R. c. Gaulin, 2018 QCCQ 6746

L’accusée a été reconnue coupable de l’acte criminel prévu à l’article 255(3.1) du Code criminel soit d’avoir, le ou vers le 8 octobre 2011, à Québec, district de Québec, conduit un véhicule à moteur, alors qu’elle avait consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 mg d’alcool par 100 ml de sang et causé un accident créant la mort de V.G. (1987-04-03).

[6]           Le prononcé d’une peine est la tâche la plus délicate et difficile pour un magistrat. Imposer une peine trop clémente risque de banaliser la gravité d’un crime et d’écarter les barèmes fixés par le législateur, alors qu’une peine trop sévère laisse l’impression d’une vengeance pour compenser le tort occasionné à une victime et risque aussi d’effacer la possibilité de la réhabilitation du contrevenant. Dans la décision Lacasse[1], le juge Wagner écrira : « […] la détermination de la peine demeure l’une des étapes les plus délicates du processus de justice pénale et criminelle au Canada. »

[7]           Punissable à l’emprisonnement à perpétuité, il est important de mentionner la gravité objective du crime prévu à l’article 255(3.1) du Code criminel. Rappelons les dispositions de l’article 718 du Code criminel :

Art. 718 Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

  1. a)dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;
  2. b)dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
  3. c)isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

  4. d)favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
  5. e)assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
  6. f)susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes ou à la collectivité.

LES PRÉCÉDENTS – LA JURISPRUDENCE

[8]           Le plus haut tribunal du pays a souvent utilisé le terme « carnage » pour décrire les dommages subis par la société par les conducteurs en état d’ébriété, mais en même temps, à d’autres reprises, répète que la réhabilitation du délinquant reste un important élément de toute peine prononcée par les tribunaux.

[9]           La consultation des peines prononcées pour l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies causant la mort ou de conduite avec un taux excédant 80mg/100ml de sang causant la mort fait voir une variation selon les circonstances particulières de chaque dossier.

[10]        Notre collègue Jean-François Gosselin, dans la décision R. c. Comeau, 2008 QCCQ 4804 (CanLII), résume l’état de la jurisprudence sur les peines à imposer en matière de conduite d’un véhicule automobile avec facultés affaiblies causant la mort en ces termes :

  1. a) Des sentences clémentes oscillant entre 18 mois et 3 ans ferme de détention lorsque les facteurs prééminents favorisent l’accusé;

b)- Des peines sévères variant de 3 ans à 6 ans de pénitencier sont imposées lorsque les facteurs de dissuasion et de dénonciation l’emportent sur les facteurs personnels de l’accusé;

c)- Lorsque les facteurs personnels à l’accusé lui sont défavorables, il y a infliction de peines très sévères variant entre 6 à 9 ans de prison ou des peines supérieures lorsque l’on se rapproche du scénario des pires affaires. La consultation des décisions citées en annexe confirme son analyse.

[11]        Le Juge Moldaver, le 11 octobre 2017, répétait la même conclusion dans l’affaire R. c. Suter[2] en écrivant :

Comme nous l’avons vu, la fourchette de peines applicable à l’infraction prévue au par. 255(3.2) est la même que celle prévue en cas de conduite avec capacités affaiblies causant la mort et de conduite avec une « alcoolémie supérieure à 80 mg » causant la mort — allant de peines d’emprisonnement peu élevées de 2 à 3 ans à des peines plus lourdes de 8 à 10 ans, selon les circonstances.

LE RAPPORT PRÉDÉCISIONNEL

[12]        Le rapport présentenciel nous a révélé les faits suivants. Affectée par l’événement d’octobre 2011, l’accusée a dû, en 2011 et 2012, recevoir les services d’une psychologue. Elle reconnait sa responsabilité des incidents, mais n’en attribue pas la cause exclusivement à sa consommation d’alcool. La travailleuse sociale écrira : «…la justiciable ne présente pas un schème de valeur délinquant ou une personnalité criminelle structurée. De façon générale, son mode de vie et ses comportements font état de conformisme.»

[13]        Même si elle a trouvé pénible d’avoir à relater une autre fois les circonstances du drame, elle a quand même bien collaboré avec la travailleuse sociale. La perte de son amie la hante quotidiennement. Elle démontre de l’empathie à l’égard des parents et des proches de la victime et est consciente de la douleur et des torts causés à ceux-ci. Rappelons qu’elle n’a commis aucun impair depuis octobre 2011 et maintient un mode de vie sain. Le risque de récidive est faible selon la travailleuse sociale et elle semble se valoriser dans l’exécution de son travail.

[14]        Nous nous devons de qualifier ce rapport de très positif.

