libellé de l’al. 515(10) c) ne pourrait être plus clair : il est question de « toutes les circonstances, notamment les suivantes ». Sans me prononcer sur la validité d’un libellé différent, je suis d’avis que, si le législateur avait voulu que l’ordonnance de détention soit automatique lorsque les quatre circonstances énoncées à cet alinéa jouent en faveur d’une telle ordonnance, il aurait rédigé la disposition différemment. Le législateur a plutôt souhaité le contraire. Comme la Juge en chef l’a affirmé dans l’arrêt Hall, le juge saisi d’une demande de détention fondée sur l’al. 515(10) c) doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, mais il doit prêter une attention particulière aux facteurs énoncés par le législateur : par. 41. L’argument de la détention automatique me semble d’ailleurs contraire aux propos de la Juge en chef au par. 41 : En définitive, le juge peut refuser d’accorder la mise en liberté sous caution uniquement s’il est persuadé, à la lumière de ces facteurs et des circonstances connexes, qu’un membre raisonnable de la collectivité serait convaincu que ce refus est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public dans l’administration de la justice. [Je souligne.]
[69] De plus, l’argument de la détention automatique néglige le fait que le test à satisfaire pour les besoins de l’al. 515(10) c) est la question de savoir si la détention de l’accusé est nécessaire afin de ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice. Les quatre circonstances énumérées ne sont que les principaux éléments que le juge doit pondérer en sus de tout autre élément pertinent, afin de déterminer si, dans l’affaire qui l’occupe, la détention est nécessaire pour réaliser l’objectif poursuivi : le maintien de la confiance du public envers l’administration de la justice au pays. Telle est la finalité de cet alinéa. Même si le juge doit prendre connaissance de toutes les circonstances de l’affaire et se livrer à un exercice de pondération, c’est cette question ultime que le juge doit trancher, et qui doit donc le guider dans sa décision. Soutenir qu’il y a automatiquement détention si l’examen des quatre circonstances favorise celle-ci est incompatible avec l’exercice de pondération énoncé à l’al. 515(10) c) et avec l’objectif ainsi recherché.
[70] Enfin, il ne faut surtout pas oublier qu’en droit canadien, la règle cardinale est la mise en liberté de l’accusé et la détention, l’exception : Morales, p. 728. Le fait d’ordonner automatiquement la détention irait à l’encontre du « droit fondamental à une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable sauf s’il existe une juste cause justifiant le refus de l’accorder », garanti par l’al. 11e) de la Charte : Pearson, p. 691. À son tour, ce droit repose sur la pierre angulaire du droit pénal canadien, soit la présomption d’innocence, garantie par l’al. 11d) de la Charte (Hall, par. 13). Ces droits fondamentaux exigent que le juge s’assure que la détention provisoire est réellement justifiée, eu égard à toutes les circonstances pertinentes de l’affaire.
[71] Sans énoncer ici une liste exhaustive des circonstances qui sont pertinentes dans l’analyse requise par l’al. 515(10) c) C.cr ., je crois utile d’en mentionner quelques exemples. Le sous-alinéa 515(10) c)(iii) évoque les « circonstances entourant [la] perpétration [de l’infraction] ». J’ajouterai que les circonstances propres à l’accusé peuvent également être pertinentes (son âge, ses antécédents criminels, sa condition physique ou mentale, son appartenance à une organisation criminelle, etc.). De même, le juge pourra considérer le statut de la victime et l’impact sur la société d’un crime commis contre cette personne. Dans certains cas, le juge pourrait aussi tenir compte du fait que le procès de l’accusé aura lieu à une date très éloIgnées.
2 La notion de « confiance du public » dans l’administration de la justice
2.1 Arrêt Lamothe : Un public raisonnablement informé de notre système de droit pénal et capable de juger et de percevoir sans passion que l’application de la présomption d’innocence.
[75] Dans une décision rendue avant l’arrêt Hall et portant sur l’ancien motif fondé sur l’« intérêt public » prévu à l’al. 515(10) b) C.cr ., la Cour d’appel du Québec s’est exprimée ainsi : S’agissant tout d’abord de la perception du public, comme on le sait, face aux criminels ou aux criminels en puissance, une large partie du public canadien adopte souvent une attitude négative et parfois passionnée. Elle veut se voir protég[ée], voir les criminels en prison et les voir châti[és] durement. Se débarrasser du criminel, c’est se débarrasser du crime. Elle perçoit alors indûment le système judiciaire et celui de l’administration de la justice en général comme trop indulgent, trop mou, trop bon pour le criminel. Cette perception, presque viscérale, face au crime n’est sûrement pas celle sur laquelle le juge doit se fonder pour décider de la remise en liberté. Dans cette hypothèse, en effet, les personnes accusées de certains types d’infraction ne seraient jamais remises en liberté parce que la perception du public est négative à l’égard du type de crime commis, alors que d’autres, au contraire, seraient presque automatiquement libérées vu la perception plus neutre ou plus indulgente du public. [. . .] C’est donc à un autre niveau qu’il faut se placer, soit celui d’un public raisonnablement informé de notre système de droit pénal et capable de juger et de percevoir sans passion que l’application de la présomption d’innocence, même au niveau de la liberté provisoire, a pour effet qu’effectivement des gens qui, plus tard, seront trouvés coupables, même de crimes sérieux, auront cependant retrouvé leur liberté entre le moment de leur arrestation et celui de leur procès. En d’autres termes, le critère de la perception du public ne doit pas s’exercer à partir du plus petit commun dénominateur. [Je souligne.] (R. c. Lamothe, [1990] R.J.Q. 973 (C.A.), p. 981)
2.2 Arrêt Hall : Un membre raisonnable de la collectivité bien informé « de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte et des circonstances réelles de l’affaire.
[74] Dans l’arrêt Hall, notre Cour a précisé que la notion de « public » s’entend d’un membre raisonnable de la collectivité bien informé « de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte et des circonstances réelles de l’affaire » : par. 41, citant R. c. Nguyen (1997), 119 C.C.C. (3d) 269 (C.A. C.-B.), par. 18.
2.3 Arrêt St-Cloud : Public v.s les juristes : La confiance du public ne saurait être assimilée à la confiance des juristes envers l’administration de la justice.
[77] Même si le motif fondé sur l’« intérêt public » a depuis été jugé inconstitutionnel, ces passages sont utiles pour rappeler que la notion de « public » visée au nouvel al. 515(10) c) ne s’entend pas du justiciable canadien trop prompt à réagir de façon émotive. Cela dit, s’il est vrai que le public dont il est question à l’al. 515(10) c) n’est pas un membre trop émotif de la collectivité, mais plutôt une personne raisonnable et bien informée, certaines décisions me semblent avoir vidé de tout son sens cette notion de « public ». Le législateur a fait un choix exprès en demandant aux tribunaux de tenir compte de la confiance du « public » envers l’administration de la justice lorsqu’ils décident si un accusé devrait être détenu en attendant son procès. Il n’a pas fait mention d’un juriste ou d’un juge, mais bien du « public ». Il faut donc donner un sens à ce choix législatif. En conséquence, la confiance du public ne saurait être assimilée à la confiance des juristes envers l’administration de la justice. On ne peut attendre de la population canadienne — même de ses membres les mieux informés — le même niveau de connaissances juridiques qu’un juge ou un avocat. Ce serait là dénaturer la notion de « public ». Ce serait également faire abstraction de l’objectif de cette disposition, qui consiste à assurer le maintien de la confiance du public envers l’administration de la justice.
2.4 Arrêt St-Cloud : Parallèle avec 24(2) de la Charte : La personne raisonnable est habituellement la personne moyenne dans la société, mais uniquement lorsque l’humeur courante de la société est raisonnable ».
