Mailhot c. R.,2012 QCCA 964 est une source utile concernant le pouvoir du juge du procès à donné son opinion sur les faits au jury :

[186]      Le juge du procès peut certes exprimer son opinion sur une question de fait, à la condition toutefois de rappeler clairement au jury qu’il ne s’agit pas d’une directive, mais uniquement d’un conseil : R. c. Gunning, 2005 CSC 27 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 627, paragr. 27.

[187]      Certains ont cru percevoir dans cet arrêt une licence autorisant dans tous les cas le juge du procès a donné son opinion, à la condition d’y ajouter la mise en garde. À mon avis, ce n’est pas le cas.

[188]      Cette faculté n’est pas absolue et j’estime qu’elle est soumise à deux exigences : 1) le juge peut donner son opinion lorsque cela est justifié, et 2) s’il décide de le faire, il doit agir de manière équitable. Voyons ce qu’il en est.

Était-ce justifié?

[189]      Je rappelle que, dans Gunning, la juge Charron écrit :

27               Un principe de droit peut-être élémentaire mais néanmoins fondamental veut que, dans un procès avec jury, il appartienne au juge de trancher toutes les questions de droit et de donner des directives en conséquence au jury; toutefois le jury, qui doit tenir du juge ses directives sur le droit applicable, est le seul arbitre des faits. Dans la mesure où cela est nécessaire, le juge a aussi l’obligation d’aider le jury en passant en revue la preuve qui se rapporte aux questions en litige. Le juge a également le droit d’exprimer une opinion sur une question de fait et de le faire aussi fermement que le permettent les circonstances, à la condition de dire clairement au jury qu’il s’agit seulement d’un conseil et non d’une directive.

[…]

31  Ainsi, dans un procès avec jury, il n’appartient jamais au juge d’apprécier la preuve et de décider si le ministère public a prouvé l’un ou plusieurs éléments essentiels de l’infraction, pour ensuite donner des directives en conséquence au jury. Il n’importe pas de savoir jusqu’à quel point la réponse peut paraître évidente au juge. Il est également sans importance que le juge puisse être d’avis que toute autre conclusion serait contraire à la preuve. Le juge du procès peut exprimer une opinion sur la question lorsque cela est justifié, mais il ne peut jamais donner des directives à cet égard.

[Je souligne.]

[190]      Ces précisions ne sont pas anodines. Le juge peut donner son opinion lorsque cela est justifié, en exprimant son point de vue à hauteur de ce que les circonstances permettent. En d’autres mots, il peut s’exprimer aussi fermement que les circonstances le permettent, mais pas plus.

[191]      Le droit au procès par jury, droit protégé par le paragr. 11 f) de la Charte canadienne des droits et libertés et, en l’espèce, par les paragr. 469 a) et 473 (1) du Code criminel, exige que ce soient les pairs, et non le juge, qui décident de la crédibilité des témoins, de la valeur d’une preuve et surtout de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé. L’opinion du juge n’est pas déterminante ni même essentielle, même s’il peut être justifié de l’exprimer. 

[192]      Quand le juge est-il justifié d’exprimer son avis sur les faits? La pratique canadienne veut que le juge puisse généralement le faire, mais cela ne peut aller jusqu’à exprimer une opinion, de manière directe ou indirecte, pour influencer le jury sur le verdict à rendre. Une opinion sur les faits ne peut se transformer en une opinion sur le verdict.

[193]      Dans R. v. Lawes 2006 CanLII 5443 (ON CA), (2006), 206 C.C.C. (3d) 15 (C.A.Ont.), le juge Rouleau écrit :

20     Courts have long recognized that a trial judge is entitled to comment on the evidence while instructing the jury. The discretion to comment, however, is limited.

[…]

22  There have been various formulations of guidelines to be used by appellate courts in deciding whether a trial judge has gone too far in expressing an opinion. In R. v. Garofoli, this court stated that an appellate court may find that the trial judge has crossed the boundary even though the jury was told that they were not bound by his views on the evidence if:

1) the opinion expressed is far stronger than that facts warrant; or

2) the opinion is expressed so strongly that there is a likelihood that the jury would be overawed by it.

[194]      En d’autres termes, le pouvoir discrétionnaire n’est pas sans limites et il peut arriver que le juge insiste indûment au point où, malgré la mise en garde, il est vraisemblable que le jury ne pourra se dissocier de l’opinion exprimée trop fermement. Cela équivaudrait à une opinion sur le verdict à rendre, sinon à une directive sur la question.

[195]      En l’espèce, la défense n’était pas complexe. Deux témoins en constituaient l’essence : l’accusé et le Dr Morissette, et le jury n’avait pas vraiment besoin d’aide pour réaliser son mandat.

[196]      Par ailleurs, pour les raisons que j’expliquerai plus loin, je suis d’avis que le juge a exprimé son opinion beaucoup plus fermement que le permettaient les circonstances. 

Était-ce équitable?

[197]      Avec beaucoup d’égards pour le juge de première instance, même si cela n’était pas son objectif, j’estime que ses directives au sujet de la défense n’étaient pas équitables.

[198]      À propos de cette exigence d’équité, j’endosse ce qu’écrit le juge Rouleau dans Lawes, précité :

23 Somewhat different formulations of these guidelines appear in other decisions such as R. v. Muckikekwanate2 and R. v. Valentini. What can be drawn from all of these cases is that, in this area, everything is a question of degree. The overarching principle is fairness. Within this principle of fairness is the recognition that the jury must remain the arbiter of the facts and that any comments made by the trial judge cannot amount to a rebuttal of the defence address to the jury or unfairly denigrate or undermine the position of the defence.

[Je souligne.]

[199]      Cette question d’équité est éminemment importante et le danger demeure lorsque le juge, sans exprimer directement et clairement son opinion, la transmet néanmoins de manière implicite. Et le dommage est encore plus grand s’il ne répète pas à ce moment la mise ne garde. Qu’en est-il en l’espèce?

[200]      Deux parties importantes des directives sont préoccupantes. Dans la première, que l’on retrouve aux pages 177 et 118 du mémoire de l’appelant, le juge résume le témoignage du Dr Morissette, expert de la défense. Dans la seconde, aux pages 162 à 176, le juge dit vouloir exposer la thèse de la défense. Je vais aborder ces deux volets des directives.