R. c. Girard-Gilbert, 2017 QCCQ 6109

 

L’accusé soutient que plusieurs irrégularités ont été commises dans le processus :

1)        Les policiers ne l’ont pas informé qu’ils enquêtaient concernant son état de conduire. Ils ont seulement mentionné qu’ils procédaient à l’interception en raison des feux éteints. Il avait le droit, sans délai, d’être avisé des motifs de sa détention. De plus, aucune disposition légale ne permettait aux policiers de le faire sortir de son véhicule. 

2)        Les délais sont ici déraisonnables, tant au sens de la Charte que du Code criminel. L’accusé identifie trois séquences :

  1. a)      25 minutes d’attente entre l’échec de l’ADA (2 h 35) et le départ pour le poste (3 h).
  2. b)      18 minutes de transport (de 3 h à 3 h 18).
  3. c)      16 minutes entre l’arrivée dans la salle d’interrogatoire (3 h 19) et l’exercice du droit à l’avocat (3 h 35). 

3)        Au cumulatif, 1 h 15 s’écoule entre l’interception (2 h 20) et l’exercice du droit à l’avocat (3 h 35), ce qui est tout à fait inacceptable.

4)        À compter de l’interception, les policiers n’ont pas offert la possibilité d’appeler l’avocat sur les lieux, notamment à l’intérieur du véhicule patrouille. Tel que révélé par la preuve, l’accusé était alors en possession de son cellulaire.

 

 

[37]        Selon l’article 636 CSR un agent de la paix, identifiable à première vue, dans le cadre de ses fonctions, peut exiger qu’un conducteur immobilise son véhicule. Ce dernier doit se conformer sans délai à cette exigence.

[38]        Dans le présent cas, les policiers, identifiables à première vue, ont des motifs d’interception en raison d’une contravention à l’article 424 CSR, l’accusé n’ayant pas allumé les feux de son véhicule en circulant la nuit.

[39]        À compter de l’interception, l’accusé est détenu[20].

[40]        Lorsqu’ils interviennent, les policiers constatent progressivement des symptômes de capacité affaiblie. Selon l’arrêt de la Cour suprême R. c. OrbanskiR. c. Elias[21], les policiers disposent d’un pouvoir général, issu de la loi et de la common law, de vérification de la sobriété des conducteurs. Ce pouvoir comporte une restriction implicite des droits constitutionnels, en particulier du droit à l’avocat garanti par l’article 10b) de la Charte. Cette suspension est acceptable dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte.

[41]        Dans le présent cas, l’agent Lessard mentionne clairement à l’accusé qu’il enquête sur la sobriété.

[42]        En outre, tel que déterminé par le juge Alexandre Boucher de la Cour supérieure dans Castro c. R.[22], les policiers peuvent sommer le conducteur de sortir de son véhicule, lui demander de se déplacer et l’interroger.

[43]        Toutefois, l’échantillon à l’aide de l’ADA doit être donné « immédiatement » selon l’article 254(2) C.cr. Dans le présent cas, 15 minutes s’écoulent entre l’interception (2 h 20) et l’administration du test (2 h 35). Compte tenu du temps requis pour les observations et le déplacement à l’intérieur du véhicule patrouille en raison du froid, le caractère d’immédiateté est respecté.

[44]        L’échec de l’ADA donne les motifs raisonnables concernant l’ordre de subir l’alcootest selon l’article 254(3) C.cr.[23] Encore une fois, à 2 h 36, l’ordre est donné rapidement.

[45]        À compter de ce moment, l’accusé est informé de ses droits constitutionnels.

[46]        Entre maintenant en jeu la question des délais. D’une part, selon l’article 10b) de la Charte, l’accusé a droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. D’autre part, l’article 254(3) C.cr. commande de fournir l’échantillon d’haleine dans les meilleurs délais. L’article 258(1)c)ii) mentionne que chaque échantillon est prélevé « dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction aurait été commise et, dans le cas du premier échantillon, pas plus de deux heures après ce moment, […] »

[47]        Dans le présent cas :

▪   59 minutes s’écoulent entre la lecture des droits (2 h 36) et l’exercice du droit (3 h 35).

▪   1 h 08 s’écoule entre l’ordre de suivre au poste (2 h 36) et le premier prélèvement (3 h 44).

[48]        Ces délais sont-ils déraisonnables?

[49]        Pour répondre à cette question, les facteurs suivants doivent être pris en compte :

1)        L’accusé est informé de ses droits et comprend la situation. Il demeure silencieux quant à l’exercice de ses droits.

2)        L’agent Lessard communique avec ses collègues de Dolbeau-Mistassini en plus de demander une remorqueuse. Lui et l’agente Thibeault attendent l’arrivée de leurs collègues, ne voulant pas abandonner le véhicule de l’accusé à Normandin. Cette position n’est pas déraisonnable.