[78] Je souligne que cette position est similaire à celle adoptée par notre Cour au sujet du par. 24(2) de la Charte , qui prévoit l’exclusion d’éléments de preuve obtenus en violation de celle-ci lorsque « leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». Dans l’arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, s’exprimant au nom de la majorité, le juge Lamer a utilisé la formule imagée suivante pour énoncer la question pertinente : « L’utilisation des éléments de preuve est-elle susceptible de déconsidérer l’administration de la justice aux yeux de l’homme raisonnable, objectif et bien informé de toutes les circonstances de l’affaire? » : (p. 282, citantY.-M. Morissette, « The Exclusion of Evidence under the Canadian Charter of Rights and Freedoms : What To Do and What Not To Do » (1984), 29 R.D. McGill 521, p. 538). Le juge Lamer a précisé que « [l]a personne raisonnable est habituellement la personne moyenne dans la société, mais uniquement lorsque l’humeur courante de la société est raisonnable » : Collins, p. 282. Il a expliqué que le critère de la personne raisonnable « sert à rappeler à chaque juge que son pouvoir discrétionnaire est enraciné dans les valeurs de la société et, en particulier, ses valeurs à long terme. Il ne doit pas rendre une décision que la société considérerait inacceptable lorsque celle‑ci n’est pas déchirée par la passion ou autrement tiraillée par des événements présents » : ibid., p. 283; voir aussi R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206, par. 142.
2.5 Arrêt St-Cloud : Il ne fait aucun doute qu’il est au fait de l’importance de la présomption d’innocence et du droit à la liberté dans notre société.
[79] Ce membre raisonnable du public connaît donc les rudiments de notre État de droit et il est sensible à nos valeurs fondamentales en droit pénal, dont celles protégées par la Charte . Il ne fait aucun doute qu’il est au fait de l’importance de la présomption d’innocence et du droit à la liberté dans notre société. Il sait qu’il s’agit là de droits fondamentaux, garantis par notre Constitution.
2.6 Arrêt St-Cloud : Délai raisonnable : « justice retardée équivaut à justice déniée ».
[79] […] Cette personne s’attend aussi à ce que les personnes accusées d’un crime subissent leur procès dans un délai raisonnable, et elle connaît l’adage selon lequel [traduction] « justice retardée équivaut à justice déniée » : R. c. Trout, 2006 MBCA 96, 205 Man. R. (2d) 277, par. 15.
2.7 Arrêt St-Cloud : Moyens de défense – Intention coupable : Elle sait que les infractions criminelles requièrent la preuve d’une intention coupable (mens rea) et que certaines défenses tendent à démontrer l’absence de cette intention. Un exemple bien connu de ce type de défense est celle relative aux troubles mentaux. La personne envisagée à l’al. 515(10) c) C.cr . comprend donc que, une fois établie, cette défense permet à l’accusé d’échapper à sa responsabilité criminelle.
VERSUS
Moyens de défense – Complexité : Il serait exagéré de s’attendre à ce qu’elle maîtrise toutes les subtilités de moyens de défense complexes, particulièrement lorsque la preuve de l’acte criminel est accablante, que les circonstances du crime sont odieuses et que l’accusé reconnaît l’avoir commis.
[79] Ce membre raisonnable du public connaît donc les rudiments de notre État de droit et il est sensible à nos valeurs fondamentales en droit pénal, dont celles protégées par la Charte. Il ne fait aucun doute qu’il est au fait de l’importance de la présomption d’innocence et du droit à la liberté dans notre société. Il sait qu’il s’agit là de droits fondamentaux, garantis par notre Constitution. Cette personne s’attend aussi à ce que les personnes accusées d’un crime subissent leur procès dans un délai raisonnable, et elle connaît l’adage selon lequel [traduction] « justice retardée équivaut à justice déniée » : R. c. Trout, 2006 MBCA 96, 205 Man. R. (2d) 277, par. 15. Enfin, elle sait que les infractions criminelles requièrent la preuve d’une intention coupable (mens rea) et que certaines défenses tendent à démontrer l’absence de cette intention. Un exemple bien connu de ce type de défense est celle relative aux troubles mentaux. La personne envisagée à l’al. 515(10)c) C.cr. comprend donc que, une fois établie, cette défense permet à l’accusé d’échapper à sa responsabilité criminelle. Cela dit, il serait exagéré de s’attendre à ce qu’elle maîtrise toutes les subtilités de moyens de défense complexes, particulièrement lorsque la preuve de l’acte criminel est accablante, que les circonstances du crime sont odieuses et que l’accusé reconnaît l’avoir commis.
2.8 Les médias : Lorsqu’elle est admissible et pertinente, cette preuve d’opinion peut être considérée par les tribunaux. Ce sera le cas lorsqu’elle correspondra à celle de la personne raisonnable, telle que je l’ai décrite.
[81] Je conçois qu’il n’est certes pas facile pour les juges de trouver le juste équilibre entre, d’une part, leurs attentes peut-être démesurées envers le public, et d’autre part, la nécessité de refuser de céder aux réactions populaires mues uniquement par la passion. Cet exercice peut s’avérer particulièrement délicat en cette ère caractérisée par la multiplication et la diversification des sources d’information, l’accès à des bulletins d’information en continu et le phénomène des médias sociaux.
[82] En effet, il est possible que la population canadienne croie qu’elle est très bien informée, mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas. En outre, la population est également en mesure de faire connaître ses réactions beaucoup plus rapidement, efficacement et largement que par le passé, notamment par l’entremise des médias sociaux évoqués plus haut, lesquels sont propices à des réactions en chaîne. Pour cette raison, les tribunaux doivent se garder de céder aux réactions purement émotives de la population ou susceptibles d’être fondées sur une connaissance inappropriée des véritables circonstances de l’affaire.
[83] Cependant, les tribunaux doivent aussi être sensibles aux perceptions de la personne raisonnable et bien informée. Ce faisant, ils agissent à la fois comme vigiles à l’égard des mouvements de vindicte populaire et comme gardiens de la confiance du public envers notre système de justice. Il serait en conséquence dangereux, inapproprié et erroné pour un juge de fonder sa décision sur des reportages médiatiques qui ne seraient nullement représentatifs d’un public bien informé. La Cour d’appel du Québec a d’ailleurs reconnu ce danger dans sa récente décision dans l’affaire R. c. Turcotte, 2014 QCCA 2190 : La lecture des coupures de presse montre à quel point il est dangereux de recourir à ce mode de preuve. On y retrouve des opinions diverses, plus ou moins nuancées, plus ou moins objectives, plus ou moins mesurées, plus ou moins superficielles. Plusieurs exposent des faits inexacts ou ne rapportent pas ceux qui sont essentiels. La plupart taisent les principes juridiques essentiels à la prise de décision en matière de mise en liberté. Certaines opinions attisent la colère et dénaturent le débat. Peu rapportent fidèlement les faits et rappellent correctement les principes applicables. Globalement, il faut convenir qu’elles ne satisfont pas au critère de la personne raisonnable définie par la jurisprudence. [par. 68 (CanLII)]
[84] Cela dit, je tiens à préciser que cela ne signifie pas pour autant que les tribunaux doivent automatiquement occulter la preuve qui émane des médias d’information. Il faut reconnaître que les médias participent à la vie en société et reflètent l’opinion de certains segments de la population canadienne. Dans l’arrêtSociété Radio-Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1991] 3 R.C.S. 459, p. 475, notre Cour soulignait : « Les médias ont un rôle primordial à jouer dans une société démocratique. Ce sont les médias qui, en réunissant et en diffusant les informations, permettent aux membres de notre société de se former une opinion éclairée sur les questions susceptibles d’avoir un effet important sur leur vie et leur bien-être. » Ainsi, lorsqu’elle est admissible et pertinente, cette preuve d’opinion peut être considérée par les tribunaux. Ce sera le cas lorsqu’elle correspondra à celle de la personne raisonnable, telle que je l’ai décrite.
[85] Je souligne par ailleurs que, comme l’affaire Turcotte n’a jamais été portée devant notre Cour, il ne conviendrait pas que je me prononce sur le bien-fondé de la conclusion de la Cour d’appel sur la mise en liberté dans cette affaire. Je me contenterai de signaler que la justesse de cette conclusion doit être appréciée à l’aune des principes que j’ai déjà énoncés. [86] Somme toute, la confiance du public envers l’administration de la justice n’est pas tributaire d’une seule avenue. Cette confiance peut être minée tout autant lorsque le juge refuse d’ordonner la détention provisoire d’un accusé dans des circonstances qui le justifient, que lorsqu’il l’ordonne alors qu’elle est injustifiée
En bref
Le caractère « inexplicable » ou « inexpliqué » du crime n’est pas un critère devant guider l’analyse.
Aucune circonstance n’est déterminante en soi. Le juge doit considérer les effets combinés de toutes les circonstances de chaque affaire qui lui permettront de déterminer si la détention est justifiée.
