R. c. Gaulin, 2017 QCCA 705

Le fardeau de preuve qui incombe au ministère public pour démontrer la commission de l’infraction prévue au paragraphe 255(3.1) C.cr. (conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite permise causant un accident occasionnant la mort).

[40]      Il doit y avoir une démonstration d’un double lien de causalité. D’abord, que le conducteur a causé l’accident. Ensuite, que l’accident a occasionné les blessures ou la mort d’une personne. L’utilisation du mot « cause » indique que le législateur entendait exclure les cas où l’on ne peut rattacher une conduite fautive du conducteur à l’accident. Le conducteur doit nécessairement être la cause effective de l’accident.

[41]      Cette interprétation respecte le texte de la disposition législative et le choix du législateur lorsqu’il rédige différemment, en 2008, le libellé de la nouvelle infraction.

[42]      Cette interprétation permet aussi de s’assurer du comportement blâmable de l’accusé par rapport à la conséquence prohibée. En effet, il faut éviter qu’une personne puisse être condamnée simplement parce que, tandis qu’elle conduisait avec une alcoolémie supérieure à la limite permise, elle a été impliquée dans un accident qui ne lui est par ailleurs aucunement imputable.

[43]      L’accusé doit, par son comportement ou sa conduite, avoir posé des gestes ou omis de poser des gestes qui ont causé un accident. Sa conduite doit être évaluée par rapport à celle d’un conducteur raisonnable.

[44]      Un élément fautif doit être attribuable à l’accusé qui doit donc être responsable de façon appréciable de l’accident. Sur ce point, les critères adoptés par la juge Arbour dans R. c. Nette[18] et par la juge Karakatsanis dans R. c. Maybin[19] sont généralement utilisés.

[45]      En bref, l’accusé doit avoir contribué de façon appréciable à l’accident, tenant pour acquis qu’il n’est pas nécessaire que la conduite de celui-ci soit la cause unique de l’accident.

[46]      Les auteurs Manning et Sankoff affirment d’ailleurs que les problèmes qui pourraient découler du standard relativement peu élevé de la « cause ayant contribué de manière appréciable » peuvent être compensés dans le cadre du prononcé de la peine. Ils ajoutent que c’est à ce stade des procédures que devrait être prise en considération toute faiblesse dans la chaîne de causalité :

Weaknesses in the chain of causation are regarded as a matter to be assessed as a factor in the sentencing process. […] It should be recognized that most problems created by a low causal standard can be rectified, for the most part, in the sentencing process, where the accused’s level of moral responsibility can be more sensitively addressed.[20]

[47]      Par ailleurs, à la lecture du jugement de première instance, on constate qu’exiger la démonstration du lien de causalité entre l’alcoolémie et le décès engendre une incongruité.

[48]      En effet, il est depuis longtemps reconnu que l’infraction d’avoir conduit avec une alcoolémie supérieure à 80 mg d’alcool par 100 ml de sang ne requiert pas la preuve que les capacités de l’accusé sont affaiblies par l’alcool. La preuve d’absence de symptômes n’est pas pertinente[21]. Si, en application de l’alinéa 253(1)b) C.cr., la preuve des symptômes n’est pas pertinente, elle ne devrait pas plus l’être en application du paragraphe 255(3.1) C.cr., qui nécessite la preuve que l’infraction incluse a été commise.

[49]      Dans le cadre de son examen du paragraphe 255(3.1) C.cr., le juge n’avait donc pas à déterminer si l’intimée avait les facultés affaiblies.

[50]      Il devait plutôt se demander si :

–     L’intimée a conduit un véhicule automobile avec une alcoolémie supérieure à la limite permise; en fait, si elle a contrevenu à l’alinéa 253(1) b) C.cr.;

–     Elle a causé un accident, en ce qu’elle a contribué de façon appréciable à l’accident, par sa conduite, les gestes qu’elle a posés ou omis de poser, tenant pour acquis qu’il n’est pas nécessaire que sa conduite soit la cause unique de cet accident;

–     L’accident a engendré la mort d’une autre personne.

[51]      Contrairement à l’infraction codifiée au paragraphe 255(3) C.cr. où le législateur exige la preuve du lien causal entre les capacités affaiblies et la mort d’une tierce personne, ici, le lien à faire se situe 1) entre l’accusé et la cause de l’accident, et 2) entre l’accident et le décès d’une personne.

[52]      Il y a donc lieu d’ordonner un nouveau procès quant à ce chef d’accusation.

Le lien causal et l’infraction prévue au paragraphe 255(3) C.cr. (conduite avec capacités affaiblies causant la mort)

[55]      Dans l’examen de l’infraction comprise au paragraphe 255(3) C.cr., la jurisprudence a reconnu que le ministère public n’a pas à démontrer hors de tout doute raisonnable que la conduite avec les capacités affaiblies constitue la seule cause du décès, le seul facteur en cause[24]. Elle doit plutôt établir que l’affaiblissement par l’alcool ou la drogue a contribué de façon appréciable au décès[25]. Le lien doit être suffisant, plus que mineur, « A significant contributing cause ». L’établissement de la causalité entre l’affaiblissement des capacités et le décès peut s’inférer de l’ensemble de la preuve. C’est pour cette raison que tous les éléments doivent être examinés, dont le degré d’intoxication de l’accusé[26].

[56]      La Cour suprême enseigne que les questions de causalité sont particulières à chaque cas et reposent sur les faits[27]. Elle reconnaît de plus que la détermination de la causalité juridique « repose sur les notions de responsabilité morale et n’est pas un exercice machinal ou mathématique »[28]. Le débat doit toujours être centré sur la question de savoir si l’accusé doit être tenu responsable, en droit, des conséquences de ses actes ou si le fait de le tenir responsable reviendrait à punir une personne moralement innocente[29].