3)        À l’arrivée de leurs collègues, sans attendre la remorqueuse, ils quittent immédiatement pour aller au poste. On ne peut leur reprocher le temps de déplacement entre Normandin et Dolbeau-Mistassini. Tel que mentionné par la juge Marie-Josée Ménard dans Caron c. R.[24], en milieu rural, les délais et la distance sont inhérents.

4)        Le délai de 16 minutes au poste s’explique notamment par le temps de préparation de l’alcootest par l’agent Lessard qui agissait également comme technicien qualifié.

5)        À partir de l’interception, les policiers témoignent de façon crédible, sans être contredits, qu’ils n’ont pas tenté de soutirer des aveux. L’agente Thibeault aborde le scénario de consommation après l’entretien entre l’accusé et son avocat.

[50]        La question la plus épineuse est celle de l’accès au téléphone pour consulter un avocat à compter de l’arrestation.

[51]        Dans la présente affaire, l’agent Lessard informe rapidement l’accusé de son droit à l’avocat après l’échec de l’ADA. Il ajoute que ce droit pourra être exercé au poste de police de Dolbeau-Mistassini qui se trouve à une vingtaine de minutes.

[52]        Tel que mentionné, 59 minutes se sont écoulées entre la mise en arrestation et l’exercice du droit. Cela inclut l’attente des autres policiers, le temps de déplacement et le délai au poste.

[53]        Or l’article 10b) de la Charte garantit le droit de recourir à l’assistance d’un avocat sans délai.

[54]        En 2014, la Cour suprême, dans R. c. Taylor[25], précise l’étendue de ce droit. Le juge Marco LaBrie, dans R. c. Lauzier[26], résume ainsi les principes dégagés :

[172]         […] De plus, les policiers doivent faciliter l’exercice de ce droit dès le début de la détention, puisque la personne détenue ne peut exercer son droit que si les policiers lui accordent une possibilité raisonnable de le faire.[253]

[173]          Les policiers ont l’obligation de donner à une personne détenue accès à un téléphone dès que cela est possible en pratique, c’est-à-dire, à la première occasion raisonnable.[254] Ceci inclut tout téléphone disponible[255], mais les policiers n’ont pas l’obligation de fournir leur propre téléphone cellulaire.[256] Lorsqu’il y a un délai, la poursuite a le fardeau de prouver que ce délai était raisonnable dans les circonstances.[257]

[174]          L’objectif principal de ce droit est de fournir à la personne détenue, la possibilité d’obtenir les conseils juridiques préliminaires relativement à son droit de coopérer ou non avec l’enquête policière, et sur la manière d’exercer ses droits.[258] L’accès à un avocat et à des conseils juridiques fait en sorte qu’une personne, qui se trouve sous le contrôle de représentants de l’État, et qui encourt un risque juridique, puisse être informée de ses droits et de ses obligations, et obtenir des conseils sur la façon de faire valoir ses droits.[259] De plus, cela permet à cette personne d’être en mesure d’exercer un choix libre et éclairé quant à la décision de coopérer ou non à l’enquête policière et à la protéger contre le risque qu’elle ne s’incrimine involontairement.[260]

[175]         Les policiers qui détiennent une personne ont l’obligation d’informer la personne détenue de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et de l’existence de l’aide juridique et d’avocats de garde, et l’obligation de lui donner la possibilité raisonnable de le faire (sauf en cas d’urgence ou de danger), et l’obligation de s’abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable (sauf en cas d’urgence ou de danger).[261]

[55]        Par ailleurs, il est possible qu’une personne renonce à son droit. Pour être valide, une telle renonciation doit être volontaire et s’appuyer sur une appréciation véritable des conséquences. Cette personne doit savoir à quoi elle renonce.[27]

[56]        Dans l’affaire Lauzier, le policier Caron avait dit à l’accusé qu’il pourrait communiquer avec un avocat au poste. Le juge Labrie traite ainsi la question [28]:

[184]          Ceci constitue une violation au droit de la personne détenue d’exercer son droit sans délai.[273] L’agent Caron explique que la raison pour laquelle il n’offre pas à l’accusé la possibilité de consulter un avocat sur les lieux est qu’il est soucieux de préserver la confidentialité de la conversation de l’accusé avec son avocat.[274] Il ajoute avoir décidé que cela ne se ferait qu’au poste de police dans local conçu à cette fin : « J’ai décidé de le transporter au poste de police puis à ce moment on a un endroit qui est conçu pour ça, où Monsieur peut faire ça de façon confidentielle. »[275]