Il s’agit d’un exercice de pondération de toutes les circonstances pertinentes, au terme duquel le tribunal doit ultimement se poser la question suivante : la détention est-elle nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice? Tel est le test à satisfaire sous l’al. 515(10)c).
Pour répondre à cette question, le tribunal doit adopter le point de vue du « public », c’est-à-dire celui d’une personne raisonnable, bien informée de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte et des circonstances réelles de l’affaire. Cette personne n’est toutefois pas un juriste et n’est pas en mesure d’apprécier les subtilités des différentes défenses qui s’offrent à l’accusé.
La confiance de cette personne raisonnable envers l’administration de la justice peut être minée tout autant si le tribunal refuse d’ordonner une détention justifiée compte tenu des circonstances de l’espèce, que lorsqu’il l’ordonne alors qu’elle est injustifiée.
Conclusion
[88] En conclusion, en présence d’un crime grave ou très violent, lorsque la preuve contre l’accusé est accablante, et que la ou les victimes sont vulnérables, la détention préventive sera habituellement ordonnée.
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Le motif à 515(10)c) C.cr
Fondement
[33] S’exprimant au nom de la majorité de la Cour, la juge en chef McLachlin a expliqué qu’il peut être nécessaire, dans certains cas, de refuser la mise en liberté d’un accusé, et ce, même en l’absence de risque qu’il ne se présente pas à son procès, qu’il récidive ou qu’il nuise à l’administration de la justice : Hall, par. 25. Selon la Juge en chef, « [l]orsque le public n’a pas l’impression que justice est rendue, il risque d’avoir moins confiance dans le système de mise en liberté sous caution et, de manière plus générale, dans tout le système de justice » : par. 26. Or, écrit la Juge en chef, « [l]a confiance du public est essentielle au bon fonctionnement du système de mise en liberté sous caution et de l’ensemble du système de justice » : par. 27, se référant à Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, p. 689.
Résumé
[5] Je suis d’avis que la portée de l’al. 515(10) c) C.cr . a été indûment restreinte par les tribunaux dans certains cas. Ce motif de détention n’est pas nécessairement limité à des circonstances exceptionnelles, aux crimes les plus odieux qui présenteraient des circonstances similaires à celles de l’affaire Hall, ou encore à certaines catégories de crimes. L’interprétation de l’al. 515(10) c) C.cr . a également été tronquée par une conception erronée de la notion de « public » dont fait mention le texte français de la disposition (et qui est sous-entendue dans la notion de « confidence » en anglais), notion sur laquelle je reviendrai plus loin. Pour l’instant, je me contenterai de rappeler que le « public » est une personne raisonnable et bien informée de la collectivité, mais qui n’est pas un juriste possédant une connaissance approfondie de notre système de justice criminelle.
[…]
[46] Je suis d’avis que certains tribunaux ont mal interprété la décision de notre Cour dans l’arrêt Hall. D’abord, il importe de replacer les propos de la Cour dans le contexte de l’affaire et de les analyser à la lumière des circonstances bien particulières de celle-ci : le crime était des plus horribles. Il est donc normal que la Cour ait tenu compte de ce fait dans l’application de l’al. 515(10) c) C.cr . Que le crime soit qualifié par la Cour d’horrible, d’odieux, de haineux ou d’inexpliqué ne constitue qu’une constatation, une description des faits que la Cour a considérés dans son analyse de l’al. 515(10) c) C.cr . On ne saurait y voir des conditions ou des préalables exigés par la Cour.
[47] Selon moi, le caractère « inexplicable » ou « inexpliqué » du crime n’est pas un critère qui devrait guider les juges dans leur analyse de l’al. 515(10) c). En effet, au-delà du fait que le libellé de cette disposition ne prévoit même pas ce critère, je suis d’avis que cette notion est ambiguë et source de confusion. Qu’entend-on par un crime « inexplicable »? Est-ce un crime visant une victime au hasard? Un crime que seule une personne non dotée de raison pourrait commettre? Un crime particulièrement horrible?
[48] De plus, bon nombre de crimes peuvent être « explicables » d’une façon ou d’une autre, soit par exemple parce que la victime a provoqué son agresseur, parce que l’auteur souffrait d’une maladie mentale ou encore parce que l’auteur était intoxiqué. En ce sens, le critère du crime « inexplicable » est peu utile.
[49] De surcroît, l’utilisation d’un critère fondée sur la notion de crime « inexplicable » pourrait donner lieu à des conclusions peu souhaitables. Des crimes carrément odieux et horribles pourraient en effet ne pas satisfaire à ce critère. Cette notion risque donc de créer dans l’esprit du public l’impression que les juges « justifient » certains crimes, soit ceux qui sont « explicables ». Bien que dans l’arrêt Hall, notre Cour ait parlé du meurtre en cause comme étant un meurtre « inexpliqué et inexplicable », sa décision reposait d’abord et avant tout sur le caractère sauvage et odieux du crime, sur la preuve convaincante le reliant à l’accusé et sur le fait que la population était effrayée : par. 25. En tout état de cause, les dérives de la jurisprudence depuis l’arrêt Hall ainsi que les raisons que j’ai soulevées montrent qu’il est nécessaire de limiter le recours à un tel critère. Il serait également sage que les juges saisis de demandes de mise en liberté évitent autant que possible d’accoler une telle étiquette aux circonstances des crimes reprochés qui leur sont présentés, et ce, afin d’éviter de créer cette impression de « justification » dans l’esprit du public.
[50] Par ailleurs, je suis d’accord avec l’appelante pour affirmer que la détention pourrait n’être justifiée qu’en de rares occasions, mais qu’il ne s’agit là que d’une conséquence de l’application de l’al. 515(10) c), et non d’une condition préalable à son application, d’un critère dont doit tenir compte le tribunal dans son analyse ou du but de cette disposition.
[51] Cette interprétation est conforme à l’observation suivante de notre Cour dans l’arrêt Hall :
Bien que les circonstances dans lesquelles il est possible d’invoquer ce motif de refus d’accorder la mise en liberté sous caution puissent être rares, lorsqu’elles se présentent, il est essentiel de disposer d’un moyen de refuser cette mise en liberté. [Je souligne; par. 31.]
[52] Je suis d’avis que l’utilisation du critère de la « rareté » des circonstances est vague et ingérable en pratique. En effet, comment appliquer un tel critère? Le juge devrait-il se demander combien de causes ont été entendues (devant sa juridiction, au Canada, dans la dernière année, etc.) et, en même temps, s’assurer que s’il ordonne la détention dans l’affaire dont il est saisi, les cas de détention fondés sur l’al. 515(10) c) demeureront « rares »? Devrait-il recenser les décisions où la détention a été ordonnée et se demander si les faits de l’affaire devant lui sont identiques (ou presque) à ceux en cause dans ces décisions? En tout état de cause, il me semble que le critère de la « rareté » des circonstances amènerait le juge à se livrer à un exercice de comparaison et, donc, à s’éloigner de l’examen attentif des circonstances propres à chaque espèce que requiert la question. À mon avis, une telle approche comparative risquerait de miner la confiance du public envers l’administration de la justice.
[53] De plus, l’appelante signale à juste titre que le libellé de l’al. 515(10) c) C.cr . est clair et n’exige pas des circonstances exceptionnelles ou rares. Cette interprétation est conforme à la récente décision de notre Cour dans R. c. Summers, 2014 CSC 26, [2014] 1 R.C.S. 575, qui portait sur les par. 719(3) et 719(3.1) C.cr . relatifs à la détermination de la peine. Le paragraphe 719(3) prévoit que pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction, à raison d’un maximum d’un jour pour chaque jour passé sous garde. Le paragraphe 719(3.1) précise toutefois que « si les circonstances le justifient », le maximum peut être porté à un jour et demi pour chaque jour passé sous garde. La Cour a interprété ainsi cette disposition :
. . . le libellé de cette disposition n’est pas limitatif quant aux données qui peuvent constituer des « circonstances ». Il aurait été facile pour le législateur de préciser que seules des « circonstances exceptionnelles » ou d’« autres circonstances que la perte liée à l’admissibilité à la libération anticipée et à la libération conditionnelle » justifient l’octroi d’un crédit majoré.
