Yombo c. R., 2023 QCCA 12

La maxime de minimis non curat lex souvent traduite par l’expression « la loi ne se soucie pas des petites choses sans importance ».

[15] Dans le dernier volet de la décision et de l’appel, l’appelant reproche à la juge son refus d’appliquer la maxime de minimis non curat lex souvent traduite par l’expression « la loi ne se soucie pas des petites choses sans importance ». Cette maxime tente d’exprimer l’idée qu’un tribunal peut accepter une « défense » dans le cas où l’infraction, bien que juridiquement commise, est insignifiante et ne devrait pas entraîner de conséquences pour son auteur.

[16] La juge aurait-elle dû appliquer la maxime ou la doctrine de minimis non curat lex? Je suis d’accord avec la position de l’intimé voulant que cette doctrine demeure d’application exceptionnelle, c’est-à-dire dans les cas les plus clairs et les plus manifestes.

[17] La question de savoir si une affaire peut se qualifier pour l’application de la doctrine est une question de droit. Un tribunal d’appel peut donc réviser la décision selon la norme de la décision correcte. Toutefois, la déférence est due aux déterminations factuelles sous-jacentes. Je partage ainsi l’approche énoncée par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Kubassek (2004), 2004 CanLII 7571 (ON CA), 188 C.C.C. (3d) 307, par. 11-16.

[18] Dans la jurisprudence, la maxime est très majoritairement discutée par les tribunaux de première instance. Au Québec, la Cour supérieure, qui siégeait en appel d’une décision de la Cour du Québec, R. c. Freedman, 2006 QCCQ 1855, a confirmé la possibilité d’appliquer la maxime en droit criminel dans l’affaire R. c. Freedman, 2006 QCCS 8022.

[19] Aux fins des présents motifs, il est inutile de faire l’exégèse des débats entourant la maxime et son application. En outre, en l’instance, on ne demande pas à la Cour de trancher son existence en droit criminel ni de revoir R. c. Freedman, 2006 QCCS 8022. Il n’est pas non plus nécessaire de qualifier définitivement la maxime comme un moyen de défense ou, comme le suggère le professeur Ferh, comme une facette du pouvoir inhérent des tribunaux de cesser toute procédure abusive risquant de miner la confiance du public envers l’administration de la justice : Colton FEHR, « Reconceptualizing De Minimis Non Curat Lex », (2017) 64:1 Criminal Law Quarterly 200.

Son existence a parfois été mise en doute, mais sans qu’elle soit toutefois exclue. Si la Cour supérieure, dans l’affaire Freedman, a confirmé son existence, il faut insister sur son caractère exceptionnel.

[20] Son existence a parfois été mise en doute, mais sans qu’elle soit toutefois exclue : voir R. c. Dubourg, 2018 QCCA 1999, par. 37-41. Son application semble davantage douteuse dans un contexte de violence sexuelle ou familiale : R. c. J.A., 2011 CSC 28 (CanLII), [2011] 2 R.C.S. 440, par. 63; R. c. Gosselin, 2012 QCCA 1874, par. 40. Cela ne doit pas surprendre, ne serait-ce que, par exemple, en raison de la vulnérabilité des victimes et des impératifs d’intérêt public dans ce type de dossier.

[21] Il demeure que la possibilité de recourir à cette maxime n’a jamais été totalement écartée par une cour d’appel ou par la Cour suprême. Au contraire, des indices laissent croire qu’elle peut jouer un rôle dans l’administration de la justice criminelle : R. c. Hinchey, 1996 CanLII 157 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 1128, par. 69; R. c. Cuerrier, 1998 CanLII 796 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 371, par. 21; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 200 et s. (j. Arbour, dissidente); R. v. Murdock(2003), 2003 CanLII 4306 (ON CA), 176 CCC (3d) 232 (C.A.O.).

[23] Si la Cour supérieure, dans l’affaire Freedman, a confirmé son existence, il faut insister sur son caractère exceptionnel. Dans l’arrêt Dubourg, la Cour rappelle que « les tribunaux doivent se garder de contredire le choix discrétionnaire du ministère public de porter des accusations pour un comportement donné, sauf dans les cas les plus manifestes » : R. c. Dubourg, 2018 QCCA 1999, par. 41.

[24] Au surplus, le 1er septembre 2017, la mise en place au Québec d’un programme de déjudiciarisation pour les délinquants adultes offre une possibilité concrète de déjudiciarisation. Il assure entre autres de « ne judiciariser que les infractions suffisamment graves pour mettre en péril la sécurité publique », dirigeant ainsi les infractions les moins graves hors du système accusatoire traditionnel : voir ROSSI, C., DESROSIERS, J., BRASSARD, V., MARCEAU, L., CLOUTIER, M., BELAND OUELLETTE, A. (2020), Le Programme de mesures de rechange général pour adultes, portrait, analyse et enjeux du projet pilote 2017-2019, Rapport de recherche soumis au ministère de la Justice du Québec, Université Laval, Québec, février 2020, 54 p., à la p. 11.

[25] Nul doute que, dans ce contexte, les dossiers qui présenteront les caractéristiques nécessaires à l’application de la maxime seront rares. La rareté de son application ne signifie toutefois pas qu’elle n’a plus d’utilité, même dans des contextes difficiles : voir par exemple Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), précité.

[26] Plus récemment, des affaires illustrent le bien-fondé de son application : R. v. Juneja, 2009 ONCJ 572 (une personne prend le poignet d’une autre dans le cadre d’une discussion à propos d’un conflit latent); R. v. Haynes, 2022 ONCJ 30 (une voisine arrose d’eau son voisin avec un boyau lors d’une énième dispute verbale); R. v. Arsenault, 2018 ONCJ 224 (un texto d’une ligne est en violation d’une interdiction de communiquer; contra dans R. v. Feliciano, 2019 ONCJ 263).

La maxime permet de maintenir la confiance dans l’administration de la justice mais elle peut avoir l’effet inverse si elle est appliquée sans une évaluation sérieuse de toutes les circonstances.

[27] La maxime permet de maintenir la confiance dans l’administration de la justice (R. c. Freedman, 2006 QCCQ 1855, par. 56; R. c. Jean, 2020 QCCQ 8902, par. 161; Morris MANNING et Peter SANKOFF, précité, par. 13.167-168), mais elle peut avoir l’effet inverse si elle est appliquée sans une évaluation sérieuse de toutes les circonstances (R. c. Jean, 2020 QCCQ 8902, par. 171). Il faut d’ailleurs rappeler que, dans l’affaire Freedman, précitée, le ministère public avait concédé que le seul contact révélé par la preuve entre l’accusé et la victime n’aurait généré aucune accusation : R. c. Freedman, 2006 QCCQ 1855, par. 37.

[28] Bref, tout est question de contexte. J’arrête donc ici puisque, encore une fois, il n’est pas nécessaire de faire un tour exhaustif des cas ou de revoir l’application de la maxime dont on retrouve toujours une présence active dans la jurisprudence.