[185]          L’agent Caron reconnaît qu’outre la question de la confidentialité de la consultation téléphonique avec un avocat, il n’y a rien qui empêchait, dans le contexte des faits de ce dossier, que l’accusé puisse consulter un avocat avec son téléphone cellulaire à l’arrière de l’auto-patrouille, alors que les agents le surveillent de l’extérieur de l’auto-patrouille, sans entendre la conversation.[276] D’ailleurs, la jurisprudence a reconnu que pour respecter la confidentialité d’une conversation entre la personne détenue et l’avocat(e), il suffit que la conversation ne soit pas entendue par d’autres personnes.[277] Il n’y a pas nécessairement une violation lorsque les policiers sont en mesure de surveiller visuellement le détenu, mais sans entendre la conversation.[278]

[186]          De plus, le manque de confidentialité n’est pas une raison pour ne pas offrir à la personne détenue d’exercer son droit de consulter un avocat. Lorsque le manque de confidentialité est une réalité incontournable, il appartient à la personne détenue de choisir si elle désire quand même exercer son droit dans ce contexte ou si elle préfère l’exercer plus tard en toute confidentialité.[279]

[57]        Le juge LaBrie conclut à une violation. En outre, il identifie d’autres contraventions à la Charte : défaut d’informer du droit à l’avocat dès le début de la détention, interrogatoire par les policiers sur les circonstances d’un accident dans l’attente de l’ADA, délai d’attente au poste et imposition arbitraire d’un avocat. Pour le juge, il s’agit « d’un véritable grand chelem de violations »[29] qui ne peuvent être sauvegardées selon l’arrêt Grant[30].

[58]        Or, il y a des différences importantes avec le présent cas. Dans Lauzier :

1)       L’affaire se déroule en zone urbaine à Longueuil.

▪   Ici, les événements se déroulent dans une petite municipalité, à distance du poste.

2)       Plusieurs policiers interviennent.

▪   Ici, les deux policiers patrouillent seuls. L’autre équipe se trouve à distance.

3)       L’accusé témoigne qu’il était en possession de son cellulaire, qu’il connaissait un avocat dont il avait les coordonnées dans son cellulaire. S’il en avait eu l’opportunité, il aurait appelé cet avocat. Il s’est contenté de faire ce que les policiers lui ont dit.

▪   Ici, l’accusé ne témoigne pas. La preuve ne permet pas de conclure que les policiers savaient que l’accusé possédait un cellulaire. De plus, le Tribunal ne peut spéculer sur les raisons de son silence lors de la lecture des droits et sur une hypothétique levée de la confidentialité[31].

4)       Outre la confidentialité, le policier Caron ne voit pas d’empêchement à l’exercice du droit.

▪   Ici, la preuve révèle certains empêchements. D’une part, les événements se déroulent par un froid sibérien. Si l’accusé avait consulté à l’intérieur du véhicule patrouille, les policiers auraient dû attendre à l’extérieur pour une durée imprévue. D’autre part, l’accusé, supposément en état d’ivresse, se serait retrouvé seul à l’intérieur du véhicule patrouille, non menotté, avec une possibilité d’accès au tableau de bord. Il n’y a pas de séparation (ex. : vitre) entre la partie avant et arrière[32].

[59]        Par ailleurs, le juge Michel Pennou de la Cour supérieure, dans R. c. Paradis[33], énonce que la nouvelle réalité technologique « n’a pas donné le jour à une nouvelle réalité constitutionnelle […] l’existence d’une violation ne peut dépendre du seul fait qu’un individu soit ou non en possession d’un téléphone portable »[34]. Siégeant en appel, le juge conclut que le premier décideur a commis une erreur en concluant à une violation en s’appuyant sur le fait que l’accusé possédait un téléphone portable.

[60]        Le juge Richard Marleau de la Cour du Québec, dans R. c. Drolet[35], applique l’analyse du juge Pennou dans le contexte où les policiers, suite à une interception, mentionnent que le droit à l’avocat s’exercera au poste. L’accusée était en possession d’un cellulaire sans que les policiers le sachent.

[61]        Le présent cas est bien loin de l’arrêt Taylor[36] dans lequel les policiers conduisent l’accusé à l’hôpital et attendent une trentaine de minutes avant un prélèvement sanguin sans que les policiers songent à l’obligation de donner un accès à l’avocat, la preuve ne révélant pas d’obstacles sur le plan logistique.

[62]        Pour toutes ces raisons, le présent Tribunal conclut à l’absence de violation.

[63]        S’il y en avait une, l’atteinte serait sauvegardée selon l’analyse de l’arrêt Grant[37], en raison des démarches faites par les policiers pour se rendre le plus rapidement possible au poste. Agissant de bonne foi, ils n’ont pas tenté de soutirer de la preuve.

CONCLUSION

[64]        PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[65]        REJETTE la requête de l’accusé.