La juge Cronk signale que, ailleurs dans le Code criminel , le législateur emploie un libellé qui restreint la portée du mot « circonstances ». Par exemple, il renvoie à des « circonstances exceptionnelles » au par. 672.14(3) (une ordonnance d’évaluation de l’aptitude de l’accusé à subir son procès n’est en vigueur que pendant 30 jours, mais elle peut valoir pour une période de 60 jours si des « circonstances exceptionnelles » l’exigent), au par. 672.47(2) (lorsqu’un accusé est jugé inapte à subir son procès, une décision doit être rendue dans les 45 jours, sauf « circonstances exceptionnelles », auquel cas le délai peut être prolongé jusqu’à un maximum de 90 jours) et au par. 742.6(16) (lorsqu’un délinquant enfreint une ordonnance de sursis, une partie de la période de suspension peut, dans les « cas exceptionnels », être réputée valoir comme temps écoulé).
L’absence de délimitation des « circonstances » visées au par. 719(3.1) est révélatrice, car le législateur limite l’accès au crédit majoré et le refuse au délinquant qui n’a pas été libéré sous caution principalement à cause d’une condamnation antérieure (par. 515(9.1)), à celui qui a violé les conditions de sa mise en liberté sous caution (al. 524(4)a) et 524(8)a)) et à celui qui a commis un acte criminel lorsqu’il était en liberté sous caution (al. 524(4)b) et 524(8)b)). Le législateur a clairement considéré les circonstances dans lesquelles le par. 719(3.1) ne devait pas s’appliquer, mais il n’a pas limité les « circonstances » qui justifient son application. [Je souligne.]
(Summers, par. 37-39)
[54] En conclusion, le recours à l’al. 515(10) c) ne se limite pas aux circonstances exceptionnelles, aux crimes « inexplicables » ou encore à certains types de crimes comme le meurtre. Le ministère public peut l’invoquer pour tout type de crimes, mais il devra faire la preuve — sous réserve des cas prévus au par. 515(6) — que la détention de l’accusé est justifiée afin de ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice.
[55] L’alinéa 515(10) c) mentionne expressément quatre circonstances dont le juge doit tenir compte afin de déterminer si la détention de l’accusé est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice. Le juge doit apprécier chacune de ces circonstances — ou facteurs — et prendre en considération leur effet conjugué. Il s’agit d’un exercice de pondération qui amènera le juge à décider si la détention est justifiée.
[56] Je signale qu’il faut garder à l’esprit que, à cette étape des procédures criminelles, l’accusé est encore présumé innocent, peu importe la gravité de l’infraction, le caractère probant de la preuve de la poursuite ou la possibilité d’une longue peine d’emprisonnement.
(i) Le fait que l’accusation paraît fondée
[57] L’enquête sur la mise en liberté provisoire est une procédure sommaire où l’application de règles de preuve plus souples est autorisée. Ainsi, certaines preuves admises à l’occasion de cette enquête peuvent être par la suite exclues au procès. Comme le souligne le juge Trotter, il peut être difficile d’évaluer la force du dossier du poursuivant à l’audience relative à la mise en liberté : [traduction] « La nature expéditive et quelquefois informelle de l’audience relative à la mise en liberté sous caution peut refléter l’existence d’une preuve à charge excessivement forte » (p. 3-7).
[58] Malgré ces difficultés inhérentes au processus de mise en liberté, le juge doit décider si l’accusation paraît fondée. D’une part, le poursuivant n’est pas tenu de prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé a commis l’infraction. Et le juge doit se garder de jouer le rôle du juge du procès ou du jury : la crédibilité des témoins, la fiabilité de la preuve scientifique et d’autres questions devront être analysées lors du procès et non à l’audience relative à la mise en liberté. Cela dit, le juge qui préside cette audience doit tenir compte de la qualité de la preuve présentée par le poursuivant afin de déterminer le poids qu’il accordera à ce facteur dans son exercice de pondération. À titre d’exemple, des éléments de preuve matérielle peuvent s’avérer plus fiables que la simple déclaration d’un témoin, et une preuve circonstancielle peut être moins fiable qu’une preuve directe. L’existence de nombreux éléments de preuve peut également avoir pour effet de renforcer l’apparence de fondement de l’accusation.
[59] D’autre part, le juge doit également considérer tout moyen de défense soulevé par l’accusé. Il est probable que cela ne survienne qu’à l’audience relative à la mise en liberté tenue à la fin de l’enquête préliminaire plutôt qu’à l’audience initiale. Il se peut même que l’accusé n’invoque aucun moyen de défense avant le procès. Mais s’il le fait, cela fait partie des éléments que le juge doit évaluer et, si la défense paraît fondée, il doit en tenir compte dans son analyse de l’apparence de fondement de l’accusation. Comme le soulignait la Cour d’appel du Québec dans une décision relativement récente, « il serait en effet injuste de permettre à la poursuite de faire état de la preuve à charge sans que le juge puisse considérer non seulement ses faiblesses, mais aussi les moyens de défense qu’elle laisse [entre]voir » : R. c. Coates, 2010 QCCA 919, par. 19.
(ii) La gravité de l’infraction
[60] Pour les besoins de l’al. 515(10) c), il s’agit pour le juge de déterminer la gravité « objective » de l’infraction, c’est-à-dire par rapport aux autres infractions du Code criminel . Cette gravité s’évalue en fonction de la sentence maximale – et, le cas échéant, de la sentence minimale – prévue par le Code criminel à l’égard de l’infraction.
(iii) Les circonstances entourant la perpétration de l’infraction, y compris l’usage d’une arme à feu
[61] Sans dresser une liste exhaustive des circonstances entourant la perpétration de l’infraction qui peuvent être pertinentes pour l’application de l’al. 515(10) c), mentionnons les suivantes : le caractère violent, odieux ou haineux de l’infraction, le fait que celle-ci s’inscrive dans un contexte de violence domestique, de gang criminel ou d’organisation terroriste, et le fait qu’elle ait été commise à l’égard d’une personne vulnérable (par exemple, un enfant, une personne âgée ou une personne souffrant d’une déficience). S’il s’agit d’une infraction commise par plusieurs personnes, le degré de participation de l’accusé peut s’avérer pertinent. Les facteurs aggravants ou atténuants dont le tribunal tient compte dans la détermination de la peine peuvent également être considérés.
(iv) Le fait que le prévenu encourt une longue peine d’emprisonnement
[62] La quatrième circonstance énoncée à l’al. 515(10) c) est « le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement ou, s’agissant d’une infraction mettant en jeu une arme à feu, une peine minimale d’emprisonnement d’au moins trois ans ».
[63] Bien qu’il ne soit pas souhaitable d’établir, pour les besoins de l’al. 515(10) c) C.cr ., une règle fixant précisément le nombre d’années qui constitue une « longue peine d’emprisonnement », certaines indications sont toutefois nécessaires afin de baliser l’exercice auquel doivent se livrer à cet égard les juges décideurs.
[64] En premier lieu, comme j’ai conclu qu’aucun crime n’était exempté de l’application possible de l’al. 515(10) c) C.cr ., il coule de source qu’une « longue peine d’emprisonnement » ne s’entend pas seulement des peines d’emprisonnement à perpétuité.
[65] De plus, afin de déterminer, au cas par cas, si l’accusé encourt réellement une « longue peine d’emprisonnement », le juge doit tenir compte de toutes les circonstances connues au moment de l’audience et des principes devant moduler la peine applicable. Toutefois, cela ne signifie pas que le juge est justifié de se livrer à un complexe calcul de la peine que l’accusé pourrait recevoir, car, faut-il le rappeler, la mise en liberté provisoire survient au début du processus pénal et le juge doit éviter de se substituer au juge du procès. Cela dit, il arrivera dans certains cas que des circonstances atténuantes ou aggravantes apparaîtront suffisamment fondées pour que le juge puisse les prendre en compte pour déterminer si l’accusé encourt une « longue peine d’emprisonnement ». Dans la mesure du possible, cette quatrième circonstance s’évalue donc de façon subjective, contrairement à la deuxième circonstance — la gravité de l’infraction — qui s’évalue quant à elle de manière objective.
(c) Les circonstances énumérées ne sont pas exhaustives
[66] Se fondant sur l’arrêt R. c. Mordue (2006), 223 C.C.C. (3d) 407 (C.A. Ont.), l’appelante soutient que, lorsque les quatre circonstances énoncées à l’al. 515(10) c) jouent en faveur d’une ordonnance de détention, celle-ci s’impose, à moins que d’autres « circonstances » puissent justifier une ordonnance de mise en liberté.
[67] J’estime que l’appelante a tort.