LA VICTIME, SES PROCHES

[15]        La grand-mère de la victime, Madame Liliane Belleau, a courageusement exprimé la peine et la tristesse que la perte de sa petite-fille a entraînées chez sa famille. Elle explique que sa fille, mère de la victime, a suivi le déroulement des procédures même durant la période où elle devait se soumettre à des traitements de chimiothérapie pour traiter un cancer qui l’a emportée. Les douleurs éprouvées par le père de la victime sont tellement profondes que même après sept ans il n’a pas la force de venir exprimer au tribunal la nature de cette blessure.

[16]        Mme Liliane Belleau espère que « justice soit rendue ». Nous souhaitons que notre décision fasse que « justice sera rendue », mais nous nous permettons d’ajouter qu’aucune peine aussi sévère puisse-elle être ne réussirait à effacer ou même diminuer la terrible plaie occasionnée par la perte de Valérie Gagné. Nous ne pouvons que souhaiter du courage au père de Mme Gagné, à sa grand-mère, Mme Belleau, pour supporter une épreuve aussi lourde.

POSITION DES PARTIES

[17]        Le ministère public est d’avis qu’une peine de quatre années de détention serait adéquate. On insiste sur le fait que l’accusée ne semble pas éprouver de sérieux remords ou, à tout le moins, ne l’a pas expressément manifesté à l’endroit des victimes, prétextant que la consommation d’alcool ne constitue pas la cause principale de cette tragédie. Le risque de récidive n’est pas entièrement absent puisque Madame Gaulin attribue à son inexpérience de conductrice la cause de l’accident et non à sa consommation d’alcool..

[18]        Pour sa part, le procureur de l’accusée est d’avis qu’une peine de détention inférieure à douze mois serait de nature à satisfaire les fins de la justice. Selon son procureur, l’accusée n’a pas cherché à se déresponsabiliser de son geste, admet avoir manqué de jugement et offert une bonne collaboration à la travailleuse sociale responsable de la confection du rapport présentenciel. Il ne se passerait pas une journée sans qu’elle ait à l’esprit la perte de son amie, comprend la peine qu’éprouvent ses proches et sympathise avec eux. Elle aurait dû remettre en question de nombreux projets notamment de fonder une famille avec son conjoint qui l’accompagne toujours.

[19]        Avec respect la suggestion de l’un nous semble trop sévère, celle de l’autre trop clémente.

ANALYSE

[20]        En l’instance, rappelons que l’accusée est âgée de 20 ans au moment de la commission de l’infraction. Sans qu’elle n’en ait la responsabilité, elle a dû attendre sept ans avant de connaître l’issue de son dossier. Il ne s’agit pas évidemment d’une circonstance atténuante, mais convenons que l’attente d’une période aussi longue l’a certainement profondément affectée, surtout parce que la personne dont elle a causé le décès était une amie. Nous sommes d’avis que nous ne pouvons pas ne pas en tenir compte. Empruntons les termes du juge Moldaver dans la décision Suter précitée (par. 103): « […] imposer aujourd’hui à M.Suter ce qui aurait été une décision indiquée au moment de la détermination de la peine lui causerait un préjudice indu et ne servirait à rien.»

[21]        L’accusée n’a aucun antécédent judiciaire et est décrite comme une travailleuse responsable. Elle maintient un mode de vie sain. Même si la détention nous semble inévitable vu la gravité objective du crime commis, imposer une lourde peine ne diminuerait pas pour autant la peine qu’éprouvent les parents et les proches de la victime.

[22]        EN CONSÉQUENCE, considérant tous ces facteurs, le Tribunal estime adéquate la peine suivante :

[23]        CONDAMNE l’accusée à une peine de détention de 24 mois moins 1 jour.

[24]        INTERDIT à Cynthia Gaulin, conformément à l’article 259(2)a.1) du Code criminel, de conduire tout véhicule à moteur au Canada, dans une rue, sur un chemin ou une grande route ou dans tout autre lieu public pour une durée de 36 mois, débutant au terme de la période d’emprisonnement.

[25]        ORDONNE, conformément à l’article 487.051(4) du Code criminel le prélèvement du nombre d’échantillons de substances (ADN) qui sera jugé nécessaire par l’agent de la paix pour les fins d’analyse génétique.

[26]        ORDONNE à l’accusée de se soumettre à une probation pour une période de 36 mois aux conditions suivantes :

  •      Elle devra se présenter ou contacter l’agent de probation dans les 10 jours ouvrables suivant sa libération;
  •      Garder la paix et avoir une bonne conduite;
  •      Répondre aux convocations du Tribunal;
  •      Prévenir le Tribunal ou l’agent de probation de ses changements d’adresse ou de nom et de les aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation;
  •      Il lui est interdit durant cette période de probation de se trouver dans quelque établissement où l’on consomme sur place des boissons alcooliques, sauf pour les fins de son travail, ou dans un restaurant pour prendre un repas.