Les peines infligés et les particularités locales dans certains district judiciaire.
[89] En effet, même si le Code criminel s’applique dans l’ensemble du pays, les particularités locales de chaque région peuvent expliquer certaines divergences dans les peines infligées aux délinquants par les tribunaux. La fréquence d’un type d’infraction dans une région donnée peut certes constituer un facteur pertinent pour le juge dans la détermination de la peine. Dans M. (C.A.), le juge en chef Lamer a affirmé ce qui suit :
La détermination d’une peine juste et appropriée est un art délicat, où l’on tente de doser soigneusement les divers objectifs sociétaux de la détermination de la peine, eu égard à la culpabilité morale du délinquant et aux circonstances de l’infraction, tout en ne perdant jamais de vue les besoins de la communauté et les conditions qui y règnent. [Je souligne; par. 91.]
Puis, il a ajouté ceci au paragraphe suivant :
De même, il faut s’attendre que les peines infligées pour une infraction donnée varient jusqu’à un certain point dans les différentes communautés et régions du pays, car la combinaison « juste et appropriée » des divers objectifs reconnus de la détermination de la peine dépendra des besoins de la communauté où le crime est survenu et des conditions qui y règnent. [par. 92]
[90] Quoique la fréquence d’un type de crime dans une région donnée ne constitue pas en soi un facteur aggravant, une telle situation peut néanmoins, selon les circonstances, être appréciée par le juge dans la mise en balance des différents objectifs de la détermination de la peine, notamment le besoin de dénoncer le comportement illégal à cet endroit et de dissuader quiconque, par la même occasion, d’en faire autant. Il va sans dire toutefois que la prise en compte de ce facteur ne doit pas avoir pour effet d’entraîner une peine manifestement non indiquée.
[91] Les jugements de la Cour d’appel du Québec occupent d’ailleurs une place de choix dans la jurisprudence canadienne à ce chapitre. À titre d’exemple, dans l’arrêt R. c. Valiquette, 2004 CanLII 20126 (QC CA), 2004 CanLII 20126, par. 48-50, la Cour d’appel du Québec a confirmé la décision du juge de première instance, qui avait tenu compte de la recrudescence des crimes liés à la production de drogue dans le district de Joliette afin de privilégier les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale dans le processus de détermination d’une peine juste et raisonnable.
[92] Pareillement, dans l’arrêt R. c. Nguyen, 2007 QCCA 1500 (CanLII), par. 7 (CanLII), cette même Cour d’appel a confirmé que, dans le cadre de la détermination de la peine, le juge de première instance avait eu raison de tenir compte du nombre élevé d’infractions liées à la culture du cannabis dans certaines localités des Basses-Laurentides, ainsi que de la présence d’un réseau bien structuré de trafic de stupéfiants dans cette région. En conséquence, selon la Cour d’appel, le juge de première instance n’avait pas eu tort d’infliger une peine dont la sévérité aurait pour effet de dissuader les personnes qui seraient tentées, par l’appât du gain, de commettre ce genre d’infraction.
[93] D’autres cours d’appel au pays ont également réitéré le principe selon lequel la situation locale peut constituer l’un des facteurs pertinents dans la détermination d’une peine juste et appropriée : R. c. Morrissette (1970), 1970 CanLII 642 (SK CA), 1 C.C.C. (2d) 307 (C.A. Sask.), p. 310; R. c. Laurila, 2010 BCCA 535 (CanLII), 296 B.C.A.C. 139, par. 6; R. c. Woghiren, 2004 CanLII 46649 (ON CA), 2004 CanLII 46649 (C.A. Ont.), par. 3.
[94] Il est vrai que des considérations d’équité procédurale exigeront généralement d’un juge qui entend accorder une importance à la réalité locale et à la fréquence d’un crime dans une région particulière de donner aux parties l’occasion de se prononcer à ce sujet. Cependant, ce problème ne se posait pas en l’espèce puisque la réalité locale n’était pas contestée. En effet, le dossier révèle que l’argument fondé sur la réalité locale a été soulevé en temps utile par l’appelante lors des débats, et que c’est donc en toute connaissance de cause que l’intimé ne s’est pas prononcé à cet égard : notes sténographiques du 14 septembre 2013, d.a., vol. II, p. 91.
[95] À tout évènement, j’estime que le juge Couture pouvait prendre connaissance d’office de l’existence du fléau que représente le nombre élevé d’infractions liées à la consommation d’alcool au volant dans le district de Beauce. En effet, le juge Couture occupait le poste de juge résident dans ce district. Il était donc en mesure de constater et apprécier l’ampleur du problème dans sa région, surtout qu’il est bien établi dans notre droit que le juge a une connaissance d’office du milieu dans lequel il exerce ses fonctions : R. c. Z.Z., 2013 QCCA 1498 (CanLII), par. 68 (CanLII); R. c. Nguyen, 2009 BCCA 546 (CanLII), 277 B.C.A.C. 120, par. 29. Dans R. c. MacDougall, 1998 CanLII 763 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 45, par. 63, notre Cour a précisé, sous la plume de la juge McLachlin, que les juges de première instance et les cours d’appel provinciales sont les mieux placés pour connaître la situation particulière qui existe dans leur ressort. En l’espèce, la fréquence des infractions de conduite avec les capacités affaiblies est un fait qui peut être constaté objectivement en consultant les rôles des tribunaux. Bref, il s’agit d’une information publique connue et non controversée, et la réalité locale n’était pas contestée en l’espèce.