[68] Le libellé de l’al. 515(10) c) ne pourrait être plus clair : il est question de « toutes les circonstances, notamment les suivantes ». Sans me prononcer sur la validité d’un libellé différent, je suis d’avis que, si le législateur avait voulu que l’ordonnance de détention soit automatique lorsque les quatre circonstances énoncées à cet alinéa jouent en faveur d’une telle ordonnance, il aurait rédigé la disposition différemment. Le législateur a plutôt souhaité le contraire. Comme la Juge en chef l’a affirmé dans l’arrêt Hall, le juge saisi d’une demande de détention fondée sur l’al. 515(10) c) doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, mais il doit prêter une attention particulière aux facteurs énoncés par le législateur : par. 41. L’argument de la détention automatique me semble d’ailleurs contraire aux propos de la Juge en chef au par. 41 :
En définitive, le juge peut refuser d’accorder la mise en liberté sous caution uniquement s’il est persuadé, à la lumière de ces facteurs et des circonstances connexes, qu’un membre raisonnable de la collectivité serait convaincu que ce refus est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public dans l’administration de la justice. [Je souligne.]
[69] De plus, l’argument de la détention automatique néglige le fait que le test à satisfaire pour les besoins de l’al. 515(10) c) est la question de savoir si la détention de l’accusé est nécessaire afin de ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice. Les quatre circonstances énumérées ne sont que les principaux éléments que le juge doit pondérer en sus de tout autre élément pertinent, afin de déterminer si, dans l’affaire qui l’occupe, la détention est nécessaire pour réaliser l’objectif poursuivi : le maintien de la confiance du public envers l’administration de la justice au pays. Telle est la finalité de cet alinéa. Même si le juge doit prendre connaissance de toutes les circonstances de l’affaire et se livrer à un exercice de pondération, c’est cette question ultime que le juge doit trancher, et qui doit donc le guider dans sa décision. Soutenir qu’il y a automatiquement détention si l’examen des quatre circonstances favorise celle-ci est incompatible avec l’exercice de pondération énoncé à l’al. 515(10) c) et avec l’objectif ainsi recherché.
[70] Enfin, il ne faut surtout pas oublier qu’en droit canadien, la règle cardinale est la mise en liberté de l’accusé et la détention, l’exception : Morales, p. 728. Le fait d’ordonner automatiquement la détention irait à l’encontre du « droit fondamental à une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable sauf s’il existe une juste cause justifiant le refus de l’accorder », garanti par l’al. 11e) de la Charte : Pearson, p. 691. À son tour, ce droit repose sur la pierre angulaire du droit pénal canadien, soit la présomption d’innocence, garantie par l’al. 11d) de la Charte (Hall, par. 13). Ces droits fondamentaux exigent que le juge s’assure que la détention provisoire est réellement justifiée, eu égard à toutes les circonstances pertinentes de l’affaire.
[71] Sans énoncer ici une liste exhaustive des circonstances qui sont pertinentes dans l’analyse requise par l’al. 515(10) c) C.cr ., je crois utile d’en mentionner quelques exemples. Le sous-alinéa 515(10) c)(iii) évoque les « circonstances entourant [la] perpétration [de l’infraction] ». J’ajouterai que les circonstances propres à l’accusé peuvent également être pertinentes (son âge, ses antécédents criminels, sa condition physique ou mentale, son appartenance à une organisation criminelle, etc.). De même, le juge pourra considérer le statut de la victime et l’impact sur la société d’un crime commis contre cette personne. Dans certains cas, le juge pourrait aussi tenir compte du fait que le procès de l’accusé aura lieu à une date très éloIgnées.
La notion de public
(d) La notion de « public »
[72] Il convient de souligner que bien que la version française de l’al. 515(10)c) évoque la notion de « confiance du public », le mot « public » ne figure pas dans la version anglaise de l’al. 515(10)c) : « if the detention is necessary to maintain confidence in the administration of justice, having regard to all the circumstances, including. . . ». Cependant, notre Cour a confirmé que le motif de détention de cet alinéa est la nécessité de ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice : Hall, par. 41. En conséquence, l’exercice de pondération de toutes les circonstances auquel doit se livrer le juge en application de l’al. 515(10)c) doit être en tout temps guidé par le point de vue du « public ».
[73] Dans l’arrêt Mordue, la Cour d’appel de l’Ontario a fait une analyse intéressante du lien entre la notion de « confiance du public » à l’al. 515(10)c) et celle de « sécurité du public » mentionnée à l’al. 515(10)b) :
[traduction]
Bien que pertinentes, les craintes et les inquiétudes du public à l’égard de sa sécurité ne sont pas les seules considérations applicables pour apprécier la confiance du public envers l’administration de la justice. L’effet de la libération de l’accusé sur la confiance du public envers l’administration de la justice doit être examiné plus largement.
Le fait de limiter l’analyse de la question de la confiance envers l’administration de la justice aux inquiétudes du public relativement à sa sécurité a pour résultat que le troisième motif ne constitue guère plus qu’une répétition du deuxième motif. [. . .]
En l’espèce, le juge saisi de la demande de cautionnement a accordé un poids décisif à la qualité des arrangements relatifs à la mise en liberté sous caution de l’intimé. Ce faisant, il a commis une erreur en omettant de se demander si le troisième motif ne constituait pas une raison distincte de refuser la libération sous caution. Après avoir considéré comme il se doit le degré d’inquiétude du public sur le plan de la sécurité, le juge saisi de la demande de cautionnement a fait erreur en ne poursuivant pas son analyse afin de se demander quel effet la mise en liberté de l’intimé aurait, de façon plus large, sur la confiance du public envers l’administration de la justice. [Je souligne; par. 23-25.]
[74] Dans l’arrêt Hall, notre Cour a précisé que la notion de « public » s’entend d’un membre raisonnable de la collectivité bien informé « de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte et des circonstances réelles de l’affaire » : par. 41, citant R. c. Nguyen (1997), 119 C.C.C. (3d) 269 (C.A. C.-B.), par. 18.
[75] Dans une décision rendue avant l’arrêt Hall et portant sur l’ancien motif fondé sur l’« intérêt public » prévu à l’al. 515(10)b) C.cr., la Cour d’appel du Québec s’est exprimée ainsi :
S’agissant tout d’abord de la perception du public, comme on le sait, face aux criminels ou aux criminels en puissance, une large partie du public canadien adopte souvent une attitude négative et parfois passionnée. Elle veut se voir protég[ée], voir les criminels en prison et les voir châti[és] durement. Se débarrasser du criminel, c’est se débarrasser du crime. Elle perçoit alors indûment le système judiciaire et celui de l’administration de la justice en général comme trop indulgent, trop mou, trop bon pour le criminel. Cette perception, presque viscérale, face au crime n’est sûrement pas celle sur laquelle le juge doit se fonder pour décider de la remise en liberté. Dans cette hypothèse, en effet, les personnes accusées de certains types d’infraction ne seraient jamais remises en liberté parce que la perception du public est négative à l’égard du type de crime commis, alors que d’autres, au contraire, seraient presque automatiquement libérées vu la perception plus neutre ou plus indulgente du public. [. . .] C’est donc à un autre niveau qu’il faut se placer, soit celui d’un public raisonnablement informé de notre système de droit pénal et capable de juger et de percevoir sans passion que l’application de la présomption d’innocence, même au niveau de la liberté provisoire, a pour effet qu’effectivement des gens qui, plus tard, seront trouvés coupables, même de crimes sérieux, auront cependant retrouvé leur liberté entre le moment de leur arrestation et celui de leur procès. En d’autres termes, le critère de la perception du public ne doit pas s’exercer à partir du plus petit commun dénominateur. [Je souligne.]
(R. c. Lamothe, [1990] R.J.Q. 973 (C.A.), p. 981)
[76] Je suis d’avis que ces enseignements sont toujours pertinents.
[77] Même si le motif fondé sur l’« intérêt public » a depuis été jugé inconstitutionnel, ces passages sont utiles pour rappeler que la notion de « public » visée au nouvel al. 515(10)c) ne s’entend pas du justiciable canadien trop prompt à réagir de façon émotive. Cela dit, s’il est vrai que le public dont il est question à l’al. 515(10)c) n’est pas un membre trop émotif de la collectivité, mais plutôt une personne raisonnable et bien informée, certaines décisions me semblent avoir vidé de tout son sens cette notion de « public ». Le législateur a fait un choix exprès en demandant aux tribunaux de tenir compte de la confiance du « public » envers l’administration de la justice lorsqu’ils décident si un accusé devrait être détenu en attendant son procès. Il n’a pas fait mention d’un juriste ou d’un juge, mais bien du « public ». Il faut donc donner un sens à ce choix législatif. En conséquence, la confiance du public ne saurait être assimilée à la confiance des juristes envers l’administration de la justice. On ne peut attendre de la population canadienne — même de ses membres les mieux informés — le même niveau de connaissances juridiques qu’un juge ou un avocat. Ce serait là dénaturer la notion de « public ». Ce serait également faire abstraction de l’objectif de cette disposition, qui consiste à assurer le maintien de la confiance du public envers l’administration de la justice.
[78] Je souligne que cette position est similaire à celle adoptée par notre Cour au sujet du par. 24(2) de la Charte, qui prévoit l’exclusion d’éléments de preuve obtenus en violation de celle-ci lorsque « leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». Dans l’arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, s’exprimant au nom de la majorité, le juge Lamer a utilisé la formule imagée suivante pour énoncer la question pertinente : « L’utilisation des éléments de preuve est-elle susceptible de déconsidérer l’administration de la justice aux yeux de l’homme raisonnable, objectif et bien informé de toutes les circonstances de l’affaire? » : (p. 282, citantY.-M. Morissette, « The Exclusion of Evidence under the Canadian Charter of Rights and Freedoms : What To Do and What Not To Do » (1984), 29 R.D. McGill 521, p. 538). Le juge Lamer a précisé que « [l]a personne raisonnable est habituellement la personne moyenne dans la société, mais uniquement lorsque l’humeur courante de la société est raisonnable » : Collins, p. 282. Il a expliqué que le critère de la personne raisonnable « sert à rappeler à chaque juge que son pouvoir discrétionnaire est enraciné dans les valeurs de la société et, en particulier, ses valeurs à long terme. Il ne doit pas rendre une décision que la société considérerait inacceptable lorsque celle‑ci n’est pas déchirée par la passion ou autrement tiraillée par des événements présents » : ibid., p. 283; voir aussi R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206, par. 142.
[79] Ce membre raisonnable du public connaît donc les rudiments de notre État de droit et il est sensible à nos valeurs fondamentales en droit pénal, dont celles protégées par la Charte. Il ne fait aucun doute qu’il est au fait de l’importance de la présomption d’innocence et du droit à la liberté dans notre société. Il sait qu’il s’agit là de droits fondamentaux, garantis par notre Constitution. Cette personne s’attend aussi à ce que les personnes accusées d’un crime subissent leur procès dans un délai raisonnable, et elle connaît l’adage selon lequel [traduction] « justice retardée équivaut à justice déniée » : R. c. Trout, 2006 MBCA 96, 205 Man. R. (2d) 277, par. 15. Enfin, elle sait que les infractions criminelles requièrent la preuve d’une intention coupable (mens rea) et que certaines défenses tendent à démontrer l’absence de cette intention. Un exemple bien connu de ce type de défense est celle relative aux troubles mentaux. La personne envisagée à l’al. 515(10)c) C.cr. comprend donc que, une fois établie, cette défense permet à l’accusé d’échapper à sa responsabilité criminelle. Cela dit, il serait exagéré de s’attendre à ce qu’elle maîtrise toutes les subtilités de moyens de défense complexes, particulièrement lorsque la preuve de l’acte criminel est accablante, que les circonstances du crime sont odieuses et que l’accusé reconnaît l’avoir commis.
[80] Bref, la personne visée à l’al. 515(10)c) C.cr. est donc une personne réfléchie et non une personne aux réactions émotives, mal informée sur les circonstances d’une affaire ou en désaccord avec les valeurs fondamentales de notre société. Mais cette personne n’est pas un juriste qui connaît tous les rudiments du système de justice criminelle, les éléments constitutifs des infractions criminelles ou les subtilités de l’intention criminelle et des défenses disponibles aux accusés.
[81] Je conçois qu’il n’est certes pas facile pour les juges de trouver le juste équilibre entre, d’une part, leurs attentes peut-être démesurées envers le public, et d’autre part, la nécessité de refuser de céder aux réactions populaires mues uniquement par la passion. Cet exercice peut s’avérer particulièrement délicat en cette ère caractérisée par la multiplication et la diversification des sources d’information, l’accès à des bulletins d’information en continu et le phénomène des médias sociaux.
[82] En effet, il est possible que la population canadienne croie qu’elle est très bien informée, mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas. En outre, la population est également en mesure de faire connaître ses réactions beaucoup plus rapidement, efficacement et largement que par le passé, notamment par l’entremise des médias sociaux évoqués plus haut, lesquels sont propices à des réactions en chaîne. Pour cette raison, les tribunaux doivent se garder de céder aux réactions purement émotives de la population ou susceptibles d’être fondées sur une connaissance inappropriée des véritables circonstances de l’affaire.
[83] Cependant, les tribunaux doivent aussi être sensibles aux perceptions de la personne raisonnable et bien informée. Ce faisant, ils agissent à la fois comme vigiles à l’égard des mouvements de vindicte populaire et comme gardiens de la confiance du public envers notre système de justice. Il serait en conséquence dangereux, inapproprié et erroné pour un juge de fonder sa décision sur des reportages médiatiques qui ne seraient nullement représentatifs d’un public bien informé. La Cour d’appel du Québec a d’ailleurs reconnu ce danger dans sa récente décision dans l’affaire R. c. Turcotte, 2014 QCCA 2190 :
La lecture des coupures de presse montre à quel point il est dangereux de recourir à ce mode de preuve. On y retrouve des opinions diverses, plus ou moins nuancées, plus ou moins objectives, plus ou moins mesurées, plus ou moins superficielles. Plusieurs exposent des faits inexacts ou ne rapportent pas ceux qui sont essentiels. La plupart taisent les principes juridiques essentiels à la prise de décision en matière de mise en liberté. Certaines opinions attisent la colère et dénaturent le débat. Peu rapportent fidèlement les faits et rappellent correctement les principes applicables. Globalement, il faut convenir qu’elles ne satisfont pas au critère de la personne raisonnable définie par la jurisprudence. [par. 68 (CanLII)]
[84] Cela dit, je tiens à préciser que cela ne signifie pas pour autant que les tribunaux doivent automatiquement occulter la preuve qui émane des médias d’information. Il faut reconnaître que les médias participent à la vie en société et reflètent l’opinion de certains segments de la population canadienne. Dans l’arrêtSociété Radio-Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), [1991] 3 R.C.S. 459, p. 475, notre Cour soulignait : « Les médias ont un rôle primordial à jouer dans une société démocratique. Ce sont les médias qui, en réunissant et en diffusant les informations, permettent aux membres de notre société de se former une opinion éclairée sur les questions susceptibles d’avoir un effet important sur leur vie et leur bien-être. » Ainsi, lorsqu’elle est admissible et pertinente, cette preuve d’opinion peut être considérée par les tribunaux. Ce sera le cas lorsqu’elle correspondra à celle de la personne raisonnable, telle que je l’ai décrite.
[85] Je souligne par ailleurs que, comme l’affaire Turcotte n’a jamais été portée devant notre Cour, il ne conviendrait pas que je me prononce sur le bien-fondé de la conclusion de la Cour d’appel sur la mise en liberté dans cette affaire. Je me contenterai de signaler que la justesse de cette conclusion doit être appréciée à l’aune des principes que j’ai déjà énoncés.
[86] Somme toute, la confiance du public envers l’administration de la justice n’est pas tributaire d’une seule avenue. Cette confiance peut être minée tout autant lorsque le juge refuse d’ordonner la détention provisoire d’un accusé dans des circonstances qui le justifient, que lorsqu’il l’ordonne alors qu’elle est injustifiée.
En résumé
[87] Je résumerais ainsi les principes essentiels qui doivent guider le juge dans l’application de l’al. 515(10) c) C.cr . :
- L’alinéa 515(10)c) C.cr . ne prévoit pas un motif résiduel de détention, applicable seulement lorsque les deux premiers motifs de détention (al. a) et b)) ne sont pas satisfaits. Il s’agit d’un motif distinct permettant à lui seul d’ordonner la détention avant procès d’un accusé.
- L’alinéa 515(10)c) C.cr . ne doit pas être interprété restrictivement (ou appliqué avec parcimonie), ni s’appliquer que dans de rares cas ou circonstances exceptionnelles, ou pour certains types de crime seulement.
- Les quatre circonstances énumérées à l’al. 515(10)c) C.cr . ne sont pas exhaustives.
- Le tribunal ne doit pas automatiquement ordonner la détention même si les quatre circonstances énumérées favorisent ce résultat.
- Le tribunal doit plutôt tenir compte de toutes les circonstances propres à chaque cas d’espèce, en prêtant une attention particulière aux quatre circonstances énumérées.
- Le caractère « inexplicable » ou « inexpliqué » du crime n’est pas un critère devant guider l’analyse.
- Aucune circonstance n’est déterminante en soi. Le juge doit considérer les effets combinés de toutes les circonstances de chaque affaire qui lui permettront de déterminer si la détention est justifiée.
.
- Il s’agit d’un exercice de pondération de toutes les circonstances pertinentes, au terme duquel le tribunal doit ultimement se poser la question suivante : la détention est-elle nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice? Tel est le test à satisfaire sous l’al. 515(10)c).
- Pour répondre à cette question, le tribunal doit adopter le point de vue du « public », c’est-à-dire celui d’une personne raisonnable, bien informée de la philosophie des dispositions législatives, des valeurs consacrées par la Charte et des circonstances réelles de l’affaire. Cette personne n’est toutefois pas un juriste et n’est pas en mesure d’apprécier les subtilités des différentes défenses qui s’offrent à l’accusé.
- La confiance de cette personne raisonnable envers l’administration de la justice peut être minée tout autant si le tribunal refuse d’ordonner une détention justifiée compte tenu des circonstances de l’espèce, que lorsqu’il l’ordonne alors qu’elle est injustifiée.
[88] En conclusion, en présence d’un crime grave ou très violent, lorsque la preuve contre l’accusé est accablante, et que la ou les victimes sont vulnérables, la détention préventive sera habituellement ordonnée.
[89] Maintenant que j’ai interprété l’al. 515(10) c) C.cr ., je vais examiner le pouvoir de révision dont dispose un juge d’une cour supérieure pour modifier l’ordonnance de mise en liberté ou de détention, qu’elle soit rendue en application de l’al. 515(10) a), b) ou c) C.cr .
La révision aux art. 520 et 521 du C.cr. :
[6] Par ailleurs, notre Cour est appelée pour la première fois en l’espèce à déterminer l’étendue du pouvoir de révision conféré par les art. 520 et 521 C.cr. à l’égard des décisions concernant la détention ou la mise en liberté provisoire. Puisque la décision de remettre ou non en liberté un accusé avant son procès constitue un exercice délicat de pondération de l’ensemble des circonstances pertinentes, le juge qui entend une requête en révision fondée sur l’art. 520 ou 521 C.cr. ne jouit pas d’un pouvoir illimité de révision de cette décision. Je conclus que l’opportunité d’exercer ce pouvoir ne se présentera que dans trois cas : 1) en présence d’une preuve nouvelle admissible; 2) en présence d’une erreur de droit dans la décision contestée; ou 3) en présence d’une décision manifestement inappropriée. Dans ce dernier cas, il n’est pas question pour le juge réviseur de simplement substituer son appréciation des faits à celle du juge ayant rendu la décision contestée. Ce n’est que lorsque ce dernier a accordé trop d’importance à un facteur pertinent ou à l’inverse pas suffisamment à un autre que le juge réviseur pourra intervenir.
[…]
[117] J’insiste à nouveau sur le fait que, lors de l’audience sur la mise en liberté, l’accusé jouit de la présomption d’innocence, ce qui n’est plus le cas lors de la détermination de sa peine. Cependant, les extraits cités plus haut expriment avec justesse les implications d’une décision discrétionnaire qui incorpore plusieurs facteurs devant être pondérés. Comme je l’ai expliqué précédemment, la décision relative à la mise en liberté prise en vertu de l’al. 515(10)c) C.cr. requiert l’examen de plusieurs facteurs qui peuvent s’avérer difficiles à pondérer. Il s’agit d’un exercice délicat. Accorder au juge un pouvoir discrétionnaire illimité de réviser la décision initiale sur la mise en liberté trahirait l’essence de l’exercice.
[118] Comme je l’ai mentionné, je suis d’avis que les art. 520 et 521 C.cr. ne prévoient pas la tenue d’une audience de novo. Ainsi, à moins de preuve nouvelle — un sujet dont je traiterai plus loin — le juge réviseur n’est pas en meilleure position que le juge de paix pour évaluer si la détention de l’accusé est nécessaire. De plus, le juge réviseur ne détient pas, par rapport au juge de paix, une expertise particulière en matière de mise en liberté.
[119] Dans ce contexte, je vois difficilement comment on pourrait justifier de permettre au juge réviseur de substituer en tout temps son appréciation des différentes circonstances à celle du juge de paix.
(5) Conclusion : la révision prévue aux art. 520 et 521 C.cr. constitue un recours de nature hybride
[120] L’examen du libellé des art. 520 et 521 C.cr., la comparaison avec d’autres dispositions en matière de révision et avec l’appel en matière de peine, ainsi que la nature de la décision qui fait l’objet de la révision, m’amènent à conclure que ces dispositions ne confèrent pas au juge réviseur un pouvoir illimité pour réviser l’ordonnance initiale relative à la détention ou à la mise en liberté de l’accusé. Le juge doit donc se demander s’il est opportun qu’il exerce ce pouvoir de révision.
[121] L’opportunité d’intervenir existera lorsqu’une erreur de droit a été commise par le premier juge. Il est aussi opportun pour le juge réviseur d’exercer son pouvoir lorsque la décision contestée est manifestement inappropriée, c’est-à-dire lorsque le juge ayant rendu la décision contestée a accordé trop d’importance à un facteur pertinent ou pas suffisamment à un autre. Il ne s’agit donc pas d’accorder aux juges réviseurs le pouvoir d’intervenir à l’égard de la décision initiale simplement parce qu’ils auraient accordé un poids différent aux facteurs pertinents. Je rappelle que les facteurs pertinents ne sont pas limités à ceux énoncés expressément à l’al. 515(10)c) C.cr. Finalement, si l’accusé ou le poursuivant soumet une nouvelle preuve, comme le permettent les art. 520 et 521 C.cr., le juge réviseur peut modifier la décision initiale si cette nouvelle preuve démontre un changement important et pertinent dans les circonstances de l’affaire.
(6) Le changement important de circonstances
[122] La présentation de « preuves ou pièces » nouvelles est autorisée par les par. 520(7) et 521(8)C.cr. Le paragraphe 520(7) stipule ce qui suit :
520.(7) Lors de l’audition d’une demande en vertu du présent article, le juge peut examiner :
a) la transcription, s’il en est, des procédures entendues par le juge de paix et par un juge qui a déjà révisé l’ordonnance rendue par le juge de paix;
b) les pièces, s’il en est, déposées au cours des procédures devant le juge de paix;
c) les autres preuves ou pièces que le prévenu ou le poursuivant peuvent présenter,
Le paragraphe 521(8) est essentiellement identique.
[123] La question est de savoir ce qui est admissible à titre de preuve nouvelle.
[124] Selon l’appelante, une telle preuve ne peut porter que sur des faits véritablement nouveaux, soit des faits qui sont survenus depuis la décision initiale. Cela exclut donc des faits qui auraient pu être allégués lors de l’audience initiale ou d’une révision antérieure. À défaut, le système risque d’encourager « la recherche d’un juge plus accommodant » (ce qu’on appelle en anglais le « judge shopping »).
[125] Il est vrai que le principe de la finalité des jugements et celui de la nécessité d’éviter la multiplication des recours judiciaires non justifiés sont importants, et les tribunaux ne doivent pas faciliter « la recherche d’un juge plus accommodant ». Il est toutefois exagéré de prétendre, comme le fait l’appelante, qu’une personne arrêtée pourrait avoir intérêt à présenter le minimum de preuve lors de l’audience initiale sur la mise en liberté et, si cela s’avère insuffisant, à invoquer en cas de révision des éléments de preuve qui existaient déjà au moment de cette audience mais qu’elle n’a pas utilisés. Normalement, une personne détenue fait généralement tout en son pouvoir pour être remise en liberté le plus rapidement possible. La prétention de l’appelante témoigne d’une incompréhension de l’impact de la détention sur un individu, en particulier lorsque celle-ci peut s’avérer non justifiée : voir, p. ex., Toronto Star Newspapers Ltd., par. 51, citant Hall, par. 47; Ell c. Alberta, 2003 CSC 35, [2003] 1 R.C.S. 857, par. 24.
[126] La crainte de l’appelante m’apparaît d’autant plus démesurée qu’après une première demande de révision en vertu de l’art. 520 et 521 C.cr., une nouvelle demande ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de 30 jours, sauf avec l’autorisation d’un juge : par. 520(8) et 521(9) C.cr.
[127] Je suis plutôt d’avis que la nature généralement expéditive du processus de mise en liberté et ses conséquences — rapidité entre l’arrestation et l’audience, non-représentation des accusés, preuve incomplète à cette étape — expliquent qu’une personne détenue ne puisse pas toujours présenter tous les éléments de preuve possibles lors de sa première audience. L’intérêt de la justice serait donc compromis si les tribunaux agissant en vertu des art. 520 et 521 C.cr. devaient appliquer une conception restrictive de la « preuve nouvelle » admissible au sens de ces articles.
[128] Dans Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, p. 775, notre Cour a établi les critères suivants pour qu’une preuve satisfasse à la notion de « preuve nouvelle » lors d’un appel :
1. On ne devrait généralement pas admettre une [preuve] qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès [. . . ].
2. La [preuve] doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.
3. La [preuve] doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et
4. Elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.
(Réitéré dans R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579, par. 50.)
[129] Je suis d’avis que les quatre critères de l’arrêt Palmer sont pertinents, avec les adaptations nécessaires, pour déterminer en quoi consiste une preuve nouvelle pour les besoins de la révision prévue aux art. 520 et 521 C.cr. Étant donné la nature généralement expéditive du processus de mise en liberté provisoire et les risques d’atteinte aux droits de l’accusé, et puisque l’audience sur la mise en liberté survient au tout début des procédures criminelles et non à la fin comme l’appel de la peine, les juges réviseurs doivent faire preuve de souplesse dans l’application de ces quatre critères. D’entrée de jeu, je rappelle que les règles de preuve sont assouplies dans le cadre de l’enquête sur la mise en liberté : art. 518 C.cr.
[130] Le premier critère — la diligence raisonnable — existe pour assurer le caractère définitif et le déroulement ordonné des procédures judiciaires, des valeurs qui sont essentielles à l’intégrité du processus pénal: R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 19, citant R. c. M. (P.S.) (1992), 77 C.C.C. (3d) 402 (C.A. Ont.), p. 411. L’appelante fait d’ailleurs valoir ces mêmes valeurs pour restreindre la notion de preuve nouvelle en l’espèce. Cependant, la détention de l’accusé avant le procès — tout comme sa mise en liberté — est de par sa nature même très souvent « provisoire » et non pas définitive.
[131] De plus, malgré l’importance de ces valeurs, notre Cour a également précisé que le critère de la diligence raisonnable ne devait pas être appliqué de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles : Palmer, p. 775, citant McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484 à la p. 493. Le poids qu’il faut accorder à ce critère dépend de la force des autres ou, en d’autres termes, de l’ensemble des circonstances : R. c.Price, [1993] 3 R.C.S. 633, p. 634; voir aussi Warsing, par. 51. Dans G.D.B., notre Cour a précisé que « la cour d’appel doit déterminer la raison pour laquelle l’élément de preuve n’était pas disponible au procès » : par. 20. Ainsi, le fait de permettre une approche généreuse et libérale de la notion de « preuve nouvelle » pour l’application des art. 520 et 521 C.cr. s’inscrit fort bien dans la jurisprudence de notre Cour.
[132] J’estime donc que le juge réviseur peut tenir compte d’éléments de preuve véritablement nouveaux ou d’éléments qui existaient au moment de l’audience initiale sur la mise en liberté de l’accusé, mais qui n’ont pas été présentés pour une raison légitime et raisonnable. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le critère de la « diligence raisonnable » établi dans l’arrêt Palmer pour la révision prévue aux art. 520 et 521 C.cr. La nature du système de mise en liberté et les risques y afférents n’exigent pas moins.
[133] Je précise que cette preuve nouvelle ne se limite pas à des éléments auxquels l’accusé n’a pas eu accès avant l’audience initiale, du fait que, par exemple, le poursuivant ne les lui avait pas communiqués. Il est possible que ce dernier ne remette des éléments de preuve à l’accusé qu’au tout dernier moment avant l’audience initiale ou très peu de temps avant. Compte tenu des circonstances propres à chaque affaire, il pourrait être déraisonnable et injuste d’exiger de l’accusé qu’il utilise une telle preuve dès l’audience initiale, faute de quoi il ne pourrait plus l’invoquer dans une demande de révision subséquente, soit une fois que son avocat aurait eu le temps nécessaire pour l’analyser et mesurer les avantages et désavantages de son utilisation. Il appartiendra aux juges réviseurs de déterminer, dans chaque cas, si la raison pour laquelle l’accusé n’a pas présenté plus tôt ces éléments de preuve préexistants était légitime et raisonnable.
[134] Cette exigence relative à la démonstration d’une raison légitime et raisonnable fait en sorte que, dans les cas où un accusé aurait véritablement intérêt à faire traîner sa demande de mise en liberté ou tenterait de profiter de la révision pour choisir un juge plus accommodant, le juge réviseur pourra refuser la preuve nouvelle. De cette façon, la conception de preuve nouvelle pour l’application des art. 520 et 521 C.cr. répond à la fois au besoin de respecter l’intégrité de notre système de justice criminelle et à celui d’assurer la protection des droits de l’accusé dans le cadre de procédures généralement expéditives.
[135] Quant au deuxième critère de l’arrêt Palmer, il va de soi que la preuve n’a pas à « porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès » : p. 775. Il suffit que la preuve soit pertinente pour les besoins du par. 515(10) C.cr. En ce qui a trait spécifiquement au troisième motif de détention sous 515(10)c), celui en cause ici, je souligne que le juge doit tenir compte de « toutes les circonstances ». Le deuxième critère de l’arrêt Palmer sera donc rarement décisif lors d’une demande de révision en vertu des art. 520 et 521 C.cr., puisque l’éventail de preuves « pertinentes » sera généralement assez large.
[136] En ce qui concerne le troisième critère — soit que la preuve « doit être plausible, en ce sens qu’onpuisse raisonnablement y ajouter foi » (Palmer, p. 775) —, il doit être interprété à la lumière de l’assouplissement des règles de preuve à l’étape de la mise en liberté sous caution, en particulier de l’al. 518(1)e) C.cr., lequel prévoit que « le juge de paix peut recevoir toute preuve qu’il considère plausible ou digne de foi dans les circonstances de l’espèce et fonder sa décision sur cette preuve ».
[137] Enfin, il convient de modifier ainsi le quatrième critère de l’arrêt Palmer : la preuve nouvelle doit être telle qu’il est raisonnable de penser que, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, elle aurait été susceptible d’influencer l’exercice de pondération auquel s’est livré le premier juge pour l’application de l’al. 515(10)c) C.cr. Cette nouvelle preuve doit donc être significative.
[138] Si la preuve nouvelle satisfait aux quatre critères d’admissibilité, le juge réviseur est autorisé à reprendre l’analyse fondée sur l’al. 515(10)c) C.cr. comme s’il était le premier décideur. Il doit donc analyser toutes les circonstances de l’affaire, en prêtant une attention particulière à celles énoncées à cet alinéa. Il doit ensuite se livrer à un exercice de pondération et déterminer, à travers l’œil du public, si la détention de l’accusé est toujours justifiée. Les critères de l’arrêt Palmer, tels que je viens de les modifier, ne doivent pas être appliqués pour ralentir ou compliquer inutilement le processus de mise en liberté. Encore une fois, de par sa nature, ce processus suppose généralement une procédure rapide et flexible. Ces critères servent donc de guides au juge réviseur, mais ils ne doivent pas avoir effet de créer des carcans procéduraux qui nuiraient à l’administration de la justice.
[139] En conclusion, le juge réviseur pourra intervenir en cas de présentation d’une preuve nouvelle pertinente, en présence d’une erreur de droit ou, finalement, lorsque la décision est manifestement inappropriée.